II. FAIRE CARRIÈRE AU SEIN DES ARMÉES, ENCORE UN PARI POUR LES FEMMES ?

Les quinze témoignages entendus par la délégation au cours de la réunion du 5 mars 2015 ont illustré les défis particuliers que constituent pour les femmes dans les armées la conciliation de la vie familiale et de la conduite d'une carrière et la participation aux opérations. Ils ont aussi illustré les difficultés spécifiques qui caractérisent le déroulement de la carrière des femmes officiers.

A. UN DÉFI : CONCILIER LE MÉTIER DES ARMES ET LA VIE FAMILIALE

1. La maternité : un moment critique

Le commissaire en chef Dominique Moreau, qui a affirmé avoir fait le choix du Service du commissariat des armées de préférence à une carrière d'officier des armes dans un souci de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, a évoqué l'annonce de sa première grossesse à sa hiérarchie comme « l'un des plus difficiles moments de [sa] carrière ». Vaincre ce préjugé ne semble pas toutefois propres aux armées et il est probable que ce mauvais souvenir ait été vécu par de très nombreuses femmes travaillant dans le civil, que ce soit dans le public ou le privé, a fortiori par des cadres.

Différentes témoins ont fait état de leur préoccupation, pendant leur grossesse, de montrer à leur hiérarchie qu'être mère ne les empêchait pas de faire preuve de la même disponibilité que les hommes. On retrouve ainsi dans plusieurs témoignages l'évocation de congés maternité écourtés et permissions non prises l'année d'une naissance, au risque parfois de la santé des intéressées.

2. La vie familiale : des difficultés particulières

Les difficultés à concilier vie privée et professionnelle dans les armées ont été évoquées par la plupart des témoignages entendus au cours des trois tables rondes.

La notion de « sacrifice » - ou, à tout le moins, de choix - semble intériorisée par chacune. Le lieutenant Besnault, jeune cadre à Saint-Cyr, l'assume à l'avance comme l'un des éléments de sa vocation militaire qui imposera, à certains moments, la nécessité de « choisir entre deux sacrifices » : retarder un projet de maternité ou renoncer à une opportunité de carrière pour des raisons familiales. Plusieurs témoignages font état de choix effectués aux dépens d'une affectation gratifiante pour ménager la vie de la famille.

Les préoccupations liées à la conciliation de la vie familiale et de la conduite d'une carrière ne sont pas propres aux femmes militaires. Ils concernent d'autant plus couramment les hommes militaires que, la sociologie militaire ayant évolué, la question de la profession du conjoint se pose à eux de plus en plus couramment.

Il est certain que cette question se pose aussi dans le secteur civil, aux hommes comme aux femmes, comme le faisait observer le 5 mars 2015 Brigitte Gonthier-Maurin (CRC, Hauts-de-Seine), co-rapporteure.

Divers éléments font toutefois que la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle est particulièrement complexe dans les armées :

- la fréquence particulière des mobilités géographiques , essentiellement pour les officiers (le colonel Anne-Cécile Ortemann a rappelé qu'elle était conduite à changer d'affectation tous les deux ans). Cet aspect de la vie militaire pose le problème de la situation du conjoint, appelé à suivre sa femme ou à privilégier des solutions de « célibat géographique ». À cet égard, le commissaire en chef Dominique Moreau a rappelé combien le regard de la société était différent selon que celui qui suspend son activité professionnelle pour suivre son conjoint est une femme (cela paraît très naturel) ou un homme (dont le « courage » est alors présenté comme extraordinaire) ;

- les opérations extérieures , comme les périodes d'embarquement , supposent de quitter son foyer pendant plusieurs mois d'affilée, ce qui exige - ce terme est souvent revenu au cours des échanges - une « base arrière » solide quand il y a des enfants. De nombreux témoignages mentionnent cette préoccupation. Le colonel Anne-Cécile Ortemann a souligné la nécessité, lors d'un départ en OPEX, d'être totalement tranquillisé quant à la vie de la famille pendant cette longue absence, afin d' « être entièrement dévolu à sa mission » , de remplir celle-ci pleinement et de « ne pas faire porter de risque aux autres » . Cette question ne se pose pas, c'est évident, dans les mêmes termes aux hommes affectées loin de leur famille, tant il semble naturel que la mère assure cette « base arrière » sans laquelle une telle affectation ne peut être envisagée avec sérénité ;

- le cursus militaire , jalonné d'étapes très sélectives et de concours déterminant l'accès aux grades les plus élevés, est particulièrement exigeant si l'on considère, comme le faisait observer le capitaine de frégate Christine Ribbe pour la Marine, que ces étapes décisives se situent en même temps que les moments cruciaux de la vie de famille : « Il se trouve que plusieurs moments clés de la vie d'un officier se cumulent entre 30 et 35 ans. Durant cette période, il faut avoir fait ses preuves, navigué et préparé l'École de guerre. Mais c'est aussi la période où l'on fait généralement des enfants » .

De manière générale, le regard des autres pèse particulièrement - ce qui n'est pas spécifique aux armées d'ailleurs - sur les femmes : certains témoignages font état d'une certaine culpabilisation ressentie du fait des réactions de l'entourage familial lorsqu'un départ en OPEX suppose de laisser derrière soi un jeune enfant. Le dilemme ne se pose pas dans les mêmes termes pour les hommes... Comme l'a relevé au cours de ces échanges Annick Billon (UDI, Vendée), qui rappelait son expérience de directrice commerciale très régulièrement absente de chez elle, « nous vivons dans une société qui culpabilise les femmes » ; il est pourtant important que les femmes vivent leurs ambitions car il est « stimulant pour les enfants de voir leurs parents aller au bout de leur passion et assumer leurs convictions » .

Un point doit être souligné : les témoins ont toutes déclaré aimer leur métier malgré les sacrifices et les contraintes qu'il implique. La richesse des parcours accomplis par ces femmes et a été soulignée par chacune . Beaucoup de femmes - et d'hommes - du secteur civil pourraient leur envier cet attachement à leur carrière.

3. Un aspect décisif : le soutien de l'entourage familial

Tous les témoignages ont mis en évidence un point commun à tous ces parcours : le soutien que leur a toujours apporté leur conjoint et la participation active de la « base arrière » à leur carrière, qui avait permis au colonel Anne-Cécile Ortemann de « balayer » les interrogations sur son avenir dans l'armée qu'avait pu lui inspirer temporairement la maternité. Pour l'ingénieur général Blandine Vinson-Rouchon, « rien n'aurait été possible » sans le « soutien sans faille » de son mari et sans un partage au sein du couple des « charges familiales ».

Sur ce point, Françoise Gaudin a jugé éclairant le fait que 60 % des femmes militaires soient mariées à des militaires. Cette particularité sociologique présente l'avantage à la fois d'une plus grande connivence entre les conjoints pour accepter les contraintes spécifiques au métier des armes et semble de nature à faciliter les mutations pour les intéressés. Signe des temps, l'un des témoins a fait l'École de guerre en même temps que son mari, manifestation d'évolution de l'institution militaire saluée par le médecin-chef de service Maryline Genero.

Malgré ces difficultés inhérentes à la vie militaire et à la vie de cadre, le fait que les témoins revendiquent leur situation de mère a été considéré par le colonel Dominique Vitte comme une évolution favorable si l'on se réfère au constat établi par un précédent rapport sur la féminisation des armées auquel elle a participé : 50 % des femmes officiers auraient alors renoncé à la maternité pour poursuivre leur carrière.

Pour autant, ainsi que l'a fait observer le médecin-chef de service Maryline Genero, le fait que la maternité soit assumée par les femmes servant dans les armées ne doit pas conduire à apprécier différemment la disponibilité des hommes et des femmes et à considérer les absences liées à la naissance d'un enfant comme un signe de moindre disponibilité.

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