EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 avril 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur les établissements et services d'aide par le travail (ESAT).

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial . - Les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) accueillent des personnes handicapées qui n'ont pas la capacité d'exercer une activité professionnelle en milieu ordinaire de travail afin de leur proposer un emploi rémunéré.

Bien qu'étant des établissements médico-sociaux, les ESAT ne sont pas financés par l'assurance-maladie via la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), mais par le budget de l'État à travers des crédits inscrits au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dont je suis rapporteur spécial. Ils constituent un volet important de la politique de l'État en faveur des personnes handicapées, pour un montant de 2,75 milliards d'euros inscrit en loi de finances pour 2015, sur un total de 11,6 milliards d'euros consacrés par l'État au handicap.

Ce montant se décompose en deux dépenses principales. D'une part, les ESAT perçoivent une dotation de fonctionnement de l'État, dont le montant est déterminé par les Agences régionales de santé (ARS), qui permet notamment de rémunérer les personnels encadrants. Le montant total de cette dotation est de 1,47 milliard d'euros. D'autre part, les travailleurs handicapés bénéficient d'une rémunération garantie, qui varie entre 55 % et 110 % du SMIC et qui est financée pour grande part l'État au titre de l'aide au poste et pour une part moindre par les ESAT eux-mêmes (environ 11 % du SMIC en moyenne). La part de la rémunération prise en charge par l'État diminue à mesure que celle de l'ESAT augmente. Les crédits alloués par l'État à cette rémunération garantie s'élèvent à 1,28 milliard d'euros.

La dépense en faveur des ESAT est dynamique, et progresse quasi-mécaniquement du fait de l'augmentation de la masse salariale, c'est-à-dire de la rémunération des encadrants, mais aussi de la rémunération des travailleurs handicapés. Elle a ainsi progressé de près de 15 % entre 2008 et 2015, soit environ 2 % par an en moyenne.

Les ESAT ont une double mission à la fois médico-sociale, d'accompagnement des personnes accueillies afin de favoriser leur épanouissement personnel, et commerciale, de production de biens et services marchands. Cette double mission est souvent synonyme de tiraillements, voire de contradictions pour les établissements et leurs gestionnaires. En effet, ceux-ci doivent proposer la meilleure qualité de prise en charge possible tout en assurant leur équilibre économique par des débouchés et une productivité du travail suffisants, ainsi qu'une production répondant aux exigences de leurs clients.

Or, cet équilibre s'avère de plus en plus difficile à assurer pour les ESAT, et ce pour plusieurs raisons.

D'une part, les ESAT font face à une évolution de la population qu'ils accueillent, du fait du vieillissement des travailleurs handicapés et du nombre croissant de personnes souffrant d'un handicap psychique présents en établissement. Cette évolution rend nécessaire l'adaptation de leur modèle de prise en charge. La fatigabilité accrue des travailleurs vieillissants nécessite de développer le temps partiel et d'assurer une meilleure articulation entre les ESAT et les structures occupationnelles comme les foyers de vie, afin de permettre aux usagers qui le souhaitent d'alterner entre ces structures. Par ailleurs, les personnels encadrants sont parfois insuffisamment formés aux difficultés particulières que pose l'accompagnement de personnes handicapées psychiques et notamment aux troubles du comportement que celles-ci peuvent présenter.

D'autre part, les ESAT sont confrontés à un contexte économique qui leur est moins favorable, et qui rend plus difficile l'équilibre de leur budget commercial. Malgré des conditions de travail particulières, les ESAT sont considérés par leurs clients comme des partenaires économiques à part entière dont ils attendent le même professionnalisme et la même qualité de service. Les ESAT sont donc en concurrence avec les entreprises du milieu ordinaire, mais aussi avec les entreprises adaptées, qui accueillent des personnes handicapées dont la capacité de travail est supérieure à celle des travailleurs d'ESAT. Les activités historiques des ESAT, comme le conditionnement et l'emballage, qui représentent une part substantielle de leur activité, sont de plus en plus soumises à cette concurrence et sont peu rentables. Par ailleurs, les marchés que contractent les ESAT sont souvent de plus petite taille et d'une durée plus limitée. Cette situation contraint les ESAT à devoir développer leurs activités dans des secteurs porteurs et davantage rentables comme la restauration d'entreprise, les espaces verts ou les prestations de traiteur.

Ainsi, les ESAT doivent adapter les modalités de leur accompagnement et investir dans de nouveaux outils de production et dans la formation des travailleurs, ce qui a un coût. Or parallèlement, les financements dont ils bénéficient sont de plus en plus contraints.

Tout d'abord, un processus de convergence tarifaire a été mis en place à partir de 2009, face aux écarts de coût à la place existants entre les établissements. Cela s'est traduit pas la mise en place de tarifs plafonds, et par la réduction des dotations des établissements les dépassant en 2011 et 2012, soit environ 10 % des structures. Le tarif plafond instauré en 2009 n'a pas été revalorisé pendant quatre ans. Il a fallu une décision du Conseil d'État, qui a annulé l'arrêté tarifaire du 2 mai 2012, pour qu'il soit revalorisé en 2014. La juridiction administrative a en effet considéré que les pouvoirs publics avaient commis une « erreur manifeste d'appréciation » en maintenant ce tarif au même niveau sans en mesurer les conséquences sur la situation des établissements.

Par ailleurs, si les crédits dédiés aux dotations de fonctionnement des ESAT progressent chaque année, cette évolution ne couvre pas l'augmentation de leurs charges. Cela se traduit par une baisse de leur financement réel. Certains ESAT doivent donc ponctionner leur budget commercial afin d'assurer l'équilibre de leur budget médico-social, ou diminuer leur taux d'encadrement, ce qui se traduit par une dégradation de la qualité de la prise en charge des usagers.

En outre, le plan d'investissement prévu chaque année en loi de finances pour accompagner la modernisation des ESAT est largement insuffisant. La loi de finances pour 2015 a ainsi prévu un montant de 2 millions d'euros, soit une dotation moyenne de 1 500 euros par établissement. Or les ESAT sont parmi les structures les plus anciennes du secteur médico-social et font face à d'importants besoins de rénovation, ne serait-ce que pour se conformer aux normes de sécurité. Surtout ils doivent investir dans la modernisation de leur appareil productif, ce qui nécessite des financements plus importants. En 2013, seuls douze ESAT ont bénéficié d'une aide à l'investissement et les projets financés ne concernaient que des mises aux normes ou des réfections.

Enfin, cette contrainte budgétaire s'est traduite par un gel des créations de place à partir de 2013. Ainsi, alors que le programme pluriannuel de création de places initié à l'occasion de la Conférence nationale du handicap de 2008 prévoyait la création de 10 000 places supplémentaires en ESAT, seules 6 400 ont été effectivement créées et financées. Pourtant, le nombre de personnes en attente de placement en ESAT demeure important d'après les enquêtes qui peuvent être menées.

Au cours de ce contrôle, un autre point m'a paru frappant. Il s'agit du fait que les ARS et l'administration centrale ne disposent pas d'informations consolidées sur les besoins en termes de placement en ESAT. En effet, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui sont chargées de l'instruction des dossiers et de l'orientation des personnes handicapées, disposent chacune de leur propre système d'information. Il n'est donc pas possible de connaître aux niveaux régional ou national le nombre de demandes de placement en ESAT ou le nombre de personnes en attente de placement, ce qui est un vrai problème pour organiser l'offre sur le territoire.

De même, j'ai constaté, à l'occasion des déplacements en ESAT que j'ai effectués, qu'il y avait parfois un manque de dialogue entre les ARS et les ESAT. Ceux-ci se voient souvent informés des montants qui leur sont alloués sans qu'il y ait eu d'échange préalable avec leur tutelle sur ces montants ni d'ailleurs sur les objectifs que doit poursuivre l'établissement. Le dialogue de gestion est à parfaire, et le nombre d'établissements ayant conclu un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) est insuffisant.

J'en viens maintenant aux perspectives d'évolution des ESAT. Un des axes de transformation porté par l'administration consiste à encourager le développement de passerelles entre le milieu protégé en le milieu ordinaire. En effet, on constate que le nombre de personnes handicapées qui sortent des ESAT pour rejoindre une activité professionnelle dans une entreprise ou dans une collectivité publique est très faible (entre 1 %et 2 % annuellement). Or le législateur, en particulier avec la loi « handicap » du 11 février 2005, a insisté sur la priorité accordée à l'insertion dans la vie ordinaire et à l'accès aux dispositifs de droit commun, notamment en matière d'emploi. L'objectif visé est donc que les ESAT, en permettant de conforter la capacité de travail et d'autonomie de leurs travailleurs, soient davantage un tremplin vers l'emploi ordinaire.

L'insertion en milieu ordinaire passe par deux modalités principales : l'intégration directe en entreprise par la signature d'un contrat de travail, ou la mise à disposition d'un travailleur handicapé en entreprise. Il existe d'ailleurs des ESAT dits « hors les murs », qui n'ont pas d'ateliers propres, et qui mettent à disposition des travailleurs avec un accompagnement dédié.

Toutefois, si la sortie d'ESAT est envisageable pour un petit nombre de travailleurs qui le peuvent, et qui le souhaitent, je rappelle que le rôle des ESAT est précisément d'accueillir des personnes dont le handicap ne permet pas de travailler en milieu ordinaire. Il est donc irréaliste de vouloir fixer des objectifs de sortie d'ESAT, car cela irait à l'encontre de ce qui justifie leur existence même. Il ne faudrait pas que cet objectif soit utilisé comme un moyen de pallier les restrictions budgétaires et de compenser le gel des créations de place.

Un autre axe d'évolution qui a été envisagé concerne le transfert de la gestion et du financement des ESAT aux conseils départementaux. Cela présenterait une certaine cohérence étant donné que les départements mènent déjà une politique du handicap active et financent notamment des établissements et services pour personnes handicapées comme les foyers de vie ou les services d'accompagnement à la vie sociale (SAVS). Cependant, cette décentralisation nécessiterait l'attribution aux départements de ressources équivalentes et pérennisées dans le temps, ce qui n'est pas assuré. Elle poserait également la question de l'égalité de la prise en charge sur l'ensemble du territoire.

Face à ces différents constats, plusieurs recommandations me semblent pouvoir être faites qui s'articulent autour de deux objectifs principaux.

D'une part, il est nécessaire de mieux prendre en compte les besoins des personnes handicapées travaillant en ESAT ou ayant vocation à y travailler. Cela passe à mon sens par plusieurs mesures. Tout d'abord, il s'agit de développer le temps partiel en prenant en compte, dans la tarification des établissements, le surcoût qu'il représente, et de mieux former les personnels encadrants à la prise en charge du handicap psychique. Ensuite, il convient de permettre le recueil consolidé d'informations sur les demandes et attentes de placement en ESAT afin de mieux orienter l'offre. Je suggère également de conduire une étude nationale des coûts réels qu'implique la prise en charge des différents handicaps en ESAT, afin de mieux adapter la tarification des établissements, à l'instar de ce qui a été fait pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en 2012. Afin de permettre une véritable modernisation des établissements et de leurs outils de production, il convient enfin d'accroitre le plan d'investissement en ESAT, qui n'est actuellement pas à la hauteur des besoins.

D'autre part, il faut renforcer les liens entre les ESAT et leur environnement économique. Cela passe d'abord par le développement des dispositifs permettant aux personnes handicapées souhaitant rejoindre une entreprise de le faire, tout en bénéficiant d'un accompagnement durable dans l'emploi. Il convient également d'accroitre la durée de l'aide financière pouvant être versée par l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) pour faciliter cette insertion, afin que les employeurs puissent la mobiliser tout au long de la vie professionnelle du salarié. Enfin, la visibilité des ESAT auprès de leurs partenaires économiques potentiels doit être améliorée par la constitution d'une base de données unique recensant l'ensemble des structures et de leurs activités, ce qui fait l'objet d'un projet en cours qui devrait aboutir prochainement.

Les ESAT font donc face à de nombreux enjeux. Ils demeurent toutefois des structures utiles pour les populations qu'ils accueillent. Mes différentes visites en établissement m'ont permis de mesurer à quel point le travail effectué auprès de ces personnes est essentiel et contribue à leur bien-être et à leur épanouissement personnel. C'est cette ambition-là qui doit continuer d'animer la politique menée en direction de ces établissements.

Mme Michèle André, présidente . - Merci pour les précisions que vous nous avez apportées, sur un sujet qui concerne des personnes fragiles et vieillissantes. Il s'agit d'un secteur important, dont un pays comme le nôtre doit se soucier.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général . - Ce secteur représente un volet important de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». La meilleure insertion que l'on peut apporter aux personnes handicapées, c'est celle par le travail.

Avez-vous mesuré, compte tenu du contexte de crise économique et des difficultés existantes en matière d'emploi, les difficultés particulières que rencontrent les ESAT pour trouver des contrats, du fait de la concurrence à laquelle ils sont confrontés, mais aussi du coût que constitue l'encadrement et de la productivité du travail plus faible qu'ils connaissent ? Les collectivités publiques, en particulier les collectivités territoriales, utilisent-elles au mieux les possibilités offertes par le code des marchés publics afin de favoriser l'activité des ESAT ? Dans mon département, la restauration scolaire a été confiée à des ESAT « hors les murs », ce qui fonctionne très bien. Mais les possibilités qui existent pour confier davantage de travail aux ESAT ne sont sans doute pas assez utilisées. Est-ce parce que les collectivités sont confrontées à des difficultés d'interprétation des dispositions du code des marchés publics ou parce que ces dispositions sont méconnues ?

M. Michel Canevet . - Je remercie le rapporteur spécial pour les propositions particulièrement intéressantes qu'il formule, notamment s'agissant du renforcement des dispositifs de temps partiel en fin de vie professionnelle.

Je suis davantage perplexe s'agissant de la recommandation n° 7 relative au maintien des ESAT sous la tutelle de l'État. Il y a eu un moment la volonté de transférer ces établissements aux conseils départementaux, ce qui me paraitrait plus cohérent puisque ceux-ci ont la responsabilité de l'hébergement des personnes handicapées et adoptent des schémas départementaux en faveur des personnes handicapées. Il est nécessaire de mobiliser l'ensemble des partenaires à l'échelon local afin d'encourager l'emploi des personnes handicapées. Or, l'approche nationale est parfois déconnectée de cet enjeu. Lorsque l'hébergement des personnes handicapées a été décentralisé, des efforts importants ont été fournis par les départements et ont permis d'apporter des réponses adaptées aux besoins. Tel n'a pas été le cas pour les ESAT, et il y existe parfois un décalage entre les besoins et la réalité de l'offre de places. D'ailleurs, le plan pluriannuel de création de places en ESAT lancé en 2008 n'a été que partiellement réalisé, ce qui montre bien que l'État n'est pas toujours capable de mettre en oeuvre les orientations qu'il se donne. Je plaiderais donc plutôt pour un transfert des ESAT aux départements pour une question de cohérence de la politique menée en direction des personnes handicapées. Cela pose certes le problème de la compensation financière aux conseils généraux, mais j'ai le sentiment que la gestion au plus près du terrain permet d'être plus opérationnel et plus efficient.

M. André Gattolin . - Je félicite également le rapporteur spécial pour son travail. Je m'oppose complètement à ce que vient dire mon collègue Michel Canevet. La politique du handicap doit être nationale. On constate l'échec, en grande partie, de la politique départementale en la matière. Il suffit d'avoir un enfant handicapé et de déposer un dossier dans des MDPH de plusieurs départements pour se rendre compte qu'il existe une inégalité de traitement. Par exemple, l'obtention du statut de jeune travailleur handicapé par la MDPH peut prendre trois mois ou dix-huit mois selon le département. Ainsi, certains parents trouvent des emplois en entreprise pour leur enfant mais ils sont bloqués car ils n'ont toujours pas reçu la notification de la MDPH au bout de dix-huit mois. Ce système, qui dépend des moyens du département et de l'intérêt qu'il porte au handicap, conduit à une politique discrétionnaire, qui pousse même certains parents à déménager afin d'obtenir un traitement plus favorable. Il existe donc des dysfonctionnements dans un grand nombre de MDPH et un traitement inégalitaire du handicap. Or nous sommes face à un problème central, celui de la protection des plus fragiles, et je préfère donc que l'on ait les moyens d'avoir une politique nationale sur cette question.

M. Marc Laménie . - Vous avez indiqué qu'il existe parfois un manque de dialogue entre les ESAT et les ARS, ce qui est inquiétant étant donné que celles-ci sont leur premier interlocuteur. Quels sont les remèdes possibles ?

M. Thierry Carcenac . - Vous avez indiqué qu'il y avait 1 349 établissements. Disposez-vous d'une typologie permettant d'identifier les ESAT qui ont des activités plutôt rurales et ceux qui ont des activités plutôt urbaines ? Je connais par exemple des établissements qui ont des activités agricoles comme de la viticulture. Avez-vous également des informations sur les ESAT qui disposent de logements permettant d'héberger les travailleurs handicapés ?

J'ai constaté sur le terrain que, compte tenu de la concurrence et des difficultés économiques auxquels ils font face, certains ESAT sont amenés à choisir parmi les personnes qu'ils accueillent celles qui sont le moins handicapées afin de conserver un certain niveau de réactivité et de productivité, ce qui pose de vraies difficultés.

S'agissant des MDPH, leur statut juridique de groupements d'intérêt public (GIP) pose problème ; elles ont parfois des difficultés à disposer des personnels de l'État suffisants afin d'assurer leur mission d'orientation. Par ailleurs, chaque MDPH dispose de son propre système d'information alors qu'il serait nécessaire de disposer d'une vision globale.

Enfin, vous indiquez qu'il y existe environ 120 000 places en ESAT, mais sait-on combien de personnes sont en attente de placement ?

M. Éric Doligé . - S'agissant des MDPH, il n'est pas normal qu'au bout de tant d'années on constate encore de telles difficultés. Je comprends la remarque d'André Gattolin sur l'existence de disparités territoriales. Quand les réponses sont données avec autant de délai à des familles qui sont pourtant dans des situations difficiles, cela n'est pas acceptable. Quand les décisions sont prises après plus d'un an, cela devient intolérable. Cette situation résulte notamment du système mis en place de cogestion du personnel en MDPH, qui est compliqué et n'est pas satisfaisant. Il faudrait un jour avoir le courage de revoir ce système.

Dans la recommandation n° 6 du rapport, vous préconisez de porter le plan d'aide à l'investissement en ESAT à 10 millions d'euros par an. Je trouve qu'il s'agit d'un montant modeste, compte tenu du nombre d'établissements et des problèmes que ceux-ci rencontrent. Si les collectivités territoriales étaient en charge de ces établissements, je suis persuadé que l'État les contraindrait à faire des travaux pour un montant d'au moins 30 ou 40 millions d'euros par an.

Enfin, j'imagine qu'il existe dans beaucoup d'ESAT des financements croisés, avec notamment des financements de la part de collectivités territoriales, en particulier de départements, pour assurer l'hébergement des travailleurs handicapés, mais peut-être aussi des subventions pour permettre aux ESAT de fonctionner dans de bonnes conditions. Avez-vous des éléments sur ce point ?

Mme Marie-France Beaufils . - J'ai beaucoup apprécié la qualité du rapport que nous a présenté Éric Bocquet et des recommandations émises. Je m'associe pleinement à ce qu'a dit notre collègue André Gattolin. J'ai également été amenée à constater les difficultés qu'il a évoquées que rencontrent les personnes handicapées. Je souhaiterais insister sur la recommandation n° 11 du rapport : si l'on veut vraiment permettre aux personnes handicapées de s'insérer en milieu ordinaire de travail, il est indispensable que l'accompagnement à l'emploi soit accentué. Sinon, on aboutit à une sélection à l'entrée en ESAT de personnes handicapées en raison du nombre insuffisant de places mais aussi de la difficulté qui existe à faire accéder certains travailleurs à l'emploi en milieu ordinaire du fait d'un accompagnement insuffisant. Je partage également l'idée que l'État doit prendre ses responsabilités afin d'assurer une égalité de traitement dans tous les départements, ce qui n'empêche que l'accompagnement sur le terrain ait son importance.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial . - Merci pour l'ensemble de ces questions qui recoupent des constats que j'ai été amené à faire à l'occasion des entretiens et des déplacements réalisés.

Je vais commencer par la question du transfert des ESAT aux conseils départementaux. Il est vrai que cette idée est séduisante étant donné que les départements gèrent pour une grande part la politique en direction des personnes handicapées. En revanche, il existe une vraie préoccupation s'agissant de l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Comme l'a évoqué André Gattolin, il existe déjà des disparités en termes de délais de traitement des dossiers. Les délais de notification sont beaucoup trop longs pour les familles. Dans mon département du Nord, la MDPH connait un retard important dans le traitement des dossiers, qui semble commencer à s'améliorer. L'État a bien été capable de créer 6 400 places en ESAT depuis 2008, avant de faire le choix d'arrêter le plan de création de places, ce qui est dommageable compte tenu des besoins.

Concernant le nombre de personnes en attente de placement, selon les informations recensées par la CNSA à partir des déclarations des MDPH, il était de 12 806 en 2012. Mais ce chiffre est issu des informations remontées, or de nombreuses MDPH n'ont pas transmis leurs données. Ce manque d'information est un problème qui a été relevé à plusieurs reprises au cours de cette mission. Un audit des systèmes d'information des MDPH a été conduit en 2013 et deux scénarii d'évolution sont à l'étude : l'élaboration d'un cahier des charges auquel les systèmes d'information actuels devraient se conformer ou la création d'un système d'information national. Les réflexions sont donc engagées et devraient aboutir à des propositions concrètes dans les prochains mois. Par ailleurs, l'UNAPEI (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) conduit une expérimentation dans trois régions afin d'améliorer la connaissance des populations accompagnées dans les établissements gérées par ses associations membres.

S'agissant du plan d'investissement en ESAT, le chiffre proposé dans le rapport de 10 millions d'euros pourrait effectivement être multiplié par quatre ou cinq pour pouvoir répondre aux besoins. C'est un montant minimal, demandé par l'UNAPEI, pour régler les situations d'urgence dans différents établissements.

Par ailleurs, concernant les financements croisés, je crois que la distinction entre le budget médico-social et le budget commercial constitue à la fois un atout, car cela permet de prendre en compte les produits d'exploitation générés dans un budget particulier, et une faiblesse, du fait de l'exposition des établissements au marché et aux difficultés économiques. Lorsque l'on est dépendant d'un client essentiel qui fait un jour défaut, cela constitue un risque important pour l'équilibre budgétaire. Cela amène les ESAT à diversifier leurs prestations pour ne pas être trop exposés à un seul client dont ils dépendraient trop fortement.

En temps de crise, les marchés que les ESAT peuvent gagner sont souvent plus précaires et plus courts, ce qui leur donne moins de visibilité. La concurrence pèse beaucoup sur leurs activités traditionnelles de conditionnement et d'emballage, qui sont peu rentables, et qui peuvent aller à d'autres prestataires. Ceci fragilise l'équilibre budgétaire des ESAT.

Il faut que le secteur public et que les collectivités territoriales soient davantage mobilisés. D'ailleurs un guide est paru récemment pour inciter les collectivités à avoir en tête de manière permanente l'existence de ces structures lors de la passation de marchés publics.

Nous n'avons pas d'éléments sur la typologie entre ESAT ruraux et ESAT urbains. En revanche, étant donné que ce sont les associations qui ont été à l'initiative de la création de ces établissements, le territoire est globalement bien couvert, et il existe moins de disparités territoriales que pour d'autres établissements médico-sociaux.

Enfin, le problème évoqué de la sélection à l'entrée des travailleurs les plus productifs est une réalité dans certains établissements. Dès lors que ceux-ci sont pleinement inscrits dans une logique économique, ils ont le souci de garantir un certain niveau de productivité. C'est tout le changement de culture à l'oeuvre en ESAT. Nous avons rencontré des personnes très engagées dans ces établissements, mais le fait est qu'elles deviennent aussi des gestionnaires et des chefs d'entreprise, et cette évolution ne se fait pas sans poser de problèmes.

La commission a donné acte de sa communication à Éric Bocquet, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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