B. LE PROGRAMME DE « RELOCALISATION »

Mis en oeuvre par deux décisions du Conseil de l'Union européenne des 14 et 22 septembre 2015 10 ( * ) , le programme de « relocalisation » consiste dans le transfert de demandeurs d'asile à partir de la Grèce et de l'Italie vers d'autres États membres de l'Union européenne, dès lors en charge de l'examen de leur demande d'asile . Il s'analyse donc comme une dérogation temporaire au Règlement « Dublin » 11 ( * ) qui prévoit l'application du principe selon lequel un seul État membre est responsable de l'examen d'une demande d'asile, en confiant cette tâche principalement au pays par lequel le demandeur d'asile est entré dans l'Union européenne.

Ce mécanisme de « relocalisation » vise à soulager la Grèce et l'Italie comme premiers pays d'accueil des demandeurs d'asile, mais également à assurer une meilleure répartition des demandeurs entre les États de l'Union européenne, dans la mesure où la majorité de ces derniers souhaite se rendre en Allemagne et en Suède.

La « relocalisation » est effectuée selon une clé de répartition fondée sur des critères objectifs et quantifiables (taille de la population de l'État prise en compte pour 40 %, PIB pour 40 %, nombre moyen de demandes d'asile antérieures pour 10 % et taux de chômage pour 10 %). La France doit ainsi accueillir 30 750 personnes sur deux ans .

1. Les critères d'éligibilité des demandeurs et de leur affectation

Cette procédure est essentiellement basée sur le volontariat .

Ne peuvent y accéder que des demandeurs d'asile :

- arrivés sur le territoire de l'Italie et de la Grèce entre le 24 mars 2015 et le 26 septembre 2017,

- ayant introduit leur demande en Grèce ou en Italie,

- possédant une nationalité pour laquelle le taux de reconnaissance d'une protection internationale moyen à l'échelle de l'Union européenne atteint au moins 75 % . En vertu des dernières données trimestrielles recueillies par Eurostat, cette condition n'est remplie que par les ressortissants syriens, érythréens, irakiens, centrafricains et yéménites 12 ( * ) .

Par souci de bonne intégration dans le pays de « relocalisation », les critères de choix de ce dernier tiennent compte des compétences linguistiques, des liens familiaux, culturels ou sociaux du demandeur. La capacité d'accueil des différents États membres est également prise en compte, en particulier en matière d'accueil des demandeurs vulnérables, de manière à assurer une répartition équitable de ces demandeurs entre États. Les États membres peuvent également indiquer leurs préférences sur la base des critères précités, à condition toutefois de respecter le principe de non-discrimination .

Par dérogation au principe du consentement du demandeur, les demandeurs qui se sont engagés dans la procédure ne peuvent s'y dérober une fois connu le pays de « relocalisation », sous peine d'exclusion de la procédure 13 ( * ) . Cependant, la décision de « relocalisation » peut faire l'objet d'un recours. L'objectif est d'éviter les mouvements secondaires entre l'État membre de « relocalisation » et les autres États membres, qui videraient de son sens l'ensemble du mécanisme.

2. La procédure de « relocalisation »

Les États membres communiquent au moins tous les trimestres leur capacité d'accueil.

La « relocalisation » est proposée par les autorités italiennes et grecques avec l'aide du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) et des officiers de liaison envoyés par les États membres, sur la base des critères précités.

L'État membre de « relocalisation » ne peut la refuser que s'il existe des motifs raisonnables de considérer que le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou l'ordre public de son territoire ou des motifs sérieux de conclure à une exclusion du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire .

Pour chaque personne faisant l'objet d'une « relocalisation » :

- l'État de destination reçoit une somme forfaitaire de 6 000 euros ;

- l'Italie ou la Grèce reçoit une somme forfaitaire de 500 euros.

Ce soutien financier, financé sur le Fonds « Asile, migration et intégration » (FAMI), doit permettre de financer le transfert et l'accueil des personnes « relocalisées ».

3. Un premier bilan des « relocalisations » à partir de la Grèce

Bien qu'initié en octobre 2015, le mécanisme de « relocalisation » en est encore à ses balbutiements avec une montée en charge progressive.

Ainsi, au 24 janvier 2016 , 646 personnes avaient été proposées à la « relocalisation » pour un total de 595 places offertes par les États membres. 416 relocalisations avaient été acceptées .

La France a, quant à elle, proposé 70 puis 100 places. Elle a été sollicitée pour 176 « relocalisations » ; elle en a accepté 103 et rejeté 8 ; 94 personnes ont pris l'avion à destination de la France à la fin du mois de janvier, sur un total de 208 personnes effectivement « relocalisées ». La France est donc le premier État d'accueil à ce jour .

Le bilan de la « relocalisation » au 24 janvier 2016

Source : direction de l'asile grecque

La mise en oeuvre du programme de « relocalisation » par la France

Lorsque les demandeurs d'asile volontaires pour le programme de « relocalisation » se sont manifestés dans les hotspots par l'UNHCR et l'EASO, ils sont hébergés à l'hôtel sur les îles dans l'attente de leur entretien avec la direction de l'asile grecque. Ils rejoignent ensuite Athènes par ferry où ils sont également hébergés à l'hôtel dans l'attente de leur transfert vers le pays de destination.

Sur la base des critères précédemment rappelés, certains demandeurs d'asile sont proposés par la direction de l'asile grecque aux services français. Depuis le mois de janvier dernier, ils sont alors convoqués à des entretiens de sécurité menés en parallèle par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et par les services de renseignement , afin de détecter soit des risques d'exclusion d'une protection (par exemple pour collaboration avec le régime de Bachar El Assad ou l'État islamique, la suspicion de crime de guerre...), soit des risques pour la sécurité nationale. Un tel dispositif s'appuie sur l'expérience acquise depuis plusieurs années pour le programme de réinstallation de personnes vulnérables depuis l'Égypte, la Jordanie et le Liban.

La France est l'un des rares États à avoir mis en place un tel dispositif qui intéresse toutefois certains pays partenaires tels l'Irlande ou les Pays-Bas, avec lesquels la mutualisation d'un plateau d'une dizaine de bureaux pour mener à bien ces entretiens est envisagée.

Après ces entretiens et la confirmation par les autorités grecques de la « relocalisation », les personnes « relocalisées » sont conduites en France par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) dans un délai de quinze jours. Comme tout autre demandeur d'asile présent sur le territoire français, elles se rendent alors auprès du guichet unique regroupant les services de préfecture et de l'Ofii afin de déposer une demande d'asile. À la réception de leur formulaire, l'Ofpra leur adresse la décision de reconnaissance d'une protection sans procéder à un nouvel entretien.

Il semblerait que le programme de « relocalisation » connaisse un succès grandissant bien que toujours relatif . Outre la garantie apportée par l'Europe d'une sécurité du voyage jusqu'à la destination finale, de la prise en charge financière complète et de l'obtention d'un statut légal dans le pays d'installation, cela s'expliquerait également par la fermeture progressive des frontières des pays de transit des migrants.

Au mois de février, la situation de 180 personnes devait ainsi être examinée par la France à la requête des autorités grecques.

Cependant, le programme de « relocalisation » pâtit encore de la concurrence des passeurs du fait de la lenteur du processus . Entre le moment où le demandeur se porte volontaire et celui où il rejoint effectivement le pays de « relocalisation » peuvent s'écouler jusqu'à trois ou quatre mois - contre deux mois prévus par les textes européens -, alors que les passeurs promettent une arrivée en Allemagne ou en Suède en trois jours. Cela explique une partie des disparitions de demandeurs d'asile constatées après l'entrée dans le programme.

Ainsi, les interlocuteurs de la délégation s'accordent pour souligner que la réussite de ce programme réside non seulement dans une meilleure information des demandeurs d'asile mais aussi dans une meilleure organisation, à même de juguler les délais de traitement et d'accélérer l'arrivée au pays de « relocalisation ». L'effet de réputation - le « bouche à oreille » - demeure toutefois essentiel bien que difficile à maîtriser.

Une carence importante du programme reste, par ailleurs, sa non application, à l'heure actuelle, aux mineurs isolés et ce en dépit de leur particulière vulnérabilité .

L'enjeu pour ce programme est pourtant de taille. Quand bien même la Grèce souhaiterait effectivement se conformer au Règlement « Dublin », il est peu probable qu'elle y parviendrait eu égard aux flux auxquels elle est aujourd'hui confrontée .

Ses capacités d'accueil sont en effet au coeur des préoccupations et font, à ce titre, l'objet d'un suivi très précis par les services de la Commission européenne. Dans sa « feuille de route », comme contrepartie à la mise en place du programme de « relocalisation », la Grèce s'est engagée à créer 50 000 places d'accueil - 20 000 financées par l'Union européenne, 30 000 par la Grèce elle-même. Dans son rapport en date du 10 février dernier, la Commission européenne faisait état de 10 447 places d'accueil créées sur le continent et 7 181 sur les îles, soit 17 628 places créées par la Grèce sur les 30 000 prévues. L'UNHCR s'est vu confier la création des 20 000 places financées par l'Union européenne et a engagé la création de 7 000 places supplémentaires dans les hotspots .

Malgré l'effort considérable que ces créations représentent dans un contexte de crise économique, elles paraissent dérisoire au regard du flux des demandeurs d'asile. Aussi la Grèce appelle-t-elle de ses voeux une pérennisation du mécanisme de « relocalisation », laboratoire de la mise en oeuvre d'un véritable régime européen commun de l'asile .

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Ce déplacement a fait l'objet d'un compte rendu devant la commission des lois, annexé au présent rapport.


* 10 Décisions (UE) 2015/1523 du Conseil du 14 septembre 2015 et (UE) 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l'Italie et de la Grèce.

* 11 Règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 12 Selon les données du troisième trimestre 2015 et par ordre d'importance en termes d'effectifs. Les ressortissants du Bahreïn et du Swaziland obtiennent également une protection à plus de 75 %, mais ils représentent des effectifs bien moindres.

* 13 Considérant 37 de la décision (UE) 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015.

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