I. LE CONTRÔLE DES FONDS SPÉCIAUX OU LA LONGUE MARCHE DU PARLEMENTARISME

Longtemps considérés comme un élément constitutif de la souveraineté de l'État, voire de la raison d'État, les fonds spéciaux répondent en réalité à une nécessité opérationnelle et tactique des services de renseignement. En effet, ces derniers doivent pouvoir disposer de moyens financiers destinés à soutenir, dans les plus brefs délais et une parfaite confidentialité, des activités opérationnelles correspondant à leurs missions légales en application de la loi du 24 juillet 2015 et aux instructions des autorités gouvernementales.

De fait, leur utilisation et leur contrôle ne sauraient répondre aux règles traditionnelles de la comptabilité publique tant les informations fournies par des pièces comptables sont susceptibles de révéler la nature des missions conduites, les personnes qui y contribuent, les méthodes employées... Ces sommes ont dont été soustraites à deux règles majeures de la comptabilité publique : le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables (dans le cas des fonds spéciaux, le service consommateur assure la gestion et le contrôle) ainsi que celui de spécialité budgétaire (le Parlement dans son intégralité vote uniquement une enveloppe sans connaître l'affectation précise (91 ( * )) ).

Or, cette spécificité justifie l'existence d'un contrôle particulier qui a échu aux parlementaires jusqu'en 1852 et leur échoit à nouveau depuis 2001. Mais l'évolution n'est pas encore achevée et des modifications semblent aujourd'hui nécessaires pour le perfectionner.

A. QUAND L'ETAT SECRET EST AUSSI UN ETAT DE DROIT

1. Une tradition monarchique revivifiée mais rectifiée par la Quatrième République

Alors que le contrôle des fonds spéciaux constitue indubitablement une avancée pour l'État de droit, un examen historique rappelle que cette pratique s'avère fort ancienne. Elle apparaît en effet sous l'Ancien Régime, à l'époque de Louis XIII, mais subit de lourds dévoiements à tel point que, en 1789, près d'un quart des finances publiques françaises relevait abusivement des fonds secrets (92 ( * )) . Et en 1820, lorsque le budget du ministère de l'Intérieur intégra une rubrique « Dépenses spéciales pour les dépenses secrètes de la police » (93 ( * )) , une commission spéciale composée de deux parlementaires fut instituée afin de contrôler ces masses financières. La Monarchie de Juillet perpétua d'ailleurs l'initiative. Toutefois, cette activité ne bénéficiait que d'une faible publicité à l'occasion de l'examen du budget, l'un des deux parlementaires se contentant de se présenter à la tribune et de déclarer sur l'honneur que l'usage des sommes allouées était convenable (94 ( * )) .

Étonnamment, la République ne se conforma pas à cette coutume, déniant au pouvoir législatif ce que la monarchie lui avait accordé, en dépit de la volonté de certains parlementaires (95 ( * )) . Appelés fonds secrets ou fonds libres (notamment par Joseph Barthélémy dans son Traité de droit constitutionnel ), ces dotations financières n'acquirent une existence publique qu'au début de la Quatrième République, au détour de l'article 42 de la loi du 27 avril 1946 portant ouverture et annulation de crédits sur l'exercice 1946. N'étant alors plus secrets, ils prirent en conséquence le nom de « spéciaux » et leur gestion fut confiée au seul Président du Conseil (96 ( * )) . Cependant, le texte législatif n'envisageait aucun contrôle en dehors de l'établissement d'un décret de quitus mentionnant, pour chaque ministre, les sommes reçues, les sommes dépensées et le reliquat (lequel devait être annulé, comme tout crédit non consommé). Pour autant, ces dispositions n'ont jamais été appliquées (97 ( * )) . Quant au contrôle parlementaire, il était balayé au profit d'un simple rappel - rendu irréel par la nature même de l'objet - du principe de responsabilité du Gouvernement devant le Parlement qui se cantonnait au vote d'un montant global sans connaître ni l'affectation ni l'utilisation réelle. Dans les faits, au moment de la discussion de la loi de Finances, le Rapporteur spécial de chaque chambre était courtoisement informé par le Secrétaire général du Gouvernement - s'il en faisait la demande - de la ventilation des masses financières concernées, sans capacité inquisitoriale supplémentaire en raison du secret de la défense nationale.

Un an plus tard, rompant partiellement avec ce qui s'apparente à un blanc-seing législatif, le décret n° 47-2234 du 19 novembre 1947 instaura un contrôle interne des fonds utilisés par le seul SDECE (service de documentation extérieure et de contre-espionnage, l'ancêtre de la DGSE), contrôle exercé par une commission de vérification ad hoc . Les autres services de renseignement, les cabinets ministériels et certains ministères demeuraient hors de portée de tout contrôle (98 ( * )) .

Composée d'un Président de chambre à la Cour des comptes (président de la commission) et de deux commissaires nommés par décret du Président du Conseil parmi les membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou de l'Inspection générale des finances, la structure était chargée de vérifier l'adéquation entre les sommes allouées, les dépenses effectuées et les pièces justificatives fournies par le SDECE (article 7 du décret). Cette tâche accomplie, elle devait remettre un rapport au Président du Conseil et au ministre des Finances, rapport ensuite transmis à la Cour des comptes, laquelle certifiait, dans sa déclaration générale de conformité, que le montant indiqué correspondait bien aux sommes décaissées.

Pour accomplir sa mission, la Commission était dotée de larges prérogatives dans la mesure où elle pouvait se faire présenter tous les documents nécessaires à sa démarche et même procéder à la vérification de l'état sommaire des dépenses des opérations en cours. Elle avait également la faculté de déléguer l'un de ses membres pour réaliser des enquêtes dans le but de contrôler les faits retracés dans les documents comptables présentés par le SDECE. Toutefois, ces capacités étaient mises en oeuvre pour effectuer un contrôle uniquement comptable (régularité des ordres de paiement, pièces justificatives afférentes), sans prendre en considération la question de l'opportunité de l'utilisation de ces fonds. Ce périmètre correspondait parfaitement à la philosophie d'un contrôle interne.

2. La CVFS : un contrôle parlementaire né d'une polémique (2001)

L'instance fonctionna dans la plus parfaite discrétion jusqu'à sa disparition en 2001. Mais, comme évoqué, son champ de compétence ne concernait que le service de renseignement extérieur et ne venait en rien contrarier l'usage discrétionnaire des fonds spéciaux par les autres services de renseignement, le Premier ministre et l'exécutif en général. Aussi, le 4 juillet 2001, en pleine polémique sur l'utilisation des fonds spéciaux par le Président Jacques Chirac pour financer des déplacements personnels, le Premier ministre de cohabitation Lionel Jospin demanda à titre personnel au Premier président de la Cour des comptes François Logerot de lui adresser des propositions dans le cadre d'un réexamen d'ensemble du régime des fonds spéciaux. En parallèle, deux propositions de loi furent déposées à l'Assemblée nationale afin de mieux encadrer ces masses financières : la première était portée par Jean-Louis Debré (99 ( * )) , la seconde par Philippe de Villiers (100 ( * )) . Si le député de Vendée n'évoquait aucun mécanisme de contrôle de l'utilisation des fonds spéciaux, l'ancien ministre de l'Intérieur préconisait en revanche la création d'une commission présidée par le Premier président de la Cour des comptes au sein de laquelle auraient siégé des parlementaires ainsi que des membres du Conseil d'État et des magistrats de la Cour de cassation. Cette commission devait procéder au contrôle de l'ensemble des fonds spéciaux désormais réservés aux seuls enjeux de sécurité.

Néanmoins, le projet de loi de finances pour 2002, déposé le 18 septembre 2001 par le Gouvernement, ne prévoyait nullement une réforme de ces fonds spéciaux. Ce ne fut qu'en octobre que deux amendements de l'exécutif vinrent proposer l'instauration de la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS) après que François Logerot eut remis au Premier ministre son rapport (101 ( * )) . Le document et les amendements défendaient une optique proche de celle des propositions de loi précitées.

En effet, le Premier président concluait à la nécessité de maintenir le régime dérogatoire des fonds spéciaux pour permettre à l'État de « pouvoir conduire dans le secret l'action de protection de la sécurité intérieure et extérieure de la collectivité nationale ». Il jugeait notamment « légitime que soit conservée la ligne budgétaire réservée à la DGSE » et demandait le maintien à son profit « d'un compte de dépôts échappant aux contrôles habituels en matière de dépense publique » . Il proposait également que cette ligne « soit élargie aux autres services concourant à la recherche du renseignement » . Il soulignait en revanche que toutes les dépenses n'ayant pas de rapport avec la protection de la sécurité intérieure et extérieure de l'État devaient être réintégrées dans les lignes budgétaires de droit commun destinées à financer des dépenses de rémunérations ou de fonctionnement.

François Logerot recommandait enfin le maintien d'un contrôle sur les fonds spéciaux de la DGSE afin « de vérifier la sincérité des imputations dont ils font l'objet et d'en rendre compte au gouvernement ». Selon lui, il convenait également de l'étendre à l'ensemble des services détenteurs de fonds spéciaux, mais aucune proposition n'était formulée quant à ses modalités concrètes.

Un consensus semblait donc se dégager autour de l'idée de restreindre l'usage de ces fonds aux seules questions de sécurité tandis que les parlementaires souhaitaient intégrer la structure chargée de leur contrôle (en conformité avec l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée . »)

Fort de ces préconisations consensuelles, le Gouvernement fit preuve d'une inventivité limitée lorsqu'il s'est agi de définir le périmètre de la nouvelle Commission de vérification des fonds spéciaux (102 ( * )) instituée à l'article 154 de la loi de finances pour 2002 : il se contenta en effet de reproduire la quasi-totalité du décret de 1947 en intégrant des parlementaires dans le collège. Pourtant, le passage d'un contrôle à vocation interne à un contrôle externe aurait pu induire des innovations.

Lors de la discussion parlementaire, en dehors des controverses politiques autour des récents scandales liés à l'utilisation des fonds spéciaux, les débats ont porté sur la présidence de la future commission (confiée soit à la Cour des comptes soit à un député), sur la nécessité de doter l'instance d'un secrétariat chargé de l'assister (103 ( * )) , sur celle de définir une nomenclature des pièces justificatives, sur celle de produire un rapport, mais également sur la nature parlementaire du contrôle effectué. En effet, les Sénateurs rejetaient le principe d'une habilitation ès qualités des parlementaires membres de l'instance et marquaient une réserve quant à la possibilité pour ces derniers de s'intéresser aux opérations en cours ainsi que de réaliser des enquêtes sur pièces et sur place. Le Palais du Luxembourg s'opposait donc aux attributs du contrôle parlementaire. Le dernier mot revenant à l'Assemblée nationale, la version maximaliste a recueilli la faveur des députés.

En cohérence avec les débats conduits, les sénateurs de l'opposition saisirent le Conseil constitutionnel au motif que le dispositif prévu « encour [ai] t, sinon la censure, du moins de strictes réserves d'interprétation en ce qu'il enfrei [gnait] t le principe de la séparation des pouvoirs et, en particulier, l'exclusivité des responsabilités du Président de la République et du Premier ministre en matière de défense nationale ». Dans leur saisine, ils observaient que la désignation au sein de la commission n'était pas subordonnée à une habilitation de niveau Très Secret-Défense (laquelle suppose l'accord du Premier ministre). Ils soulignaient ensuite que la commission était appelée à obtenir communication de l'état des dépenses se rattachant à des opérations en cours, prérogative selon eux susceptible de compromettre la sécurité de celles-ci. Enfin, ils insistaient sur le fait que la nouvelle instance ne saurait confier à l'un de ses membres des pouvoirs d'enquêtes et d'investigations en vue de contrôler sur pièce et sur place les faits retracés dans les documents comptables soumis à sa vérification. Ils concluaient donc que « [t] outes ces prérogatives sont excessives et mettent en péril la sécurité des opérations des services secrets, ainsi que, par conséquent, la séparation des pouvoirs elle-même (104 ( * )) . »

Le Gouvernement, dans ses observations sur les recours formulés contre la loi de finances (105 ( * )) , rétorqua sur deux principaux points que « la volonté du législateur est de placer l'utilisation de ces fonds sous le contrôle du Parlement, comme dans plusieurs démocraties comparables à la France (106 ( * )) . Cette volonté se traduit notamment par la prééminence des parlementaires dans la composition de la commission (quatre sur six) et le fait que la présidence soit confiée à l'un d'entre eux. » Dans ce cadre, selon l'exécutif, les risques pour la sécurité nationale dénoncés par les sénateurs étaient évités grâce au respect du secret de la défense nationale prévu par la loi.

En outre, le Gouvernement observait que l'objet même des investigations décrites, consistant à vérifier la conformité de l'emploi des crédits à la destination qui leur a été assignée par la loi de finances, et non à participer aux décisions prises par le pouvoir exécutif quant au choix et à la réalisation des opérations, ne pouvait pas être considéré comme une entorse au principe de séparation des pouvoirs.

En définitive, le seul point d'accord entre le Gouvernement et le Sénat résidait dans la nature parlementaire du contrôle effectué par la CVFS (107 ( * )) . Pourtant, la doctrine s'étonna de cette qualification (108 ( * )) et s'interrogea sur l'essence de ce contrôle dès lors que le Parlement ne dispose d'aucun pouvoir de sanction, de réformation voire de recommandation publique et que la production demeure confidentielle (109 ( * )) . Dans le même esprit, le Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale rangeait la CVFS dans la catégorie des autorités administratives indépendantes (110 ( * )) , sans doute à bon droit au regard de sa composition hybride et de son rôle de certification des comptes.

Dans sa décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001 (111 ( * )) , le Conseil constitutionnel s'est rangé aux arguments des sénateurs et a jugé - en s'appuyant sur l'article 35 de la Constitution - que le Parlement ne saurait intervenir dans les « opérations en cours ». La censure a également porté sur le pouvoir d'enquête conféré à la commission pour ne pas porter préjudice à ces mêmes opérations. De manière quelque peu prétorienne (112 ( * )) et sans tenir compte des arguments présentés par le pouvoir exécutif lui-même, le Conseil constitutionnel a ainsi fortement borné le périmètre de ce contrôle qu'il a estimé parlementaire, l'a privé de pouvoir d'enquête et a consacré la notion « d'opération » sans que celle-ci ne jouisse d'une réelle définition juridique (113 ( * )) .

Au final, la réforme de 2001, pourtant supposée amplifier les dispositions du décret de 1947, s'est traduite par un recul dans les capacités de contrôle des fonds spéciaux en même temps que par un élargissement de la liste des services soumis à ce contrôle. De surcroît, la composition de la CVFS a rapidement connu une évolution notoire avec le retrait des magistrats de la Cour des comptes, conformément au souhait de Philippe Séguin lorsqu'il était Premier président de la juridiction. Cette décision, sur laquelle les parlementaires membres de la Commission ont vainement tenté de le faire revenir, n'a pas été dénoncée par son successeur, Didier Migaud. Dans une lettre adressée à votre rapporteur en date du 28 avril 2015, celui-ci explicite la position de l'institution qu'il dirige : « c'est en 2006 que mon prédécesseur a demandé la clarification des attributions respectives de cette commission et de la Cour au titre de son contrôle sur les départements ministériels ayant à gérer les fonds spéciaux. Faute de réponse du secrétariat général du Gouvernement à ses questions, et après un entretien avec M. Fromion, alors président de la commission de vérification des fonds spéciaux, mon prédécesseur a décidé qu'il ne procèderait pas au remplacement des membres sortants de la Cour au sein de la Commission ».

3. Le contrôle des fonds spéciaux comme amplification des activités de la délégation parlementaire au renseignement (2013)

Tirant les conséquences de pareille position, les rapports de 2011 et de 2012 de la délégation parlementaire au renseignement, puis celui de la Mission d'évaluation de la Commission des lois en 2013 (114 ( * )) préconisèrent l'absorption de la CVFS par la DPR afin d'étoffer et d'unifier le spectre du contrôle parlementaire. Le gouvernement a suivi cette préconisation et l'a matérialisée à l'occasion loi de programmation militaire examinée à la fin de l'année 2013.

Initialement envisagée, la fusion totale des deux organismes a été jugée inopportune pour deux raisons. La première tenait au fait que le fonctionnement de la CVFS est assumé par prélèvement sur les fonds spéciaux qu'elle contrôle (cette enveloppe couvre notamment les déplacements réalisés à l'étranger...). Il paraissait donc malaisé d'imaginer une absorption totale qui aurait conduit à augmenter le budget des deux chambres, à rebours des efforts de rationalisation menés par leurs présidents respectifs. En outre, il a été considéré que le principe d'une formation spécialisée permettait de se conformer en partie aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2001 quant à l'accès des parlementaires à des informations relatives aux opérations en cours des services de renseignement.

Néanmoins, le travail d'amendement de l'Assemblée fut conséquent sur cet article qui avait à nouveau été conçu par le Gouvernement comme une simple transposition des éléments créés en 2001. A titre d'exemple, le texte proposé à la Représentation nationale ne tenait guère compte du fait que la CVFS, bien que formation spécialisée, devenait une émanation de la DPR et qu'il était dès lors aberrant de confier sa composition aux présidents de deux chambres. L'Assemblée a préféré adopter un mode de désignation interne à la DPR, « de manière à assurer une représentation pluraliste », là où le Sénat avait envisagé une « représentation de la majorité et de l'opposition ». Or, si cette dernière est bien définie en droit parlementaire, il en va tout autrement pour la première, ce qui laissait présager pour la suite d'homériques difficultés exégétiques. De même, la désignation du président de la CVFS a-t-elle été confiée à ses membres et non aux présidents des deux chambres.

Enfin, la question de la présentation du rapport annuel a fait l'objet d'une réécriture de deux alinéas du projet de loi, synthétisés en un seul qui établit une préséance républicaine. Depuis lors, le rapport est d'abord présenté aux membres de la DPR qui n'appartiennent pas à la CVFS, puis aux présidents et rapporteurs généraux de la Commissions des finances des deux chambres, puis au président de la République et au Premier ministre. Ces deux derniers bénéficiaient auparavant d'une antériorité qui conduisait à ce que la CVFS travaillât en priorité pour l'exécutif. Pareil usage ne pouvait convenir à un organe pleinement parlementaire (115 ( * )) .

De même, la Commission des lois de l'Assemblée nationale a été suivie lorsque, afin de ne pas entamer le rôle centralisateur du Premier ministre, il s'est agi de ne pas rendre les ministres compétents destinataires tant du rapport de la DPR que de celui de la CVFS. Pareille disposition n'est pas anodine : en effet, dans la mesure où le Premier ministre dirige en droit « l'action du Gouvernement en matière de sécurité nationale 116 ( * ) » et qu'en matière de fonds spéciaux il rend les arbitrages budgétaires ultimes, il était légitime de préserver sa position non seulement en tant que chef de l'interministérialité dans le domaine du renseignement, mais aussi en tant que principal interlocuteur de la délégation et de la CVFS. Sa centralité revêt ici toute son importance dans le cadre d'une dyarchie déséquilibrée. Pour compenser le poids pris par le chef de l'État en ce domaine et assurer un contrôle parlementaire efficace, il est nécessaire que l'action gouvernementale soit réellement conduite par le chef du Gouvernement.

Article 154 tel que créé par loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001)

I. Les dépenses faites sur les crédits inscrits au chapitre 37-91 du budget des services généraux du Premier ministre sont examinées chaque année par une commission de vérification chargée de s'assurer que les crédits sont utilisés conformément à la destination qui leur a été assignée par la loi des finances.

Les services destinataires de ces crédits tiennent le compte d'emploi des fonds ainsi versés.

II. La commission est composée ainsi qu'il suit :

- deux députés, dont le président de la commission, désignés par le président de l'Assemblée nationale pour la durée de leur mandat ;

- deux sénateurs désignés par le président du Sénat après chaque renouvellement triennal ;

- deux membres nommés pour cinq ans, par décret, parmi les membres de la Cour des comptes, sur proposition de son premier président.

Sauf démission, il ne peut être mis fin aux fonctions de membre de la commission qu'en cas d'empêchement constaté par celle-ci. Les membres de la commission désignés en remplacement de ceux dont le mandat a pris fin avant son terme normal sont nommés pour la durée restant à courir dudit mandat.

III. La commission prend connaissance de tous les documents, pièces et rapports susceptibles de justifier les dépenses considérées et l'emploi des fonds correspondants.

Elle se fait représenter les registres, états, journaux, décisions et toutes pièces justificatives propres à l'éclairer au cours de ses travaux de vérification.

(Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001.)

IV. Les membres de la commission sont astreints au respect du secret de la défense nationale protégé en application des articles 413-9 et suivants du code pénal pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leur mandat.

Les travaux de la commission sont secrets, sous réserve du VI.

Est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal le fait de divulguer ou publier, dans un délai de trente ans, une information relative aux travaux de la commission.

V. La commission doit avoir terminé ses travaux avant le 31 mars de l'année qui suit celle de l'exercice soumis à son contrôle.

VI. Les vérifications terminées, la commission établit un rapport sur les conditions d'emploi des crédits.

Le rapport est remis par le président de la commission au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents et rapporteurs généraux des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances.

VII. La commission dresse un procès-verbal dans lequel elle constate que les dépenses réalisées sur les crédits visés au I sont couvertes par des pièces justificatives pour un montant égal.

Le procès-verbal est remis par le président de la commission au Premier ministre et au ministre chargé du budget qui le transmet à la Cour des comptes.

VIII. Paragraphe modificateur.

*

* *

Article 154 tel que modifié par l'article 13 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale

I. Les dépenses faites sur les fonds spéciaux inscrits au programme intitulé : " Coordination du travail gouvernemental " sont examinées chaque année par une commission de vérification chargée de s'assurer que les crédits sont utilisés conformément à la destination qui leur a été assignée par la loi des finances.

Les services destinataires de ces crédits tiennent le compte d'emploi des fonds ainsi versés.

II.- La commission de vérification constitue une formation spécialisée de la délégation parlementaire au renseignement. Elle est composée de deux députés et de deux sénateurs, membres de la délégation parlementaire au renseignement, désignés de manière à assurer une représentation pluraliste. Le président de la commission de vérification est désigné chaque année par les membres de la délégation.

III. La commission prend connaissance de tous les documents, pièces et rapports susceptibles de justifier les dépenses considérées et l'emploi des fonds correspondants.

Elle se fait représenter les registres, états, journaux, décisions et toutes pièces justificatives propres à l'éclairer au cours de ses travaux de vérification.

IV. Les membres de la commission sont astreints au respect du secret de la défense nationale protégé en application des articles 413-9 et suivants du code pénal pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leur mandat.

Les travaux de la commission sont secrets, sous réserve du VI.

Est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal le fait de divulguer ou publier, dans un délai de trente ans, une information relative aux travaux de la commission.

V. La commission doit avoir terminé ses travaux avant le 31 mars de l'année qui suit celle de l'exercice soumis à son contrôle.

VI. Les vérifications terminées, la commission établit un rapport sur les conditions d'emploi des crédits.

Le rapport est présenté aux membres de la délégation parlementaire au renseignement qui ne sont pas membres de la commission. Il est également remis, par le président de la délégation, aux présidents et rapporteurs généraux des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ainsi qu'au Président de la République et au Premier ministre.

VII. La commission dresse un procès-verbal dans lequel elle constate que les dépenses réalisées sur les crédits visés au I sont couvertes par des pièces justificatives pour un montant égal.

Le procès-verbal est remis par le président de la commission au Premier ministre et au ministre chargé du budget qui le transmet à la Cour des comptes.

VII bis.- Les crédits nécessaires au fonctionnement de la commission sont inscrits au programme intitulé " Coordination du travail gouvernemental.

Le président est ordonnateur des dépenses de la commission. Il a autorité sur les agents de la commission. Les dispositions de la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées ne sont pas applicables aux dépenses de la commission.

VIII. (...).

En définitive, au même titre que son devancier, le contrôle parlementaire des fonds spéciaux se limite - dans les textes - à un aspect comptable puisque la commission est « chargée de s'assurer » que ceux-ci « sont utilisés conformément à la destination qui leur a été assignée par la loi de finances » (117 ( * )) .

Il s'agit donc d'un contrôle de régularité destiné à s'assurer de la sincérité de l'imputation comptable des fonds et à vérifier que ces derniers ont bien été utilisés pour financer des dépenses qui, en raison de leur nature particulière, ne sauraient être financées par un autre truchement. Pour ce faire, la commission dispose de certaines prérogatives (dans les limites - à interroger - de la censure du Conseil constitutionnel) : toutes les informations nécessaires à sa mission doivent lui être fournies. Elle est notamment en droit de prendre connaissance de « tous les documents, pièces et rapports susceptibles de justifier les dépenses considérées et l'emploi des fonds correspondants ». Elle est également habilitée à se faire « représenter les registres, états, journaux, décisions et toutes pièces justificatives propres à l'éclairer ». Les membres de la Commission peuvent en outre se déplacer partout où sont dépensés les fonds spéciaux. A ce titre, pour cette année, la CVFS a fait le choix de réaliser des déplacements dans les pays voisins de la zone syro-irakienne.

Dans les textes, la CVFS n'assume donc pas une mission plus large de contrôle et d'évaluation des actions conduites grâce aux fonds spéciaux, ce que l'on peut déplorer tant pareille tâche s'inscrirait parfaitement dans celle dévolue à la délégation parlementaire au renseignement. Une modification du texte de loi serait donc souhaitable pour préciser cette spécificité des missions de la CVFS [recommandation n°1] . Au demeurant, les prérogatives de la Commission devraient être revues à l'aune des dernières évolutions constitutionnelles.


* (91) Comme le note David Biroste, in « Les fonds spéciaux : contribution à l'étude des marges du droit (première partie) », Revue française de finances publiques , décembre 2002, n°80, p. 154, « leur existence n'est pas secrète, leur destination seulement ».

* (92) Ibid.

* (93) Ibid .

* (94) Jacques Buisson et Xavier Cabannes, « Les fonds spéciaux et le droit public financier », Les Petites affiches, 3 août 2001, n° 154, p. 15.

* (95) Comme le rappelle David Biroste, « Les fonds spéciaux... (première partie) », article cité, p. 181.

* (96) Le premier alinéa de l'article 42 de la loi de 1946 limitait l'ouverture des crédits de fonds spéciaux au seul budget du chef de l'exécutif qui était chargé de mettre à la disposition des ministres les dotations nécessaires au fonctionnement de leurs départements respectifs.

* (97) Comme l'établit le rapport rédigé par François Logerot, « Note à l'attention de Monsieur le Premier ministre relative au régime des fonds spéciaux », 10 octobre 2001, 20p.

* (98) Sur l'affectation des fonds spéciaux à cette époque, se reporter à David Biroste, « Les fonds spéciaux... (première partie) », article cité.

* (99) Proposition de loi n° 3245 de MM. Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et Jean-François Mattéi, relative à la transparence du fonctionnement des pouvoirs publics et portant suppression des fonds spéciaux, 16 juillet 2011.

* (100) Proposition de loi n° 3238 de M. Philippe de Villiers, tendant à supprimer les fonds spéciaux tels que définis à l'article 42 de la loi n° 46-854 du 27 avril 1946, 16 juillet 2001.

* (101) Rapport consultable sur le site de la Documentation française :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/014000737-note-a-l-attention-de-monsieur-le-premier-ministre-relative-au-regime-des-fonds

* (102) Comme le remarque Xavier Cabannes, « La réforme des fonds spéciaux », Droit et défense, janvier 2002, p. 39.

* (103) Sur ce point, un amendement du sénateur François Marc n'a hélas pas prospéré à l'Assemblée nationale.

* (104) Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2001 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 2001-456 DC.

* (105) Journal officiel du 29 décembre 2001.

* (106) À ce titre, le Gouvernement aurait pu citer le cas de l'Allemagne, où neuf membres de la commission des finances du Bundestag sont désignés à cette fin et forment « le comité de confiance ».

* (107) C'est bien le Gouvernement et les parlementaires qui ont affirmé cette nature parlementaire et non le Conseil constitutionnel comme l'avance Sandrine Cursoux-Bruyère, « Les fonds spéciaux : les zones d'ombre de la réforme », Petites affiches, 5 janvier 2006, n°4.

* (108) Cf. par exemple Xavier Cabannes, « La réforme des fonds spéciaux », article cité, p. 38.

* (109) Sandrine Cursoux-Bruyère, article cité.

* (110) Défense et sécurité nationale : Le Livre blanc, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 140.

* (111) Sans fournir plus d'explications supplémentaires que celles proposées par les sénateurs dans sa décision ou dans les commentaires publiés par la suite (in Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°12).

* (112) Xavier Cabannes formule des critiques identiques in « La réforme des fonds spéciaux », article cité, note 33 p. 38. Sur cette décision, lire également Jean-Claude Zarka, « La décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001 relative à la loi de finances pour 2002 », Recueil Dalloz, 2002, p. 331.

* (113) Par écho cependant, « on ne voit pas en quoi l'interdiction pour la commission de contrôler les opérations en cours, l'empêcherait pour les actions achevées » selon Sandrine Cursoux-Bruyère, article cité.

* (114) Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, Pour un « État secret » au service de notre démocratie, Rapport d'information n° 1022, 14 mai 2013, 205 p.

* (115) Il faut d'ailleurs noter que, toujours lors de l'examen de la LPM, ces modifications protocolaires n'ont pas été acceptées dans le cas de la remise du rapport de la DPR, laquelle continue donc curieusement - au moins dans l'épure du droit - à favoriser le pouvoir exécutif à qui elle « adresse des recommandations » qu'elle « transmet » ensuite aux présidents des deux assemblées.

* (116) Article L. 1131-1 du code de la défense.

* (117) Le juriste Dominique Chagnollaud l'estime d'ailleurs limité in « Le statut des fonds spéciaux avant 2001 », Recueil Dalloz , n°21, 2014, p. 1216-1220

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