VI. ÉTATS-UNIS

Q1/- Les monnaies virtuelles ont-elles fait l'objet de débats, de travaux (rapports, auditions publiques, etc.), de prises de position publiques ou politiques ? Avez-vous identifié des réflexions en cours sur le sujet ? Des think-tanks sont-ils actifs sur le sujet ?

En raison des volumes de transaction et des nombreux acteurs présents sur le territoire américain, les monnaies virtuelles sont l'objet de beaucoup d'attention aux États-Unis. Des dizaines de blogs y sont consacrés et la plupart des médias nationaux traitent de l'actualité du bitcoin . Les monnaies virtuelles ont également fait l'objet de nombreuses prises de position publique. Parmi les prises de position publique, de nombreux investisseurs ( venture capital ) se sont déclarés en faveur du bitcoin (Mike Novogratz, Marc Andreessen, Winklevoss Twins, Steve Forbes). Toutefois Paul Krugman a qualifié dans une tribune décriée du New York Times 46 ( * ) le bitcoin de « diable » et Warren Buffet de « mirage ».

Les autorités publiques en revanche accordent une attention croissance aux risques qui leur sont associés comme la forte volatilité, le financement d'activités illégales et notamment le blanchiment d'argent. Le Department of Justice a ainsi déjà fermé plusieurs plateformes d'échange de monnaies virtuelles utilisées pour financer des activités criminelles en s'appuyant sur les lois pénales en vigueur. La fermeture de Silk Road , plateforme permettant notamment l'achat et la vente de stupéfiants, qui utilisait le bitcoin comme monnaie d'échange a été très largement relayée dans les médias. Elle est notamment à l'origine d'une série d'audition menée par la commission du Sénat sur la sécurité intérieure ( Senate Committee on Homeland Security and Governmental Affairs ) sur les dangers liés au développement des monnaies virtuelles ( Beyond Silk Road: Potential Risks, Threats, and Promises of Virtual Currencies ) en novembre dernier. Plusieurs représentants d'autorités publiques ainsi été invités à s'exprimer ( Department of Justice , Department of Treasury , FBI).

De nombreux think-tanks se focalisent exclusivement sur la promotion des monnaies virtuelles, le plus connu d'entre eux est The Bitcoin Foundation , dont le Président a été appelé à témoigner lors de l'audition à la commission sur la sécurité intérieure du Sénat. La Bitcoin Foundation a été créée en septembre 2012 et regroupe plusieurs personnalités liées au bitcoin dont le créateur Satoshi Nakamoto 47 ( * ) .

Malgré les dizaines de monnaies virtuelles existantes, seule le bitcoin et à la marge, quelques autres ( Litecoin , Ripple ), font l'objet d'une attention particulière de la part des médias, des think-tanks, des autorités publiques.

Q2/- Les autorités publiques se sont-elles montrées plutôt favorables ou circonspectes sur les monnaies virtuelles, notamment le bitcoin ?

Les autorités publiques en charge de la régulation se sont montrées dans l'ensemble favorables aux monnaies virtuelles, certaines d'entre elles - la Fed et le FBI notamment 47 ( * ) - soulignant à l'occasion de l'audition au Sénat, le potentiel des monnaies virtuelles à rendre les échanges plus efficients, sécurisés et rapides.

Néanmoins les autorités publiques en charge de la sécurité intérieure se sont montrées davantage circonspectes face au développement du bitcoin : très récemment, le ministère de la Défense ( Department of Defense ) a dédié une partie de ses activités aux risques que représentent ces monnaies pour le développement des activités terroristes.

Certains régulateurs des États fédérés, comme la North American Securities Administrators Association (NASAA) par exemple le 29 avril dernier, ont mis en garde les utilisateurs du bitcoin contre sa volatilité.

Q3/- Certains acteurs des monnaies virtuelles mènent-ils un travail de lobbying auprès des institutions publiques (administrations, Parlement, régulateurs) ? Si oui, quels sont les arguments mis en avant ? Quelles sont leurs demandes ?

Plusieurs associations soutiennent le développement du bitcoin , dont la plus connue est The Bitcoin Foundation (cf. Q1), une organisation à but non lucratif représentant les intérêts des investisseurs du secteur 48 ( * ) et oeuvrant pour la promotion du bitcoin auprès des institutions publiques 49 ( * ) . De manière générale, les lobbys encouragent les institutions publiques à adapter et préciser le cadre législatif au bitcoin sans prendre de nouvelles dispositions. Ils mettent en avant le potentiel des monnaies virtuelles à révolutionner le transfert d'argent et proposer une solution alternative aux moyens de paiement traditionnels, plus couteux. Ils insistent également sur le caractère nouveau, prometteur et attaché à l'idéal de liberté de cette nouvelle technologie.

Ces points ont été développés lors de l'audition à la Commission du Sénat en novembre dernier du Président de The Bitcoin Foundation qui a eu notamment l'occasion de mettre en avant : (i) le caractère transnational et sûr du bitcoin comme réserve de valeur, notamment dans les pays où la monnaie officielle est vulnérable (ii) les innovations apportées par le bitcoin , nouveau moyen de paiement plus rapide, et (iii) la création d'emplois dans divers secteurs. Selon lui, les États-Unis auraient par conséquent intérêt à se positionner en tant que leader dans la promotion et le développement de cette monnaie.

Par ailleurs, seul le bitcoin fait l'objet d'un lobbying de la part d'associations dédiées, les autres monnaies virtuelles n'ayant pas la même résonance.

Q4/- Les monnaies virtuelles font-elles l'objet d'une définition légale ? Des évolutions légales ou règlementaires sont-elles envisagées ? Si oui, préciser les principales dispositions.

Les autorités américaines ne se sont pas entendues pour donner une définition légale commune des monnaies virtuelles et un tel projet ne semble pas envisagé à court-terme. Néanmoins, le Governement Accountability Office (GAO) a proposé la définition suivante : « une monnaie virtuelle est une unité digitale d'échange qui n'est pas soutenue par l'État ». Selon le FinCEN , il s'agit d'un moyen d'échange qui opère comme une monnaie dans certains environnements sans pour autant en présenter tous les attributs.

Q5/- Les régulateurs sont-ils intervenus pour encadrer l'utilisation des monnaies virtuelles ? Les plateformes dédiées à l'utilisation de ces monnaies sont-elles soumises à des obligations spécifiques ?

Il n'y a pas de réglementation globale des monnaies virtuelles, les autorités de régulation traitant les monnaies virtuelles selon leurs prérogatives.

La Federal Reserve , par le biais de sa Président, Janet Yellen, a déclaré que la réglementation du bitcoin n'était pas de son ressort.

La FinCen a publié une directive concernant les modalités du Bank Secrecy Act en ce qui concerne les monnaies virtuelles. Le FinCEN assimile les plateformes de conversion dollar/ bitcoin à des Money Service Businesses et les contraint à s'enregistrer à ce titre auprès de lui, et à se conformer à l'obligation d'identification de leurs clients ( Know Your Client ), réduisant de fait l'anonymat d'une partie des utilisateurs de cette monnaie virtuelle. Par ailleurs, ces plateformes de conversion sont depuis mars 2013 soumises à des mesures anti-blanchiment qui leur imposent (i) de tenir des registres de l'ensemble des transactions effectuées, (ii) de reporter au gouvernement toutes transactions de plus de 10 000$ et (iii) de prévenir le FinCEN de toute suspicion de fraude. Le FinCEN a ensuite précisé explicitement en janvier 2014 que les « mineurs » et investisseurs en bitcoins pour compte propre ne sont pas soumis à ces contraintes. La FinCen a rappelé cette dernière disposition dans une note publiée le 29 avril 50 ( * ) .

La SEC s'estime en mesure de se saisir de toute transaction où des intérêts seraient versés à partir d'actifs liés à une monnaie virtuelle, et un ETF ( Exchange Traded Fund ) en bitcoins s'est inscrit en octobre 2013 auprès de l'agence.

La CFTC estime que tout produit dérivé ayant pour sous-jacent une monnaie virtuelle ou un actif libellé en monnaie virtuelle se situe sous sa juridiction et devrait ainsi publier une directive sur la réglementation des dérivés en bitcoin à moyen-terme.

Les régulateurs des États fédérés pourraient également émettre une réglementation du bitcoin . L'État de New-York a notamment mené, courant janvier, des auditions destinées à déterminer l'opportunité et les modalités d'une « BitLicense », et prévoit la définition courant 2014 d'un cadre réglementaire pour les monnaies virtuelles. L'État de Californie a pour sa part envoyé mi-2013 plusieurs mises en demeures à des entreprises soupçonnées d'opérer sans licence en tant que Money Transmission Services en bitcoins . Un projet de loi est par ailleurs à l'étude au Sénat de l'État de Californie pour fournir au bitcoin un cadre pleinement légal.

Q6/- Les administrations fiscales ont-elles pris position sur la nature des monnaies virtuelles et, partant, sur les conséquences fiscales qui y sont attachées ?

L' Internal Revenue Service (IRS), le service des impôts américain, a récemment publié une notice sur le sujet (n° 2014-21 en date du 25 mars 2014). Il attribue, dans ce document, le statut de titre de propriété au bitcoin plutôt que celui de monnaie. Cette classification a de nombreuses implications sur le régime de taxation du bitcoin : (i) les détenteurs de la monnaie devront déclarer leurs gains /pertes en tant que gains/pertes en capital plutôt qu'en monnaie étrangère. Cette taxation vaut également lorsqu'un bitcoin est utilisé pour régler un achat. (ii) Les mineurs de bitcoin seront considérés comme des travailleurs indépendants et devront déclarer les gains réalisés en dollar par leur activité (le cours de référence étant le cours du bitcoin à la date du minage). Cette nouvelle réglementation devrait avoir des répercussions sur l'usage de la crypto-monnaie, notamment comme valeur d'échange.

Q7/- Les autorités publiques ont-elles entrepris des actions d'information ou de prévention vis-à-vis des épargnants ou des consommateurs ?

Plusieurs autorités publiques au niveau fédéral ont publié des notices de mise en garde des consommateurs sur les dangers du bitcoin .

La SEC a publié une mise en garde concernant les schémas de Ponzi utilisant la monnaie virtuelle 51 ( * ) .

Les régulateurs de plusieurs États ont également publié des notices de mise en garde contre l'utilisation des monnaies virtuelles à travers la NASAA, un organisme qui regroupe différents régulateurs d'États nord-américains. En mars 2014, le Washington State Department of Financial Institutions a également publié une alerte sur les risques liés aux monnaies virtuelles.

La FINRA, un association d'autorégulation des marchés, a publié une notice 52 ( * ) visant à rappeler les dangers d'une forte volatilité des cours et les risques inhérents aux plateformes de trading (symbolisés par Mt. Gox ).

Q8/- Constate-t-on une progression des investissements (publics ou privés) en matière de monnaies virtuelles ?

De nombreux fonds d'investissement (venture-capital) ont investis des sommes très importantes sur le bitcoin ou sur des projets qui y sont liés. Ainsi 98,6 millions de dollars ont été levés depuis la création du bitcoin en 2009 pour être injecté dans 19 startups nord-américaines 53 ( * ) . Le fonds Fortress Investment Group (62 milliards de dollars d'actifs sous gestion) a investi dans Patera Capital Management, un hedge fund se concentrant uniquement sur l'univers bitcoin .

Par ailleurs de plus en plus d'incubateurs aident les startups spécialisées dans les monnaies virtuelles à se financer et se développer. Récemment, Seedcoin, le premier incubateur spécialisé dans les startups bitcoin a levé 2 000 bitcoins à l'occasion de son second round, et l'incubateur californien 500Startups a lancé un consortium d'investisseurs qui se concentrera sur le bitcoin et les technologies financières.

Enfin, les plateformes d'échanges de monnaies virtuelles - permettant d'échanger des dollars contre des bitcoin ou autres monnaies virtuelles et de les stocker dans un portefeuille virtuel - ne cessent de s'accroitre. Ces plateformes permettent au grand public et aux professionnelles d'échanger facilement de la monnaie virtuelle.


* 46 http://krugman.blogs.nytimes.com/2013/12/28/bitcoin-is-evil/ .

* 47 Selon Ben Bernanke, alors président de la Fed, « these innovations may hold long-term promise, particularly if they promote a faster, more secure and more efficient payment system ». Le FBI ajoute : « our approach is guided by recognition that online payment systems, centralized and decentralized, offer legitimate financial services ».

* 48 Notamment, Lightspeed Venture Partners ou Bitcoin Investment Trust .

* 49 L'organisation a d'ailleurs récemment embauché Amy Weiss, ancienne adjointe au service presse de la Maison Blanche et Jim Harper, ancien conseiller au Sénat et à la U.S. House.

* 50 http://www.fincen.gov/news_room/rp/rulings/html/FIN-2014-R007.html

* 51 www.sec.gov/investor/alerts/ia_virtualcurrencies.pdf

* 52 http://www.finra.org/Investors/ProtectYourself/InvestorAlerts/FraudsAndScams/P456458

* 53 Selon une étude menée par le cabinet Aite Group .

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