C. LA QUESTION DE LA COMPATIBILITÉ DE LA MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE SECTION AVEC LA NÉCESSITÉ DE MAINTENIR LA CAPACITÉ POUR L'ÉTAT D'ORIENTER LA POLITIQUE D'APD

Dans l'hypothèse de la mise en place d'une section, la différence actuelle de statut entre l'AFD et la Caisse des dépôts peut faire craindre une remise en cause des spécificités de cette dernière ou le dessaisissement de l'État en matière d'aide publique au développement.

1. Deux institutions financières publiques aux liens avec l'État très différents
a) L'AFD, un établissement public sous la tutelle de l'État

L'AFD est un établissement public de l'État à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et du développement international, du ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique, du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer 7 ( * ) .

Aux termes de l'article R. 513-33 du code monétaire et financier, la direction et l'administration de l'agence sont confiées à un directeur général nommé pour trois ans par décret, après avis du Parlement selon la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution. Depuis juin 2013, cette fonction est occupée par Anne Paugam. Le directeur général représente et engage l'agence, il nomme le personnel et fixe les conditions de son emploi.

L'agence est dotée d'un conseil d'administration de dix-sept membres - outre son président - dont six représentants de l'État , cinq personnalités qualifiées, deux députés, deux sénateurs 8 ( * ) et deux représentants du personnel. Dix-sept membres suppléants sont désignés dans les mêmes conditions.

Enfin, l'article R. 513-25 du même code prévoit que le ministre chargé de la coopération préside un conseil d'orientation stratégique , composé des représentants de l'État au conseil d'administration. Ce conseil coordonne la préparation par l'État du contrat d'objectifs et de moyens liant l'agence à l'État et en contrôle l'exécution. Il prépare les orientations fixées par l'État à l'agence en application des décisions arrêtées par le comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID).

En définitive, l'AFD est clairement un outil de l'État , que ce soit par la tutelle qu'il exerce sur l'établissement, les modalités de nomination du directeur général ou la composition du conseil d'administration.

b) La CDC, un établissement sui generis placé sous la surveillance du Parlement

Pour sa part, l'article L. 518-2 du code monétaire et financer dispose que « la Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays ». La Caisse des dépôts a le statut d'« établissement spécial ».

Afin de rétablir la confiance des citoyens dans le crédit de l'État, mise à mal sous la Révolution, l'article 115 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances précise qu' « il ne pourra, dans aucun cas ni sous aucun prétexte, être porté atteinte à la dotation [de la Caisse des dépôts] car cet établissement est placé, de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ». Ces termes figurent aujourd'hui à l'article L. 518-2 précité.

Ce rôle du Parlement s'illustre dans la composition de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (cf. encadré supra ) 9 ( * ) , qui prévoit une prépondérance des membres désignés par le Parlement sur ceux désignés par le Gouvernement et une présidence forcément exercée par un parlementaire.

La Caisse des dépôts et consignations est dirigée et administrée par un directeur général nommé pour cinq ans par décret, après avis du Parlement selon la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution. Il doit prêter serment devant la commission de surveillance en ces termes : « Je jure de maintenir de tout mon pouvoir l'inviolabilité de la Caisse des Dépôts ». Cette fonction est actuellement exercée par Pierre-René Lemas 10 ( * ) .

Ainsi, contrairement à l'AFD, la Caisse des dépôts ne se trouve pas « sous la tutelle de l'État », mais « à côté de l'État» , du fait du rôle central de la commission de surveillance.

2. Un improbable risque de dessaisissement de l'État en matière de pilotage de la politique d'APD

La différence de gouvernance entre l'AFD et la CDC a pu faire naître la crainte d'un dessaisissement de l'État en matière de pilotage de la politique d'aide publique au développement.

a) Le cycle des projets AFD

L'intervention de l'AFD s'inscrit aujourd'hui dans un cadre défini par l'État .

La loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale fixe des principes d'intervention et des objectifs. Dans son prolongement, l'État adopte des « stratégies pays » et signe avec chaque pays concerné un « document cadre de partenariat ». Parallèlement, il signe avec l'AFD un contrat d'objectifs et de moyens qui stipule notamment les objectifs fixés à l'agence. Sur ces différentes bases, l'AFD élabore ses propres « stratégies pays » et politiques sectorielles.

Les projets d'intervention de l'AFD doivent être conformes au cadre présenté ci-dessus. Ils doivent ensuite être adoptés, projet par projet, par le conseil d'administration de l'agence, où les représentants de l'État occupent une place importante.

b) Le risque d'un dessaisissement de l'État en matière d'aide publique au développement

Dans l'hypothèse de la transformation de l'AFD en section de la CDC , celle-ci serait une entité sans personnalité morale - dont les actifs et les passifs seraient intégrés dans un bilan distinct de celui de l'établissement public CDC et proviendraient de la dissolution de l'AFD. A priori , sa gestion opérationnelle serait assurée par des personnels de la Caisse des dépôts, dans le cadre d'une direction spécifique placée sous l'autorité exclusive du directeur général de la Caisse des dépôts, soumise à des avis non contraignants de la Commission de surveillance. Ainsi, dans cette acception, l'AFD n'aurait plus de lien direct avec l'État, ce qui pourrait faire craindre une perte de contrôle de la part de ce dernier.

Vos rapporteurs spéciaux considèrent que cette vision est excessive et traduit un manque d'imagination.

D'une part, il est évident qu'il n'appartient pas à la Caisse des dépôts de définir la politique d'aide publique au développement de la France . Ce n'est ni l'intention de la Caisse des dépôts, comme a pu l'expliquer à vos rapporteurs spéciaux son directeur général, ni l'intention de sa commission de surveillance, qui indiquait dans son avis du 18 novembre dernier qu'il fallait « garantir la dimension souveraine de la politique de coopération, portée par une gouvernance efficace au sein de laquelle l'État tiendra un rôle central », en précisant que le schéma de la section « autorisait le maintien d'une gouvernance permettant à l'État de conserver ses prérogatives sur la définition de la politique d'aide publique au développement et de préserver l'identité de la marque AFD ». L'État continuerait donc à définir les orientations de la politique d'aide publique au développement, comme il le fait aujourd'hui avec l'AFD .

D'autre part, s'agissant de la mise en oeuvre de cette politique, il serait possible de concilier le fait de la confier à la Caisse des dépôts, et plus précisément à une section AFD, sans exclure l'État du processus décisionnel . Les exemples étrangers permettent d'imaginer des solutions en ce sens et la gouvernance du système allemand est particulièrement intéressante. La banque de développement (la KfW Entwicklungsbank ) est bien une direction au sein de la KfW, avec laquelle elle partage un même bilan, une même personnalité morale et une même gouvernance, qui la place sous l'autorité d'un conseil de surveillance de trente-sept membres, composé de sept ministres - dont le ministre de l'économie et le ministre des finances qui exercent alternativement la présidence - de sept parlementaires, de sept représentants des Länder et de seize représentants de l'économie allemande. Le lien avec l'État est donc conservé, mais sans prendre la forme d'une tutelle directe . De plus, le rôle de l'État s'exerce également à un autre niveau : celui-ci définit - comme en France - des cadres d'intervention par pays, mais il est également prévu que le ministère de la coopération doive approuver chaque projet, individuellement, qu'il soit porté par la KfW ou la GiZ .

Ainsi, à côté de la définition de la politique d'APD, l'État pourrait mettre en place un conseil propre à la section AFD et une politique analogue de validation individuelle des projets . Cette solution ne priverait pas le directeur général de la Caisse des dépôts de toute autorité sur cette direction, puisque c'est bien la CDC qui serait chargée du montage des projets et de leur conduite, et son directeur général exercerait son autorité hiérarchique sur les personnels concernés.

Certes, il y aurait une évolution du modèle de la Caisse des dépôts, dans la mesure où l'État aurait un contrôle direct sur une de ses sections et où la commission de surveillance verrait ses prérogatives sur cette même section probablement plus limitées que pour la section générale ou le fonds d'épargne. Cependant, il semble à vos rapporteurs spéciaux que le modèle de la Caisse des dépôts se distingue avant tout par une addition de spécificités, fruit de l'histoire et d'un certain pragmatisme, qu'ils se proposent d'enrichir encore.


* 7 Le décret portant nomination d'Anne Paugam a été ainsi été signé par le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'économie et des finances, le ministre de l'intérieur, le ministre des outre-mer et le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement.

* 8 Vos rapporteurs spéciaux sont membre titulaire et membre suppléant du conseil d'administration de l'AFD.

* 9 Deux sénateurs sont nommés commissaires-surveillants sur proposition de votre commission des finances.

* 10 Le décret portant nomination Pierre-René Lemas est signé par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre des finances et des comptes publics.

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