B. L'INFORMATION DE LA POPULATION DÈS LE PLUS JEUNE ÂGE

1. Améliorer la visibilité du Défenseur des droits dans sa mission de lutte contre les discriminations

Plusieurs personnes entendues en audition ont regretté la perte de visibilité de la lutte contre les discriminations qui ne serait malheureusement plus identifiée comme une priorité. Ce constat vaut tout particulièrement pour le Défenseur des droits. La question du faible nombre de saisines de ce dernier à raison de sa compétence en ce domaine a d'ores et déjà été évoquée ; Ssucieux d'apporter des réponses, vos rapporteurs se sont longuement entretenus de ce point avec les représentants du Défenseur des droits lors de leur audition.

Ceux-ci ont indiqué que l'institution avait bien pris note des critiques qui lui étaient adressées quant au manque de visibilité de sa mission de lutte contre les discriminations. Ils ont d'ailleurs indiqué avoir observé la forte élasticité qui existe entre les campagnes de communication et les saisines enregistrées par le Défenseur. Ils ont cependant fait valoir que de telles campagnes de publicité avaient un coût non négligeable et que la Halde s'était précisément vu reprocher à l'époque ses dépenses de communication. Aussi ont-ils mis en avant d'autres types d'actions mises en oeuvre par l'institution pour accroître sa visibilité sur le sujet : outre son activité judiciaire en étroite collaboration avec les parquets ( cf. supra ), le Défenseur a multiplié ses partenariats avec des centres d'accès au droit, des écoles, organisé des colloques thématiques, rédigé des guides à l'instar de celui élaboré avec la CNIL 61 ( * ) . Une tournée des associations de lutte contre le racisme était alors en cours afin de les informer sur les dernières évolutions juridiques. Enfin, l'action du Défenseur des droits s'appuie sur le réseau des délégués du Médiateur de la République, repris dans le giron du Défenseur lors de la fusion, et dont le nombre a été porté de 280 à 400 environ.

Vos rapporteurs ont noté les efforts du Défenseur des droits pour assumer sa mission de lutte contre les discriminations, contrairement à ce que pouvaient laisser craindre les propos tenus par certaines personnes entendues en audition. Toutefois, ils tiennent à relever que dans le domaine de la lutte contre les discriminations tout particulièrement, le ressenti est central. Aussi estiment-ils que le sentiment largement répandu d'une désaffection du Défenseur des droits pour cette mission doit être combattu plus efficacement par une meilleure information auprès du grand public notamment.

Proposition n° 10 : mieux faire connaître auprès du public la mission de lutte contre les discriminations du Défenseur des droits

2. Renforcer l'enseignement du fait religieux à l'école

Au fil des auditions, vos rapporteurs ont acquis la conviction que la lutte contre les discriminations passe également par une meilleure connaissance des différences culturelles et religieuses au sein de la société française.

L'école a un rôle essentiel à jouer afin de mettre fin à certains amalgames, préjugés ou raccourcis nés de l'ignorance. Dans un rapport de février 2002 sur « l'enseignement du fait religieux dans l'École laïque », M. Régis Debray évoquait « l'ignorance où nous sommes du passé et des croyances de l'autre, grosse de clichés et de préjugés » 62 ( * ) . Cet enseignement est d'autant plus nécessaire que les approches religieuses sont teintées d'ethnicisme. Il n'est pas rare, dans le débat public, d'entendre parler des « arabo-musulmans », alors que tous les musulmans ne sont pas arabes et que tous les arabes ne sont pas musulmans. Comme le notait Mme Isabelle Saint-Martin, directrice de l'Institut européen en science des religions, « l'enseignement du fait religieux n'est pas ornemental mais donne des repères ».

Accepter que la dimension religieuse fasse l'objet d'un enseignement permet en effet de dépassionner le sujet. Mme Isabelle Saint-Martin indiquait que ses homologues étrangers ne comprenaient pas la crispation française lorsqu'il s'agit de l'enseignement du fait religieux à l'école. Vos rapporteurs connaissent les objections traditionnellement opposées à cet enseignement, notamment celle voyant en lui le « cheval de Troie » du religieux dans l'école. Cependant, comme le notait M. Régis Debray en 2002, « la relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle et publiquement contrôlée des connaissances favorise la pathologie du terrain au lieu de l'assainir », alors qu'« une connaissance objective et circonstanciée des textes saints comme de leurs propres traditions conduit nombre de jeunes intégristes à secouer la tutelle d'autorités fanatisantes, parfois ignares ou incompétentes ».

Aussi, vos rapporteurs souhaitent-il que l'enseignement du fait religieux soit mieux dispensé dans le système scolaire. Le renforcement de cet enseignement a recueilli un accueil favorable de la part des personnes entendues par vos rapporteurs, en particulier MM. Amar Lasfar et Tareq Oubrou, respectivement recteurs des mosquées de Lille Sud et de Bordeaux.

S'agissant des modalités de cet enseignement, M. Roger Cukierman, président du CRIF, soulignait, lors de son audition, qu'il est délicat d'inculquer la notion de laïcité à de jeunes enfants de six ou sept ans, ceux-ci étant plus sensibles à une morale élémentaire sur le vivre-ensemble et la tolérance, mais que l'enseignement du fait religieux serait possible au collège et au lycée. Ainsi, un véritable parcours d'enseignement autour du fait religieux et de la tolérance pourrait être construit tout au long de la scolarité de l'élève.

Dès lors se pose la question suivante : faut-il lui consacrer un enseignement spécifique ou le renforcer au sein des matières existantes ?

La prise en compte du fait religieux dans les programmes scolaires

La connaissance du fait religieux est intégrée au sein du socle commun des connaissances et des compétences, institué par la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, qui comprend les acquis que doit maîtriser un élève à la fin de sa scolarité obligatoire.

Le point 5 de ce socle dédié à la « culture humaniste » prévoit ainsi que l'élève, au terme des enseignements qu'il a reçus, doit « comprendre l'unité et la complexité du monde par une première approche [...] du fait religieux en France, en Europe et dans le monde en prenant notamment appui sur des textes fondateurs (en particulier, des extraits de la Bible et du Coran) dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions ».

Si le fait religieux est absent des programmes jusqu'à la classe de CE 1, il est prévu pour les classes de CE 2, CM 1 et CM 2 que « la culture humaniste ouvre l'esprit des élèves à la diversité et à l'évolution des civilisations, des sociétés, des territoires, des faits religieux et des arts ».

Au collège, le fait religieux est évoqué dans le cadre de plusieurs disciplines. Pour l'enseignement de l'histoire de la 6 ème à la 3 ème , « la place est faite à l'enseignement des faits religieux, en les rattachant à l'étude des contextes dans lesquels ils se sont développés afin de mieux en comprendre les fondements ». Ainsi, les débuts de l'Islam, le christianisme médiéval et la crise religieuse en Europe sont traités en 5 ème avant que ne soient étudiés la remise en cause des « fondements religieux » par les philosophes au XVIII ème siècle et les « bouleversements religieux » de l'industrialisation en 4 ème puis les « mutations religieuses » sous la V ème République en 3 ème .

En 5 ème , le fait religieux est également évoqué dans le programme de géographie autour de la question de l'identité personnelle, notamment de sa dimension religieuse, face au risque d'uniformisation porté par la mondialisation.

De même, le programme d'éducation civique au collège permet d'aborder « la conquête progressive des libertés individuelles et collectives [...] en insistant sur la liberté de conscience (dont les libertés religieuses) ».

Le fait religieux est présent jusque dans les enseignements artistiques au collège. Il est ainsi prévu que « l'histoire des arts entre en dialogue avec d'autres champs de savoir tels que [...] le fait religieux ». Cette dimension n'est pas oubliée dans l'éducation musicale et les arts plastiques où les professeurs sont invités à éclairer les oeuvres au regard du contexte religieux.

Enfin, en Français, de manière générale, « les lectures conduites [...] suscitent la réflexion sur la place de l'individu dans la société et sur les faits de civilisation, en particulier sur le fait religieux ». Ainsi, en 6 ème , parmi les textes fondateurs de l'Antiquité, est proposée la Bible.

Au lycée, pour les filières générales, les programmes d'histoire renvoient également au fait religieux avec l'étude de la chrétienté médiévale, l'étude de Constantinople comme lieu de contact entre différentes cultures et religions ainsi que du protestantisme à la Renaissance en 2 nde , puis « la République, les religions et la laïcité depuis les années 1880 » et, enfin, « religion et société aux États-Unis depuis les années

1890 ». En éducation civique, juridique et sociale, le « pluralisme des croyances et des cultures dans une république laïque » est un thème d'enseignement en Terminale.

Au lycée professionnel, le fait religieux est également présent dans les programmes. Ainsi, en cours d'histoire en 1 ère , « la République et le fait religieux depuis 1880 » est enseigné.

Enfin, en classes préparatoires au CAP, l'éducation civique comporte un thème relatif à l'égalité, aux différences et aux discriminations.

En 2002, M. Régis Debray proposait de tirer parti des enseignements artistiques, littéraires, historiques ou philosophiques déjà prévus dans les programmes. Il concluait néanmoins sur une interrogation : « refuser de promouvoir une matière à part entière peut devenir un bénéfice intellectuel puisque le religieux est transversal à plus d'un champ d'études et d'activités humaines » mais « ce peut être, en sens inverse, un danger pédagogique, celui du saupoudrage et de la désinvolture ». C'est pourquoi vos rapporteurs inclinent plutôt pour un enseignement dédié.

Cet enseignement n'aurait évidemment aucun objectif de prosélytisme, l'éducation religieuse restant du ressort des familles et des différents cultes : il doit rester un enseignement distancié. Comme le disait M. Régis Debray, « le but n'est pas de remettre " Dieu à l'école " » car « l'enseignement du religieux n'est pas un enseignement religieux ». Il faut distinguer alors le « religieux comme objet de culture » du « religieux comme objet de culte » ou, autrement dit, « l'approche objectivante et l'approche confessante », les deux pouvant coexister sans se concurrencer. Vos rapporteurs partagent cette analyse : l'enseignement du fait religieux n'est pas un catéchisme. Dans cet esprit, cet enseignement ne serait pas confié à des autorités religieuses mais à des enseignants formés.

Vos rapporteurs ont conscience des implications pédagogiques de cette proposition. Elle requiert une formation des enseignants du primaire comme du secondaire. En 2002, de manière pragmatique, M. Régis Debray l'envisageait dans le cadre de la formation initiale des enseignants puis, dans le cadre de la formation continue, « par paliers et relais » grâce à l'appui d'un réseau à la tête duquel se trouveraient l'Institut européen en sciences des religions et la section des sciences religieuses de l'École pratique des hautes études (EPHE), chargés d'élaborer des outils pédagogiques adéquats.

La mise en oeuvre d'un enseignement du fait religieux

Dans son rapport de février 2002, M. Régis Debray formulait douze « propositions concrètes, d'inégale envergure et portée » et « délibérément pragmatiques et modestes ».

Sur le contenu des programmes, il souhaitait la réalisation d'un rapport d'évaluation sur les modifications à apporter aux programmes pour instaurer cet enseignement en partant de « l'expérience acquise sur le terrain » grâce aux corps d'inspection territoriaux. Ceci devait être doublé d'un effort de cohérence dans les programmes. Il proposait notamment de mobiliser deux outils pédagogiques existant : les itinéraires de découverte au collège et les travaux personnels encadrés au lycée.

S'agissant de la formation initiale des enseignants, M. Debray songeait à un module obligatoire pour « les futurs enseignants du primaire comme du secondaire ». Un stage national interacadémique annuel de trois jours prendrait le relais en matière de formation continue : un groupe de « chercheurs réputés » pourrait échanger avec « un groupe composé d'un inspecteur pédagogique régional par académie, fondamentalement en histoire-géographie, philosophie, lettres, langues vivantes et enseignements artistiques, doublé d'un professeur-formateur de son choix par discipline dans chaque académie ». Dans un souci d'efficacité, ces derniers formeraient à leur tour leurs collègues au sein de leurs académies respectives.

La recherche universitaire serait renforcée avec la mise en place d'un plan académique de formation qui permettrait de solliciter les universités, la constitution de « la section des sciences religieuses de l'EPHE en tête de réseau relié aux meilleurs centres d'études existants en France » pour pouvoir répondre aux demandes de formation initiale et continue. Dans cette perspective, il invitait à la création d'un institut européen en sciences des religions, ce qui est désormais chose faite. Pour lui, « garant d'objectivité », cet institut aurait pour mission « d'élaborer les outils pédagogiques adéquats » avec l'appui de l'inspection générale de l'éducation nationale.

Proposition n° 11 : assurer l'enseignement du fait religieux au cours de la scolarité après avoir dispensé la formation nécessaire aux enseignants


* 61 Mesurer pour progresser vers l'égalité des chances, guide méthodologique à l'usage des acteurs de l'emploi , mars 2012.

* 62 Régis Debray, L'enseignement du fait religieux dans l'École laïque , rapport au ministre de l'éducation nationale, février 2002

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page