B. VERS DES RÈGLES MIEUX ADAPTÉES À LA DIVERSITÉ DES TERRITOIRES : LES « BESOINS DE FINANCEMENT STANDARD »

1. Aucune règle idéale mais un consensus pour éviter de raisonner par référence au passé

La diversité des formes prises par le PSI montre que chaque type de règle a ses inconvénients .

Les règles sur le solde budgétaire permettent de réduire la dette - selon le degré de contrainte - mais ont un effet pro-cyclique et n'empêchent pas une augmentation des dépenses.

À l'inverse, les règles sur les dépenses permettent d'éviter une augmentation excessive du poids du secteur public et d'avoir un effet de stabilisation macroéconomique (les dépenses n'ont pas à diminuer quand la conjoncture se dégrade), mais n'ont pas d'effet sur le déficit structurel.

Étant donnés le faible poids du déficit et de la dette des collectivités territoriales françaises et l'existence de règles sur l'endettement (la « règle d'or »), vos rapporteurs spéciaux considèrent que les réflexions sur l'encadrement des finances locales françaises devraient plutôt demeurer, comme c'est le cas pour l'Odedel, sur le niveau des dépenses .

L'exemple italien montre que les règles telles que les diminutions linéaires - les « rabots » - des ressources ou des dépenses ont le mérite de la simplicité et donnent une impression de justice car elles sont les mêmes pour tous, mais au détriment de l'efficacité économique . En effet, les collectivités moins bien gérées sont celles qui ont le plus de facilités à faire des économies tandis que les collectivités bien gérées doivent faire des économies qui ne sont pas optimales d'un point de vue économique.

Idéalement, les règles ne devraient donc pas être basées sur la situation passée , qui est la photographie d'un instant donné et ne correspond pas forcément à une situation optimale, mais sur la situation présente et les caractéristiques de chaque territoire. Tel est l'objet des fabbisogni standard (cf. infra ).

Cette analyse rejoint celle de notre collègue députée Christine Pires Beaune et de notre regretté collègue Jean Germain, qui expliquent qu'une « répartition juste et équitable de la DGF ne peut reposer que sur l'appréciation objective et fine des charges assumées par les collectivités bénéficiaires au regard de leurs ressources. Toute logique ancrée dans l'histoire contribuera à s'écarter d'un tel optimum » 26 ( * ) .

Par ailleurs, comme l'a souligné Chiara Goretti, membre du conseil de l' Ufficio parlamentare di bilancio , il est nécessaire de privilégier des règles facilement compréhensibles par les citoyens, afin de les rendre plus acceptables politiquement.

Il faut également veiller à ce qu'elles concernant un agrégat le plus large possible, sous peine de vider la règle de sons sens, mais limité aux dépenses sur lesquelles les collectivités ont véritablement la main. Ceci excluant par exemple les allocations individuelles de solidarité pour les départements ou le coût des normes imposées par l'État.

Enfin, la prévisibilité de la règle - c'est-à-dire sa pluriannualité - est essentielle afin que les économies soient réalisées là où elles sont le plus efficaces économiquement et d'éviter l 'overshooting.

2. Les « besoins de financement standard »

Afin de ne plus faire référence au niveau de dépense passé, l'Italie a choisi en 2009 de calculer des « besoins de financement standard » ( fabbisogni standard ), mesurant extrêmement précisément le coût de fourniture d'un service public local dans chaque collectivité , afin de répartir en conséquence les fonds de péréquation et de financer un « niveau essentiel » de service public.

La définition de ces indicateurs a été confiée à une société privée, Soluzioni per il Sistema Economico (SOSE) - dont vos rapporteurs spéciaux ont rencontré le président - directeur général, Giampietro Brunello -, détenue par le ministère des finances italien (88 %) et la Banque d'Italie (12 %), afin de ne pas représenter exclusivement le point de vue de l'État. SOSE emploie 150 personnes, essentiellement des économistes et des statisticiens.

Concrètement, un travail considérable de recueil de données et de traitement a été réalisé auprès de la quasi-totalité des collectivités italiennes (6 700 communes prises en compte sur les 8 071, pour des raisons de statut juridique), nécessitant entre autre le traitement de 450 000 courriers électroniques. Ce travail a été mené en associant les représentants des collectivités territoriales et validé par la Commissione tecnica paritetica per l'attuazione del federalismo fiscale , composée de représentants de l'État et des collectivités, en décembre 2013. Cet outil a été utilisé pour la première fois en 2015, pour la répartition d'une partie des fonds de péréquation, et les données seront désormais mises à jour annuellement.

Douze services publics fondamentaux ont été identifiés (gestion des déchets, éducation, etc.), ainsi que treize facteurs de coût (prix des intrants, caractéristiques du territoire, démographie, etc.), alimentés par 122 critères (prix au m² des bureaux, nombre de bénéficiaires d'une allocation d'invalidité, etc.). Ce travail permet par exemple de constater que le nombre d'habitants explique 43 % du coût des transports publics, les caractéristiques du territoire 15 %, le prix des intrants 5 %, etc.

Les 12 fonctions fondamentales identifiées par SOSE

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données SOSE

Au-delà de cette utilisation technique, les « besoins de financement standard » ont permis une très importante opération de transparence, puisque l'intégralité des données est publiée sur un site internet 27 ( * ) . Ils ont en outre été complétés par des indicateurs de mesures de la qualité du service rendu, qui permet de comparer moyens alloués et résultats obtenus et de décerner des « notes » à chaque collectivité.

Ainsi, les citoyens peuvent mesurer la performance de leur collectivité et la comparer à celle d'autres communes.

Ces données peuvent également être utilisées par les collectivités comme une sorte de « contrôle de gestion » mis à leur disposition . Il a ainsi été évoqué devant vos rapporteurs spéciaux des exemples de communes ayant pu réaliser des économies très importantes après avoir comparé leur coût de production de certaines services publics à d'autres collectivités.

Le tableau ci-après montre les résultats de la commune de Guidonia Montecelio, dans la province de Rome, en matière de services fiscaux (sa « dépense historique » est plus du double de son besoin de financement réel) et d'éducation (où sa « dépense historique » est inférieure de près de 30 % à son besoin de financement).

Exemples de résultats de la commune de Guidonia Montecelio
en matière de services fiscaux et d'éducation

Source : site internet opencivitas.it

S'agissant du coût, SOSE a indiqué à vos rapporteurs spéciaux que le coût moyen annuel comprenant le recueil des données, d'élaboration des besoins de financement standard et de publication des données sur le site, pour l'ensemble des collectivités territoriales italiennes, s'élevait à environ 3 millions d'euros par an.

Vos rapporteurs spéciaux soulignent que la logique des « besoins de financement standard » faisait l'objet d'un consensus que ce soit parmi les représentants de l'État, de la Cour des comptes, ou des différents échelons de collectivités territoriales.

Ils considèrent que ce type d'outil présente de nombreux avantages : il permet de dépasser la logique des indices synthétiques français , qui ne suffisent pas à apprécier assez finement les contraintes de chaque territoire et dont la définition (critères, pondération) n'est jamais consensuelle.

La publicité de ces données permet également un véritable contrôle de la part de citoyens soucieux de transparence.

Enfin, ils considèrent qu'il pourrait être utile d'étudier l'opportunité de mettre en place un outil de mesure des charges des collectivités s'inspirant des fabbisogni standard italiens.

Les déterminants du coût de production des 12 fonctions fondamentales

Total

Dé-chets

Dé-pen-ses socia-les

Ser-vices géné-raux

Édu-ca-tion

Po-lice locale

Via-bilité

Ter-ritoi-re

Ser-vices tech-ni-ques

Petite enf-ance

Transports pu-blics

Ser-vices fi-scaux

État civil

Population

20,1%

25,7%

64,7%

12,2%

31,2%

43,4%

37,4%

65,7%

Services offerts

13,7%

82,0%

74,6%

Morpho-logie et territoire

8,7%

14,1%

4,5%

0,7%

5,2%

40,3%

27,2%

9,8%

15,2%

Économie locale

Prix des intrants

8,1%

22,1%

8,3%

9,9%

5,8%

11,8%

8,7%

10,1%

Facteurs de coûts exogènes

8,0%

7,1%

6,6%

3,3%

4,0%

18,5%

2,0%

19,2%

20,5%

6,4%

5,0%

18,2%

17,7%

Immeu-bles

7,6%

4,9%

24,5%

10,4%

6,4%

25,0%

5,3%

2,6%

Choix d'organisa-tion

6,9%

27,6%

15,3%

23,8%

Difficultés sociales

5,8%

15,6%

3,0%

12,6%

5,4%

19,1%

Circula-tion et réseau routier

5,3%

32,6%

Démo-graphie

5,2%

0,7%

34,9%

32,9%

16,1%

Tourisme

4,9%

9,5%

11,2%

3,0%

4,0%

6,2%

10,6%

13,9%

Investis-sements

4,8%

14,6%

12,8%

4,0%

12,5%

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données SOSE


* 26 Christine Pires Beaune et Jean Germain, Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : osons la réforme , juillet 2015.

* 27 Site internet Open Civitas : http://www.opencivitas.it

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