B. LA QUESTION DES « OPÉRATIONS EN COURS » OU LA CADUCITÉ DE LA DÉCISION DE 2001

Comme évoqué précédemment, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle la faculté des membres de la CVFS à s'intéresser aux opérations en cours et à mener une enquête sur pièce et sur place concernant celles-ci. En pratique une dépense opérationnelle ne peut donc être vérifiée de manière détaillée par la Commission que dans la mesure où l'opération qu'elle finance est achevée.

Toutefois, le Conseil n'a pas pris la peine de définir ce qu'est une opération en cours, laissant pendante une question juridique déjà ancienne. En effet, si le terme « opération » est régulièrement utilisé dans des textes législatifs, il n'existe aucune définition unifiée et, surtout, aucun cadre juridique précis. De même, l'article 4 de la loi de programmation militaire pour 2014-2019 évoque des « opérations extérieures en cours » sans pour autant régler la question du déclenchement et de l'achèvement d'une opération. Au final, on peut considérer que la publication à des fins indemnitaires d'un arrêté interministériel en application de l'article L. 4123-4 du code de la défense concrétise le déclenchement d'une opération.

Consciente que le terme d'« opération » peut faire l'objet d'interprétations extensives qui auraient pour effet de priver ses contrôles de toute effectivité, la Commission a très tôt estimé qu'il convenait de lui donner une définition stricte. Elle a donc considéré que la notion d'« opération » recouvre un ensemble d'actions menées en vue d'obtenir un résultat opérationnel déterminé. Lorsque ce résultat est atteint, elle estime avoir de jure accès aux pièces relatives à cet ensemble d'actions.

Jusqu'à cette année, la Commission n'avait jamais rencontré de point de désaccord avec les services attributaires sur le périmètre de son contrôle 118 ( * ) (il lui a été opposé un refus de communication). Quoi qu'il en soit, la Commission invite les directeurs de service à formaliser par une décision signée de leur main ou de la main de leurs (sous-)directeurs le déclenchement et l'achèvement d'une opération. Cette démarche aurait pour effet de restreindre la notion d'opération (trop souvent employé comme synonyme de « mission ») [recommandation n°2] . La CVFS considère pour sa part que la transmission de pièces comptables au service de contrôle interne de chaque administration du renseignement lui permet d'entamer sa mission de contrôle. Or, elle appelle à une transmission mensuelle.

De surcroît, la Commission estime que le refus de communication de pièces justificatives en raison du non achèvement d'une mission n'a plus de bien-fondé juridique depuis la révision constitutionnelle de 2008. De fait, celle-ci a modifié de manière conséquente les articles sur lesquels le Conseil constitutionnel a fondé sa décision de 2001.

En effet, le Conseil a principalement appuyé sa décision sur l'article 35 de la Constitution (119 ( * )) qui disposait jusqu'à la réforme : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ».

La révision de 2008 a permis d'adopter une version plus étoffée : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.

Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote.

Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement. Il peut demander à l'Assemblée nationale de décider en dernier ressort.

Si le Parlement n'est pas en session à l'expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l'ouverture de la session suivante » .

Le but consistait à renforcer le contrôle parlementaire comme l'avait clairement énoncé Hervé Morin, alors ministre de la Défense, lors des débats parlementaires : « Le souhait du Gouvernement, qui a été confirmé devant le Conseil d'État, est de concentrer le contrôle sur l'envoi des militaires en corps constitués à des fins opérationnelles ( 120 ( * ) ) ». Ainsi, et quelles que soient les modalités de l'information, le Parlement est-il désormais informé des opérations extérieures en cours, à rebours de la jurisprudence du Conseil. Ce dernier a d'ailleurs reconnu les changements opérés dans la décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009 (considérant n° 30 et son commentaire aux Cahiers n° 7). C'est dans ce nouveau cadre que l'article 4 de la LPM 2014-2019 peut avancer sans redouter la censure : « Les opérations extérieures en cours font, chaque année, l'objet d'un débat au Parlement. Le Gouvernement communique, préalablement à ce débat, aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat un bilan politique, opérationnel et financier des opérations extérieures en cours . » En outre, les parlementaires des commissions de la Défense des deux assemblées ont pris l'habitude d'envoyer des délégations auprès des forces armées déployées opérations extérieures afin d'informer les assemblées sur la pertinence politique et stratégique des engagements extérieurs et de contrôler l'adéquation des moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés par l'exécutif.

Au regard de ces développements, la CVFS ne s'estime plus liée par une interdiction générale de prendre connaissance d'une opération en cours [recommandation n°3] . Elle retient cependant la nécessité que son contrôle ne puisse en aucun cas entraver le bon déroulement de l'activité opérationnelle des services (souci évident et légitime du Conseil constitutionnel en 2001) et juge à cet effet que les enquêtes sur pièces et sur place ne sauraient porter sur ces opérations [recommandation n°4] . Ces considérations invitent d'ailleurs à plaider en faveur d'une modification de l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, lequel définit les prérogatives de la DPR. En effet, la restriction posée concernant les opérations en cours n'a plus lieu d'être [recommandation n°5] .


* (118) Cf. par exemple le témoignage d'un ancien président de la CVFS René Galy-Dejean, Circonstances et convictions, Paris, Numéris, 2007.

* (119) Cf. les considérants 44 et 45 de la décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001 : « 44. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 5 de la Constitution, le Président de la République "est garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités" ; qu'en vertu de son article 15, il est "le chef des Armées" ; que son article 21 dispose que le Premier ministre "est responsable de la Défense Nationale" ; qu'aux termes de son article 35, le Parlement autorise la déclaration de guerre ; qu'en application de ses articles 34 et 47, le Parlement vote, à l'occasion de l'adoption des lois de finances, les crédits nécessaires à la défense nationale ;

45. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions constitutionnelles précitées que, s'il appartient au Parlement d'autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l'usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d'opérations en cours ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraires à la Constitution les dispositions de l'avant-dernier alinéa du III de l'article 154 et de son dernier alinéa qui en est inséparable ; »

* (120) Intervention du 27 mai 2008 à l'Assemblée Nationale du ministre de la défense sur l'article 13 de la loi constitutionnelle.

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