Rapport d'information n° 347 (2015-2016) de Mme Fabienne KELLER , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 28 janvier 2016

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N° 347

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 janvier 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les demandes de réforme de l' Union européenne présentées par le Royaume - Uni ,

Par Mme Fabienne KELLER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle .

AVANT-PROPOS

Lors d'une mission de deux jours à Londres, les 18 et 19 janvier derniers, votre président et votre rapporteure ont pu mesurer l'état des forces en présence à quelques semaines maintenant du début de la campagne pour le référendum - s'il se tient le 23 ou le 30 juin, comme on nous l'a suggéré - sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

En outre, lors d'une séance de travail au Select Committee for European Affairs , votre président et votre rapporteure ont répondu aux questions concernant la position de la majorité de votre commission face aux quatre demandes de réforme présentées par le gouvernement britannique.

D'une manière générale, il ressort de l'ensemble des entretiens, autant à Londres qu'à Bruxelles, qu'une réelle bonne volonté existe de part et d'autre et qu'une solution est recherchée, mais que sa forme exacte n'est pas encore connue.

Le Royaume-Uni semble demander ni plus ni moins qu'un renforcement de son statut particulier, essentiellement parce qu'il souhaite recouvrer l'essentiel de sa souveraineté et que cela passe, selon lui, par le contrôle de ses frontières et de l'immigration - fut-elle intra-européenne - et l'autonomie de décision de son Parlement, source première de toute souveraineté.

On peut dire qu'il existe une certaine forme de divergence entre Londres et Bruxelles sur l'autonomie de décision qui doit être laissée aux États membres concernant ces questions essentielles.

Certes, les avis sont partagés même à Londres. Certains surmontent l'euroscepticisme, d'autres pas, mais tous s'accordent pour ne pas vouloir du projet politique européen, ce qui ne signifie pas un rejet de l'Europe en tant que telle, mais un rejet de toute création supranationale qualifiée d'utopique.

La ligne de partage entre ceux qui rejettent en bloc les règles de l'Union et ceux qui pensent s'en accommoder traversent presque tous les partis politiques, et en tout cas, toutes les institutions.

Les partisans du statu quo resteraient majoritaires cependant, et on nous assure que le référendum pourrait être gagné, car David Cameron est l'homme de la situation.

Pour notre part, nous avons étudié de près les demandes du Royaume-Uni. Nous sommes arrivés à la conclusion que ces demandes doivent être examinées dans un esprit de dialogue et de compromis. Toutefois, les réponses apportées à ces demandes ne sauraient porter atteinte à plusieurs principes fondateurs de la construction européenne. C'est un vrai changement des traités que sous-tendent ces réformes, et l'Union n'y est pas prête.

Cependant, la bonne volonté britannique et le réel désir de l'Union de conserver le Royaume-Uni en son sein conduisent à formuler l'espoir qu'un compromis puisse être trouvé à la satisfaction des deux parties.

UNION EUROPÉENNE/ROYAUME UNI : UNE RELATION TOUJOURS PLUS PARTICULIÈRE

LA REVUE DU PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE L'UNION ET LE ROYAUME-UNI PRÉPARAIT UNE DEMANDE DE RÉFORME

La commission des affaires européennes suit avec attention l'évolution de la relation que le Royaume-Uni entretient avec l'Union européenne.

C'est pourquoi, lorsque le gouvernement britannique a décidé de passer en revue le partage des compétences, la Commission a analysé dans un rapport (n° 420 -2014-2015) les prises de position britanniques sur l'actuelle répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.

Dans ce rapport, l'irréductible singularité britannique a été mise en exergue pour rappeler que l'adhésion à l'Union n'était pas pour les Britanniques une affaire de coeur mais de tête.

Le projet européen vu de Londres est un projet économique et non politique, et toute tentative d'utiliser la construction du marché unique pour avancer la construction politique d'une Europe fédérale est dénoncée par les Britanniques comme une manoeuvre à laquelle ils refusent de se prêter.

Le marché unique doit rester l'alpha et l'oméga du projet européen, lequel est essentiellement au service du désir d'entreprendre. Selon cette théorie britannique, l'Union européenne est naturellement l'arbitre qui s'assure que tous les acteurs économiques interviennent dans les mêmes conditions et avec une parfaite égalité de chances, dans le respect d'une concurrence loyale.

Cet audit du partage des compétences a été diligenté par le gouvernement britannique en vue de déterminer les domaines dans lesquels une réforme s'imposait. Il préparait, sans le dire ouvertement, la voie à un agenda de réforme, à une confirmation du statut particulier du Royaume-Uni au sein de l'Union et à un referendum sur l'appartenance de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. En conséquence, le Premier ministre, dans son discours de Bloomberg du 23 janvier 2013, a annoncé la tenue d'un référendum avant 2017 sur la question du maintien ou non du Royaume dans l'Union.

D'une manière générale, l'opinion britannique a toujours pratiqué une certaine forme de détachement à l'égard de la construction européenne : elle considère pour l'heure que le pays est assez puissant pour contenir l'« hégémonie bruxelloise ». La Grande-Bretagne pense n'avoir jamais besoin de dépendre totalement de l'Union dans quelque domaine que ce soit. L'opinion britannique était restée toutefois eurosceptique avec modération jusqu'à l'émergence d'une contestation orchestrée par un nouveau parti politique (UKIP) et une partie de la presse à gros tirage.

Il en va différemment de l'euroscepticisme dans les partis politiques et dans les sphères dirigeantes, et il convient de reconnaître que le débat sur l'appartenance à l'Union fait rage depuis longtemps chez les Conservateurs et dans une frange importante du Labour . Ces deux partis sont divisés au contraire des Libéraux-Démocrates qui ont toujours été parfaitement europhiles. Quant à l'UKIP ( United Kingdom Independence Party ), il préconise depuis sa création une sortie de l'Union tandis que le SNP ( Scottish National Party ) dit vouloir rester dans l'Union.

Le Premier ministre David Cameron a donc choisi, pour calmer le jeu chez les Conservateurs , de promettre un référendum et un débat, s'il était réélu. Cette habile tactique devait lui permettre de passer brillamment le cap d'une réélection en 2015.

Au départ, cet exercice de revue des compétences a été conçu comme une mise au point à usage interne, non dénuée d'arrière-pensées politiques. Toutefois il apparaît maintenant, à la lecture des rapports, que ce travail particulièrement équilibré et objectif, qui a mis à contribution l'ensemble de la haute administration britannique, le Parlement et tous ceux qui ont bien voulu apporter leur témoignage grâce à un processus ouvert de consultations et d'auditions, débouche sur des conclusions grosso modo favorables à la répartition existante sans pour autant s'abstenir d'énumérer tous les domaines où cette répartition n'étant pas satisfaisante, il est nécessaire de la modifier, soit au profit de l'État britannique, soit au profit de l'Union.

Selon l'audit, les domaines où la réforme s'impose sont les suivants : pratique de la subsidiarité et de la proportionnalité, politique économique et monétaire, libre circulation des personnes, budget européen, politique de cohésion, PAC et fiscalité.

Dans cet audit, le gouvernement britannique envisageait un agenda de réforme de l'Union sur les quatre points suivants :

- l'approfondissement du Marché intérieur : l e Royaume-Uni souhaite l'approfondissement du marché intérieur, notamment dans la libre circulation des capitaux, les services, le numérique, l'énergie et les transports ;

- le rééquilibrage du partage des compétences entre l'Union et les États membres : l e Royaume-Uni déplore le décalage existant entre l'accélération de l'évolution des marchés et le manque de réactivité du processus législatif européen, proposant de répartir les compétences de manière à laisser plus de liberté aux États membres mieux placés pour réagir ;

- la non-discrimination entre États membres et États non membres de l'Eurozone : l e Royaume-Uni appelle de ses voeux qu'à l'avenir, les non membres de l'Eurozone soient associés aux décisions prises par l'Eurozone afin que le marché intérieur ne soit pas perturbé et que les intérêts des non membres ne soient pas lésés ;

- l'amélioration du processus législatif européen : s elon l'audit, l'amélioration du processus législatif européen afin de rendre le marché plus efficace, passe par un processus plus rapide, plus transparent et plus démocratique, et un renforcement du rôle des parlements nationaux.

A défaut de convaincre une majorité d'États membres de la nécessité de réformer l'Union, le Royaume-Uni annonçait qu'il s'accommoderait de dispositions particulières qui lui seraient propres et qui finiraient par dessiner les contours d'un statut spécial. Ce statut ferait suite à l'ensemble des opt-outs déjà exercés par le Royaume-Uni. Depuis le gouvernement britannique a légèrement fait évoluer ses demandes de réforme, comme on le verra plus bas.

Mais le scepticisme britannique à l'égard de l'Europe reste le même dès qu'on en fait un projet politique, car pour les Britanniques, l'Europe ne doit pas être un projet politique, et encore moins un projet géopolitique. Lorsqu'ils entrent dans l'Europe communautaire, ils ne souhaitent pas changer leur identité ni leur place dans le monde.

Aujourd'hui, le sujet de la réforme de l'Union européennes ou du moins de la modification de la relation existant entre le Royaume-Uni avec l'Union est plus que jamais d'actualité. En effet, le Premier ministre a enfin adressé au président du Conseil, M. Donald Tusk, le 9 novembre 2015 une lettre faisant état des réformes que le Royaume-Uni appelait de ses voeux et voulait voir se réaliser avant de confirmer son appartenance à l'Union.

LE DOUBLE CONSTAT BRITANNIQUE ET LE SOUHAIT D'OPTER POUR « LA FLEXIBILITÉ D'UN RÉSEAU CONTRE LA RIGIDITÉ D'UN BLOC »

Pour comprendre la position britannique, il faut savoir que le Premier ministre est parti d'une double constatation.

Premièrement, l'Union a besoin d'une réforme drastique afin de relever le défi de la mondialisation. Cela signifie que l'Europe doit retrouver sa compétitivité sans laquelle il sera impossible de maintenir l'État providence dont certains excès l'ont déjà placée en position de désavantage par rapport au reste du monde.

Deuxièmement, l'Union européenne a besoin de retrouver une légitimité, car elle a perdu le contact avec ses administrés et l'adhésion au projet européen s'est trouvée affaiblie. En outre, selon l'analyse britannique, l'action des instances européennes échappe à un vrai contrôle diplomatique et les parlements nationaux, seule source de souveraineté, se trouvent dépourvus de leurs prérogatives.

Dans ces conditions, le gouvernement britannique estime que quarante ans après le référendum de 1975, il est parfaitement légitime de rendre la parole aux électeurs et de procéder à une nouvelle consultation référendaire pour refonder le lien du Royaume-Uni avec l'Union sur des bases plus démocratiques, plus saines et plus efficaces.

Ce constat britannique, qui provient également de l'évolution même de l'Union depuis la création de l'euro, dénonce la tournure fédéraliste prise par l'évolution de la construction européenne. Ainsi, le gouvernement britannique souhaite redéfinir les termes de son appartenance à l'Union, car poursuivant l'objectif d'une construction fédérale, l'Union européenne interviendrait dans un trop grand nombre de domaines et le principe de subsidiarité serait mis à mal, alors que les Britanniques demandent à l'Union européenne de se contenter d'organiser le grand marché unique dans l'intérêt de tous les États membres.

L'Union européenne a cessé d'être légitime aux yeux d'une partie importante de l'opinion britannique qui souhaite que les États membres retrouvent l'essentiel de leur souveraineté et que l'action de Bruxelles fasse l'objet d'un contrôle plus approfondi et plus efficace.

Pour Londres, la création de la monnaie unique est l'illustration de cette volonté de Bruxelles d'aller à marches forcées vers le fédéralisme malgré l'absence d'une véritable union économique préalable. Or, la crise que traverse la monnaie unique - avec pour corollaire le nécessaire renforcement de la zone euro qu'elle suppose - crée de facto deux groupes distincts au sein de l'Union. Les Britanniques ont le sentiment que depuis 2008, l'Union européenne ne s'occupe que du sauvetage de la monnaie unique.

Enfin, l'impuissance de l'Europe face à la crise migratoire et la porosité des frontières de l'Union ajoutent à l'inquiétude à un moment où les flux migratoires sont déjà importants en Grande-Bretagne et favorisés, selon les Britanniques, par une application trop laxiste du principe de la libre circulation des personnes.

Fort de ce constat sévère, le Premier ministre se faisant l'avocat de la « flexibilité d'un réseau contre la rigidité d'un bloc » a proposé quatre grandes réformes de l'Union qu'il présente comme également bénéfiques pour tous les États membres. Ces réformes rendraient, selon lui, l'Union plus efficace et plus flexible.

COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?

Il s'agit d'un long processus qui a pris un tour plus urgent avec d'une part la situation politique en Grande-Bretagne et d'autre part les crises à répétition de l'Europe.

Cependant le Premier ministre ne s'est pas plié au Diktat de l'urgence et il a refusé de se lier les mains en matière de calendrier : il n'a annoncé qu'une date butoir (fin 2017) pour organiser le referendum. Au même moment, les partisans d'une sortie de l'Union européenne en ont profité pour gagner une longueur d'avance en s'organisant et en tentant de lancer la campagne sans attendre les négociations avec Bruxelles.

C'est ainsi que Lord Lawson - ancien ministre des finances conservateur que nous avons rencontré - est devenu président des « Conservatives for Britain » et qu'il a fait état de son scepticisme sur les résultats qu'on pouvait attendre des négociations avec Bruxelles, les jugeant d'avance « insignifiants ».

Lord Blackwell, Président de la Lloyds Bank et membre du Parlement, s'est prononcé solennellement sur l'absence d'arguments économiques valables pour rester dans l'Union si la Grande-Bretagne ne parvenait pas à la réformer. Sa voix porte d'autant plus qu'il est un des rares représentant du secteur économique à soutenir ouvertement cette position. Le lobby « Business for Britain » milite depuis longtemps pour une sortie ordonnée si les exigences qu'il pose ne sont pas satisfaites. Or il sait que ses exigences étant maximalistes et conduisant à la renationalisation de la PAC et de la politique des fonds structurels, elles n'ont aucune chance d'être acceptées par l'Union.

Du côté pro-européen, Lord Rose, ancien patron de Marks and Spencer, a lancé le mouvement « Great Britain stronger in Europe », s'adressant habilement aux consommateurs.

De son côté, David Cameron est longtemps resté très vague sur le libellé exacte de ses demandes de réforme parce qu'il ne souhaitait pas les préciser avant 2016, afin de ne donner cours ni à des espérances excessives qui seraient frustrées lors des négociations ni à des attaques par les eurosceptiques sur l'éventuelle modération de ses exigences. Il s'est maintenant découvert à ses risques et périls.

Sur la scène politique, David Cameron sait qu'il n'a rien à attendre de Nigel Farage et de son parti UKIP qui est violemment anti-européen et qui exige la sortie immédiate de l'Union européenne depuis plusieurs années. Il ne peut plus s'appuyer sur le parti des Libéraux-Démocrates traditionnellement pro-européen, car celui-ci est sorti de la coalition gouvernementale depuis sa cuisante défaite aux dernières élections et ne représente plus grand chose dans l'opinion. Enfin l'élection de l'eurosceptique Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste complique le paysage politique général dans la mesure où son positionnement personnel est ambigu sur cette question et présente un risque supplémentaire pour le referendum.

Jeremy Corbyn est connu pour son hostilité à l'Union européenne qu'il juge trop libérale et connu aussi pour son hostilité aux politiques d'austérité et d'équilibre budgétaire prônées par Bruxelles. Ses positions ne sont guère éloignées de l'extrême gauche. Après son élection à la tête du Parti, il a laissé entendre qu'il attendrait le résultat des négociations avant de se prononcer ; puis il s'est ravisé sous la pression du Labour et il a assuré très mollement à son entourage qu'il défendrait a priori le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. On redoute qu'il garde en fait toutes les options ouvertes et qu'il puisse opter pour celle qui gênerait le plus l'actuel Premier ministre. Aujourd'hui 80% des députés travaillistes restent favorables au maintien dans l'Union, mais il y a une frange qui milite ardemment pour la sortie.

Avec Jeremy Corbyn, le Parti travailliste ayant déplacé son centre de gravité, il pourrait ne plus soutenir le maintien inconditionnel du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Les adhérents ne sont d'ailleurs pas majoritairement favorables au maintien dans l'Union. On parle de confier la campagne pro-Union européenne à Alan Johnson et non à Jeremy Corbyn.

Sous la houlette d'Alan Johnson, les Travaillistes surmonteraient peut-être leurs réticences face à cette Europe dite « libérale », soutenue par David Cameron. En effet, David Cameron demande à l'Union européenne une accélération des négociations du TTIP, une plus grande compétitivité, une plus grande ouverture à la mondialisation, autant de sujets jugés désormais très négativement par le Parti travailliste qui aurait beau jeu de mettre en exergue que l'Europe libérale - défendue par les Conservateurs - est celle qui sert au mieux les intérêts des milieux économiques et de la City .

Or chacun sait que le patronat (CBI, mais peut-être moins The Institute of Directors ou EEF) et la City sont dans les starting blocks pour lancer la campagne favorable au maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne et qu'à plusieurs reprises déjà, le Premier ministre avait freiné leurs ardeurs pour que le camp du maintien dans l'Union européenne n'apparaisse pas essentiellement comme le camp des milieux économiques. Aujourd'hui ils ont enfin le feu vert pour lancer la campagne et ils l'ont commencée, sans grand éclat cependant.

Si Jeremy Corbyn prenait position contre le résultat obtenu à Bruxelles par David Cameron - hypothèse improbable, nous a-t-on dit -, ou s'il devait même simplement laisser à chaque membre du Parti sa liberté de conscience ou faire une campagne peu active - hypothèse très probable, selon nos interlocuteurs -, les chances d'une issue positive au referendum s'en trouveraient réduites et peut-être même annihilées. Il faut rappeler aussi que les syndicats qui épaulent le Labour sont majoritairement hostiles à l'Union européenne qu'ils assimilent tout à la fois à la politique d'austérité et au laxisme migratoire pesant sur la progression des salaires.

Face à ses adversaires, le Premier ministre est, jusqu'à présent, resté ferme en assurant qu'il se battrait pour obtenir le meilleur résultat possible à Bruxelles. Il critique à haute voix ceux qui soutiennent le « Brexit » dans l'absolu, avant même l'aboutissement des négociations.

Quant à ces exigences de réforme, telles qu'elles sont désormais connues dans leurs grandes lignes, elles apparaissent pour les eurosceptiques très modestes et pour Bruxelles très floues.

Une question essentielle finira par se poser à David Cameron si la tension devient trop vive par la faute des eurosceptiques conservateurs ou par celle de Bruxelles : faut-il plutôt gagner le referendum ou sauver l'unité du Parti ? Le Premier ministre s'est placé lui-même sur une dangereuse ligne de crête et toute sa légendaire habilité ne suffira pas si ses partenaires conservateurs et ses partenaires européens joignent leurs efforts pour le pousser vers cet ultimatum. Aujourd'hui, il conserve la certitude qu'il obtiendra de bons résultats à Bruxelles lors du prochain conseil (les 18 et 19 février) et qu'il saura les exploiter.

On ne doute pas que David Cameron fera une excellente campagne pour le maintien, s'il a reçu le soutien espéré à Bruxelles ni qu'aujourd'hui, il n'ait opté en son for intérieur - malgré ses propres préventions à l'égard de la construction européenne - pour le maintien de son pays dans l'Union. Mais le camp de la sortie (Vote Leave) qui fédère tous ceux de tous les partis et de toutes les institutions qui veulent une sortie définitive de l'Union est prêt pour une bataille mémorable et ne cherche plus que la personnalité qui prendra la tête de cette grande coalition pour le moins hétéroclite. Si ce chef devait être aussi habile que David Cameron, l'issue du référendum serait douteuse. On parle de certaines grandes figures conservatrices qui n'ont pas encore dévoilé leur jeu, comme par exemple Boris Johnson, maire de Londres.

Si au contraire David Cameron domine la scène, il peut compter sur un capital de sympathie et de confiance élevé qui place les chances d'un succès du referendum au plus haut (55/45) à condition naturellement, selon nos interlocuteurs qui tous s'entendent sur ce point, que le referendum ne coïncide pas avec une nouvelle crise européenne (nos interlocuteurs ont fait allusion à un nouvel afflux d'immigrants sur le continent, une nouvelle crise grecque, une intensification des combats dans les zones en guerre ou une attaque terroriste).

Le Premier ministre n'a pas perdu de temps puisqu'il a fait le tour des capitales européennes et qu'il a rencontré Donald Tusk. Au sein de la Commission, le terrain est prêt et une « task force » dédiée aux demandes britanniques et confiée à un eurocrate britannique expérimenté et très europhile (Jonathan Faull) a été mise en place.

Onze personnes seulement se réunissent à Bruxelles pour trouver une solution juridique habile. Il s'agit de :

- du côté britannique :

M. Yvan Rogers, représentant permanent auprès de l'Union européenne ;

M. Tom Scholar, conseiller spécial de David Cameron,

M. Ed Llewellyn, chef de cabinet de David Cameron,

M. Daniel Korski, conseiller de David Cameron et envoyé spécial auprès des capitales européennes,

M. Mats Perrsons, conseiller de David Cameron, chargé des députés européens.

- du côté de l'Union :

M. Donald Tusk, président du Conseil,

M. Jonathan Faull, chef de la Task Force chargé des négociations,

M. Martin Selmayr, chef de cabinet de Jean-Claude Juncker,

M. Hubert Legal, juriste de l'Union européenne,

M. Piotr Serafin, bras droit de Donald Tusk,

M. Jeppe Tranholm-Mikkelson, secrétaire général du Conseil.

Le résultat de leurs débats n'a pas filtré à ce jour et nous ne pouvons donc procéder que par déduction ou en nous appuyant sur les fuites savamment distillées par la Commission : « Ce sera dur, mais une solution est possible » ; « Le Brexit n'aura pas lieu : nous y travaillons » ; « Un compromis sera trouvé » ; « Nous cherchons à adapter le compromis de Ioannina ».

À Bruxelles, dans les bureaux, on est sceptique sur les grandes lignes annoncées par Londres et on laisse entendre que certaines exigences sont pour ainsi dire déjà satisfaites ou en voie de l'être, et que d'autres sont impossibles à satisfaire. Une seule réforme semble retenir leur attention : la nécessité de garantir au mieux la non-discrimination des États non membres de la zone euro. Sur cette question, on avance un parallèle possible avec le système conçu pour l'Union bancaire. On peut en conclure que les services de la Commission ne sont guère impressionnés et encore moins inquiets des projets de réforme préconisés par Londres. On peut comprendre aussi qu'il apparaît d'assez mauvais augure que le camp eurosceptique et la Commission puissent - avant les négociations - affirmer ou sous-entendre que Cameron n'obtiendra rien de substantiel.

Pour résumer et clarifier l'état des lieux, on ne prend pas de grands risques à dire qu'un compromis est en cours d'élaboration, mais que le référendum britannique, qui peut être gagné au profit d'un maintien dans l'Union européenne, pourrait cependant mal tourner en fonction de la conjoncture européenne au moment du vote.

LES PROPOSITIONS DE RÉFORME AVANCÉES PAR LE ROYAUME-UNI CONDUISENT À UN STATUT PARTICULIER

DES DEMANDES D'ABORD OFFICIEUSES QUI DESSINAIENT LES CONTOURS D'UN STATUT PARTICULIER

On rappellera que Londres avait fait état de quatre demandes officieuses à Bruxelles :

- l'exigence d'une déclaration implicite de l'Union européenne stipulant que le Royaume-Uni serait tenu à l'écart de tout projet d'État fédéral européen (variante sur la suppression de l'expression « une union toujours plus étroite » ) ;

- l'exigence d'une déclaration stipulant que l'euro n'est pas la devise officielle de l'Union européenne (rappel que le Royaume-Uni ne se sent pas concerné par une quelconque obligation de rejoindre la monnaie unique puisqu'il a négocié un opt-out , ce qui pourrait valoir pour d'autres États qui sont sous le coup de cette obligation, mais n'en veulent pas pour l'instant, comme la Pologne) ;

- la mise en place d'un système de « carton rouge » permettant aux Parlements nationaux de s'unir contre certaines directives et les bloquer (un vrai droit de veto) ;

- la création d'un mécanisme qui permettrait aux États non membres de la zone euro de ne pas subir sa domination.

On remarque que, dans ces demandes officieuses, ne figurait pas l'idée d'amodier le principe de libre circulation des personnes afin de créer un délai de quatre ans avant que les immigrés européens puissent bénéficier de prestations sociales. Cette demande est réapparue dans la lettre officielle adressée au Président du Conseil. Cela viendrait du fait que le Royaume-Uni avait caressé un moment l'idée d'établir des quotas de ressortissants européens autorisés à s'installer sur son territoire. Cette demande se serait heurtée à un refus catégorique de l'Allemagne.

Si l'on en reste à la surface des choses, il semble que la démarche britannique tant qu'elle était officieuse, rencontrait peu d'écho, mais on sait que David Cameron pouvait compter sur le soutien de Donald Tusk et d'Angela Merkel et sur la neutralité bienveillante de Jean-Claude Juncker. Quant au gouvernement français, on présumait à Bruxelles qu'il suivrait le mouvement.

Selon les informations recueillies, les Allemands seraient en ligne sur l'ensemble des demandes britanniques, sauf sur le « carton rouge » et sur une atteinte trop drastique au principe de libre circulation des personnes. Sur la question du mécanisme destiné à protéger les États non membres de la zone euro, l'Allemagne doute de la sincérité de Londres et considère pour l'instant que Londres cherche à se faire octroyer un droit de veto sur les décisions de la zone euro qui pourraient nuire à la City.

Il convient de souligner que longtemps il était bien clair à Bruxelles que rien de ce que Bruxelles était prêt à accorder au Royaume-Uni ne changerait fondamentalement le fonctionnement de l'Union, même si ces concessions prenaient la forme de décisions du Conseil, de projets de directive ou de promesses de modification des traités. Ainsi, vu de Bruxelles, l'enjeu n'était pas si grand. La position s'est légèrement infléchie quand les sondages ont commencé à s'inverser et à donner le referendum perdu pour l'Union. La perspective d'une sortie de l'Union « par accident », selon la formule d'un journaliste, est devenue soudain plus tangible.

SORTIR DE L'UNION PAR ACCIDENT ?

Il n'est pas impossible effectivement que le Royaume-Uni sorte de l'Union un peu par accident. Objectivement, les Britanniques reconnaissent que leur pays se porte mieux aujourd'hui qu'en 1973 quand ils sont entrés dans l'Union, et ils ont le fair-play de concéder qu'une partie de ce progrès peut être imputée à leur appartenance à l'Union européenne. Il leur semble que leur sens de la mesure leur a fait éviter de graves erreurs comme l'adhésion à Schengen ou l'entrée dans la monnaie unique. Mais à l'heure présente, il leur semble surtout que les deux camps qui s'affrontent au Royaume-Uni sur la question européenne attendent beaucoup trop du referendum. L'émotion partisane retombera et ce referendum ne sera sans doute pour le Royaume-Uni ni historique ni essentiel car, quelle que soit l'issue, il ne résoudra sans doute rien de manière définitive.

En effet, rien ne saurait être définitif dans la relation que le Royaume-Uni devra continuer à entretenir avec le continent en général et avec l'Union européenne en particulier. On assistera même à un retournement dans les deux camps : ceux qui soutenaient le maintien dans l'Union ne seront pas si embarrassés par un vote négatif qui au contraire les confortera dans la négociation de la redéfinition des liens entre le Royaume-Uni et l'Union européenne et ceux qui préconisaient la sortie, s'ils ne l'obtiennent pas, ne désespéreront pas d'une renégociation de ces liens qui aura lieu malgré tout.

En effet, si l'issue du referendum est favorable à la sortie, cette sortie ne sera jamais une sortie complète. Un arrangement suivra qui conduira à institutionnaliser autrement les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne sur le mode suisse ou norvégien. Le Royaume-Uni acceptera ce qu'il faut accepter de contraintes pour garder l'accès au marché unique.

Si le referendum aboutit au maintien dans l'Union, le Royaume-Uni continuera à négocier sa place au sein de l'Union, une place singulière comme ils la conçoivent depuis toujours et tendant à un statut de plus en plus particulier.

Ainsi, quelle que soit l'issue du referendum, les choses changeront assez peu pour la Grande-Bretagne. Ceux qui cherchent, aujourd'hui, à faire du referendum une question existentielle pour la Grande-Bretagne s'abusent ou veulent abuser l'opinion. Le moment venu - et si les négociations trainent en longueur à Bruxelles ou si elles sont peu fructueuses parce que Bruxelles s'entête à refuser aux Britanniques ce qu'il faut bien se résoudre à appeler un statut singulier - les deux camps reprendront leurs esprits, l'enjeu du referendum semblera moins capital et son résultat, devenu plus incertain, sera aussi devenu moins important pour les Britanniques, tant ils sont convaincus que la Grande-Bretagne, dans ou hors de l'Union, restera toujours la Grande-Bretagne.

Il semble que cette certitude fondamentale échappe encore à Bruxelles qui ne prend en compte que le risque inhérent à tout referendum : le Royaume-Uni peut sortir de l'Union par accident, faute d'une conviction suffisante et sous l'effet d'un évènement adventice, et porter, sans l'avoir voulu, un coup fatal au projet européen. Aussi la prudence est-elle de nouveau de mise et l'inquiétude persiste.

QUATRE DEMANDES OFFICIELLES QUI HEURTENT LES PRINCIPES FONDATEURS DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

Pour parler brutalement, on peut dire que les quatre demandes officielles du Royaume-Uni trouvent leur fondement dans le refus du fédéralisme, la situation intérieure du pays en matière d'immigration et dans cette grande particularité qui consiste à avoir sur son territoire la capitale financière de l'UE et l'essentiel des transactions liées à l'euro sans avoir adopté la monnaie unique.

LA NON-DISCRIMINATION ENTRE LES MEMBRES DE LA ZONE EURO ET LES NON MEMBRES

La zone euro doit disposer des instruments de son intégration. Le Royaume-Uni le comprend, mais il exige que les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté l'euro ne soient pas menacés par le renforcement inéluctable de la zone euro, ce qui ne manquerait pas de se produire si les règles européennes étaient élaborées seulement par et pour le bloc de la zone euro qui est majoritaire.

Il en découle que le Royaume-Uni souhaite qu'il soit précisé que l'euro n'est pas la seule devise de l'Union européenne. La participation des États membres n'ayant pas adopté l'euro à toute action monétaire ou bancaire doit rester facultative. Enfin, le budget de l'Union ne doit jamais servir à la politique monétaire sans qu'il y ait compensation pour les pays hors de l'euro.

Le Royaume-Uni voudrait adapter le mécanisme dit du « Compromis de Ioannina » aux questions touchant la zone euro. « Ioannina » est une procédure qui permet au Président du Conseil de reporter le vote et d'accorder un délai supplémentaire de réflexion pour entendre le point de vue d'un État membre non favorable à la mesure discutée et favoriser la recherche d'un compromis. La mise en oeuvre et la durée de ce délai sont laissées à la discrétion du Président.

Sur cette demande, nous émettons les plus grandes réserves dans la mesure où prendre acte du fait que plusieurs monnaies circulent au sein de l'Union et le déclarer officiellement est une façon de s'opposer au projet européen vers lequel tendent les traités puisque l'euro a vocation à devenir la monnaie de tous les États membres. En outre, la mise en oeuvre d'un compromis pour protéger les intérêts de la minorité non membre ne doit en aucun cas entraver la plus forte intégration de la zone euro, intégration absolument nécessaire au succès d'une monnaie unique.

L'ACHÈVEMENT DU MARCHÉ UNIQUE ET UNE PLUS GRANDE COMPÉTITIVITÉ

Le Royaume-Uni souhaite un marché unique des capitaux, un marché unique du numérique et un allègement des charges sur les entreprises afin d'assurer la compétitivité et le retour à la croissance. Sur ce chapitre, nous pouvons leur donner acte et la grande majorité des États membres sont prêts à leur emboîter le pas.

En effet, la demande britannique sera aisément acceptée en combinant le programme d'approfondissement du marché unique pour les capitaux, le numérique, l'énergie et les services, avec le projet d'intégration renforcée de la zone euro. Ce compromis prendrait acte de l'existant en l'améliorant : un vaste marché intérieur approfondi au sein duquel on trouverait un sous-ensemble constitué d'une zone économique et monétaire enfin réalisée.

LA DÉFENSE DE LA SOUVERAINETÉ, LA RÉAFFIRMATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ ET LE RENFORCEMENT DU RÔLE DES PARLEMENTS NATIONAUX

Le Royaume-Uni propose de mettre un terme à la désaffection qui entoure l'Union européenne et son projet en rétablissant la souveraineté des États membres et en renonçant à une « union toujours plus étroite » qui conduirait au fédéralisme dont certains États ne veulent pas. Ce principe étant un des principes fondateurs du projet européen, il semble inenvisageable que l'on puisse y renoncer, mais en l'état, ce principe ne se traduit pas en obligations juridiques.

Il faut rappeler toutefois qu'en vertu des traités, et plus particulièrement de l'article 5 du Traité sur l'Union européenne, le principe d'attribution régit la délimitation des compétences de l'Union et que les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l'exercice de ces compétences et qu'il n'est pas possible de déroger à ces règles clairement exposées dans le traité.

Le projet britannique consiste à refonder la légitimité de l'action européenne en renforçant le rôle des parlements nationaux. Il préconise de permettre à une majorité qualifiée de parlements nationaux de repousser les projets législatifs émanant du Conseil ou de la Commission quand ces projets n'ont pas l'appui des parlementaires nationaux. Il s'agirait d'un véritable « carton rouge » pour lequel aucune majorité qualifiée n'a été étudiée pour l'instant.

Sur ce point, force est de constater que les traités précisent que l'action des parlements nationaux est assurée au moyen du contrôle dit de subsidiarité et qu'ils n'ont pas entendu les faire participer davantage à l'élaboration de la législation européenne. En tout état de cause, si l'idée d'un veto semble exclue, il conviendrait sans doute de veiller à une meilleure association des Parlements nationaux au processus de décision européen, notamment sous la forme d'un véritable droit d'initiative appelé « carton vert ».

Quant au principe de subsidiarité, le Royaume-Uni souhaite qu'il soit appliqué strictement et que reste au niveau national tout ce qu'il est possible de faire à ce niveau. Par voie de conséquence, il s'agit de réserver au niveau européen ce qu'il faut y transférer sous le coup de la nécessité. Pour Londres, un renversement copernicien s'impose puisqu'aujourd'hui, on commence par le projet d'intervention émanant de Bruxelles et on examine superficiellement s'il respecte le principe de subsidiarité. Dans la logique britannique, on ne transmet à Bruxelles que ce que les États acceptent de transmettre parce qu'ils jugent ne pas pouvoir faire mieux eux-mêmes.

Sur ce point, il semble que les parlements nationaux peuvent parfaitement agir et veiller au respect d'un bon équilibre entre le niveau national et le niveau européen, en particulier en utilisant pleinement les outils que leur confèrent les traités.

LES AMÉNAGEMENTS DU PRINCIPE DE LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES

Bien que favorable au principe de la libre circulation des personnes au sein de l'Union dans une économie ouverte, le Royaume-Uni considère que les pressions que le flux migratoire fait peser sur l'État britannique depuis 2004 sont devenues intolérables. Il conviendrait dans ces conditions de limiter l'entrée de nouveaux candidats, le solde net migratoire annuel au Royaume-Uni étant déjà de 336 000 personnes au 25 novembre 2015 (avec une moyenne annuelle depuis 2004 de 240 000 personnes).

Le Premier ministre demande un aménagement du principe de libre circulation des personnes et suggère la mesure suivante : un délai de quatre ans serait nécessaire avant que les travailleurs étrangers puissent bénéficier des allocations liées à l'emploi, à savoir le complément de salaire (impôt négatif), l'aide personnalisée au logement et les allocations familiales.

Sur ce point très délicat, même si nous comprenons que la situation est très tendue dans les services publics britanniques et que les capacités d'accueil sont arrivées à saturation, nous jugeons de notre devoir de réaffirmer avec solennité les principes de la libre circulation des personnes et de l'égalité de traitement des travailleurs. Toutefois, il est sans doute possible d'apporter, pour lutter contre les abus ou les fraudes et en cas de circonstances exceptionnelles, des réponses adéquates dans le cadre du droit dérivé.

On nous a dit à Bruxelles qu'on avait noté une légère inflexion de la position allemande sur cette question des prestations sociales depuis l'arrêt de la Cour de Justice européenne du 11 novembre 2014.

La Cour de Justice de l'Union a validé la décision d'un centre social allemand de ne pas verser des prestations à des migrants communautaires sans travail.

En effet, la Cour de Justice de l'Union 1 ( * ) , en réponse aux questions du Tribunal social de Leipzig, juge que pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales les ressortissants d'autres États membres ne peuvent réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre d'accueil que si leur séjour respecte les conditions de la Directive « Citoyen de l'Union » (2004/38/CE du 29 avril 2004). Cette directive conditionne le droit de séjour au fait que les personnes économiquement inactives doivent disposer de ressources propres suffisantes. La directive cherche à empêcher que les citoyens de l'Union européenne sans emploi utilisent le régime de protection sociale de l'État d'accueil pour financer leurs moyens d'existence.

CONCLUSION

Pour la première fois, un sondage de septembre dernier a donné l'avantage aux partisans d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (à 51 % contre 49 %), mais 22 % des sondés déclaraient qu'ils pourraient changer d'avis en faveur de la sortie si la crise des migrants venait à s'aggraver. L'optimisme n'est donc plus de mise sur l'issue positive du referendum en ce moment même. Il faut donc espérer que la négociation à Bruxelles se déroule « favorablement », ce qui semble très difficile compte tenu de la nécessité de sauvegarder les principes fondateurs de la construction européenne.

Ce contexte général n'est plus de bon augure pour la campagne référendaire, mais ce serait conclure de manière trop hâtive que de croire que le Premier ministre navigue à vue. Sa carte maîtresse reste le choix de la date du referendum, laquelle dépend cependant de la négociation avec Bruxelles. La campagne doit durer au minimum quatre mois et surtout de l'avis de tous les observateurs, le plus tôt elle aura lieu, mieux ce sera.

Il convient de rappeler, quoi qu'on puisse penser des demandes britanniques, qu'elles puisent leur légitimité dans la conviction très ancrée dans l'esprit britannique que la seule source de souveraineté vient du Parlement. Aujourd'hui, la grande majorité des Britanniques considèrent que les traités ont entraîné un trop grand transfert de souveraineté au profit de l'Union. Cette prise de conscience est sans doute tardive, mais elle explique en grande partie la situation actuelle.

L'autre point qu'il convient de garder en mémoire est que les demandes britanniques conduisent à un statut particulier, que le Royaume-Uni est seul à réclamer officiellement aujourd'hui, mais que d'autres pays pourraient bien être intéressés par ce statut.

Enfin, les questions soulevées par le Royaume-Uni ont le mérite d'ouvrir le débat sur des difficultés auxquelles nous sommes déjà confrontés et auxquelles il nous faudra apporter une solution dans un avenir proche, comme par exemple le contrôle de l'action de la Commission ou le décalage existant entre l'Union européenne et l'opinion.

Toutefois, si elles doivent être examinées dans le cadre d'un dialogue franc et ouvert, les demandes britanniques, telles qu'elles sont présentées aujourd'hui, ne devront pas conduire à remettre en cause les principes fondateurs de la construction européenne. C'est le sens de notre proposition de résolution européenne.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 28 janvier 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Fabienne Keller, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Le Conseil européen des 18 et 19 février dégagera les contours de la réponse que les Vingt-huit feront à M. Cameron. Nous aurons au Sénat un débat préalable à ce Conseil le mercredi 17 février à 17 h 30. En attendant, le Sénat devait exprimer sa position. Ces 48 heures à Londres m'ont aidé à me forger un avis, même si les Anglais ne sont pas toujours faciles à comprendre : un peuple jamais conquis, dans un pays jamais envahi...

M. Daniel Raoul . - Et les Romains ?

M. Jean-Yves Leconte . - Les Normands ?

M. Alain Richard . - Les Danois !

M. Jean Bizet , président . - Tout cela est très ancien ! Aujourd'hui, c'est un pays prospère, dont l'économie progresse.

M. Simon Sutour . - Nul ne sait ce qui va se passer : la voie est étroite. Les demandes de Londres ne peuvent être satisfaites par la Commission sans renier certains principes, ce qui ferait éclater l'Union, car d'autres pays ne manqueraient pas de suivre. Même un accord bien habillé peut ne satisfaire personne. L'euroscepticisme traverse tout le spectre politique, y compris le parti de M. Cameron. L' Establishment , que vous avez rencontré, souhaite rester dans l'Union européenne, car il est réaliste. Quant au peuple...

Le rapport est une chose, la proposition de résolution européenne (PPRE) en est une autre. Le premier est, à nos yeux, trop peu nuancé. Avez-vous rencontré, par exemple, M. Corbyn, dont vous dites en page 11 qu'il est « connu pour son hostilité à l'Union européenne qu'il juge trop libérale » ?

Mme Fabienne Keller . - Nous avons rencontré aussi bien des travaillistes favorables que des travaillistes hostiles au Brexit.

M. Simon Sutour . - Idem pour les conservateurs ?

Mme Fabienne Keller . - Oui, mais cette fois, contrairement à ce que nous avons fait lors de notre précédent déplacement, nous nous sommes concentrés sur ceux qui étaient favorables la sortie de l'Union, pour comprendre leurs arguments.

M. Simon Sutour . - En tous cas, M. Corbyn n'est pas hostile à l'Union européenne. Dire cela, ou écrire que « ses positions ne sont guère éloignées de l'extrême-gauche » , manque de mesure.

La proposition de résolution européenne, elle, nous convient, et nous la voterons. Je l'ai lue dans le détail : elle rejoint la position du Gouvernement français.

M. Éric Bocquet . - Merci pour ce point sur la situation. Si M. Corbyn est d'extrême-gauche, où suis-je ? Il est venu à Calais il y a quelques jours, ce qu'il n'aurait certes pas fait s'il était hostile à l'Union européenne.

Le renforcement du rôle des parlements me convient, tout comme l'égalité de traitement des salariés occupant le même emploi.

Le Royaume-Uni ne doit pas plus sortir de l'Union européenne que la France ne doit en sortir, ou sortir de la zone euro. Peut-on parler de cohésion dans l'Union européenne ? Sur le plan financier, sur le plan économique, dans la crise des migrants, la cohésion est remise en cause.

Le point n° 21 doit évoquer la nécessité de renforcer les outils de régulation et la transparence, vu le poids de la City. Le n° 22 appelle à « une Europe plus compétitive ». Oui, vive l'efficacité économique ! Mais il faut compléter les mots « une Europe plus compétitive » par les mots « dans le respect des règles d'une concurrence loyale et en se fixant l'objectif, à terme, de mettre fin à toute forme de dumping social » .

M. Yves Pozzo di Borgo . - L'Europe fait face à de gros défis. J'ai appris hier qu'à Davos, M. Biden a conseillé à M. Porochenko de ne pas faire voter par le Parlement les réformes prévues par les accords de Minsk, mais de les faire adopter par référendum, ce qui n'accélèrera pas la résolution de la crise. Le Brexit déstabiliserait l'Europe : prenons sa perspective comme une crise susceptible de faire avancer les choses. Merci à Mme Keller pour son rapport franc et direct, qui suscite le débat.

Le point n° 22, par exemple, est très bienvenu, car en France, en matière de chômage, les gouvernements de tous bords préfèrent s'attaquer aux symptômes plutôt qu'aux causes. Or il faudrait faire les réformes demandées par l'Europe, comme le rappelle ce point n° 22. L'absence de réforme pénalise tout le monde. Soyons révolutionnaires dans les réformes libérales ! Cela dit, je suis d'accord avec la suggestion de M. Bocquet.

M. Jean-Yves Leconte . - Si l'on annonce que l'objectif de la négociation est que la Grande-Bretagne rentre dans l'Union européenne...

M. Daniel Raoul . - Lapsus révélateur !

M. Jean-Yves Leconte . - De fait, c'est un peu une seconde négociation. Dès lors que l'autre partie tiendra un référendum à l'issue de la négociation, cela nous place en position de faiblesse. Calais est l'exemple-type : à l'échelle de la crise migratoire européenne, c'est assez peu, et l'Allemagne et la Suède sont plus attractives que le Royaume-Uni. Nous ne pouvons pas accepter de tout faire pour que la Grande-Bretagne reste. Celle-ci doit évoluer, aussi. Or, M. Cameron fait la tournée des capitales pour mobiliser autour de ses positions. Le gros risque serait que cette négociation ne soit que la première d'une vague à venir, car d'autres pays vont suivre ! Cela remettrait en cause le principe d'une Europe toujours plus approfondie, ce qui serait très gênant. On voit bien comment M. Cameron concentre ses efforts sur les pays d'Europe centrale non membres de la zone euro. Gare à l'effet d'entraînement de cette négociation !

M. Simon Sutour . - Aussi faut-il la réussir.

M. Richard Yung . - Pour moi, ce rapport est presque trop équilibré.

M. Simon Sutour . - On voit la solidarité de la commission des finances !

M. Richard Yung . - Notre attitude ne doit être ni bienveillante ni malveillante car nous, nous ne demandons rien. Dans les campagnes britanniques, il n'y a pas d'adhésion à l'Union européenne. L'Angleterre est une île de toutes parts entourée d'eau... Ils n'en veulent pas ! Comme en France, l' Establishment est coupé de l'opinion majoritaire. Sans doute, il serait préférable que le Royaume-Uni reste dans l'Union, mais son départ, en mettant au jour l'affrontement de deux conceptions fondamentales n'ouvrirait-il pas une crise salutaire ? Or je connais bien les négociateurs, je connais bien Bruxelles, et je crains qu'il ne sorte de tout cela un texte wishy washy, que nous ne saurons comment appréhender.

Nous ne voulons pas que le Royaume-Uni participe à la gouvernance de la zone euro : nous ne participons pas à celle de la City ! Sur l'union des marchés de capitaux, le commissaire Hill n'a rien proposé de mieux qu'un peu de titrisation et la révision des prospectus. Sur l'énergie, je n'ai pas souvenir qu'ils aient jamais partagé leur pétrole ou leur gaz avec nous. Bref, les Anglais ont une conception bien à eux du marché commun. M. Pozzo di Borgo nous exhorte à être révolutionnaires dans des réformes libérales : voilà ce que font les Anglais.

Oui, sur le rôle des parlements nationaux, nous pouvons mieux faire, mais je refuse de leur donner un droit de veto sur les décisions européennes. Donc, attendons et affirmons notre projet.

M. André Gattolin . - En effet, nous devons nous interroger sur nos visions respectives de l'Europe. La France a longtemps espéré une défense européenne et a perdu dix ans à tenter de la construire avec les Britanniques. Résultat : impossible de définir un champ commun.

M. Yves Pozzo di Borgo . - Ce n'est pas vrai, comme le montre un rapport récent à la commission des affaires étrangères et de la défense.

M. André Gattolin . - Parlez avec les militaires ! Heureusement que nous passons des accords avec les Tchèques ou les Danois, qui sont avec nous sur le terrain.

Avez-vous vu Mme Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni ?

M. Jean Bizet , président . - Oui. Et nous l'auditionnerons le 3 février avec la commission des affaires étrangères.

M. André Gattolin . - Lui avez-vous demandé ce qu'elle a pensé de Newcastle et de Birmingham ? Elle m'a dit que c'était un autre monde... Dans votre analyse des forces politiques, vous indiquez que M. Johnson pourrait prendre la tête des eurosceptiques. Envoyé à Londres par le ministère des affaires étrangères pour préparer la COP21, je m'étais vu répondre qu'il était extrêmement climato-sceptique : deux jours plus tard, il annonçait qu'il viendrait à Paris... N'oublions pas que le Greater London compte aussi la City.

Au point n° 6 de la proposition de résolution, il faudrait remplacer le mot « après » par « depuis ». Le point n° 7, qui vise les menaces extérieures, me semble redondant avec le point n° 8. Le point n° 18 évoque le rôle des parlements nationaux. Nous avons voté la semaine passée une proposition de résolution sur ce sujet. Supprimons les mots « dans le respect des prérogatives déjà reconnues à la Commission et au Parlement européen par les traités » . Le point n° 20, qui évoque le droit dérivé, me gêne beaucoup : ne sur-interprétons pas le droit existant, les exceptions prévues aux accords de Schengen ne sauraient s'appliquer à la crise migratoire actuelle.

M. Claude Kern . - Sur le principe de libre circulation, je suis tout à fait d'accord avec Mme Keller : nous ne pouvons être favorables aux suggestions de M. Cameron. Au point n° 20, je serais plus affirmatif en remplaçant « peuvent » par « doivent ».

M. Simon Sutour . - Une proposition de résolution européenne n'a pas vocation à exprimer le point de vue de chacun. À mes yeux, ce texte est équilibré. Ne commençons pas à le détricoter.

M. Jean Bizet , président . - J'allais le dire. Déjà, la rédaction qui vous est soumise représente un point d'équilibre.

M. Daniel Raoul . - Ce rapport est personnel, et sa présentation l'était encore plus ! Il serait intéressant d'établir un tableau recensant les avantages et les risques du Brexit, et les différents aspects des deux conceptions de l'Europe en jeu ?

Au point n° 22, nous devrions compléter les mots « une Europe plus compétitive » par les mots « dans le cadre d'une harmonisation fiscale et sociale » : « compétitive » seul ne suffit pas.

M. Didier Marie . - Vous êtes assez optimiste sur l'issue du référendum. Je suis plus circonspect. Nous savons bien que les électeurs ne répondent pas toujours à la question posée. Or, la situation en Angleterre n'est pas si florissante. M. Cameron, quelles que soient ses qualités, est assez peu soutenu par la population. Le contexte politique n'est donc pas si favorable. Puis, on connaît l'attitude des insulaires britanniques à l'égard de l'Europe.

Plusieurs des demandes britanniques sont totalement inacceptables. Ils cherchent à imposer leur vision de la construction européenne, qui est celle d'un marché de libre-échange sans contraintes, sans approfondissement social et sans harmonisation fiscale, afin que leur monnaie, forte, et leur marché de capitaux, puissant, en tirent un maximum de bénéfices. Ce n'est pas notre conception. M. Cameron joue à l'apprenti-sorcier : il cherche à obtenir des gains pour son pays au sein de l'Union européenne en brandissant la perspective d'un Brexit, comptant sur le fait que sa population votera contre la sortie de l'Union, mais le risque d'un vote favorable à la sortie est bien réel.

La formulation du point n° 15 est très diplomatique. En fait, nous refusons qu'un État qui n'est pas membre de la zone euro ait un droit de regard sur le fonctionnement de la zone euro. Le point n° 18 est un peu trop ouvert : les parlements nationaux disposent déjà de tous les outils nécessaires.

M. Yves Pozzo di Borgo . - Non !

M. Didier Marie . - Le modèle européen que nous voulons ne se résume pas à la compétitivité et à la croissance, c'est aussi un modèle social : il faut le dire.

M. Pascal Allizard . - Beaucoup a déjà été dit. Oui, M. Cameron joue avec le feu : quoi qu'en pensent les technocrates bruxellois, l'issue du référendum est loin d'être certaine. De fait, il serait utile de disposer d'une analyse des risques du Brexit, en particulier pour la France. Il faut y regarder de près. La compétitivité, pourquoi pas ? Mais nous devons mentionner l'harmonisation fiscale et sociale.

M. Jean Bizet , président . - Tant qu'on ne connaît pas la teneur du non paper , il est difficile de savoir dans quel sens la négociation peut évoluer. Pour autant, il est important que le Sénat s'exprime d'ores et déjà pour envoyer un message clair à partir des demandes britanniques. Cela dit, nous ne souhaitons pas gêner le Gouvernement dans cette négociation ; or, nous avons du mal à connaître ses intentions...

Oui, M. Cameron joue avec le feu. Il voulait gagner les élections législatives. Avait-il besoin de se servir de l'Europe pour cela ? Le résultat permet d'en douter. Ce référendum est dangereux. Il devrait maintenir la Grande-Bretagne dans l'Union, mais comment réagira le maire de Londres ? Lord Boswell nous a dit qu'il s'agirait de la première consultation du peuple anglais sur la question depuis 1975. Cela pourra donc re-légitimer l'appartenance de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. Pour l'heure, le débat a lieu au sein de l'intelligentsia : le peuple ne se l'est pas encore approprié. Les présidents d'Université nous ont toutefois affirmé que la jeunesse tout entière était favorable au maintien de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne. Voilà qui fait plaisir !

Je rappelle que, conformément au règlement, cette proposition de résolution sera renvoyée à la commission des affaires étrangères et de la défense.

Mme Fabienne Keller . - La Grande-Bretagne est peut-être une île, elle est au coeur de nos discussions !

Nous n'avons pas choisi le cadre de ce débat, ouvert il y a trois ans lors du discours de Bloomberg, où M. Cameron a proposé aux eurosceptiques une renégociation avec Bruxelles, suivie d'un référendum
- qui pourra en effet re-légitimer la présence de la Grande-Bretagne à l'intérieur de l'Union européenne.

Le processus comporte donc deux phases : une négociation, puis un référendum sur les résultats de cette négociation. Un État-membre négocie avec tous les autres : cette démarche est suivie avec intérêt par beaucoup de pays européens, et son résultat ne serait sans doute guère différent aux Pays-Bas, en Hongrie...

M. Daniel Raoul . - Ou en France !

Mme Fabienne Keller . - Les mouvements populistes se développent dans ces pays et tiennent un discours antieuropéen.

Le rapport reflète moins mes avis personnels que ceux de nos interlocuteurs. Chez les travaillistes, nous avons rencontré en particulier Mme Patricia Glass, qui a récemment succédé à M. Pat McFadden comme shadow minister for Europe , ainsi que Mme Kate Hoey et M. Kelvin Hopkins, figures enthousiastes du Labour for Britain et donc favorables à la sortie. Cela nous a inquiétés, car le parti travailliste était traditionnellement favorable à la construction européenne.

En effet, cette proposition de résolution intervient dans un débat hautement diplomatique, qui demeure confidentiel. Son objectif est simplement de fixer notre position dans cette négociation, qui comporte quatre chapitres.

M. Simon Sutour . - Quelles modifications nous proposez-vous ?

Mme Fabienne Keller . - Le point n° 20 réaffirme les principes fondamentaux de la libre circulation et la nécessaire égalité de traitement des salariés occupant un même emploi. Les Britanniques n'ont pas de problème de travailleurs détachés. Pour les plus bas salaires, un complément de revenu est versé dès la première heure travaillée.

M. Jean Bizet , président . - Au point n° 6, nous pouvons remplacer le mot « après » par le mot « depuis ».

Mme Fabienne Keller . - Le point n° 7 sur les menaces extérieures est important. Il doit être maintenu. Les Britanniques ont été les premiers à réagir après le Bataclan : M. Cameron est venu.

M. Jean Bizet , président . - Au point n° 20, nous remplaçons le mot « peuvent » par le mot « doivent ». Au point n° 22, nous ajoutons les mots « dans le cadre d'une convergence fiscale et sociale » après les mots « plus compétitive ».

Mme Fabienne Keller . - Attention à ne pas ouvrir la porte à la mise en place d'un corpus législatif d'exceptions à la libre circulation. Si nous nous plaçons dans la négociation...

M. Yves Pozzo di Borgo . - Nous n'y sommes pas !

Mme Fabienne Keller . - Nous ne devons pas inciter les négociateurs à modifier le principe de libre circulation.

M. Jean Bizet , président . - Au point n° 21, nous ajoutons les mots « souligne l'importance d'outils de régulation et de transparence efficaces ». Nous ne voulons pas gêner le Gouvernement dans la négociation mais envoyer un message.

Mme Fabienne Keller . - Il s'agit d'une négociation intermédiaire. La vraie question se posera lorsque nous connaîtrons les enjeux du référendum. Nous présenterons alors les avantages et les inconvénients du Brexit.

M. Daniel Raoul . - Les derniers mots de la proposition de résolution sont : « au maintien du modèle économique et social de l'union. » Quel est ce modèle ?

Mme Fabienne Keller . - Nous citons le traité. Cette proposition de résolution conforte la position française en rappelant des principes qui figurent déjà dans les traités.

À l'issue de ce débat, la commission adopte, à l'unanimité, le texte de la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, ainsi qu'un avis politique qui en reprend les termes et qui sera transmis à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les conclusions du Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015

Vu le projet d'ordre du jour du Conseil européen du 18 et 19 février 2015,

Considérant que l'Union européenne traverse une période particulièrement difficile de son histoire du fait de défis majeurs, économiques et politiques ;

Considérant que, parmi ces défis, la crise économique qui frappe l'Europe depuis la crise financière de 2008 pèse sur sa croissance, sa compétitivité et sur l'emploi ;

Considérant que l'Union européenne, face aux menaces extérieures, doit replacer la sécurité en tête de ses priorités ;

Considérant que le terrorisme est une attaque frontale contre les libertés et les valeurs de l'Europe et impose un renforcement de la solidarité européenne dans les domaines de la défense et de la sécurité intérieure ;

Considérant que la crise migratoire contribue à déstabiliser les mécanismes mis en place pour assurer la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'espace européen et appelle une solidarité renforcée au sein de cet espace européen ;

Considérant que, dans ce contexte de crises multiformes, une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne serait de nature à porter atteinte à la cohésion européenne ;

Considérant que les régimes dérogatoires accordés à certains États membres ne sauraient devenir la règle commune au sein de l'Union européenne ;

- affirme son souhait que le Royaume-Uni reste membre de l'Union européenne ;

- prend acte des demandes de réforme du Royaume-Uni dictées par la recherche d'un cadre nouveau pour ses relations avec l'Union européenne ;

- considère cependant que d'éventuelles réformes, si elles étaient adoptées, ne pourraient être envisagées que dans le strict respect des principes fondateurs de l'Union, principes auxquels le Sénat souhaite rappeler son attachement ;

- souligne que la question des relations entre membres et non membres de la zone euro doit être abordée en veillant à garantir l'intégrité de la zone euro et de son autonomie de décision ;

- rappelle que, selon les traités, l'euro est la monnaie unique de l'Union et qu'il n'est pas possible de reconnaître de manière officielle dans un texte, fût-ce un simple protocole, que la coexistence actuelle de plusieurs monnaies dans l'Union puisse devenir la norme ;

- souhaite réaffirmer son attachement au principe d'une « union toujours plus étroite entre les peuples » qui constitue l'un des fondements du projet européen et, qui à ce titre, sous-tend l'ensemble des efforts déployés depuis 1957 pour construire une Europe unie et solidaire ; relève toutefois qu'en vertu des traités, le principe d'attribution régit la délimitation des compétences de l'Union et que les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l'exercice de ces compétences ;

- partage l'idée, selon des modalités qui restent à définir, de renforcer le rôle des parlements nationaux qui devront avoir une plus large part dans l'élaboration du droit européen, dans le respect des prérogatives déjà reconnues à la Commission et au Parlement européen par les traités ;

- souligne l'importance du principe de subsidiarité dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l'Union européenne ;

- réaffirme les principes fondamentaux de libre-circulation des personnes au sein de l'espace européen et d'égalité de traitement des salariés occupant un même emploi ; souligne cependant que, dans le cadre du droit dérivé, des mesures doivent être adoptées afin de lutter contre la fraude ou les abus et de faire face à des circonstances exceptionnelles ;

- soutient la proposition britannique d'approfondir le marché unique en poursuivant l'harmonisation des marchés de capitaux et la création d'un marché unique du numérique et de l'énergie ; souligne l'importance d'outils de régulation et de transparence efficaces ;

- appelle de ses voeux une Europe plus compétitive dans le respect d'une concurrence loyale et tout en assurant une convergence sociale et fiscale, afin de pouvoir dégager la croissance nécessaire au maintien du modèle économique et social de l'Union.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

À LONDRES

- M. Paul Dreschsler , Président de la Confederation of British Industry (CBI)

- M. Anand Menon , Professeur, King's College London

- M. Douglas Carswell , MP (UKIP)

- M. Kelvin Hopkins , MP (Travailliste - Labour for Britain )

- Mme Kate Hoey , MP (Travailliste - Labour for Britain )

- M. Steve Baker , MP (Conservateur - Conservatives for Britain )

- M. Owen Patterson , MP (Conservateur - Conservatives for Britain )

- M. Bernard Jenkin , MP (Conservateur - Conservatives for Britain )

- Mme Pat Glass , MP (Travailliste - Shadow minister des affaires européennes

- M. Matthew Eliott , Secrétaire général de la campagne « Vote Leave »

- M. Oliver Lewis , Conseiller de la campagne « Vote Leave »

- Mme Vivienne Stern , Directrice, UK Higher education international unit, « Universities for Europe »

- M. Denis Mac Shane , ancien ministre Travailliste, conseiller spécial du Parti Travailliste

- Lord Bowness (Conservateur - Chambre des Lords)

- Lord Lawson (Conservateur - Chambre des Lords)

- Lord Boswell , Président de la Commission des affaires européennes de la Chambre des Lords

- M. Mats Persson , conseiller Europe de David Cameron

À BRUXELLES

- Son Excellence M. Ivan Rogers , représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l'Union européenne

- M. Jonathan Faull , responsable de la Task Force de la Commission pour le Royaume-Uni

- Son Excellence M. Pieter de Gooijer , représentant permanent des Pays-Bas auprès de l'Union européenne

- M. Sean McGuire , représentant de la Confederation of British Industry

- M. Guntram Wolff , directeur général du Think Tank Breughel


* 1 Arrêt dans l'affaire C-333/13 Elisabeta Dano, Florin Dano/Job Center Leipzig du 11 novembre 2014.

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