LA DÉMARCHE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : UNE RÉVISION CIBLÉE DE LA DIRECTIVE DE 1996

La Commission européenne a indiqué lors de sa prise de fonctions fin 2014, puis dans son programme de travail pour 2015, qu'elle entendait proposer un paquet sur la mobilité des travailleurs 11 ( * ) . Sa présentation a finalement été différée à mars 2016, en raison notamment des négociations avec le Royaume-Uni sur le futur statut de celui-ci au sein de l'Union européenne 12 ( * ) .

Le paquet se limite par ailleurs à une proposition de révision ciblée de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, alors qu'il devait initialement intégrer une révision du règlement de 2004 sur la coordination des régimes de sécurité sociale ainsi qu'une communication sur la mobilité de la main d'oeuvre. La révision du règlement sur la coordination des régimes de sécurité sociale est reportée en attendant les résultats du référendum britannique.

UN CONTEXTE FAVORABLE À LA RÉVISION ?

LA PRESSION DE CERTAINS ETATS MEMBRES

Sept gouvernements, dont la France, ont appelé à une révision de la directive de 1996 dans une lettre adressée, le 5 juin 2015, à la Commissaire européenne à l'emploi et aux affaires sociales, Mme Marianne Thyssen 13 ( * ) . Les ministres insistent, dans ce document, sur le principe d'un salaire égal sur un même lieu de travail. Ces Etats souhaitaient dépasser le « noyau dur » de règles minimales prévu par la directive de 1996.

A l'inverse, neuf gouvernements ont manifesté leur opposition à tout projet de révision dans un courrier également adressé à la Commissaire européenne 14 ( * ) . Ils relèvent en premier lieu que la directive d'exécution n'a pas encore été partout transposée. Ils jugent ensuite que toute révision pourrait remettre en cause la liberté de service et fragiliser le marché intérieur.

LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

La Cour de justice de l'Union européenne a, de son côté, clarifié les droits des travailleurs détachés dans un arrêt rendu le 12 février 2015 en précisant notamment les éléments devant être intégrés dans la rémunération 15 ( * ) . La société polonaise ESA ayant détaché 186 salariés en Finlande pour effectuer des travaux d'électrification les a rémunérés aux conditions minimales en vigueur en Finlande, refusant d'intégrer des indemnités prévues par les conventions collectives d'application générale. Celles-ci prévoient des classes de rémunération ou des groupes de salaires déterminés, où le calcul du salaire minimal à l'heure (rémunération par unité de temps) ou à la tâche (rémunération au rendement) est différent. Des indemnités journalières de détachement, de trajet, de congés et d'hébergement sont également intégrées. Aux termes de l'arrêt, il ressort que les questions portant sur le taux de salaire minimal sont régies, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, par la réglementation de l'État membre d'accueil. Le mode de calcul du taux du salaire minimal est donc du ressort de l'État membre d'accueil. S'il existe des classes de rémunérations fondées sur des règles transparentes et contraignantes, celles-ci doivent s'imposer, le salaire minimum ne pouvant se substituer à elles. L'indemnité journalière de détachement est, en outre, qualifiée d'allocation propre au détachement. Elle fait donc partie du salaire minimal. L'indemnité du temps de trajet quotidien doit également en faire partie. Le droit à une période annuelle de congés payés fait, quant à lui, partie intégrante du salaire minimal. Le pécule de vacances minimal qui est accordé au travailleur détaché correspond donc au salaire minimal auquel il a droit durant la période de référence. A l'inverse, les dépenses liées au logement ainsi que les bons d'alimentation ne peuvent constituer des éléments du salaire minimal. Ils ne sauraient, en conséquence, être intégrés dans le calcul de celui-ci et restent à la charge des employeurs.

Cet arrêt marque un début de rupture avec la jurisprudence dite Laval de 2007 16 ( * ) . Aux termes de cet arrêt, la Cour a justifié sa décision en soulignait que la directive concernant le détachement de travailleurs n'obligeait pas les prestataires de service étrangers à appliquer une rémunération dépassant le salaire minimum, si cette rémunération n'a pas été définie par une loi ou une convention collective de portée générale. Le cas visé par la Cour concernait une rémunération établie dans le cadre de négociations collectives, au cas par cas, sur le lieu de travail, tenant compte de la qualification et des fonctions des salariés concernés. L'arrêt de 2015 tend plutôt à consacrer le principe d'égalité salariale, même si en l'espèce le salaire a été négocié dans le cadre de conventions collectives d'application générale. La Cour renvoie cependant au juge national le soin de vérifier si les règles de rémunération sont contraignantes et transparentes.

La Cour de Justice a également rendu, le 17 novembre 2015, un arrêt aux termes duquel la participation à un marché public pouvait être subordonnée à l'engagement à verser un salaire minimum, notamment lorsqu'il y a recours à un sous-traitant 17 ( * ) .


* 11 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions : Programme de de travail de la Commission pour l'année 2015 - Un nouvel élan (COM (2014) 910 final).

* 12 L'accord trouvé entre le Royaume-Uni et ses vingt-sept partenaires le 19 février 2016, prévoit que le versement de prestations sociales liées au travail pour les travailleurs migrants européens nouvellement arrivés au Royaume-Uni soit conditionné sur une période de sept ans. Les autorités britanniques pourront priver un travailleur migrant des prestations liées de manière automatique aux salaires (les 'in-work benefits') jusqu'à quatre ans au cours de cette période de sept ans. Un retour progressif pendant ces quatre années aux allocations est prévu, en fonction du degré de connexion du travailleur au marché du travail britannique. Le niveau d'allocations sera indexé sur le niveau de vie et le niveau des prestations du pays où réside l'enfant du travailleur migrant à compter de 2020. Cette disposition implique une révision du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale. Elle ne s'appliquera également qu'aux nouveaux arrivants. Tous les États membres pourront procéder de même et indexer de la même manière ces prestations familiales exportées dans un autre État membre.

* 13 Allemagne, Autriche, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et Suède.

* 14 Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et République tchèque.

* 15 Arrêt CJUE du 12 février 2015, affaire C?396/13, Sähköalojen ammattiliittory/Elektrobudowa Spóka Akcyjna.

* 16 Arrêt CJUE du 18 décembre 2007, affaire C-341/05 Laval un Partneri Ltd contre Svenska Byggnadsarbetareförbundet, Svenska Byggnadsarbetareförbundets avdelning 1, Byggettan et Svenska Elektrikerförbundet.

* 17 Arrêt CJUE du 17 novembre 2015 RegioPost GmbH & Co. KG contre Stadt Landau in der Pfalz.

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