B. UNE AUTONOMIE CORSETÉE AU RISQUE D'UNE PERTE DE RAISON D'ÊTRE DE SON STATUT

1. Une tutelle foisonnante

VNF est soumis à une tutelle foisonnante. Tous les actes de gestion significatifs sont contrôlés par les tutelles. Celles-ci exercent la maîtrise du conseil d'administration. Cette organisation affecte directement l'autonomie de gestion de l'établissement et conduit à s'interroger sur la portée des engagements qu'il peut prendre ou dont il peut bénéficier au titre de sa stratégie.

VNF est placé sous la tutelle du ministre chargé des transports par l'article L. 4311-1 du code des transports. Celle-ci est très diversifiée et elle est redoublée par la tutelle exercée par les ministères financiers. La tutelle du ministre des transports s'exerce de différentes manières :

- par la participation du commissaire du gouvernement au conseil d'administration de l'établissement où il n'a qu'une voix consultative mais où il dispose d'un droit de veto puisqu'il peut faire opposition aux délibérations dans un délai de 8 jours ;

- par le rôle du commissaire du gouvernement dans le fonctionnement du conseil d'administration qu'il peut convoquer ;

- par le pouvoir qui lui est réservé après accord du contrôleur budgétaire de délier un administrateur de son empêchement de prendre ou conserver un intérêt personnel direct ou indirect dans une entreprise concluant un marché ou un contrat avec VNF ;

- par l'approbation qu'il doit donner à certaines délibérations ou à certains projets relatifs aux emprunts, aux créations de filiales, aux cessions, prises aux extensions de participations financières, au compte financier ou quand des projets instaurés dépassent un seuil fixé par arrêté ministériel.

À cette tutelle s'ajoute celle exercée par les ministères financiers, notamment par le contrôle général économique et financier et par France Domaine. Les actes les plus significatifs financièrement doivent être visés par le contrôleur général, qui siège au conseil d'administration et dispose également d'un droit de veto sur les délibérations du conseil. Par ailleurs, une vigilance particulière s'exerce sur les recrutements puisque tout recrutement doit être visé.

Ces tutelles omniprésentes vont au-delà d'un contrôle sur les actes de gestion. Elles conduisent l'État à exercer sa maîtrise sur le conseil d'administration de VNF de sorte qu'en réalité son fonctionnement s'apparente avantage à celui d'une instance consultative qu'à celui d'un organe délibératif capable de définir et d'assumer la stratégie de l'établissement.

Le comité d'audit prépare les dossiers soumis au conseil d'administration. Il se compose de trois administrateurs délégués en son sein par le conseil.

Le commissaire du gouvernement et le contrôleur budgétaire en sont l'un membre, l'autre observateur, de droit. Dans les faits, le comité d'audit ne comprend aucun membre du personnel.

Si, en théorie, la composition du conseil d'administration n'assure pas à l'État la maîtrise de cet organe, dans les faits et les pouvoirs des tutelles et le fonctionnement concret du conseil lui offrent cette maîtrise. En toute hypothèse, l'État a un pouvoir d'empêcher .

Chaque réunion est précédée d'une réunion fermée aux administrateurs ne représentant pas l'État, ce qui pour être conforme à une gestion ordonnée des « participations » publiques de la part de celui-ci, n'en recèle pas moins une forme de confiscation des pouvoirs décisionnels du conseil.

La question de la compatibilité entre les différentes expressions de la tutelle foisonnante imposée à VNF et ses capacités de pilotage reste posée.

Elle peut être prolongée pour envisager les relations contractuelles nouées entre l'établissement et l'État à travers les contrats d'objectifs ou de performance successifs (voir les chapitres I et III du présent rapport qui abordent les problèmes nés des révisions en profondeur de ces contrats).

Au-delà, il s'agit bien de l'efficacité de ces contrats en tant qu'instruments de pilotage qui est en cause.

Le contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2005-2008
vu par l'Inspection générale des finances (IGF)

Le contrat d'objectifs et de moyens conclu entre l'État et VNF pour la période 2005-2008, marqué par l'augmentation des tarifs de la taxe hydraulique, reposait sur la distinction entre le réseau magistral, qu'il privilégiait, et le réseau régional. Il affichait pour priorités des objectifs de sécurisation de l'ensemble du réseau, de dynamisation du trafic sur le réseau magistral supposant un effort d'investissement, des engagements sur l'offre de service et la fourniture d'une assistance aux régions dans le cadre des transferts de voies alors envisagés.

VNF devait réaliser des gains de productivité, de 2 % l'an.

Ce contrat a suscité une série de programmes et d'actions visant à atteindre les objectifs fixés.

L'IGF en a dressé un bilan plutôt critique.

Les principales critiques formulées par l'IGF ont été les suivantes.

Le contrat ne comportait d'emblée que des indicateurs flous, sans échéances précises.

L'objectif d'une meilleure organisation des services de navigation n'avait pas été suivi d'actions concrètes.

Le suivi par la tutelle de l'exécution du contrat s'était montré insuffisant . En particulier, la maîtrise des effectifs a té défaillante. De même, le suivi de la durée du travail a été très incomplet.

La territorialisation de l'action de VNF par les contrats territoriaux conclus pour décliner localement les objectifs nationaux fut un échec , certains services refusant de s'engager dans cette démarche, tandis que, pour les contrats conclus, leur suivi a été trop distant, notamment du fait des défauts dans les échanges entre directions territoriales et direction générale de VNF.

Au total, le contrat d'objectifs et de moyens aurait eu pour effet principal la création au sein de VNF d'outils pertinents de connaissance du réseau et d'aide à la décision :

- le schéma directeur d'exploitation des voies navigables avec une définition par voie des niveaux de services cibles (24/24 tous les jours pour le grand gabarit ; entre 7  heures et 11 h 30 sur les voies moins fréquentées) ;

- la classification des voies navigables en six classes d'enjeux ;

- l'inventaire de l'ensemble des ouvrages gérés par VNF et de leur état fonctionnel avec quatre classes, de I - bon état, à IV - très mauvais état.

Qualifié par l'IGF de « contrat d'observation », il aurait manqué ses autres finalités, en particulier le pilotage stratégique d'établissement dans le contexte des objectifs d'une politique fluviale mal définie.

2. Un état de minorité financière

La tutelle financière évoquée ci-dessus sur les actes de gestion courante de VNF n'est qu'un des visages des contrôles serrés que subit l'établissement dans le cadre des règles supposées garantir une gestion disciplinée des finances publiques.

a) Un investisseur dans capacité d'emprunt propre

L'attribution de la personnalité morale à VNF pourrait avoir l'avantage de lui conférer une capacité d'emprunt propre.

Mais, outre les handicaps économiques et financiers que subit l'établissement, cette faculté a été expressément écartée par la loi de programmation des finances publiques.

Celle-ci a ôté à VNF cette faculté au motif que l'établissement étant considéré comme un ODAC (organisme divers d'administration centrale) au sens de la comptabilité nationale, son endettement serait ipso facto inclus dans la dette publique au sens du pacte de stabilité et de croissance européen.

En bref, l'État a fait le choix d'une surveillance maximale sur la dette de VNF en posant une règle d'interdiction dont les incidences financières peuvent se révéler nocives (voir le chapitre III du présent rapport).

b) Un établissement supposé se développer mais placé sous les règles générales d'une stricte discipline budgétaire

VNF relève de la catégorie des « opérateurs de l'État » en raison de ses caractéristiques (activité de service public, financement assuré majoritairement par l'État, contrôle direct exercé par celui-ci).

À ce titre, VNF est soumis à une série de règles et d'orientations budgétaires destinées à améliorer sa transparence et à contraindre ses engagements.

La catégorie des opérateurs de l'État est issue de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Ils appartiennent « au premier cercle » des participations de l'État en regroupant des personnes morales distinctes de lui mais exerçant sous son contrôle des missions de service public.

Leur proximité avec l'État conduit à leur appliquer les règles de gestion budgétaire appliquées à celui-ci.

Les effets de la qualification d'opérateur appliquée à VNF sont très divers.

On n'en mentionnera que les plus significatifs qui, réunis, aboutissent à une banalisation des organismes concernés, c'est-à-dire à la limitation de leur autonomie et à l'application de contraintes budgétaires générales limitant leur liberté de gestion et leurs possibilités de développement.

D'un point de vue budgétaire, les relations entre l'État et les opérateurs s'inscrivent dans une nomenclature qui distingue, par leur nature, les concours apportés par l'État (subventions pour charges de service public pour les dépenses d'exploitation courante, subventions assimilées à des dotations en fonds propres pour les autres dépenses, transferts pour les charges correspondant à de redistributions effectuées par les opérateurs...). Toujours sur le plan budgétaire, il est prévu que les opérateurs se conforment à un cadre de présentation, de vote et d'exécution imposé par circulaire du ministère chargé du budget et s'inspirant du cadre formel posé par la LOLF pour le budget de l'État. Enfin, les opérateurs sont astreints à entrer dans la logique des projets annuels de performances. Cette ingénierie budgétaire est complétée par une ingénierie plus directement managériale par laquelle les opérateurs entrent dans un schéma de relation avec les tutelles structuré par des contrats d'objectifs et de moyens (désormais de performances) dont on rend compte plus loin dans le présent rapport s'agissant spécifiquement de VNF.

De façon encore plus opérationnelle, la loi de finances pour 2008 (article 64) soumet les opérateurs un plafond d'emplois fixé chaque année en loi de finances. Ces plafonds couvrent l'ensemble des personnels quel que soit leur statut, peu important en particulier qu'il s'agisse de personnels de droit public ou de droit privé, à quelques exceptions près dont celle des personnels mis à disposition des opérateurs qui relèvent de la régulation transversale des emplois ou des contrats aidés.

Les opérateurs sont encore soumis aux orientations de la politique budgétaire. Ainsi, une circulaire du Premier ministre du 26 mars 2010 soumis les opérateurs à la règle du non remplacement d'un poste sur deux tandis que de son côté la seconde loi de programmation des finances publiques du 28 décembre 2010 prescrit aux opérateurs une réduction de leurs effectifs de 1,5 % par an et une baisse de leurs dépenses de fonctionnement de 10 % au cours des trois ans suivant l'adoption de la loi.

En outre, déjà impactés par les normes appliquées aux crédits du budget général qui les alimentent largement , les opérateurs financés par des taxes affectées sont soumis aux effets du plafonnement desdites taxes décidé en loi de finances pour 2012 (voir le chapitre III du présent rapport).

3. Des risques : entre contournement et rupture d'engagements

Face à ces contraintes, deux risques majeurs ressortent traditionnellement : celui des ruptures d'engagement ; ceux associés à des pratiques de contournement.

Il n'est pas sûr que VNF y échappe tout à fait.

Les premiers ont un poids certain, qu'ils s'appliquent au domaine social ou qu'ils portent sur le champ économique.

Il faut rappeler que la loi de 2012 a été très largement concertée avec les organisations syndicales puisqu'un protocole d'accord a été signé le 24 juin 2011 avec la plupart des organisations syndicales (FO faisant exception) formalisant des engagements que le Parlement a pour l'essentiel consacrés à l'occasion de l'adoption du projet de loi soumis à lui. Ces engagements portaient sur des points relatifs aux statuts des personnels mais, au-delà, concernaient la politique fluviale et son ambition. En particulier, ils incluaient une enveloppe d'investissements de 840 millions d'euros sur 4 ans, engagement quantitatif doublé d'une promesse plus qualitative de modernisation et de développement de l'ensemble du réseau, grand et petit gabarit. A ce protocole d'avant la loi s'est ajouté un nouveau protocole, d'après-loi, dans le cadre du comité de suivi mis en place. Il porte « cartographie des emplois » (voir ci-dessous) et comporte à ce titre des engagements implicites sr les ressources humaines.

La conciliation de cette démarche de négociations sociales avec les arbitrages rendus dans le processus de modernisation de l'action publique et dans les arbitrages budgétaires reste à démontrer. Les tensions qui peuvent survenir ne sont pas théoriques comme le montre la détérioration du climat social chez VNF observable ces derniers mois.

Les engagements stratégiques ou opérationnels pris par VNF à l'égard de ses partenaires dans le champ économique peuvent également pâtir de l'application de contraintes en continuelle redéfinition.

Les anticipations des acteurs économiques de la voie d'eau sont perturbées par les adaptations constantes auxquelles VNF est astreint. Les perspectives de son offre évoluent ce qui fait peser un risque en soi sur l'ensemble de la filière. Par ailleurs, des reports de projets peuvent s'en suivre avec des effets de renchérissement des coûts directs ou indirects qu'une mise en oeuvre plus continue des plans d'investissement permettrait d'éviter.

Dans ce contexte, VNF peut être incité à recourir à des opérations de contournement qui peuvent prendre des formes diverses.

VNF peut être tenté de figer ses engagements dans le temps de sorte qu'ils échappent aux arbitrages budgétaires qui interviennent régulièrement. Cette tentation trouve d'autant plus à s'exprimer naturellement qu'une part importante des dépenses de VNF sont des dépenses d'investissement qui se déroulent dans le temps. La question qu'elle pose est plutôt de savoir si elle ne s'accompagne pas de choix quelque peu précipités ou de biais conduisant à privilégier certaines formes de conduite des projets, malgré leurs coûts, plutôt que d'autres, éventuellement moins coûteuses mais plus vulnérables à des arbitrages budgétaires limitant.

Elle se pose d'autant plus que les effets budgétaires de certaines formules sont par certains aspects masqués puisque reportés dans le temps.

On remarquera à cet égard que les règles de comptabilisation de la dette publique engendrent un biais en faveur des contrats de partenariats dans la mesure où les engagements financiers correspondant ne sont classés en dette publique que sous des conditions toujours contestables et, quoi qu'il en soit, avec un retard (la comptabilisation en dette n'intervient qu'au moment de la livraison et non de la signature du contrat).

Par ailleurs, même si les engagements doivent être comptabilisés 5 ( * ) , ce qui crée des obligations à très long terme, les décaissements peuvent être retardés, rendant attractive la formule pour ses vertus cosmétiques.

L'externalisation des réalisations de VNF qui s'en suit est une autre forme envisageable de contournement des contraintes qu'il subit.

Elle peut être opérationnelle, par le recours à des maîtrises d'oeuvre voire à des portions de maîtrises d'ouvrage en dehors de VNF dans des conditions où leur intérêt, pour vigoureusement allégué, mériterait des examens plus serrés.

On a évoqué plus haut les économies financières censées résulter à long terme de l'abandon de la formule du partenariat pour réaliser le canal Seine Nord Europe.

Un autre projet en cours conduit à s'interroger sur le recours au contrat de partenariat. Il s'agit de la reconstruction des barrages de la Meuse et de l'Aisne projet-phare de VNF.

Un avis favorable avait été rendu sur ce point en 2009 par la mission d'appui au contrat de partenariat du ministère des finances, mais il avait été assorti de nombreuses réserves plus ou moins explicites conduisant à mettre en évidence la ténuité des avantages du contrat par rapport un choix alternatif de maîtrise d'ouvrage publique suivie d'une exploitation en régie par VNF. Les avantages allégués d'une fabrication en série et d'une rapidité plus grande, peu documentés, étaient susceptibles d'être plus que compensés par un écart de taux défavorable au partenaire.

Outre que les risques financiers envisagés en 2009 semblent s'être matérialisés depuis, on peut s'interroger sur la justification du recours à un contrat de partenariat s'agissant d'un projet qui ne semble pas excéder les capacités techniques de VNF.

L'étendue de son objet suscite également des interrogations dans la mesure où il recouvre la maintenance et une partie de la gestion de la ligne d'eau.

Ces dernières caractéristiques heurtent les personnels de la voie d'eau qui s'estiment exclus d'un des projets principaux conduits par VNF. Ils s'inquiètent de l'arbitrage sous-jacent revenant à leur substituer des personnels privés dans un contexte de réduction des effectifs propres de VNF.

Enfin, l'équilibre financier du contrat appelle des clarifications. Le taux de rendement interne garanti mentionné dans la note de la MAP s'élève à 12 % soit un « surplus du partenaire » très conséquent étant donné le niveau actuel des taux des actifs sans risques à long terme.

Les incertitudes sur la viabilité économique globale des investissements font peser dans ce contexte un risque financier élevé sur VNF, constitutif d'un passif à long terme à la charge de l'établissement, celui-ci devant en tout état de cause acquitter les loyers du contrat pour un montant supérieur à 30 millions d'euros, soit l'équivalent de 15 % d'un engagement quadriennal d'investissement de 840 millions d'euros.

Il faut alors observer combien l'interdiction faite à VNF de recourir à l'emprunt combinée avec l'insuffisance des ressources allouées par l'État à l'établissement, conduisent à des trajectoires financières sous-optimales que seule la démonstration d'une valeur ajoutée durable apportée sur d'autres points pourrait justifier.

Mais, l'externalisation peut être aussi plus organisationnelle .

La loi de 2012 a encadré certaines des formules de filialisation des activités de VNF, celles employées dans le cadre des opérations d'aménagement foncier. Pour autant, que ce soit pour des motifs financiers ou pour des raisons plus administratives, on conçoit mal que les contrôles s'exerçant sur VNF puissent être compatibles avec le recours à des formules de gestion plus directe de ce type d'interventions. Il n'est pourtant pas sûr que VNF ne gagnerait pas à les préférer (voir le chapitre III), tout comme il n'est pas démontré que le recours systématique à des concessions soit le meilleur moyen de valoriser son domaine.

Enfin, d'un point de vue plus social , les perspectives peu stabilisées des effectifs accessibles à l'établissement tendent à des solutions d'emplois qui, pour pouvoir être ponctuellement justifiées, ne sont pas recommandables si elles devaient être appelées à une systématisation. Le recours à des vacataires ou la pratique consistant à laisser vacants des emplois par précaution ne témoignent pas d'une gestion des effectifs adaptée à des objectifs dynamiques.


* 5 Dans le contexte du passage de VNF à une comptabilité classique en autorisations d'engagement et crédits de paiement.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page