B. AU NIVEAU TERRITORIAL, LE DIALOGUE AVEC LES COLLECTIVITÉS REPOSE SUR L'ÉTAT DÉCONCENTRÉ ET SUR UN FOISONNEMENT D'INSTANCES LOCALES

Le préfet et les services déconcentrés sont aujourd'hui les premiers interlocuteurs des collectivités territoriales au niveau local. Ce dialogue se concentre surtout sur la mise en oeuvre des politiques publiques et sur l'application des dispositifs législatifs et réglementaires .

Parallèlement, une galaxie d'instances locales assure une association plus ou moins importante des collectivités territoriales aux décisions qui les concernent dans de très nombreux domaines.

1. Les représentants de l'État dans les territoires : vecteurs essentiels du dialogue avec les collectivités territoriales

Au niveau local, le dialogue entre l'État et les élus locaux se fait principalement par l'intermédiaire du réseau des préfets et sous-préfets , représentants naturels de l'État dans les territoires, ainsi que par l'intermédiaire des services déconcentrés, interlocuteurs essentiels pour nombre d'élus locaux, notamment dans les territoires ruraux. Il remonte du terrain que ce réseau est essentiel en matière de conseil juridique et de contrôle de légalité, d'appui technique et d'ingénierie territoriale, de développement et d'animation locale.

Autrement dit, les élus locaux restent attachés à ce dialogue de proximité , qui leur permet d'échanger quotidiennement , et souvent de façon informelle , avec les services de l'État. François Deluga soulignait au nom de l'AMF : « La qualité du dialogue est bien souvent meilleure au niveau local » . Une constatation partagée par Benoit Huré, au nom de l'ADF : « Si l'on prend un exemple de dialogue de terrain souvent constructif, c'est bien celui qui peut exister entre le préfet et l'assemblée départementale dans un certain nombre de départements, soit à l'occasion de la séance d'ouverture de la session du conseil départemental, soit lors d'un évènement majeur. Le représentant de l'État y prend alors la pleine mesure des enjeux locaux ».

Ces dernières années, c'est surtout au sujet des normes que le dialogue avec les services de l'État est devenu essentiel, de l'avis des élus locaux. D'une part, ceux-ci ont le sentiment que les normes qui encadrent leur action réduisent d'autant leur marge de manoeuvre et leur capacité à agir et à décider 21 ( * ) . D'autre part, nombre d'entre eux se plaignent régulièrement de la complexité des normes applicables dans leurs différents domaines de compétences , ainsi que des coûts entraînés, en particulier pour les petites communes, dont les moyens techniques et financiers sont souvent limités. À ce propos, François Deluga indiquait devant votre délégation « Les élus municipaux ont souvent le sentiment d'être abandonnés face à un océan de normes. De nombreux maires vivent mal cette situation » . Il ajoutait : « L'inflation normative s'explique aussi par le besoin de sécurité des administrations de l'État, qui souhaitent se couvrir face à tous les risques possibles de voir leur responsabilité mise en jeu ».

C'est pourquoi l'action des préfectures et des services déconcentrés de l'État apparait plus que jamais essentielle, pour permettre aux élus de mieux comprendre les normes applicables et leur fournir des explications sur les nouvelles normes. Votre délégation juge essentiel de préserver cette fonction de conseil aux collectivités lorsque la réglementation impose des adaptations complexes. C'est pourquoi elle se félicite que, dans son instruction du 18 janvier dernier, le Premier ministre ait demandé aux préfets de privilégier « une interprétation des normes qui facilite leur adaptation aux spécificités locales ». Elle note avec satisfaction que le « rôle d'accompagnement et de conseil des préfectures et des services déconcentrés de l'État » soit reconnu comme « primordial », et relève que « la simplification s'inscrit dans la volonté de l'État d'une proximité qui renforce sa présence en accompagnement et en conseil des territoires » .

Votre délégation aurait cependant préféré que cette déclaration d'intention , à laquelle elle souscrit, ne soit pas démentie par les faits. Certes, l'efficacité du dialogue entre l'État et les collectivités dépend de nombreux facteurs comme la personnalité des acteurs impliqués, le contexte politique ou encore les problématiques socio-économiques propres à chaque territoire, ce qu'a confirmé l'AMF devant votre délégation : « La qualité du dialogue informel dépend beaucoup du contexte local et des préfets ».

Reste un constat largement partagé : les réformes successives de l'administration territoriale de l'État ont lentement détérioré la qualité de ce dialogue par un affaiblissement de l'institution préfectorale.

De surcroît, votre délégation s'est vue confirmer, de la part des élus locaux, le besoin d'autorité des préfets et des sous-préfets à l'égard de la galaxie des services déconcentrés de l'État . Il n'est pas rare en effet que le rapport de force local tende à tourner à l'avantage des services, qu'il s'agisse des Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Sur le terrain, des élus constatent que ces directions régionales agissent parfois indépendamment du préfet de département, par exemple lorsqu'elles préparent les instructions des décisions dont elles ont la charge sans information régulière de celui-ci. Ce sentiment est d'autant plus fort que l'État se réorganise au niveau régional, les préfets de département n'ayant pas d'autorité hiérarchique sur les services régionaux. Quant aux élus locaux, ils restent très attachés à l'institution préfectorale et craignent que les réformes actuelles ne conduisent à une perte d'autorité vis-à-vis de ces services. C'est pourquoi votre délégation recommande que le Gouvernement réaffirme l'autorité des préfets de département, y compris sur les services régionaux s'agissant des affaires du département.

Recommandation 6 : Réaffirmer, dans les territoires, l'autorité des préfets de département et des sous-préfets sur les services déconcentrés de l'État, dans le contexte actuel de réorganisation de l'État au niveau régional .

2. La galaxie d'instances locales : le nécessaire « choc de simplification » contre la perte d'efficacité

Votre délégation s'est livrée à un exercice difficile : le recensement - certes, non exhaustif -, de l'immense diversité des instances locales de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, afin de mettre en évidence le paradoxe entre la profusion de commissions, conseils ou comités et la réalité de l'association des collectivités aux décisions qui les concernent.

Elle a ainsi dénombré pas moins de 75 commissions ou comités départementaux ou régionaux chargés d'associer les élus locaux aux décisions de l'État qui les concernent.

Liste indicative des instances locales de concertation
entre l'État et les collectivités territoriales

- commissions concernant l'éducation le patrimoine et la formation : le conseil départemental de l'éducation nationale ; le conseil académique de l'éducation nationale ; la commission départementale des objets mobiliers ; la commission régionale du patrimoine et des sites ;

- commissions concernant l'organisation des services publics : la commission départementale d'organisation et de modernisation des services publics ; la commission départementale de la présence postale territoriale ;

- commissions en matière d'agriculture, de chasse et de pêche, de forêts, de nature et d'environnement : le conseil départemental de la santé de la protection animale ; la commission départementale d'orientation de l'agriculture ; la commission régionale de l'économie agricole et du monde rural ; le conseil régional d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale ; le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques ; la commission départementale de la nature des paysages et des sites ; la commission régionale de la forêt et des produits forestiers ; la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage ; la commission régionale des pêches maritimes et de l'aquaculture marine ; la commission consultative de l'environnement ; la commission départementale des risques naturels majeurs ; la commission de suivi de site ; la commission locale de l'eau ; la commission administrative de bassin ; le comité régional trame verte et bleue ; la commission régionale des aides de l'ADEME ;

- commissions en matière d'emploi, d'insertion et de lutte contre les exclusions : la commission départementale de l'emploi et de l'insertion ; la commission départementale de la cohésion sociale ; la commission départementale pour la promotion de l'égalité des chances et la citoyenneté ; le comité de coordination régionale de l'emploi et de la formation professionnelle ;

- commissions concernant la jeunesse, les sports et la vie associative : le conseil départemental de la jeunesse, des sports et de la vie associative ; la commission régionale de la jeunesse, des sports et de la vie associative ; la commission territoriale du centre national pour le développement du sport ; la commission régionale du fonds pour le développement de la vie associative ;

- commissions concernant l'économie et l'aménagement du territoire : la commission communale d'aménagement foncier ; la commission intercommunale d'aménagement foncier ; la commission départementale d'aménagement foncier ; la commission départementale d'aménagement commercial ; l'observatoire départemental d'aménagement commercial ; le comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises ; la commission consultative paritaire départementale des baux ruraux ; la commission consultative paritaire régionale des baux ruraux ;

- commissions concernant la fiscalité : la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; la commission départementale de conciliation ;

- commissions concernant la sécurité : le comité départemental de sécurité ; le conseil départemental de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes ; le conseil départemental de sécurité civile ; le conseil local de sécurité de prévention de la délinquance ; la commission départementale des systèmes de vidéosurveillance ; la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité ; la commission départementale de la sécurité routière ; la commission départementale de la sécurité des transports de fonds ; le comité de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et les transports sanitaires ;

- commissions concernant l'action sanitaire et sociale : la commission départementale de l'aide sociale ; le conseil départemental pour les anciens combattants et victimes de guerre et la mémoire de la nation ; la commission départementale de l'accueil des jeunes enfants ; l'observatoire départemental de la protection de l'enfance ; la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées ; le conseil départemental consultatif des personnes handicapées ; le conseil de surveillance de l'ARS ; le conseil départemental d'accès au droit ; la commission du titre de séjour ;

- commissions concernant l'urbanisme et l'habitat : le comité régional de l'habitat ; la commission de conciliation en matière d'urbanisme ; la commission départementale consultative pour l'accueil des gens du voyage ; la commission de médiation en matière de droit au logement ; la commission spécialisée de coordination des actions de prévention des expulsions locatives ;

- commissions diverses : la commission régionale des qualifications ; la commission consultative pour l'emploi d'enfants dans le spectacle, la mode et la publicité ; la commission régionale des sanctions administratives ; la commission consultative des annonces judiciaires et légales ; la commission pour la dotation d'équipement des territoires ruraux ; la commission des taxis et des voitures de petite remise ; la commission départementale chargée de l'établissement de la liste d'aptitude aux fonctions de commissaire-enquêteur ; la commission régionale unique de programmation ; la commission départementale d'organisation des opérations électorales ; la commission permanente des comités de massif.

Cet inventaire offre deux enseignements majeurs à propos du dialogue entre l'État et les collectivités. Tout d'abord, ce dialogue est protéiforme et très institutionnalisé . Les domaines concernés sont vastes : l'éducation, la formation, le patrimoine, la chasse, l'environnement, l'emploi, l'insertion, la jeunesse, les sports, l'économie, l'aménagement du territoire, la fiscalité, la sécurité, l'urbanisme, l'habitat etc. Il ressort que quasiment toutes les politiques ayant un impact territorial sont concernées.

Dans les faits pourtant, le ressenti des élus locaux dénote par rapport au nombre des instances. D'une part, nombre de ces commissions ne se réunissent que très peu (une ou deux fois par an, pour certaines). D'autre part, leur fonctionnement est très souvent critiqué comme réunissant un nombre trop élevé de participants. Enfin on ajoutera que les élus ont souvent l'impression que tout est décidé à l'avance et que ces comités ne sont que de simples chambres d'enregistrement. Comme le faisait valoir François Deluga, au nom de l'AMF, devant votre délégation : « La qualité du dialogue dépend très souvent des secteurs concernés. Sur le sport, par exemple, les élus municipaux ont le sentiment de se voir imposer des normes sans pouvoir réagir. Sur l'éducation nationale, ils ont le sentiment que le dialogue est long et difficile - comme l'a montré la réforme des rythmes scolaires. En matière de santé, les maires ont le sentiment d'être complètement hors-jeu. De même, s'agissant des normes, les élus municipaux dénoncent un manque cruel de moyens ».

L'autre enseignement majeur de cette liste tient évidemment à sa longueur ; il existe trop de structures locales associant l'État et les collectivités territoriales . Si l'on compte environ 70 instances de concertation, ramenées au nombre de départements, notre pays peut s'enorgueillir de compter près de 7 000 instances locales de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. François Deluga relevait avec justesse : « Chaque fois qu'une loi est votée, on crée une instance de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Or, cette logique d'empilement des instances ne peut que paralyser l'action publique ». Un constat partagé par votre délégation, qui est d'avis de réduire le nombre de ces instances au niveau local et de prévoir, par exemple, une commission départementale unique par grand secteur. Sur l'urbanisme par exemple il y a aujourd'hui trop de structures au niveau local.

Recommandation 7 : Réduire drastiquement le nombre d'instances locales de concertation associant l'État et les collectivités territoriales en ne conservant qu'un seul comité ou une seule commission départementale par grands secteurs de politique publique.

Là encore, ce travail de remise à plat des instances locales de dialogue doit être entrepris en concertation avec les grandes associations d'élus qui souhaitent être associées. Comme le suggérait lors de son audition Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) : « La vraie révolution serait d'avoir moins d'instances, mais qu'elles soient dotées d'un véritable pouvoir de décision . Aujourd'hui, certaines commissions ne se réunissent qu'à l'initiative du préfet, comme la commission départementale d'organisation et de modernisation des services publics. En clair, si le préfet ne veut pas dialoguer il n'y a pas dialogue, c'est un comble [...] . Il faut un toilettage complet de ces instances » .


* 21 Comme en témoignent les récents décrets sur la rénovation thermique des bâtiments.

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