III. L'INDISPENSABLE REGROUPEMENT DES SOCIÉTÉS DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC AU SEIN DE « FRANCE MÉDIAS »

A. UN PROCESSUS DE RAPPROCHEMENT PROGRESSIF À MENER À BIEN D'ICI 2020

1. Parachever la longue marche vers l'indépendance de l'audiovisuel public
a) La disparition des conditions qui ont pu justifier la division de l'audiovisuel public

Le paysage audiovisuel évolue et il est essentiel que le législateur en tire toutes les conséquences. Les évolutions de structure ne doivent pas être motivées par autre chose que l'intérêt général tel qu'on peut l'apprécier au regard des principes de saine gestion des ressources publiques et de l'avantage attendu pour l'audiovisuel public . Les comparaisons, en particulier, doivent être effectuées avec précaution. La France d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était dans les années 1970 lorsqu'Internet n'existait pas et que les chaînes de télévision privées étaient inenvisageables.

Le législateur de 1974 estimait, en effet, que la concurrence devait s'exercer entre les chaînes publiques pour mieux repousser le moment où il deviendrait inéluctable de créer des chaînes privées. Or, ces chaînes privées sont aujourd'hui très largement dominantes dans le paysage audiovisuel français, ce qui rend toute idée de concurrence entre les chaînes publiques contre-productive . Le second objectif de la loi du 7 août 1974 relative à la radiodiffusion et à la télévision était de favoriser le pluralisme en multipliant les rédactions. Cet objectif a également perdu sa pertinence avec la privatisation de TF1 (et donc de sa rédaction), la création de Canal+ et de M6 et l'émergence de trois chaînes privées d'information en continu (LCI, ITélé, BFMTV), auxquelles il convient d'ajouter la chaîne parlementaire. Il y a quarante ans, l'audiovisuel public vivait à l'époque du monopole dans un cadre national et pouvait, sans doute, se permettre le « luxe » de multiplier ses structures, il n'en est plus rien aujourd'hui alors qu'il ne représente plus qu'un quart de l'audience de la télévision et de la radio et que son émiettement limite grandement sa capacité de développement .

L'examen des débats de la loi du 7 août 1974 rappelle que la suppression de l'ORTF n'a pas fait l'unanimité . De nombreux acteurs plaidaient, en effet, pour une décentralisation de l'Office et un renforcement de son indépendance 163 ( * ) . Il n'est plus temps aujourd'hui de s'interroger sur cette réforme qui est devenue irrévocable puisque l'Office comprenait également d'importants moyens de production et de télédiffusion qui ont été, depuis lors, privatisés 164 ( * ) . Si l'ORTF est donc bien morte et ne saurait être reconstituée, c'est aussi son souvenir qu'il convient de dépasser aujourd'hui . Or ce souvenir-là n'a pas disparu avec la création des nouvelles chaînes de télévision et de Radio France, bien au contraire, puisque les doutes relatifs à la réalité de l'indépendance de l'audiovisuel public n'ont pas cessé jusqu'à aujourd'hui, la loi du 15 novembre 2013 relative, justement, à l'indépendance de l'audiovisuel public n'ayant pas fait taire toutes les inquiétudes si l'on se souvient des conditions qui ont présidé à la désignation de la nouvelle présidente de France Télévisions.

b) La création de « France Médias » doit permettre de détendre le cordon de la tutelle

Les différentes expériences de réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public ont permis de démontrer qu'il ne suffisait pas de confier la nomination des présidents des médias de service public au CSA pour garantir leur indépendance . Sans revenir sur les conditions de ces nominations, il convient d'avoir à l'esprit qu'il existe bien d'autres moyens pour l'État d'imposer ses vues que de nommer les dirigeants. Le conseil d'administration de ces sociétés est composé de quatre à cinq représentants de l'État issus le plus souvent des ministères de tutelle 165 ( * ) , le niveau des ressources comme le projet des sociétés est arrêté par la « tutelle » au sein de leur COM, le cahier des charges est défini par décret...

Autant de caractéristiques maintenues depuis 1974 qui rendaient jusqu'à présent très illusoire l'indépendance de l'audiovisuel public. Au-delà des slogans, la reconnaissance d'une véritable indépendance nécessiterait, comme le proposait le rapport Schwartz 166 ( * ) , d'alléger la tutelle administrative sur ces sociétés, de réduire le nombre de leurs objectifs et l'étendue de leurs contraintes, de garantir leurs moyens dans la durée, et de faire évoluer le rôle de l'État vers celui d'un actionnaire . On pourrait également ajouter à cette liste le souci de procéder à de véritables évaluations périodiques.

L'indépendance d'un groupe industriel dépend autant de sa gouvernance que de sa taille et de sa capacité financière . Voilà pourquoi vos rapporteurs sont convaincus que ces deux questions doivent être considérées comme prioritaires pour définir un modèle d'avenir pour l'audiovisuel public. Pour retrouver la maîtrise de leur destin, les sociétés de l'audiovisuel public doivent à la fois réunir leurs forces et bénéficier de plus d'autonomie de la part de l'État pour pouvoir se gérer plus librement. Cette priorité donnée à la nécessité de mettre un terme à l'émiettement et à la faiblesse des structures a conduit vos rapporteurs à recommander la création d' une entité unique qu'ils suggèrent de dénommer « France Médias » - regroupement de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l'INA -, groupe puissant doté de véritables marges de manoeuvre financières à même de garantir effectivement son indépendance .

Les spécificités d'Arte France et de TV5 Monde ont conduit vos rapporteurs à ne pas se prononcer immédiatement sur le niveau de rapprochement souhaitable avec le nouveau groupe. Ils précisent cependant que l'équivalent allemand d'Arte France, Arte Deutschland , ne dispose pas d'une véritable autonomie dans le choix de ses programmes qui sont directement produits par les chaînes publiques allemandes, et que le nouveau groupe public « France Médias » serait majoritaire dans le capital de TV5 Monde, ce qui permettrait sans doute de renforcer encore les mutualisations.

Le choix de retenir comme marque « France Médias » pour désigner ce nouveau groupe s'explique à la fois par la pertinence de chacun de ces deux mots, ainsi que par l'intérêt de marquer la proximité avec la démarche qui a vu naître la société France Médias Monde, pôle audiovisuel extérieur né du rapprochement d'une chaîne de télévision et de deux radios. Ce qui a été fait pour l'international doit maintenant être fait au niveau national.

Mutualisations : un bilan mitigé à ce jour

La recherche de mutualisations entre les différentes sociétés de l'audiovisuel public ne constituait pas, jusqu'à il y a peu, une priorité pour leurs dirigeants très attachés à leur indépendance respective . Cela ne signifie pourtant pas qu'elles étaient inexistantes mais les exemples sont rares et de portée limitée. On peut citer le cas de la régie de France Télévisions qui gère les espaces publicitaires de France 24 et TV5 Monde. Les relations sont plus étroites entre TV5 Monde et France Télévisions qui est actionnaire à 49 % de cette dernière, ce qui se traduit par des achats de droits en commun et des appels d'offres communs, par exemple pour l'achat de bande passante 167 ( * ) . Par ailleurs, il n'est pas rare que des journalistes de France 24 interviennent dans les journaux de France 2 et France 3 lors des situations de crise... jusqu'à l'arrivée des envoyés spéciaux de ces chaînes.

Au-delà de ces quelques exemples, force est de constater que ce sont surtout la concurrence et les pratiques non coopératives qui dominent les rapports entre les différentes sociétés de l'audiovisuel public, à l'image du lancement par l'INA le 30 septembre 2015 d'une plateforme de vidéos à la demande par abonnement (SVOD)... sans aucune concertation avec France Télévisions qui réfléchit à son propre projet. De la même manière, il a fallu l'intervention de l'État pour que France Télévisions envisage de travailler avec Radio France sur son projet de chaîne d'information en continu alors même qu'il existe déjà France 24 et que France Médias Monde n'a initialement pas été associée à la réflexion.

Par ailleurs, Radio France réfléchit également à une chaîne de radio numérique avec des contenus internationaux qui viendrait directement concurrencer RFI. Autre exemple concernant la chaîne culturelle franco-allemande, alors que de nombreux programmes d'Arte Deutschland sont diffusés six mois après sur la ZDF, Arte France est totalement indépendante de France Télévisions et investit dans la production, en particulier documentaire, sans aucune coordination.

Cette situation a été dénoncée par le rapport du groupe de travail sur l'avenir de France Télévisions qui a estimé que « le paysage de l'audiovisuel public reste marqué par une dispersion des moyens, sans stratégie commune, sans synergies et sans coopération éditoriale . Cette segmentation organique, par grand métier et par zone de diffusion, ne permet pas une utilisation optimale de l'argent public , car elle n'autorise pas la mise en commun de moyens ou la constitution d'économies d'échelle suffisantes, dans un environnement où les supports et les médias convergent. Elle affecte la puissance globale du secteur audiovisuel public, chacune de ses composantes étant moins à même d'atteindre une masse critique suffisante, dans un monde ouvert et globalisé, où la concurrence des géants issus de l'Internet est devenue réalité » 168 ( * ) .

Vos rapporteurs partagent pleinement cette analyse du rapport Schwartz mais ne sauraient trouver satisfaisante sa recommandation de créer une instance de pilotage stratégique réunissant les présidents des différents groupes de l'audiovisuel public pour échanger ensemble autour des ministres compétents afin de « nourrir la formulation d'orientations coordonnées et (de) donner lieu à l'émergence d'initiatives communes dans le domaine éditorial, technique ou de mise en commun de ressources » . Outre le fait que cette instance de concertation n'a toujours pas été réunie près de huit mois après qu'elle a été évoquée , on ne peut qu'être modérément optimiste sur l'utilité d'une telle démarche compte tenu des résistances constatées. Seule une instance de direction unique chargée de répartir les ressources et de nommer les dirigeants de chaînes et d'antennes aura la légitimité et l'autorité suffisantes pour créer une culture commune et des actions conjointes et dépasser l'esprit de chapelle.

2. Engager la création d'un groupe unifié doté d'une gouvernance moderne
a) Regrouper les moyens pour mieux gérer et dégager des marges nouvelles

Comment comprendre que vos rapporteurs en soient arrivés à proposer une réforme de structures aussi importante en s'interrogeant sur les modalités de financement de l'audiovisuel public ? Un des principaux problèmes des sociétés de l'audiovisuel public tient au manque de visibilité de leurs perspectives financières ; or cette fragilité s'explique largement par les modalités d'évaluation de leurs besoins financiers et de répartition de la CAP . Dans notre système actuel, ces besoins sont établis au moment de la négociation du contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre la direction de l'entreprise et l'État sur la base, d'une part, du projet du président directeur-général qui a été présenté devant le CSA lors de la phase de candidature et qui fixe les priorités de son mandat et, d'autre part, des priorités du gouvernement en matière de politique de l'audiovisuel compte tenu des équilibres budgétaires.

Ce processus a atteint aujourd'hui ses limites, comme l'ont démontré les dernières nominations de dirigeants de l'audiovisuel public .

Mathieu Gallet, par exemple, a été nommé en mai 2014 sur la base d'un projet qu'il a conçu sans connaître la réalité de la situation financière de Radio France, comme il l'a exposé lors d'une audition devant votre commission de la culture 169 ( * ) . Par ailleurs, plus d'un an après sa prise de fonctions, il ne dispose toujours pas d'un COM qui préciserait ses moyens pour mettre en oeuvre les priorités de sa présidence. La situation n'est pas très différente pour Delphine Ernotte Cunci qui a, certes, pu construire son projet en tenant compte du rapport de Marc Schwartz préparant la position du gouvernement. Toutefois, elle n'a, elle non plus, pas eu accès aux données financières de la société au moment de sa candidature et n'a donc pas pu prendre l'exacte mesure de la situation de France Télévisions, ce dont témoignent les incertitudes qui apparaissent aujourd'hui sur l'avenir financier de la société. L'entreprise en est réduite aujourd'hui à engager dans l'urgence un plan d'économies pour faire face à un risque de déficit de 50 millions d'euros en 2016 compte tenu des annonces du Gouvernement par voie de presse le 13 septembre dernier.

Vos rapporteurs sont aujourd'hui convaincus que le système actuel ne fonctionne pas et, plus grave encore, qu'il accentue les difficultés des sociétés de l'audiovisuel public en retardant le moment où les décisions de gestion seront prises 170 ( * ) . Des projets présentés par des candidats qui ne connaissent pas exactement la situation des sociétés qu'ils se proposent de diriger, des nominations décidées par une instance - le CSA - qui n'est pas l'actionnaire et n'a donc pas autorité pour définir les ressources de ces sociétés 171 ( * ) , des COM qui sont construits sur des projets inadaptés avec le souci de répartir la CAP en tenant compte de la situation de chaque société , des avenants aux COM qui modifient la répartition de la CAP pour tenir compte de l'évolution de la situation de chacun des acteurs en « déshabillant Pierre pour habiller Paul »... Cette « machinerie » entretient, en fait, la fragilité des entreprises concernées, tout en accroissant la rivalité entre sociétés et la dépendance vis-à-vis de l'État autant qu'elle interdit toute vision stratégique.

Un mouvement de consolidation à parachever

Le regroupement des sociétés de l'audiovisuel public a déjà bien progressé depuis une quinzaine d'années . Pour mieux affronter la concurrence des chaînes privées, la loi n° 89-532 du 2 août 1989 a doté les deux chaînes de télévision publique d'un président commun avant qu'une société unique ne soit mise en place par loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 réunissant France 2, France 3 et la Cinquième. Depuis lors, l'objectif de mise en concurrence des chaînes publiques porté par la loi n° 74-696 du 7 août 1974 a été progressivement abandonné au bénéfice d'un renforcement des identités respectives des chaînes et de la recherche d'une regroupement des forces dont témoigne, par exemple, le projet de rédaction unique entre France 2 et France 3 .

À côté du pôle de télévision national, à la suite de l'adoption de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, s'est progressivement mis en place un pôle international de radio et télévision qui a abouti à la création de France Médias Monde qui réunit France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya.

La constitution d'un groupe unique regroupant télévision, radio et numérique au niveau national et international ne ferait que prolonger - ou parachever - les évolutions déjà menées à bien. À noter que France Télévisions opère déjà neuf radios outre-mer et que France Médias Monde regroupe également une chaîne de télévision et une radio, la coexistence de ces deux médias dans un groupe unique ne constituerait donc pas une nouveauté.

Face à cette situation, le regroupement des sociétés de l'audiovisuel apparaît comme une solution à de nombreuses difficultés :

- la répartition de la CAP ne serait plus effectuée par l'État à travers une multitude de COM mais passerait par la direction du nouveau groupe entre ses différentes filiales , ce qui garantirait plus de souplesse et de réactivité ainsi qu'une meilleure prise en compte de la réalité des filiales et de leurs résultats ;

- les mutualisations pourraient véritablement être mises en oeuvre puisqu'elles relèveraient, là-aussi, de la seule compétence du chef de file qui pourrait réorganiser l'offre comme la production de contenus en fonction des besoins ;

- un COM unique pourrait être établi liant l'État et le nouveau groupe « France Médias » pour une période quinquennale en lieu et place des cinq COM actuels qui ne sont pas synchronisés , ce qui interdit toute vison globale et rend très difficiles les mutualisations. La réduction du nombre de COM permettrait de moins solliciter les administrations qui pourraient se consacrer davantage à des missions d'évaluation et de stratégie.

On le voit, le regroupement des sociétés de l'audiovisuel public constitue un préalable au renforcement de celui-ci et à une clarification de ses relations avec l'État, condition indispensable à son indépendance . Parce qu'il constitue un bien inaliénable de la Nation, l'audiovisuel public doit continuer à s'inscrire dans le cadre d'une feuille de route définie par l'État. Le Parlement restera compétent pour définir son statut, ses ressources et ses missions . Le gouvernement conservera la mission de veiller à ce que la feuille de route définie pour cinq ans soit bien mise en oeuvre et que les moyens soient bien utilisés. Mais la direction de « France Médias » ne doit plus être partagée entre des présidences maintenues dans la dépendance, un régulateur doté de certaines compétences de l'actionnaire et dépourvu de pouvoir sur les ressources et des tutelles multiples qui produisent des « injonctions contradictoires », selon les termes du rapport Schwartz.

Le regroupement préconisé n'a pas pour but de créer nécessairement une société unique , à l'instar de ce qui a été opéré pour France Télévisions en 2009, une structure de holding pouvant être également envisagée. Il ne vise pas non plus à créer un statut unifié des personnels et à relancer des négociations collectives complexes. Une certaine harmonisation salariale propre à favoriser les mobilités entre les différentes entités pourrait toutefois être recherchée.

Proposition n° 12 : regrouper l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public au sein d'une nouvelle entité qui pourrait être dénommée « France Médias » et qui serait constituée au 1 er janvier 2020.

Proposition n° 12.1 : prévoir que la direction de « France Médias » aura seule autorité pour répartir la CAP entre ses différentes filiales et nommer leurs dirigeants.

b) Simplifier la gouvernance pour garantir véritablement l'indépendance

Vos rapporteurs recommandent que, comme en Grande-Bretagne, la direction du nouvel ensemble « France Médias » soit confiée à un président directeur général agissant sous le contrôle étroit d'un puissant conseil, constitué sur le modèle du trust de la BBC, afin de renforcer la légitimité de la stratégie mise en oeuvre . Dans cet esprit, la nomination du président directeur général de ce nouveau groupe deviendrait une prérogative du « trust » 172 ( * ) , le CSA pouvant être consulté pour avis pour garantir la qualité du profil du candidat retenu 173 ( * ) et les commissions chargées de la culture et des finances des deux assemblées pouvant être amenées à avaliser la nomination par un vote. Par ailleurs, l'État ne serait plus représenté au sein du « trust » que par l'Agence des participations de l'État (APE) chargée d'exprimer le point de vue de l'actionnaire et par des personnalités qualifiées 174 ( * ) agissant intuitu personae sans lien de dépendance avec les ministères de tutelle.

Comme cela est trop souvent le cas dans notre pays, le mode de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public est devenu l'objet d'une querelle idéologique qui a beaucoup nui aux intérêts des sociétés concernées. Alors que Nicolas Sarkozy avait souhaité en 2009 que ces nominations relèvent du Président de la République et du Parlement 175 ( * ) , François Hollande a souhaité confier cette responsabilité au CSA 176 ( * ) . En réalité, si chacune de ces solutions présente d'indéniables avantages, elles se sont toutes les deux révélées inadaptées.

La nomination par le chef de l'État a pu donner le sentiment d'une trop grande dépendance vis-à-vis de l'exécutif et celle par le CSA 177 ( * ) a également montré ses limites compte tenu du défaut de transparence du processus retenu, de la faible expérience des membres du collège dans la gestion d'une entreprise et de l'absence de compétence du Conseil pour déterminer les ressources de ces sociétés.

Vos rapporteurs considèrent qu'il est indispensable d'éteindre cette querelle concernant les nominations dans l'audiovisuel public qui ne s'est jamais estompée en réalité depuis 1974. Ils estiment qu'une véritable modernisation de la gouvernance de l'audiovisuel public doit avoir pour corollaire la « normalisation » 178 ( * ) de son mode de direction et préconisent en conséquence que, conformément au droit commun des entreprises, le futur dirigeant de « France Médias » soit nommé par l'instance de direction collégiale de l'entreprise dont la composition serait repensée pour réduire le nombre des représentants des ministères de tutelle .

Proposition n° 13 : prévoir la nomination du président directeur général de « France Médias » par l'instance de direction collégiale conformément au droit commun des entreprises.

Proposition n° 14 : faire de l'Agence des participations de l'État (APE) le représentant unique de l'État au sein de l'instance de direction collégiale de « France Médias » au nom de l'État actionnaire.

Proposition n° 14.1 : diversifier le recrutement des membres de cette instance de direction en accroissant la place réservée aux personnalités qualifiées, tout en veillant à prévenir les conflits d'intérêts.

Comme cela a été prévu par la loi du 15 novembre 2013, les candidats à la direction d'une société de l'audiovisuel public devraient respecter des critères de compétence et d'expérience et il leur reviendrait également de présenter un projet stratégique . Ces candidatures et ces projets stratégiques pourraient faire l'objet d'une instruction par un « comité de nomination ». Vos rapporteurs n'ont pas souhaité proposer de rendre publiques les auditions des candidats ainsi que leurs projets stratégiques estimant qu'à partir du moment où il était proposé de « normaliser » le mode de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public en professionnalisant la procédure, il n'était pas cohérent de fixer, dans le même temps, des contraintes qui pourraient être de nature à limiter le nombre et le profil des candidatures de dirigeants venant du secteur privé.

Préciser les conditions d'application du « tuilage »

La loi du 15 novembre 2013 a prévu dans son article 12 qui réécrit l'article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 que « Les nominations des présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France interviennent trois à quatre mois avant la prise de fonctions effective » . C'est ainsi que Delphine Ernotte Cunci, qui a été désignée par le CSA le 23 avril 2015 à la présidence de France Télévisions, n'a pris ses fonctions que le 24 août. Cette période de « tuilage », introduite à l'initiative de l'un de vos deux rapporteurs, avait notamment pour objet, compte tenu de l'entrée en fonction du nouveau président de France Télévisions en plein été, pendant l'élaboration de la grille des programmes de rentrée , de lui permettre d'être informé des productions à venir et d'éviter, dans la mesure du possible, de se voir imposer des engagements qui le lieraient à long terme.

En l'absence de dispositions réglementaires précisant les modalités concrètes d'application de la loi, le bilan de ce dispositif est nuancé. Il est ainsi apparu que la nouvelle présidente n'avait pas juridiquement la possibilité de recruter des collaborateurs avant sa prise de fonctions effective. Il s'est également avéré difficile pour le président sortant - qui était lui-même candidat - d'associer son successeur à la gestion courante de la société au-delà d'une information et d'une consultation pour la forme. Si la nouvelle présidente a ainsi été informée des décisions importantes ayant une incidence au-delà du 24 août 2015, elle n'a pas pu intervenir dans la préparation de la grille de rentrée ni dans la négociation des contrats pluriannuels. Cette situation est apparue d'autant plus délicate que la période de « tuilage » précédait la période de rentrée qui constitue toujours un moment important pour les chaînes de télévision.

Vos rapporteurs considèrent qu'il ne faut pas renoncer à cette période de « tuilage », mais que ses modalités doivent être précisées par un décret d'application .

Il y a urgence à moderniser notre service public de l'audiovisuel et à « réunir ses forces » . C'est la responsabilité de l'État de donner cette impulsion et d'exiger que les sociétés publiques travaillent ensemble et non en concurrence, comme il l'a fait à propos du projet de création d'une chaîne publique d'information en continu. Face aux nouveaux acteurs de l'Internet, seul un groupe unifié aura les moyens de développer une stratégie offensive multi-supports et de faire vivre une marque forte, « France Médias », à l'international .

Dans cette course à l'innovation, chaque mois est important et chaque recul est souvent définitif. Pour autant, vos rapporteurs considèrent que le projet de regroupement des sociétés de l'audiovisuel public est suffisamment stratégique et sensible pour justifier l'adoption d'un calendrier qui permette de prendre en compte tous les aspects de la question (cf. infra ).

La création d'un groupe unique de l'audiovisuel public nécessiterait de réfléchir aux modalités de son organisation et de son fonctionnement . Faut-il créer une holding ou une société unique ? Quel devrait être le degré d'autonomie des différentes chaînes de télévision et antennes de radio ? Les personnels seraient-ils amenés à bénéficier d'un statut unique ? Quelles modalités de rapprochement entre le pôle international (FMM) et les médias nationaux ? Faudrait-il créer une rédaction unique ? Vos rapporteurs n'ont pas souhaité se prononcer sur ces questions pourtant très importantes, préférant rappeler le besoin de trouver le bon équilibre entre la nécessité pour un tel groupe de disposer d'un projet unique ambitieux disposant de moyens. Vos rapporteurs ont émis des préférences en ce qui concerne son financement qui pourrait reposer sur trois piliers : une CAP repensée et modernisée, une publicité maintenue mais mieux encadrée quantitativement et qualitativement et de nouvelles ressources propres à travers le développement des droits attachés aux investissements dans la production.

Afin d'examiner les conditions de la création de ce nouveau groupe, vos rapporteurs préconisent qu' une mission de préfiguration indépendante soit constituée dès que possible qui comprendrait des parlementaires, des experts désignés par l'État et des personnalités du monde des médias et de la société civile. La présidence de cette commission pourrait être confiée soit à une autorité indépendante, soit partagée entre deux personnalités politiques de tendance politique différente ayant exercé des responsabilités dans le domaine de la culture. Cette commission indépendante aurait, en particulier, la mission de se prononcer sur la forme juridique du nouveau groupe et donc sur le degré d'intégration opportun, ainsi que sur son fonctionnement et sur la question de l'intégration ou non d'Arte France et de TV5 Monde au nouveau groupe.

Proposition n° 15 : mettre en place dès 2016 une mission de préfiguration de « France Médias » qui rendrait ses conclusions au cours du premier semestre 2017.


* 163 Le rapport de juin 1970 de Lucien Paye, président de la commission d'étude du statut de l'ORTF et Premier président de la Cour des comptes, préconisait ainsi la « création de sociétés distinctes mais filiales d'une même société nationale holding ».

* 164 La SFP a été privatisée en 2001 et a été depuis reprise par le groupe Euromédia tandis que TDF a quitté le giron de France Télécom en 2004 puis a perdu son monopole en 2005 avant de connaître une recomposition de son capital autour d'investisseurs internationaux.

* 165 La composition des conseils d'administration de France Télévisions, Radio France et FMM est prévue respectivement par les articles 47-1, 47-2 et 47-3 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

* 166 « France Télévisions 2020 : le chemin de l'ambition », rapport du groupe de travail sur l'avenir de France Télévisions, coordonné par Marc Schwartz, février 2015.

* 167 Voir à ce sujet l'audition d'Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde devant votre commission de la culture le 20 mai 2015.

* 168 Rapport du groupe de travail sur l'avenir de France Télévisions coordonné par Marc Schwartz, février 2015, p. 55.

* 169 « Lorsque j'ai rédigé mon projet, j'ignorais la situation financière réelle de l'entreprise. J'ai compilé les données publiées dans des rapports parlementaires ou dans les rapports d'activité déposés auprès du CSA. Mais, fin 2013, les informations les plus récentes dataient de 2012. En septembre 2014, lorsque le montant de la dotation qui nous serait versée nous a été notifié, nous avons rapidement pris conscience du déséquilibre structurel entre des recettes qui stagnaient à un niveau inférieur à celui de 2012 - 601 millions d'euros en 2015 contre 610 millions d'euros alors - et des dépenses dont l'augmentation était inéluctable » - audition de Mathieu Gallet, PDG de Radio France, devant la commission de la culture du Sénat le 6 mai 2015 .

* 170 C'est ainsi que face à l'absence de perspectives financières, la présidente de France Télévisions a annoncé le 14 septembre 2015 à ses administrateurs par courrier électronique que « L'option qui consisterait à accepter un déficit de l'entreprise aussi conséquent après des années de déficits cumulés n'est pas une saine option de gestion. Ce déficit chronique doit nous conduire à repenser la stratégie globale et repose la question de notre capacité à remplir l'ensemble de nos missions. »

* 171 Lors de son audition par vos rapporteurs, Olivier Schrameck, président du CSA, a expliqué que le collège n'était pas compétent sur les questions financières relatives à l'audiovisuel public même si l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986 lui reconnaît la possibilité de donner son avis sur la répartition de la CAP et la place de la publicité.

* 172 Le BBC Trust , mis en place en 2007, doit représenter le public et s'opposer aux interférences commerciales comme gouvernementales. Il joue un rôle d'intermédiaire entre le monde extérieur et la BBC afin de la protéger des pressions conjoncturelles et de contrôler l'application des missions de service public prévues en particulier dans la Charte royale. Le BBC Trust est composé de douze membres choisis par le Conseil des ministres parmi les professionnels de l'audiovisuel pour garantir leur indépendance. La fonction de membre du Trust nécessite présence et implication, elle est rémunérée et une déclaration d'intérêt est nécessaire.

* 173 Une consultation pour avis du CSA belge est prévue dans le cadre du processus de nomination de l'administrateur-général de la RTBF.

* 174 Ces personnalités qui pourraient être, par exemple, des fonctionnaires membres des inspections générales ou des dirigeants d'organismes publics seraient choisies du fait de leurs compétences, de leur parcours et de leur personnalité. Elles ne pourraient en aucun cas s'exprimer au nom de l'État.

* 175 L'article 13 de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 a réécrit l'article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 afin de prévoir que « Les présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel et après avis des commissions parlementaires compétentes conformément à la loi organique n° 2009-257 du 5 mars 2009 relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France. Pour l'application du présent article, la commission parlementaire compétente dans chaque assemblée est celle chargée des affaires culturelles. »

* 176 L'article 12 de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 a réécrit l'article 47-4 de la loi de 1986 pour prévoir en particulier dans ses deux premiers alinéas que « Les présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés pour cinq ans par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la majorité des membres qui le composent. Ces nominations font l'objet d'une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d'expérience. Les candidatures sont présentées au Conseil supérieur de l'audiovisuel et évaluées par ce dernier sur la base d'un projet stratégique . »

* 177 Lors de son audition par vos rapporteurs, le président du CSA a estimé que « le Conseil n'est acteur de cette nomination que parce qu'on lui a délégué cette mission ». Il a également indiqué que le rôle du Conseil avait été enrichi par rapport à la situation qui prévalait avant 2009 puisque la loi a prévu des critères pour sélectionner les candidats qui doivent par ailleurs élaborer un projet stratégique. Il a reconnu que si la loi avait encadré ces modalités de nomination, il y avait néanmoins un débat sur ces dernières.

* 178 Dans son rapport pour avis sur les crédits de l'audiovisuel (avis n° 112 - PLF 2015- Tome IV fascicule 1a, p. 30), votre rapporteur Jean-Pierre Leleux avait déjà proposé « que l'on étudie la possibilité, pour l'avenir, que les conseils d'administration des entreprises de l'audiovisuel public nomment eux-mêmes leurs présidents, ce qui constituerait le vrai signe d'une normalisation de ce secteur ».

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