TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 15 octobre 2014 sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les contrats de plan État-Régions (CPER).

Mme Michèle André, présidente. - Notre première audition pour suites à donner de cette nouvelle mandature concerne une enquête que nous avions confiée, il y a près de deux ans, à la Cour des comptes sur les contrats de plan État-régions (CPER), appelés contrats de projets pour la seule période 2007-2013. L'étude a été suivie par notre collègue Frédérique Espagnac, alors rapporteure spéciale, et nous avons reçu le rapport de la Cour le 28 juillet dernier. Nous avions demandé ce travail à la Cour des comptes car la génération de contrats 2007-2013 arrivait à son terme et qu'il était important de bien identifier ses points forts et ses points faibles, afin d'améliorer le contenu de la nouvelle génération de contrats. La nouvelle génération de contrats de plan doit maintenant couvrir la période 2015 2020, suite à la prolongation sur 2014 de la précédente génération.

En 2000, notre ancien collègue Pierre André, sénateur de l'Aisne, avait rendu un rapport au titre évocateur « les contrats de plan État-régions : une ambition inachevée ». Il y relevait déjà un cadre fixé unilatéralement par l'État, des négociations déséquilibrées, des actions hétéroclites et parfois floues, une coordination interministérielle insuffisante, un saupoudrage des crédits, des engagements financiers insoutenables et donc non respectés ou, encore, un suivi inégal et approximatif. La Cour des comptes nous dira si ces travers ont été résolus. Jean-Luc Lebuy, président de la formation inter-juridictions ayant mené les investigations, va nous l'indiquer. Nous entendrons ensuite le rapporteur général qui posera quelques questions, puis la réaction du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), représenté par Caroline Larmagnac, qui en dirige la mission contractualisation et partenariats territoriaux ; le délégué général de l'Association des régions de France, Gilles Mergy s'exprimera ensuite sur la question.

M. Jean-Luc Lebuy, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Cette enquête demandée par votre commission en novembre 2012 a été conduite par quatre chambres de la Cour des comptes et quatre chambres régionales : celles d'Île-de-France, d'Auvergne et Rhône-Alpes, de Basse et Haute-Normandie et, enfin, de Nord-Pas de Calais et Picardie. Les nombreux rapporteurs ont rencontré plus de cent vingt personnalités : élus locaux, membres de cabinets ministériels, hauts fonctionnaires notamment de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), devenue CGET. Les CPER 2007-2013, objet de cette enquête, souffrent des mêmes faiblesses que leurs prédécesseurs, relevées dans le rapport du Sénat cité par la présidente, comme dans le référé sur la génération précédente de contrats rendu par la Cour en 2006, dont Philippe Séguin était alors premier président. Malgré les progrès réalisés, les faiblesses ont largement subsisté, notamment six d'entre elles.

Tout d'abord, l'absence de stratégie nationale définie en amont de la signature des contrats. Aux termes de la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, non abrogée, les CPER devaient mettre en oeuvre au niveau régional le plan de la nation. Certes, le plan quinquennal, cette « ardente obligation » pour le général de Gaulle, a perdu le rôle majeur qu'il avait joué pendant les trente glorieuses ; mais la loi prévoyait logiquement que les CPER, s'échelonnant sur cinq ou six ans et portant sur plusieurs milliards d'euros, s'inscrivent dans une stratégie définie par l'État, soumise au vote du Parlement. Or aucune génération n'a fait l'objet d'un vote, ni même d'un débat, dans les assemblées. Il n'est pas anodin que les contrats de 2007-2013 aient substitué le mot « projet » au mot « plan » - même si nous pourrions en revenir à ce dernier terme, à partir de 2015. Ils ont été définis par des circulaires du Premier ministre.

Deuxième faiblesse, l'insuffisante préparation de certaines opérations, dépourvues d'études d'impact et dont on ignorait la faisabilité physique ou financière. Conséquence logique, les taux d'exécution sont très inégaux, certaines opérations ne sont jamais engagées.

La multiplication des priorités, conduisant au saupoudrage des crédits, est un autre travers, le troisième. Certes, sur 2007-2013, les transports ainsi que l'université et la recherche ont concentré respectivement 27 % et 24 % des crédits de l'État d'une part, et 38 % et 18 % de ceux des régions, d'autre part ; mais l'autre moitié des crédits était saupoudrée sur une foule de projets concernant l'écologie, l'agriculture, l'urbanisme, les sports, la culture, l'économie, le tourisme, l'emploi ou la formation professionnelle. Comme dans les générations précédentes, des opérations ont été inscrites dans les contrats alors qu'elles auraient été engagées de toute façon par l'État ou ses opérateurs. Le but était bien sûr de partager leur coût avec les acteurs locaux.

Quatrième difficulté, les CPER ont souffert d'un pilotage défaillant de leur exécution, en dépit du dispositif strict prévu par la circulaire de 2007 : pilotage serré grâce à des comités de suivi au niveau régional et national (le Groupe d'études et de suivi des CPER ou GESCPER, au nom prédestiné), grâce aussi au système d'information Présage. Ces deux piliers ont finalement été assez branlants : les groupes de suivi n'ont pas fonctionné et le logiciel a été mis en place avec retard, conduisant de nombreuses régions et administrations centrales à lui préférer leurs propres outils de suivi, avec des données ne coïncidant pas ou devant être saisie deux fois. Ces incohérences ont aggravé les incompréhensions entre l'État et les régions. Conscient de ces faiblesses, le CGET annonce un nouveau dispositif, Synergie, qui nous inquiète car il devrait coûter 55 millions d'euros. Il sera déployé entre 2015 et 2021 : sera-t-il utilisé par l'État et la dizaine de régions concernées ou son arrivée sera-t-elle trop tardive ? Cette réforme suffira-t-elle à répondre au suivi défaillant par Présage ?

Cinquième problème, lié au précédent, on ne peut pas tirer de conséquences des évaluations à mi-parcours puisqu'elles n'ont tout simplement pas lieu. Ainsi, pour l'exécution 2007-2013, une évaluation avait été programmée en 2010, afin de réviser les contrats en supprimant certaines opérations et de redéployer les crédits ainsi libérés. Or l'instance nationale de suivi ne s'est pas réunie depuis novembre 2009 et dans plusieurs régions, les comités n'ont pas fonctionné.

Sixième caractéristique ayant handicapé le fonctionnement des CPER, au cours de la période, l'État a mis en oeuvre de nombreux programmes sectoriels qui recoupaient au moins en partie ceux inscrits dans les CPER : plan campus, plans transports, investissements d'avenir (PIA), plan de relance et grand emprunt, sans compter le programme de développement des routes - celles-ci sont exclues pour la première fois des CPER. Si la crise justifie sans doute la réaction de l'État, cela a incontestablement nui à la visibilité des contrats.

Malgré ces faiblesses, que tous, à l'instar du CGET, reconnaissent, il est remarquable que ni les élus, ni les services de l'État, notamment services déconcentrés, n'aient remis en cause l'utilité du principe des CPER. La Cour s'est toutefois interrogée au début de l'année 2013 : le Gouvernement voulait-il bien reconduire les contrats ? Les hésitations à ce sujet n'ont cessé qu'en juillet 2013, lorsqu'une circulaire du Premier ministre Jean-Marc Ayrault les a relancés, avec hélas un nombre de priorités excessif : une dizaine. La réforme territoriale et la fusion de régions, le changement de Premier ministre, ont bouleversé la situation. À présent cinq priorités seulement sont retenues. Pourtant les régions qui seront fusionnées se demandent comment négocier des contrats qu'elles n'auront pas directement à appliquer. Le 16 juillet 2014, une communication de la ministre du logement et de l'égalité des territoires a indiqué que l'année 2014 serait neutralisée, les nouveaux contrats prenant effet en 2015 - ce qui ne favorisera pas la synchronisation avec la programmation des fonds européens, laquelle commence en 2014. La négociation va commencer, mais il semble difficile qu'elle aboutisse avant la fin de l'année. L'État a l'intention de consacrer aux CPER 9,6 milliards d'euros, au lieu de 12,4 milliards d'euros sur la période précédente.

Les CPER sont un outil prévisionnel utile ménageant des dialogues fructueux, mais ils doivent être rénovés, comme le suggère le cahier des charges qui conclut notre enquête, en respectant huit exigences.

Tout d'abord, les priorités doivent être limitées en nombre, de trois à cinq, et inscrites dans une stratégie nationale définie après coordination avec les régions et organisation d'un débat, voire d'un vote, au Parlement. La loi du 29 juillet 1982 le prévoit comme je l'ai indiqué.

Deuxièmement, cette stratégie doit permettre de trancher l'ambiguïté entre les deux objectifs que sont la péréquation et l'attractivité : car comment les poursuivre simultanément sans se condamner au saupoudrage ? Cette ambiguïté des CPER n'a, à ce jour, jamais été levée.

Les CPER devraient, en troisième lieu, ne comporter que des opérations ayant fait l'objet d'études de faisabilité physique et financière, garantissant qu'elles pourront être engagées dans un délai raisonnable. Une consultation du Commissariat général à l'investissement (CGI) serait gage de leur intérêt socio-économique, voire de leur rentabilité - ce qui n'est pas le cas, par exemple, de toutes les opérations de transport ferroviaire réalisées.

Quatrièmement, les autorisations d'engagement (AE) devraient être inscrites dans la loi de programmation des finances publiques de l'État et programmées dans les budgets des régions.

Cinquièmement, les contrats interrégionaux et les contrats territoriaux devraient être conclus uniquement s'ils s'inscrivent dans la stratégie nationale.

Sixième exigence : l'État doit s'efforcer dans les premières années de ne pas adopter seul de plans sectoriels susceptibles de perturber l'exécution des contrats de plan, sans pour autant se priver de réagir rapidement à des crises.

Septième recommandation : le comité national de suivi et les comités régionaux devraient se réunir au moins une fois par an pour dresser un bilan à partir d'un outil partagé et fiable.

Enfin, comme prévu en 2007, une évaluation partagée à mi-parcours s'impose, afin d'ajuster et de réviser la programmation.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie la Cour des comptes en la personne de Jean-Luc Lebuy pour la qualité de ses analyses et l'aide qu'elle nous apporte par ses enquêtes. Les CPER sont insuffisamment préparés et sans cohérence nationale. Nous ne savons même pas comment ils seront dotés. Ne faut-il pas agir plus en amont, avec une concertation associant le Parlement et les élus locaux et débattant des objectifs et des orientations ? Vous parlez avec raison de l'enchevêtrement avec d'autres dispositifs sectoriels, qui engendre du saupoudrage : programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), plans de transports, plan campus, etc. L'articulation avec les politiques de l'État et la programmation européenne ne serait-elle pas meilleurs si les CPER devenaient l'unique programmation de l'investissement dans les territoires ? Sans s'interdire d'agir de manière ponctuelle, y a-t-il lieu de maintenir tous ces dispositifs ?

Mme Caroline Larmagnac, cheffe de la Mission contractualisation et partenariats territoriaux au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET ). - Nous avons pris en compte les observations de la Cour des comptes dans la préparation des contrats de plan 2015-2020. La principale critique est que la démarche contractuelle est affaiblie par les autres modalités d'intervention de l'État. Pour 2015-2020, nous essayons de redonner de la visibilité et de la cohérence aux interventions en affichant les montants consacrés dans les différentes régions aux différents plans, et qui s'ajoutent aux montants contractualisés. Au-delà, nous travaillons sur l'articulation entre les dispositifs sectoriels verticaux (qui donnent lieu à des appels à projets) et la logique horizontale des CPER. Les deux sont complémentaires et nous sommes conscients qu'il faut les articuler. Nous cherchons à mettre les acteurs régionaux en situation de répondre aux futurs appels à projets des investissements d'avenir. Le Premier ministre a ainsi annoncé jeudi 9 octobre 2014 à Toulouse devant le congrès de l'Association des régions de France (ARF) une expérimentation dans certaines régions, avec des appels à projet régionalisés, sur la base d'un cahier des charges élaboré localement avec le Commissariat général à l'investissement. Nous prévoyons quelques crédits - sans doute insuffisants - accompagnant le plan France-très haut débit, financé par le Fonds pour la société numérique (FSN), afin d'améliorer la gouvernance du numérique.

Quelle est la vocation des CPER ? À vouloir leur faire faire trop de choses, ne se noie-t-on pas ? La question n'est pas tranchée. Jean-Luc Lebuy estime qu'ils n'ont pas vocation à refléter l'ensemble de l'action gouvernementale au niveau régional - mais ne pourrait-on pas, au contraire, considérer qu'ils pourraient le faire désormais, devenant non pas des outils financiers mais d'abord des outils de mise en cohérence ? Je comprends votre souci que des crédits divers ne viennent pas gonfler artificiellement les enveloppes des CPER ; pour autant, si ces derniers sont cantonnés à quelques priorités ciblées, cela réduit leur capacité à créer les conditions d'un débat partagé et il ne faut pas se priver d'ajouter des dispositifs aux CPER. L'équilibre est difficile à trouver entre des approches trop englobantes ou trop pointillistes. Les CPER en cours de préparation traduisent cette recherche : les acteurs régionaux ont déterminé des éléments de stratégies ; les crédits des opérateurs de l'État - Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et agences de l'eau par exemple - ont été intégrés.

La Cour regrette un cadrage national trop flou. Il ressort de votre enquête, que les critiques à l'égard des CPER sont diverses, voire contradictoires : trop verticaux ou trop horizontaux, trop ciblés ou trop dispersés. Les attentes des acteurs peuvent être divergentes. Les CPER traduisent l'alchimie entre l'approche nationale et les approches locales : il ne faut trop les cadrer en amont si l'on veut laisser une marge de négociation suffisante aux préfets. Les circulaires de 2013 ont heureusement été assouplies par une circulaire du 30 juillet 2014, après les remontées unanimes en ce sens, d'autant plus que les crédits sont limités.

Les CPER doivent-ils être des leviers d'attractivité ou de rééquilibrage, voire de péréquation entre les territoires ? C'est un choix très difficile. Les concentrer sur l'attractivité les exposeraient aux effets pervers que nous reprochons aux investissements d'avenir : la concentration des projets dans un nombre restreint de régions. Le rééquilibrage exclusif disperserait les crédits.

Les critiques de la Cour sont souvent fondées et nous partageons la plupart de vos constats. Nous sommes conscients des lacunes en termes de pilotage et de suivi. Vous êtes affolé par notre outil Synergie...

M. Jean-Luc Lebuy. - Je ne vais pas jusque-là ! Il nous inquiète.

Mme Caroline Larmagnac. -... mais il est déjà utilisé pour le suivi des programmes européens. Il nous a donc semblé de bonne politique de rechercher des économies d'échelles grâce à une utilisation plus large, moyennant le surcoût modique des quelques modules complémentaires. Certains défauts de Présage seront levés : plus de double saisie, grâce aux interfaces. Il autorisera un suivi physique et financier des opérations, et non plus seulement un suivi global. Nous travaillons avec l'ARF sur un dispositif d'évaluation moins ambitieux qu'en 2007, mais qui devrait tenir la durée.

M. Gilles Mergy, délégué général de l'Association des régions de France (ARF). - Nous partageons l'analyse de la Cour des comptes sur l'absence de cadrage stratégique des CPER 2007-2013 : il s'est plutôt agi d'une liste de courses, d'un catalogue de projets apportés par chacun des partenaires et consolidés dans un document. Ce n'était pas une nouveauté, du reste. Le passage sémantique du « plan » au « projet » aurait pu expliquer ce phénomène si les générations précédentes n'avaient eu les mêmes caractéristiques. Les présidents de région regrettent que les mandats de négociation des préfets soient très précis, leur laissant une marge très faible. Avant d'être rassurés par le Premier ministre la semaine dernière, nous n'avions pas le sentiment que ces mandats seraient plus souples cette fois-ci. Notre espoir est que le futur schéma régional d'aménagement et de développement durable des territoires, dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ait un caractère prescriptif et opposable, et serve alors de cadre de réflexion stratégique. Cela risque d'être un peu tard pour 2015-2020, mais sera opérationnel pour la génération suivante.

Les CPER ont surtout servi à financer des projets de l'État, qui plus est des rénovations ou des mises aux normes relevant de l'investissement de droit commun et que l'État a cherché à faire cofinancer. En revanche sur les questions sanitaires et sociales, il a refusé des opérations.

Il semble aussi que, pour arriver à un total de 12,7 milliards d'euros, qui se rapproche des 15 milliards d'euros mis par les régions, l'État ait apporté des projets dont l'intérêt stratégique était tout relatif. L'articulation des financements de l'État et ceux de ses opérateurs, notamment l'Ademe et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), n'a pas toujours été claire. Les deux catégories ont été soigneusement mêlées... Enfin, certaines avances de fonds consenties par les régions à l'État n'ont jamais été remboursées !

Par ailleurs, le télescopage fréquent des plans thématiques ou sectoriels comme le plan campus ou le plan rail, avec les CPER a nui à la bonne articulation des différentes politiques publiques et à la lisibilité des CPER. Le problème risque de se poser à nouveau. Le Premier ministre a récemment indiqué qu'une partie des investissements d'avenir serait gérée au niveau régional à titre expérimental, mais cela ne porte que sur 10 millions d'euros environ, et un nombre de régions limité. Il n'y a pas, non plus, eu de réelle articulation entre les fonds européens et les CPER. Les régions étant les autorités de gestion du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et d'une partie du Fonds social européen (FSE), des améliorations en ce domaine sont possibles, d'autant plus que le calendrier d'utilisation de ces fonds est à peu près cohérent avec celui des CPER - sur ce point, je nuancerai les propos de Jean-Luc Lebuy, le décalage d'un an n'est pas inquiétant, car les grosses opérations sont forcément lancées avec un certain délai.

Le volet territorial a fait l'objet d'un saupoudrage révélant l'absence de réflexion stratégique. Parfois, je le répète, l'État y a intégré des investissements de droit commun, par exemple dans l'assainissement. Les crédits qu'il apportait étaient beaucoup plus faibles que ceux qu'y consacraient les régions - dans un rapport de un à dix.

Enfin, le suivi stratégique des CPER a beaucoup pâti de la prévalence d'une approche thématique, en silo ; et du manque de dialogue avec les collectivités infrarégionales. La mise en place de Présage a été compliquée par des retards dans la mise au point, un manque de dialogue avec les régions et la nécessité d'une double saisie. La qualité du suivi s'en ressent. Pour l'installation de Synergie, obligatoirement utilisé pour la gestion des fonds européens, le dialogue entre les régions et le CGET a été plus efficace. L'articulation entre les CPER et les fonds européens sera donc meilleure.

En conclusion, les régions considèrent que les CPER sont utiles, notamment parce qu'il existe encore sur les territoires des compétences partagées par les régions et l'État. Lorsque la décentralisation aura été menée à son terme, ils le seront moins. Pour que les CPER fonctionnent bien, il faut une stratégie nationale et une stratégie régionale distinctes. L'État déconcentré doit disposer de réelles marges de négociation, et les projets doivent être choisis dans une logique partenariale et non imposés d'en haut. Un dialogue de qualité avec toutes les collectivités territoriales est indispensable. Les modalités de financement doivent être clairement contractualisées. Enfin, une évaluation s'impose, notamment à mi-parcours. Une clause de revoyure est prévue en 2016-2017 pour tenir compte de la fusion des régions.

Nous n'avons pas encore eu connaissance du contenu du rapport de la Cour des comptes. Il me semble toutefois que les présidents de région n'en désapprouveront pas les conclusions.

M. François Patriat. - Je suis entièrement d'accord. Malgré les critiques dont ils ont fait l'objet, les CPER ont été utiles aux territoires. Bien des opérations n'auraient pu être engagées ou menées à bien sans eux. Certes, les projets sont de qualité et d'utilité très variées. J'ai eu connaissance d'investissements ferroviaires lourds qui se sont avérés peu utiles. Du moins ont-ils fourni du travail aux entreprises... et donné lieu à des inaugurations !

Les régions n'ont jamais été en reste dans les CPER. Elles sont souvent en avance. Il semble que pour les prochains, l'État prévoie de recycler des projets sur lesquels il n'a pas encore apporté sa contribution tandis qu'il demandera de nouveaux financements aux régions. Trop souvent, également, il invite celles-ci à réaliser des opérations hors du champ de leurs compétences. Il est temps de sortir du double discours qui consiste à appeler les présidents de régions à s'en tenir à leurs compétences tout en leur enjoignant de contribuer à des opérations portant, par exemple, sur le réseau routier. Le préfet de la région Bourgogne me demande ainsi, dans le cadre du CPER, d'investir pour la RN 7 ou pour le contournement d'Auxerre...

Les propositions formulées par la Cour des comptes me semblent raisonnables. Je l'ai dit hier au Premier ministre, nous ne devons élaborer de nouveaux CPER que s'il y a matière à le faire. Pas besoin d'un contrat pour investir 2 ou 3 millions d'euros dans la recherche ou l'innovation en cinq ans.

Certaines régions demeureront dans leurs frontières actuelles, d'autres, comme la mienne, devront fusionner. Cela aura un coût et un impact sur les délais d'organisation. Ces régions seraient donc bien inspirées de commencer dès maintenant à réfléchir ensemble, en identifiant leurs priorités communes.

M. Roger Karoutchi. - Je préside la commission des finances de la région Île de France, certes en tant qu'opposant...

M. François Patriat. - De qualité !

M. Roger Karoutchi. - Merci. Pour ma part, j'ai dit au président Jean-Paul Huchon que je n'étais pas favorable à la conclusion d'un nouveau CPER. Le 1er janvier 2016 sera créée dans notre région une métropole qui détiendra de nombreuses compétences et d'importants moyens. Elle ne se sentira nullement tenue par un contrat signé par la région. De plus, nous délibérerons dans un mois et demi sur un texte relatif à la répartition des compétences entre les régions et les départements. Il en résultera de grands changements. Comment négocier un contrat sans même savoir comment les compétences seront réparties, dans un an, entre la région, le département - s'il existe encore ! - et la métropole ?

Le système est devenu fou : l'État, désargenté, nous demande de signer un « contrat de plan » par lequel il entend faire à la fois de la planification et de la péréquation. Je n'aime pas ce retour au vieux système - pourtant, je suis gaulliste ! La région ne peut s'engager qu'en son nom, et n'a pas à signer pour les autres régions dans un cadre général. Et si l'on veut faire de la planification, il faut rétablir le Commissariat au plan. En réalité, l'État annonce une baisse des dotations aux collectivités territoriales de 11 milliards d'euros sur trois ans et, dans le même temps, demande aux régions de payer. La région Île-de-France est ainsi priée de consacrer des financements considérables aux universités alors qu'elle ne dispose d'aucun pouvoir en matière d'enseignement supérieur. Elle a le droit de payer, non de parler ! Je suis donc défavorable au maintien des CPER. Il est tout à fait possible de passer des accords sectoriels avec l'État pour déterminer les parts de chacun dans le financement. À cet égard, les annonces faites par le Premier ministre à Créteil sont en trompe l'oeil. Nous devons nous déprendre d'une vision étatique, qui considère les régions comme de simples correspondants financiers n'ayant guère leur mot à dire sur la définition du contrat. Si l'on décentralise, il faut donner plus de marge de manoeuvre aux collectivités. Sinon, que l'État garde la main et l'assume.

Actuellement, les régions sont en position de payeurs majeurs, négociateurs mineurs, et ne sont responsables de rien. Je préside le comité de suivi du CPER : je n'ose plus le réunir, tant nos délibérations sont dépourvues d'intérêt. Comment, avant la fusion des régions, avant la nouvelle répartition des compétences entre les départements et régions, demander aux régions de signer des CPER ? C'est absurde.

Mme Michèle André, présidente. - L'objet de notre réunion est de faire le point sur le passé, plutôt que de nous projeter dans les débats futurs.

M. Yannick Botrel. - Monsieur Lebuy pourrait-il préciser les chiffres relatifs au taux d'exécution des contrats ? Je comprends qu'en mai 2014 ce taux s'établissait à 63 %. Or les paiements semblent s'établir à un niveau inférieur à cette même date.

M. Jean-Luc Lebuy. - Les taux d'exécution selon Présage, dont nous avons vu les limites, sont à manier avec précaution. Il est normal de constater un décalage entre les crédits engagés et les crédits payés. Les taux d'exécution sont très variables selon les secteurs et les régions. Certains projets sont achevés, alors que le taux de réalisation d'autres projets demeure faible, faute de préparation suffisante.

Mme Caroline Larmagnac. - Le taux d'exécution des crédits de l'État sera de 87,5 % fin 2014, une fois corrigés les surengagements notés par la Cour des comptes sur certains budgets opérationnels de programme (BOP). Par exemple, Présage donne pour les crédits des agences de l'eau un taux d'exécution de 133 %, ce qui est absurde.

M. Jean-Luc Lebuy. - Voire louche !

Mme Caroline Larmagnac. - Cela correspond simplement à un dépassement des financements, par rapport aux montants qui figuraient sur la maquette. Je ne dispose pas encore des taux d'exécution des parts régionales.

M. Charles Guené. - Certes, nous devons évaluer le passé. Mais c'est dans le but d'en tirer des enseignements pour l'avenir. Tous semblent s'accorder sur l'ambiguïté du fonctionnement des CPER. Peut-être cela résulte-t-il d'un péché originel : ceux-ci ne sont-ils pas issus de l'union d'un Plan en fin de vie et d'une décentralisation naissante ? Les procédures prévues n'ont guère été utilisées et c'est l'empirisme qui a prévalu dans l'adaptation d'une vision nationale aux réalités locales. On s'est donc éloigné du projet initial et vous avez d'ailleurs évoqué le terme d'alchimie...

M. Jean Germain. - Du Plan au plomb !

M. Charles Guené. - La question de savoir si les CPER visent la compétitivité ou la péréquation n'a jamais cessé de se poser. La question est ouverte. Mais au fil du temps, et quoi qu'on en pense, on est passé d'un plus à des substituts et les CPER ont abouti à des transferts... Comment faire évoluer ces contrats dans le bon sens maintenant, et de manière soutenable ? Vaste problème ! Dans le contexte actuel, l'État ne sera-t-il pas tenté de procéder à une recentralisation financière ?

Mme Michèle André, présidente. - Le Gouvernement, qui n'est pas représenté parmi nous aujourd'hui, nous précisera ses intentions. Si j'insiste sur la dimension de bilan, c'est bien sûr dans l'idée de faire mieux avec l'outil existant, qui est perfectible.

Mme Caroline Larmagnac. - Si le Gouvernement a décidé de relancer une nouvelle génération de CPER malgré les incertitudes sur l'environnement institutionnel, c'est pour relancer l'investissement public. Depuis quelques années, les projets semblent émerger plus difficilement, ce qui inquiète de nombreux acteurs et menace l'emploi. Sans ignorer les difficultés que vous avez évoquées, le Gouvernement a tranché. Il a toutefois prévu une clause de révision fin 2016, lorsque les exécutifs se seront réorganisés, afin de prendre en compte les transferts de compétences à opérer début 2017.

M. Gilles Mergy. - La fusion des régions complique un peu les choses, en effet, mais ce n'est pas le principal problème. L'enjeu est plutôt de savoir si l'on veut ou non achever la décentralisation, clarifier les compétences de l'État et celle des collectivités territoriales. Certains présidents de région considèrent que les CPER ont leur utilité dans le paysage complexe que nous connaissons. Mais il s'agit d'un succédané, faute de réelle volonté de décentraliser.

M. Jean-Luc Lebuy. - Il est essentiel que les opérations prévues par les CPER soient bien préparées. Il ne suffit pas qu'elles donnent du travail aux entreprises de travaux publics. Certaines, vous l'avez reconnu, ne sont manifestement pas rentables. Étant donné la rareté des crédits publics, les partenaires doivent veiller à ne programmer que des projets ayant fait l'objet d'une étude d'impact préalable, si possible après consultation du Commissariat général à l'investissement, et dont l'intérêt social et économique est prouvé. Comment mieux articuler les plans sectoriels aux CPER ? Comme les collectivités locales, l'État doit conserver ses politiques sectorielles. Toutes les politiques publiques n'ont pas vocation à se retrouver dans le contrat de plan. Mieux vaudrait signer des CPER mobilisant moins de ressources, mais portant sur des opérations clairement délimitées et à la rentabilité démontrée. Dès lors, si les régions lancent des opérations dans des secteurs voisins, il n'y aura pas de brouillage.

Mme Michèle André, présidente . - Mes chers collègues, si vous approuvez le principe de la publication de l'enquête Cour des comptes, je vous propose que le rapport d'information soit confié à notre rapporteur général, la sénatrice qui a initié cette enquête, Frédérique Espagnac, n'étant plus membre de notre commission.

Au terme de ce débat, la commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

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