CHAPITRE I - L'AMBITION FLUVIALE DE LA FRANCE, UN SERPENT DE MER EN VOIE D`ÉMERGENCE ?

Le « retour du fluvial » avait été à l'origine de la création de VNF au tournant des années 90. Les intentions d'alors n'ont pas trouvé de prolongements tangibles suffisants pour éviter une certaine stagnation, au moins relative, du transport fluvial sur fond de dégradation d'une infrastructure qui demeure confrontée à des limitations du fait de son défaut de complétude.

La loi de 2012 a entendu s'inscrire dans un processus de relance du fluvial sous-jacent aux priorités affichées dans le cadre de la stratégie nationale de développement durable et conforté par des comparaisons internationales suggérant la pertinence d'un effort national de comblement du « déficit fluvial » du pays.

Cette ambition paraît hypothéquée par une série de révisions ou, à tout le moins, d'atermoiements qui trouvent une partie de leur origine dans les handicaps de la position du fluvial dans les processus de la décision publique.

I. LE « DÉFICIT FLUVIAL » DE LA FRANCE

Le « problème fluvial » français n'est pas récent. Malgré d'indéniables atouts, le transport fluvial reste marginal en France. Les sous-investissements du passé ont aggravé le poids de certains handicaps, entraînant une lente obsolescence de l'infrastructure et la laissant dans un état d'inadaptation aux conditions d'une dynamique souhaitable du secteur. La France subit ainsi un « déficit fluvial » qui est aussi le produit du défaut d'une stratégie assez globale pour en conforter les différents acteurs et tirer parti des synergies qui assurent, ailleurs, la compétitivité du transport fluvial.

A. LE FLUVIAL EN FRANCE, UN MODE DE TRANSPORT ENCORE MINEUR

Les différents indicateurs disponibles pour mesurer le poids du transport fluvial convergent : le fluvial est un mode de transport encore résiduel en France.

Soit la dépense totale en transport , qui atteint 351,8 milliards d'euros en 2010, le transport fluvial n'en représentait que 0,4 % (1,3 milliard d'euro dont 900 millions de dépenses courantes et 400 millions d'investissements).

On relève incidemment que la dépense de transports engendre des ressources pour les agents économiques. Pour le fluvial les ressources identifiables sont de l'ordre de 400 millions d'euros pour les ménages à travers les rémunérations versées à eux, par VNF mais aussi par les bateliers.

De leur côté, la route et le fer mobilisent, respectivement, 80 % des dépenses de transport et 5,9 %, soit juste un peu plus que le transport maritime.

Pour les seuls investissements les dépenses sont très inégales selon le mode de transport envisagé. Les 16,8 milliards d'euros d'investissements en infrastructures réalisés en 2011 ont été consacrés pour les deux tiers à la route (10,5 milliards d'euros), 19% (3,2 milliards) étant mobilisés par le ferroviaire tandis que le fluvial n'absorbait que 1,2 % du total.

La part du fluvial dans les volumes de marchandises transportées (hors aérien) s'élève à 2,2%, le quantum de la route étant de 88,2 % (selon les données des comptes des transports en 2011 ).

Au cours des dernières années, la voie d'eau a mieux résisté que les autres modes. En cela, elle a confirmé un redressement intervenu à la fin des années 90 après l'effondrement subi dans la première moitié de cette décennie marquée pourtant par la création de VNF.

Source : VNF.

Mais, sur une plus longue durée, le repli du fluvial est comme considérable : le transport fluvial de marchandises ne représente plus aujourd'hui que la moitié de ce qu'il était en 1970.

Ces données sont parfois nuancées. On fait valoir à juste titre qu'elles ne rendent pas entièrement compte de l'attractivité de la voie d'eau. En effet, lorsque celle-ci peut concurrencer les autres modes, autrement dit lorsqu'elle constitue une offre concrètement alternative, le choix du fluvial se révèle moins secondaire.

C'est d'ailleurs sans doute en partie parce que le mode fluvial offre dans certains pays européens plus qu'en France une réelle alternative qu'il y est nettement plus utilisé dans ces pays, la France apparaissant comparativement comme un nain du transport fluvial.

COMPARAISON EUROPÉENNE DE « L'INTENSITÉ » FLUVIALE (EN 2009)

ND : non disponible

Source : Eurostat.

C'est tout particulièrement le cas en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas où la voie d'eau est nettement plus fréquentée pour le fret.

Au-delà de la part modale, qui mesure le poids du fluvial dans chaque pays, le retard français se lit avec une particulière évidence dans le niveau des trafics. Le trafic français (en incluant le transit rhénan) ne dépasse guère 8,1 % du trafic fluvial en Europe de l'Ouest. Il représente moins de 16 % du trafic allemand et moins d'un quart du trafic hollandais.

Ces deux pays notamment montrent que, dans certaines configurations au moins, la voie d'eau peut offrir un mode de transport attractif.

Les chiffres mentionnés appellent aussi l'attention sur la concentration du trafic fluvial dans le Nord de l'Europe et en Allemagne, qui, à l'échelle européenne, constituent deux grands bassins fluviaux aimantant le trafic, constatation qui ne peut être indifférente pour la définition par la France d'une stratégie fluviale.

Le retard français peut apparaitre paradoxal au vu du potentiel fluvial du pays.

La France possède de loin le plus long réseau d'Europe, mais avec 22,4 % du réseau fluvial européen elle ne pèse que 8,1 % du fret fluvial.

LONGUEUR DU RÉSEAU FLUVIAL COMPARAISONS EUROPÉENNES (EN KM)

(1) Dont 6200 confiés à VNF.

Avec 85 % des capacités françaises, l'Allemagne transporte sur son réseau plus de 6 fois le fret transporté en France. Pour les Pays-Bas, qui ont une capacité théorique de moitié inférieure à celles de la France, ils transportent 4 fois le fret fluvial français. Quant à la Belgique, avec 17 % du réseau français, elle transporte des marchandises équivalant à 83 % de celles véhiculées par le fluvial français.

Autrement dit, les réseaux de ces trois pays sont considérablement --dans une proportion de 1 à 7, pour faire image - plus efficaces que le réseau français.

Le transport fluvial de marchandises est très concentré géographiquement.

Les 7,9 milliards de tonnes-kilomètres (t-km) transportées en 2011 ont transité pour plus de la moitié (4,2 milliards et 53,2 % du total ) sur le bassin de la Seine .

Le reste se répartissait ainsi :

- le bassin du Rhône Saône : 1,4 milliard de t-km pour 17,7 % du total ;

- le bassin de l'Est : 1,1 milliard de t-km pour 13,9% du total ;

- le bassin Nord-Pas de Calais : 800 millions de t-km pour 10,1 % du total ;

- le bassin Nord-Est : 600 millions de t-km pour 7,6 % du total ;

- et le Centre- Est : 40 millions de t-km pour 0,5 % du total.

Cette répartition est tributaire de variables diverses relevant les unes de l'offre, les autres, de la demande.

Parmi celles-ci, la nature des marchandises transportées par la voie d'eau et des chaînes logistiques qu'elles suivent importent particulièrement.

Les filières concernées par le transport fluvial, même si elles sont en voie de diversification vers de nouvelles spécialités sont elles-mêmes relativement concentrées autour :

- de l'agroalimentaire : 2,2 milliards de t-km (27,8 % du total) ;

- de l'énergie : 1,1 milliard de t-km (13,9 % du total) ;

- de la métallurgie : 700 millions de t-km (8,9% du total) ;

- des matériaux de construction : 2,6 milliards de t-km (32,9% du total) ;

- de la chimie : 500 millions de t-km (6,3 % du total) ;

- et des conteneurs, colis lourds et véhicules : 800 millions de t-km (10,1 % du total).

Même si les sites impliqués ne sont pas tous installés au bord de l'eau, le transport fluvial des marchandises nécessitant souvent des phases de « péri-acheminement » réalisées par d'autres modes, la localisation des sites joue un rôle important et détermine étroitement la répartition géographique du transport fluvial.

Celle-ci est également influencée par la nature des échanges qui donnent lieu à transport fluvial : 35,4 % des marchandises empruntant la voie d'eau sont destinées à l'exportation (pour 18,1 %) ou sont importées (pour 17,3 %), les points de sortie et d'entrée des produits concernés - souvent des ports - étant alors déterminants.

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