II. - Rencontre avec des Meilleures ouvrières de France4 ( * )

Le concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France » :
quelques éléments d'information 5 ( * )

- 25 concours ont été organisés depuis 1924 ;

- 9 006 titres « Un des Meilleurs Ouvriers de France » ont été décernés depuis la création du concours ;

- l'organisation du concours s'appuie sur plus de 2 500 bénévoles, plus de 1 000 jurys professionnels, 140 jurys généraux supervisant les épreuves et 90 établissements (lycées, centres de formations pour adultes (CFA), entreprises, fédérations professionnelles, musées, etc.) accueillant les épreuves qualificatives et finales sur le territoire français ;

- 2 587 candidats issus de France métropolitaine, d'outre-mer et de l'étranger ont participé au dernier concours de MOF, dont 74 candidats ultramarins ;

- les inscriptions sont ouvertes pendant six mois (la seule condition est d'être âgé d'au moins 23 ans) ;

- un concours se déroule sur deux ans et demi environ ; après les épreuves de qualification sont organisées les épreuves finales ;

- le coût du concours est estimé par le COET à 4 000 euros par candidat ;

- la cérémonie de remise des médailles est organisée dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, puis le Président de la République reçoit les lauréats à l'Élysée ;

- la moyenne d'âge des candidats est de 38 ans.

Les épreuves portent sur 210 métiers répartis dans 17 groupes de métiers :

- 6 métiers de la restauration et de l'hôtellerie ;

- 9 métiers de l'alimentation ;

- 36 métiers du bâtiment et du patrimoine architectural ;

- 23 métiers du textile et du cuir ;

- 23 métiers du bois et de l'ameublement ;

- 6 métiers des métaux ;

- 14 métiers de l'industrie ;

- 21 métiers de la terre et du verre ;

- 7 métiers du vêtement ;

- 16 métiers des accessoires de la mode et de la beauté ;

- 6 métiers de la bijouterie ;

- 13 métiers des techniques de précision ;

- 5 métiers de la gravure ;

- 19 métiers de la communication, du multimédia, de l'audiovisuel ;

- 4 métiers liés à la musique ;

- 5 métiers de l'agriculture et de l'aménagement du paysage ;

- 7 métiers du commerce et des services.

Chacun des concours repose sur l'intervention d'un « président de classe », chargé de créer le référentiel métier des épreuves, d'organiser la tenue de celles-ci et de définir les sujets ainsi que la composition des jurys qui, dans un souci d'équilibre, ne comportent pas plus de 50 % de MOF.

1. INTRODUCTION : ÊTRE MEILLEURE OUVRIÈRE DE FRANCE AUJOURD'HUI

Le dialogue qui s'est instauré entre sénateurs et Meilleures ouvrières de France au cours de cette réunion a mis en évidence les éléments suivants :

- l'attachement des Meilleures ouvrières de France aux valeurs d'excellence et de rigueur et la passion communicative avec laquelle elles parlent de leur travail ;

- le souhait d'une meilleure valorisation de leur concours et d'une meilleure communication sur un titre finalement trop mal connu ;

- la forte implication de bénévoles dans l'organisation des concours ;

- la diversité de métiers exercés par les Meilleurs ouvriers de France (le concours est en réalité décliné en 210 métiers 6 ( * ) ), alors que ce titre est associé principalement, dans l'esprit du public, aux métiers de bouche et à l'artisanat d'art.

Les témoignages des jeunes femmes portant le titre de « meilleure apprentie » ont confirmé l'intérêt de l'apprentissage pour celles et ceux qui s'orientent vers un métier manuel, par rapport au bac professionnel que ces témoignages ont considéré comme relativement théorique.

Les échanges qui ont pu avoir lieu à l'occasion de cette réunion ont mis en évidence des traits communs entre le vécu des Meilleures ouvrières de France et les constats opérés par les femmes dans bien d'autres secteurs d'activité :

- cette rencontre a tout d'abord confirmé le sentiment que, pour les Meilleures ouvrières de France comme pour beaucoup de femmes, il faut, pour être considérées et pour réussir, être « meilleures que les hommes » ;

- s'est exprimé également le sentiment d'une certaine « invisibilité ». Ainsi une restauratrice de pianos a-t-elle estimé que, malgré la qualité du travail accompli parfois « dans l'ombre », les femmes MOF apparaissent peu dans les lieux de prestige que sont, par exemple, les salles de concerts ;

- par ailleurs, le témoignage d'une jeune femme « meilleure apprentie » a mis en évidence une relative inadaptation de certaines formations aux élèves de sexe féminin, qu'il s'agisse des activités sportives proposées ou des locaux (ce qui semble concerner, par exemple, les vestiaires).

Enfin, la délégation aux droits des femmes l'a appris avec étonnement, ce n'est que depuis 2003 que les femmes peuvent être reçues en tant que compagnons , à l' Association ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France (AOCDTF) ; l'accès des femmes était en réalité permis depuis 1998-1999, mais sans que cela soit connu, semble-t-il. En revanche, l' Union compagnonnique du Tour de France n'accepte toujours pas les femmes, comme le montrent les captures d'écran ci-après.

Selon le site des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis , à la rubrique FAQ, à la question : « Une jeune fille peut-elle devenir « compagnon » à l' Union compagnonnique ? », il est répondu : « Aujourd'hui, seuls les garçons peuvent prétendre devenir compagnons. Cependant, compte tenu de l'évolution concernant les femmes dans les métiers manuels, l'Union compagnonnique réfléchit à une éventuelle venue des femmes dans le monde compagnonnique. Un groupe de compagnons est chargé d'étudier cette éventualité ainsi que d'en définir les modalités » 7 ( * ) .

La délégation aux droits des femmes ne peut souscrire à cette exclusion et espère que l' Union compagnonnique évoluera dans le sens d'une réelle égalité entre hommes et femmes.

Les femmes et le concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France » :
chiffres clés 8 ( * )

- 532 femmes inscrites, soit 20,6 % de candidates (total des inscrits : 2 587) ;

- 160 candidates qualifiées, soit 21 % de femmes (total des qualifiés : 762) ;

- 53 « Meilleures Ouvrières de Frances » désignées, soit 23,6 % de femmes au total

(total des MOF : 225).

Les femmes inscrites aux concours par groupe de métiers

- Groupe VII : Métiers de l'industrie : 0 femme sur 63 candidats

- Groupe XV : Métiers liés à la musique : 0 femme sur 21 candidats

- Groupe XII : Métiers des techniques de précision : 2 femmes sur 95 candidats

(soit 2,1 % des candidats de ce groupe)

- Groupe VI : Métiers des métaux : 1 femme sur 14 candidats

(soit 7,2 % des candidats de ce groupe)

- Groupe III : Métiers du bâtiment et du patrimoine architectural :

23 femmes sur 312 candidats (soit 7,4 % des candidats de ce groupe)

- Groupe II : Métiers de l'alimentation : 33 femmes sur 394 candidats

(soit 8,4 % des candidats de ce groupe)

- Groupe I : Métiers de la restauration et de l'hôtellerie : 80 femmes sur 832 candidats

(soit 9,62 % des candidats de ce groupe)

- Groupe XI : Métiers de la bijouterie : 11 femmes sur 48 candidats

(soit 22,9 % des candidats de ce groupe)

- Groupe V : Métiers du bois et de l'ameublement : 34 femmes sur 143 candidats

(soit 23,8 % des candidats de ce groupe)

- Groupe XVI : Métiers de l'agriculture et de l'aménagement du paysage :

21 femmes sur 79 candidats (soit 26,6 % des candidats de ce groupe)

- Groupe XIV : Métiers de la communication, du multimédia, de l'audiovisuel :

50 femmes sur 151 candidats (soit 33,1 % des candidats de ce groupe)

- Groupe XVII : Métiers du commerce et des services : 14 femmes sur 36 candidats

(38,9 % des candidats de ce groupe)

- Groupe VIII : Métiers de la terre et du verre : 49 femmes sur 107 candidats

(soit 45,8 % des candidats de ce groupe)

- Groupe XIII : Métiers de la gravure : 4 femmes sur 8 candidats

(soit 50 % des candidats de ce groupe)

- Groupe IV : Métiers du textile et du cuir : 23 femmes sur 37 candidats

(soit 62,2 % des candidats de ce groupe)

- Groupe X : Métiers des accessoires de la mode et de la beauté :

134 femmes sur 184 candidats (soit 72,9 % des candidats de ce groupe)

- Groupe IX : Métiers du vêtement : 53 femmes sur 63 candidats

(soit 84,1 % des candidats de ce groupe)

Répartition hommes-femmes

Source : COET, mai 2016

Si l'on se réfère au dernier concours de 2013-2015, le titre de MOF ne concerne encore que 23,6 % de femmes : la proportion de sénatrices (26 %) n'est donc pas sensiblement supérieure à celle des meilleures ouvrières de France...

À ce jour, les femmes ne représentent que 20,6 % des candidats, ce qui souligne l' importance d'une meilleure communication à destination des femmes pour encourager leurs candidatures .

On constate par ailleurs que les métiers dans lesquels concourent les femmes demeurent les métiers considérés traditionnellement comme féminins. On ne compte ainsi aucune candidate, par exemple, dans les métiers de l' industrie ; une seule femme s'est présentée dans le groupe des métiers des métaux (7,2 % des candidats) ; deux ont été candidates dans la catégorie des métiers des techniques de précision (2,1 % des candidats de ce groupe). On note aussi l'absence de candidature féminine dans le groupe des métiers liés à la musique .

Cette logique conduit inversement à une très forte proportion de candidates dans les groupes de métiers suivants : accessoires de mode et de beauté (72,9 % des candidatures), métiers du vêtement (84,1 % des candidatures) et métiers du textile et du cuir (62,2 % des candidatures).

Certains responsables du concours de MOF ont estimé possible de féminiser le concours en créant de nouvelles épreuves adaptées au profil de l'emploi féminin. Celui-ci étant davantage représenté dans les activités tertiaires, un concours de « conseil en solutions sanitaires », par exemple, a été mis en place récemment : la dernière promotion a été à majorité féminine. Dans le même esprit ont été favorisées des épreuves permettant la participation de personnes travaillant dans des bureaux d'études du bâtiment.

Certes, ces évolutions procèdent d'une intention louable de féminiser le titre de MOF. Mais ces choix ne semblent pas de nature à permettre véritablement d'évoluer vers l'égalité professionnelle, qui exige un travail en profondeur pour encourager l'orientation des jeunes filles vers des métiers non typiquement féminins.

Les témoignages de jeunes femmes exerçant les métiers de carreleur , de charpentier et de peintre en carrosserie (nous ne féminisons pas ces fonctions puisque les témoins elles-mêmes semblent ne pas y tenir) ont confirmé qu' aucune profession ne devrait être fermée aux femmes et que celles-ci ont toute leur place dans des métiers considérés a priori comme masculins , non seulement parce qu'elles l'exercent avec talent (leur titre de meilleure ouvrière ou de meilleure apprentie le prouve, si cela était nécessaire), mais aussi parce qu'elles témoignent d'une véritable passion pour leur travail , que beaucoup de salariés pourraient leur envier...

La délégation ne peut, face à ces témoignages éclairants, que déplorer le poids regrettable des stéréotypes masculins et féminins dans la persistance des inégalités professionnelles entre hommes et femmes . Elle souhaite souligner la nécessité de lutter contre les préjugés qui reviennent à priver notre société de nombreux talents. Faut-il rappeler que les femmes représentent la moitié de l'humanité et que les exclure, de quelque secteur d'activité que ce soit, constitue une sorte de « perte de chance » pour l'avenir de notre économie ?

2. PROGRAMME DE LA RENCONTRE AVEC DES MEILLEURES OUVRIÈRES DE FRANCE

3. COMPTE RENDU DE LA RENCONTRE

Gérard Larcher, président du Sénat . - Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, chère Chantal Jouanno, Madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, chère Catherine Morin-Desailly, Madame la présidente de la délégation du Sénat aux entreprises, chère Élisabeth Lamure, chère Christiane Hummel, mes chères collègues sénatrices, Madame la présidente Hélène Luc, toujours fidèle à nos manifestations, Mesdames et Messieurs les Meilleurs ouvriers de France.

Mes saluts s'adressent aussi aux jeunes ici présents.

J'ai souhaité venir à votre rencontre cet après-midi dans un lieu incarnant une femme, Marie de Médicis, qui a affronté un destin terrible lorsque son époux, le roi Henri IV, fut assassiné puis lorsque, victime de la Journée des dupes, elle connut l'exil et termina son destin dans la solitude.

Quand j'ai appris qu'une rencontre était organisée dans l'enceinte du Palais du Luxembourg avec des femmes MOF, j'ai tenu à venir vous saluer et à vous souhaiter à toutes, ici présentes, la bienvenue au Sénat.

Je félicite tout particulièrement, en cette journée du 8 mars, la délégation aux droits des femmes et les 91 sénatrices présentes dans notre assemblée. Certes, la féminisation du Sénat progresse, mais nous pouvons encore faire mieux !

Je tiens enfin et surtout à féliciter Christiane Hummel qui est à l'origine de cet événement.

Cette rencontre conjointe constitue une première pour les trois structures sénatoriales qui sont à l'origine de notre réunion : la délégation aux droits des femmes, bien sûr, la commission de la culture, dont les compétences touchent aussi à l'éducation et à la formation, et la délégation aux entreprises qui, en dix-huit mois, a déjà mené une action dynamique en faveur notamment de l'apprentissage, sujet que vous connaissez bien, Mesdames les Meilleures ouvrières de France.

Toutes les initiatives qui concourent à faire évoluer les mentalités et à valoriser la formation par l'alternance et l'apprentissage, qui reste encore trop souvent le parent délaissé de notre système de formation, contrairement à ce qui se passe chez beaucoup de nos voisins européens, doivent être encouragées. Les parcours d'excellence qui sont les vôtres, ce que vous représentez pour notre pays, constituent un exemple pour de nombreuses jeunes filles. La Rochefoucauld, dans l'une de ses maximes, soulignait que « l'exemple en dit plus que les paroles ». Et en effet, votre présence et votre exemple en disent beaucoup plus que de grands discours !

Au Sénat, nous sommes engagés en faveur de la formation professionnelle et de l'apprentissage. C'est pourquoi nous voulons continuer à agir et formuler des propositions dans ce domaine.

D'abord, en exerçant notre mission de législateur : une proposition de loi sera ainsi débattue au printemps. Autour d'un pacte national pour l'apprentissage, il s'agira d'accroître la place des régions, d'offrir des formations plus adaptées aux besoins des entreprises et des jeunes et de simplifier les procédures.

Un colloque a été organisé en ces lieux voilà quelques mois. Pour moi qui ai été ministre du travail et de la formation professionnelle, douze ans après avoir martelé, avec Jean-Louis Borloo, notre volonté de favoriser l'apprentissage, c'est un regret de constater que nous n'avons pas encore gagné la partie dans ce domaine.

Ensuite, nous avons voulu que le Sénat soit, lui-même, exemplaire. Nous avions commencé avec des apprentis dans nos services techniques, comme les cuisines ou l'entretien des jardins. Nous avons décidé d'élargir l'accueil d'apprentis à toutes les directions du Sénat, y compris aux directions chargées des missions institutionnelles. Notre objectif est, à la prochaine rentrée, d'accueillir treize apprentis. Il ne suffit pas de voter la loi, il faut également l'appliquer soi-même. Nous serons peut-être parmi les premières institutions à nous engager dans cette voie de l'accueil d'apprentis, et j'espère que notre exemple sera contagieux ! Nous aurons ainsi contribué à décloisonner le concept de l'apprentissage au sein même de notre institution.

Il ne suffit pas de se préoccuper, une journée par an, de la situation des femmes. Cette rencontre montrera que, dans vos métiers respectifs, vous faites bouger des lignes et que la place des femmes dans l'entreprise est en train d'évoluer. C'est aussi ce qu'Élisabeth Lamure nous démontre : il est significatif qu'une femme préside cette délégation. Il faut dire qu'elle s'imposait tout naturellement pour cette mission.

Je vous souhaite, cet après-midi au Sénat, des échanges stimulants. C'est une occasion de montrer que la parité constitue une chance pour les femmes comme pour les hommes, mais surtout pour la société, à un moment où elle est confrontée à plusieurs défis.

Soyez tous attentifs à un principe sur lequel nous avons progressé ensemble, par la volonté des femmes, essentiellement depuis la fin du XIX ème siècle. Nous devons centrer les valeurs de la République autour des principes d'équité, d'égalité et de respect mutuel entre les hommes et les femmes. Ces valeurs font partie des valeurs de la République. La liberté, l'égalité et la fraternité représentent de grands principes, mais en cette période où la menace obscurantiste étend son ombre sur notre planète, il est bon de porter le regard vers la lumière des femmes et de poser le principe de la parité comme l'une des chances de notre société.

Pour conclure, mesdames et messieurs, quel meilleur symbole, en cette journée du 8 mars, que cette rencontre entre des femmes investies de responsabilités importantes au Sénat et des femmes qui, par leurs métiers respectifs, font bouger les lignes pour faire évoluer la place des femmes dans le monde de l'entreprise et de l'artisanat ?

Je vous souhaite un très bon après-midi au Sénat.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci, Monsieur le Président, pour votre témoignage et votre participation à cette journée.

Le fait de présider la délégation aux droits des femmes me vaut l'honneur d'intervenir après vous en cette Journée internationale des droits des femmes . Je tiens à remercier tout particulièrement Christiane Hummel d'avoir pris l'initiative de cette rencontre, une grande première, comme vous l'avez fait remarquer, pour les présidentes de la commission de la culture, de la délégation aux entreprises et de la délégation aux droits des femmes.

Mesdames les Meilleures ouvrières de France, j'attache beaucoup d'intérêt à ces échanges avec vous, aujourd'hui, au Sénat. Comme on vous l'a sans doute dit maintes fois, vous représentez l'excellence. Or l'excellence est un terme féminin, même s'il ne renvoie pas toujours, dans nos constructions mentales, à une image féminine. Il est regrettable de constater que, avec 23 % de femmes parmi les Meilleurs ouvriers de France, vous soyez encore moins nombreuses que nous, les sénatrices, qui représentons 26 % des membres du Sénat. Je souhaite que, les unes et les autres, nous progressions régulièrement en nombre dans nos domaines respectifs.

La notion d'excellence est particulièrement importante. L'excellence n'est en soi ni féminine ni masculine. Ce que vous voulez, c'est donner le meilleur, comme nous dans notre travail de sénatrices. Nous voulons être jugées simplement sur nos réalisations, parce que nous cherchons le meilleur, que ce soit en politique ou dans nos métiers respectifs.

Pour nous, la féminisation des Meilleurs ouvriers de France doit absolument s'étendre aux métiers considérés comme masculins. Je pense au bâtiment, dont une représentante est présente dans cet hémicycle aujourd'hui, au secteur de l'industrie et, plus particulièrement, à celui de l'automobile.

Par le biais de l'apprentissage, nous avons les moyens de faire progresser la présence des femmes et, surtout, de lutter contre les stéréotypes qui enferment les femmes dans des fonctions et des comportements considérés comme féminins. Il s'agit là d'une préoccupation constante de la délégation. Qu'ils soient véhiculés de manière consciente ou inconsciente, les stéréotypes existent partout. Dès le plus jeune âge, par exemple dans les jouets que nous offrons à nos enfants (c'est un sujet sur lequel la délégation a travaillé en 2014), dans les mots que nous prononçons devant eux, dans l'éducation que nous leur donnons, nous transmettons des stéréotypes.

Nous allons travailler prochainement sur un sujet qui pourrait faire sourire : «  Femmes et voitures ». Là encore, que de clichés ! Les femmes ne savent pas faire de créneau, elles n'avancent pas, n'ont pas le sens de l'orientation, ne savent pas changer une roue, etc. Pour ce qui me concerne, tout n'est pas entièrement faux... À travers ce rapport d'information, nous souhaitons également aborder des sujets plus fondamentaux, comme la précarisation des femmes qui n'ont pas accès à un moyen de déplacement, les difficultés pour obtenir le permis de conduire et la place des femmes dans les métiers de l'automobile. Nous solliciterons tous les témoignages nécessaires : nous aurons l'occasion d'en reparler lorsque nous lancerons nos premières auditions.

Stéréotypes et excellence : je pense que voilà les maîtres mots, poru ce qui me concerne, de cette rencontre.

Je laisse maintenant la parole à Catherine Morin-Desailly.

Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Mesdames et Messieurs, je suis heureuse de retrouver celles et ceux dont j'ai pu faire la connaissance grâce à Christiane Hummel ce matin. Comme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, je vous souhaite très chaleureusement la bienvenue au Sénat.

En préambule, je tiens à remercier, moi aussi, notre collègue Christiane Hummel. Elle a le double mérite d'être un membre actif de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la délégation aux droits des femmes. Elle n'est d'ailleurs pas la seule dans cet hémicycle. Je salue les sénatrices qui, comme Maryvonne Blondin, se montrent très actives pour pousser les sujets concernant les femmes au sein de la commission de la culture.

Le titre de Meilleur ouvrier de France que vous portez récompense l'excellence professionnelle élevée à son plus haut degré. Ancien professeur, je sais que ce titre consacre un long parcours, des études exigeantes, difficiles et une discipline souvent sans faille dans le travail et l'apprentissage. Chantal Jouanno a évoqué différents métiers plus ou moins liés à l'apprentissage. Les métiers de bouche sont souvent mis en avant dans la profession, mais il ne faut pas oublier tous les métiers de l'artisanat, notamment de l'artisanat d'art, auxquels notre commission est particulièrement attachée.

L'excellence au féminin est particulièrement importante. Dans vos professions respectives, elle est souvent incarnée par des hommes. Or, votre présence ici démontre que les femmes ont la capacité de faire carrière, réussir, s'illustrer. À travers votre engagement, vous défendez donc la cause de toutes les femmes, dans tous les secteurs professionnels.

Le Sénat entretient une relation particulière avec la Société des Meilleurs ouvriers de France. C'est au Palais du Luxembourg, en effet, que sont remis chaque année les prix du concours de Meilleur apprenti de France qui récompense l'excellence des apprentis engagés sur le chemin de la réussite et de l'emploi.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication que j'ai l'honneur de présider est très engagée à la fois sur le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes et sur la promotion des métiers manuels et des métiers de l'artisanat. Le mot « manuel » pourrait être considéré comme un terme dévalorisant. Ce n'est pas le cas. Il faut assumer ce terme. Il existe différents types d'intelligence, différents parcours de réussite pour nos jeunes. Nous devons nous y atteler pour faire avancer notre système éducatif.

Si les filles obtiennent généralement de meilleurs résultats scolaires, on constate toutefois qu'elles sont moins nombreuses à s'orienter vers certains métiers, notamment scientifiques. Dans les filières de la production et de l'artisanat, des secteurs restent encore insuffisamment connus des jeunes filles et nécessitent une attention accrue de la part du corps professoral et de tous ceux qui contribuent à l'orientation des jeunes.

Plus encore qu'aux obstacles institutionnels ou aux stéréotypes, c'est aux représentations que se heurte l'accès des jeunes filles à ces filières et ces professions. Il faut travailler pour lever les réticences des jeunes filles et les conduire à une meilleure appréciation de certaines voies de réussite et d'apprentissage. Notre commission a réfléchi à la manière de faire avancer le sujet. Nous avons engagé un grand travail sur l'orientation. Aucun rapport de fond n'a été réalisé ces dernières années sur ce thème clé, situé au coeur de l'éducation.

Mes collègues ont donc lancé un travail de terrain et réalisé plusieurs auditions afin de formuler des propositions qui pourront peut-être donner lieu à des avancées législatives. Parmi les thèmes retenus dans cette mission sur l'orientation figurent bien entendu la question des stéréotypes sexués et la revalorisation de l'apprentissage, auquel le Sénat est très attaché.

Je tenais à vous dire en conclusion toute mon admiration et ma reconnaissance pour la réussite que vous illustrez aujourd'hui. Vous êtes autant de modèles à suivre pour tous les jeunes qui s'interrogent sur leur avenir. Pouvoir suivre des modèles constitue la meilleure façon de s'engager dans les études, puis dans la vie professionnelle. Vous incarnez ces modèles. Je vous en félicite, au nom de notre commission.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - La parole est à Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises.

Élisabeth Lamure, présidente de la délégation du Sénat aux entreprises . - Mesdames les présidentes, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises que j'ai l'honneur de représenter, permettez-moi de vous dire tout le plaisir que j'ai d'être associée à cette rencontre. Je remercie Chantal Jouanno pour son invitation, ainsi que ma collègue Christiane Hummel pour son heureuse initiative.

La délégation aux entreprises a été créée voilà un peu plus d'un an à l'initiative du président du Sénat, Gérard Larcher. Sa mission est de nouer un dialogue entre le Sénat et les entreprises, qui font la croissance et l'emploi dans les territoires. Notre objectif est non seulement de mieux faire entendre la voix des entreprises au Parlement, mais aussi de rétablir la confiance des entreprises envers le législateur.

Pour cela, nous avons choisi d'aller à la rencontre des entrepreneurs là où ils sont, dans les territoires. Depuis plus d'un an, la délégation aux entreprises s'est ainsi déplacée dans une dizaine de départements. Elle y a rencontré plus de 200 entrepreneurs, avec des métiers très différents. De nombreux entrepreneurs ont souligné leurs difficultés pour recourir à l'apprentissage, alors même qu'ils nous ont affirmé combien ils en avaient besoin. Je me souviens en particulier de l'un d'eux, dans la Drôme, qui nous a dit que les compagnons étaient très précieux pour son entreprise, presque plus que les ingénieurs, car ils n'ont pas d'équivalent. Au moment où un quart de nos jeunes se retrouve au chômage, promouvoir l'apprentissage nous est vite apparu comme une urgence.

Nous avons organisé ici même une table ronde sur l'apprentissage en octobre dernier, et nous avons démarré un travail approfondi pour identifier tous les freins au développement de l'apprentissage et pour tenter de le réformer, de le rendre plus accessible et d'augmenter le nombre d'apprentis.

Au terme de ce travail, notre délégation a élaboré une proposition de loi qui a tout récemment été déposée sur le Bureau du Sénat 9 ( * ) . Le texte a plusieurs ambitions : redéfinir les objectifs de l'apprentissage, instaurer un pacte national pour favoriser son essor, renouveler la gouvernance et affirmer le rôle des régions dans ce domaine, offrir des formations plus adaptées aux besoins des jeunes et des entreprises, et prévoir des mesures de simplification administrative pour les entreprises, un sujet lui aussi très souvent évoqué.

J'espère que ce texte pourra bientôt être adopté par le Sénat, qui a depuis longtemps manifesté son attachement à l'apprentissage. Le 13 avril prochain, le Sénat accueillera d'ailleurs les seizièmes Rencontres sénatoriales de l'apprentissage.

Développer l'apprentissage comme une voie de réussite, cela passe aussi par une meilleure reconnaissance des métiers auxquels il forme. Cette reconnaissance n'est pas du ressort de la loi, mais notre réunion de ce jour peut sans doute y contribuer. Vous êtes en effet d'éminentes représentantes de ces savoir-faire qui font la fierté et la richesse de notre pays.

Et je me réjouis de voir autant de femmes parmi vous aujourd'hui. Je sais pourtant que les filles restent largement minoritaires dans l'apprentissage : un apprenti sur trois est une fille, un sur quatre seulement au niveau V.

Je sais aussi que des jeunes filles Meilleures apprenties se trouvent parmi nous. À elles, comme aux Meilleures ouvrières de France, je veux dire toute mon admiration. J'y vois un beau message, et j'espère qu'elles donneront envie à d'autres ! Je ne peux que les encourager à continuer à se perfectionner au sein des entreprises et, pourquoi pas, à créer leur propre entreprise !

J'ai souvent regretté le très petit nombre de femmes (si ce n'est leur absence) dans les tables rondes que la délégation aux entreprises organise avec des entrepreneurs lors de ses déplacements. Hier encore, en Saône-et-Loire, un bassin d'emploi pourtant très industriel, notre table ronde réunissait une vingtaine d'entrepreneurs ; une seule femme, cadre dans son entreprise, y participait. Les femmes doivent devenir plus nombreuses dans le monde de l'entrepreneuriat, mais aussi plus visibles. Je ne peux que vous encourager mutuellement dans cette voie.

Je tenais donc à vous féliciter, à vous témoigner toute mon admiration et à vous souhaiter une très bonne journée parmi nous.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Vous avez raison d'insister sur les femmes entrepreneures. Souvent, les femmes se fixent à elles-mêmes des barrières et c'est vraiment regrettable... Je donne maintenant la parole à Christiane Hummel, qui va revenir avec nous sur l'origine de notre rencontre d'aujourd'hui.

Christiane Hummel . - Mesdames les présidentes, c'est plutôt à moi de vous adresser des remerciements. Je tiens en particulier à remercier le Président du Sénat qui a accepté notre proposition de rencontre avec enthousiasme, tout comme vous, Mesdames, qui avez accepté de participer à cette manifestation.

Je suis maire d'une commune ; un jour, mes collaborateurs m'ont signalé que notre commune comptait trois meilleurs apprentis de France. J'ai alors décidé d'organiser une manifestation pour les mettre à l'honneur. Jocelyne Caprile, ici présente, Meilleure ouvrière de France en teinturerie-apprêtage, accompagnait ces jeunes et leurs familles. Elle m'a expliqué le dispositif des « Meilleurs ouvriers de France ».

Nous ne connaissons pas assez bien l'apprentissage et les opportunités qu'il offre. Je peste lorsque, lors des journées portes ouvertes organisées dans les collèges de ma commune, on propose aux jeunes femmes le métier de secrétaire médicale, dont nous avons moins besoin que par le passé, alors qu'il faudrait leur présenter des secteurs porteurs, comme par exemple le bâtiment. Il me semblait important d'agir et j'ai donc proposé à Jocelyne Caprile de mettre en place une manifestation pour le 8 mars 2016. Petit à petit, nous avons progressé dans notre réflexion et nous voilà aujourd'hui dans cette salle du Sénat avec vous, Mesdames les présidentes.

Je suis vraiment honorée que vous ayez accepté de soutenir ce projet de réunion. Ce matin, en rencontrant chacune des Meilleures ouvrières de France présentes ici, j'ai compris que, au-delà de votre mérite et de votre excellence, vous aviez un coeur énorme, comme toutes les femmes d'ailleurs. Ce coeur vous conduit à vous tourner vers les autres, vers les apprentis, vers vos concitoyens.

Vous avez décidé en effet de créer une association pour promouvoir l'action des Meilleurs ouvriers de France et le travail que vous réalisez auprès des jeunes pour les inciter à se présenter aux Meilleurs apprentis de France. Vous m'avez fait l'honneur de tenir votre assemblée générale inaugurale dans ma commune, La Valette-du-Var. Nous serons très heureux de vous soutenir encore. Avec l'appui des présidentes et de mes collègues, je pense que nous pourrons faire avancer l'apprentissage et résoudre les difficultés que connaissent les jeunes femmes aujourd'hui.

Je suggère maintenant que Jocelyne Caprile intervienne pour nous donner son sentiment sur l'événement que nous vivons aujourd'hui.

Jocelyne Caprile, Meilleur Ouvrier de France teinturier-apprêteur . Quelle belle aventure ! Je n'aurais jamais pensé que nous vivrions cette journée d'exception. Je vous remercie infiniment, Mesdames les présidentes, Madame Hummel, de nous avoir invitées dans cette belle institution qui représente si bien la France. Si vous me le permettez, je vais vous présenter brièvement les Meilleurs ouvriers de France et notre parcours.

Mesdames les sénatrices, Mesdames et Messieurs, au nom de la Société nationale des Meilleurs ouvriers de France et de notre groupe de Meilleurs ouvrières de France, je vous remercie de l'intérêt que vous portez à cette rencontre.

C'est un grand honneur pour nous d'être accueillies dans un endroit aussi prestigieux que le Sénat, un lieu chargé d'histoire. Comme l'a mentionné M. le président du Sénat, la construction du Palais du Luxembourg avait été décidée par une femme, Marie de Médicis.

Depuis la création du concours en 1924, 25 concours ont été organisés, tous les trois ans, dans plus de 200 métiers différents, et 9 000 titres de Meilleurs ouvriers de France ont été décernés. Les qualités communes à tous les Meilleurs ouvriers de France sont la passion de leur métier, le perfectionnisme, le dépassement de soi, l'amour du travail bien fait, le respect du travail, l'esprit d'initiative et l'exemplarité. Nous représentons, nous en sommes conscients, un exemple pour la France, pour les jeunes.

Le concours des Meilleurs ouvriers de France exige généralement la réalisation d'un chef d'oeuvre représentant 500 heures de travail, sur quinze à dix-huit mois de préparation. Les oeuvres constituent chacune une référence d'excellence dans les domaines technique, scientifique, économique et artistique. Elles nous confèrent le titre très envié de l'un des Meilleurs ouvriers de France qui nous permet d'arborer fièrement au col notre médaille bleu blanc rouge. Nous sommes ainsi les ambassadeurs et les ambassadrices de la France dans le monde entier.

En 1986, dans le but de transmettre leur savoir et de développer l'apprentissage, les Meilleurs ouvriers de France ont créé le concours des Meilleurs apprentis de France, pour permettre aux apprentis de se distinguer. Chaque année depuis trente ans, 300 lauréats sont ainsi félicités lors d'une cérémonie organisée au Sénat. Cette reconnaissance les incite ensuite à préparer les Olympiades des métiers et le concours des Meilleurs ouvriers de France.

Dès la première année du concours, en 1924, 18 femmes sur 144 lauréats ont reçu le titre de « Meilleure ouvrière de France ». Près d'un siècle plus tard, nous ne sommes toujours que 12 % à la Société nationale des Meilleurs ouvriers de France. Autrefois, les femmes représentaient des métiers dits alors « charmants », mais aujourd'hui désuets, comme la fabrication des ombrelles, parapluies, boutons, bonneterie, guipure, etc. Aujourd'hui, les femmes s'imposent dans des métiers auparavant réservés aux hommes. Elles choisissent ainsi de devenir carreleur, comme Séverine, que vous entendrez tout à l'heure.

Les Meilleures apprenties de France recèlent également des pépites, notamment une charpentière, une peintre en carrosserie et une spécialiste en maintenance d'équipements industriels. Évidemment, l'implication des maîtres d'apprentissage, en partenariat avec les lycées, est indispensable et je peux témoigner d'une réelle vocation pour la réussite de nos apprentis.

Je tenais à vous remercier pour cette journée mémorable, qui demeurera un symbole fort pour nous. Mesdames les sénatrices, aujourd'hui, vous nous avez permis de vivre une journée d'exception, un moment inoubliable ponctué de respect, d'admiration et d'une grande considération pour les femmes Meilleurs ouvriers de France que nous sommes. Nous vous en sommes infiniment reconnaissantes.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci. Nous disposons d'une heure pour échanger très librement autour de la question qui nous préoccupe toutes et tous : comment féminiser encore davantage les Meilleurs ouvriers de France ? Comment développer la place des femmes dans des métiers considérés a priori comme masculins ? Nous, politiques, devons faire en sorte d'améliorer la vie des femmes par le biais de lois, mais aussi en interpellant le Gouvernement, ou en échangeant avec les partenaires économiques et sociaux.

Les Meilleurs ouvriers de France me paraissent symboliser parfaitement l'exigence de qualité qui s'est toujours trouvée au coeur de la culture française. Nous aimerions mieux connaître votre parcours professionnel, et savoir comment nous pourrions améliorer les choses. Les sénatrices et sénateurs souhaitent sans doute vous poser des questions. Je sais que l'une d'entre vous exerce le métier de carreleur, qui est considéré comme plutôt masculin. Pourriez-vous nous livrer votre témoignage ?

Séverine Jean, Meilleur ouvrier de France - Carreleur . - Mon métier n'est effectivement pas très courant pour une femme. Lorsque j'arrive sur des chantiers où il y a à peu près cent hommes et où je suis la seule femme, je commence par frapper un bon coup de pelle par terre et je me fais respecter d'emblée ! Il faut qu'ils sachent qu'aucun d'eux ne doit venir empiéter sur mon secteur. Je n'ai pas de mal à me faire respecter.

Lorsque j'ai pris contact la première fois pour m'inscrire au concours, j'ai été surprise d'apprendre que j'étais la première femme à le faire depuis que le concours existe, c'est à dire depuis 1924. J'ai dû répéter plusieurs fois que j'étais candidate, tant mes interlocuteurs étaient étonnés. Je leur ai répondu que j'avais des chances de réussir, mais que je retenterais le concours tous les trois ans si j'échouais.

Il n'est pas très courant de voir des femmes dans les métiers du bâtiment. On nous donne généralement un an de survie... J'exerce ce métier depuis dix ans maintenant ! J'encourage les stagiaires, je leur explique qu'il faut se battre. Dans mon métier, il ne faut pas ouvrir les portes, il faut les défoncer pour être écoutée. Il faut se battre tous les jours, mais c'est un très beau métier.

Christiane Hummel . - Monsieur Chabanne, vous êtes le secrétaire général du COET, le Comité d'organisation du concours « Un des Meilleurs ouvriers de France » et des expositions du travail. Comment devient-on Meilleur ouvrier de France ?

Jean-Luc Chabanne, secrétaire général du Comité d'organisation du concours « Un des Meilleurs ouvriers de France » et des expositions du travail (COET) . - Avant de vous répondre, je présenterai le Comité d'organisation du concours « Un des Meilleurs ouvriers de France ». Le concours est un examen de niveau III depuis 2001, équivalent du BTS dans les formations plus académiques. Il est organisé tous les trois ans par le ministère de l'Éducation nationale.

Ce diplôme présente une particularité : son référentiel repose en effet sur la reconnaissance des compétences en situation professionnelle. Ce sont les professionnels qui, tous les trois ans, réécrivent ce référentiel afin de coller au plus près de la réalité économique du moment.

Le concours se déroule en deux temps. Après l'inscription vient une première épreuve qualificative. Nous sommes très sensibles à l'égalité des chances. Ainsi, tout candidat - en majorité des artisans, travailleurs indépendants ou salariés - qui exerce l'un des 210 métiers 10 ( * ) que nous représentons, peut s'inscrire et démontrer qu'il possède les compétences requises.

À l'issue de cette qualification, le candidat retenu peut prétendre au concours final. Celui-ci permet de devenir non pas le meilleur, mais l'un des Meilleurs ouvriers de France. Il s'agit en effet d'une compétition avec soi-même, et non avec les autres. Sur trois ans, nous recevons de 3 500 à 4 000 candidatures. 1 200 à 1 500 personnes sont reçues aux épreuves qualificatives pour une promotion de 250 à 300 Meilleurs ouvriers de France.

Le COET est aujourd'hui inscrit au code de l'Éducation nationale et permet aux professionnels de réécrire régulièrement la réalité en redéfinissant les compétences attendues des candidats à chaque édition du concours.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Comment pouvez-vous contribuer à la féminisation des Meilleurs ouvriers de France ?

Bernard Hibert, vice-président du COET . - Je représente les présidents des groupes de métier, en charge de ces 210 métiers. Les Meilleurs ouvriers de France sont nés sous la III ème République. Ce n'est qu'à partir de 1925, date de la création des chambres de métiers, que le corps social de l'artisanat s'est structuré.

Dès le départ, sous l'impulsion des pouvoirs publics, le concours s'est ouvert aux femmes. Ces dernières ont dû attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale, voire plus tard, pour accéder aux études de médecine. Pendant la guerre, les femmes ont joué un rôle important, non seulement dans l'agriculture, mais aussi dans les métiers du bois et du bâtiment. La guerre explique également les flux migratoires du sud de l'Europe qui ont apporté de nouvelles techniques dans le bâtiment. Compte tenu des responsabilités assumées par les femmes pendant la guerre, il paraissait légitime que le concours des MOF, à l'initiative du ministère de l'Enseignement, accorde une place aux femmes.

Aujourd'hui, 80 % des entreprises artisanales sont pilotées conjointement par des hommes et des femmes. Le statut des femmes dans l'artisanat a évolué lentement, mais un statut de conjoint collaborateur a été créé. Lors des prochaines élections aux chambres de métiers, même si la parité ne sera pas entièrement respectée, les femmes pourront accéder aux postes d'élus consulaires.

Dans nos métiers, l'évolution vers une plus grande féminisation sera permise par l'ouverture du concours aux options et à la diversité des activités.

Dans les entreprises, les femmes exercent davantage des activités tertiaires. On peut donc penser qu'en élargissant les options de métier à ce secteur, on « collera » davantage à la réalité de l'activité professionnelle des femmes. Depuis une dizaine d'années, nous avons donc féminisé le concours en l'ouvrant à des activités de nature plutôt tertiaire. Nous avons ainsi créé une classe dans le conseil en solutions sanitaires, dont les métiers sont assez féminisés. La promotion a d'ailleurs couronné plus de femmes que d'hommes. Nous pourrions ainsi multiplier les exemples, et la contribution du concours de Meilleur ouvrier de France à l'émancipation des femmes ne peut que nous réjouir. Dans le même ordre d'idée, une personne travaillant en bureau d'études peut concourir dans une activité de menuiserie.

Dans les métiers du bâtiment, nous avons déjà fait des efforts en matière de féminisation, même s'il reste beaucoup à accomplir. Ces métiers peuvent être exercés par des hommes ou par des femmes, qui accèdent aussi aux bureaux d'études, comme le montre l'équilibre plus ou moins bien assuré dans les promotions de l'École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie (ESTP) ou les formations en BTS.

Si nous organisons un concours de Meilleur ouvrier de France en menuiserie, par exemple, nous devons admettre le travail pluridisciplinaire et la démonstration de la qualité du geste par l'objet, mais aussi par la démarche globale de l'activité artisanale.

La Société nationale des MOF ne compte que 12 % de femmes, mais le concours lui-même a évolué, puisque 23 % de femmes sont promues. Ce taux est loin d'être suffisant, mais il constitue un premier signe d'évolution. Nous avons également observé, en trois concours, un rajeunissement de la moyenne d'âge. Aujourd'hui, elle s'élève à 38 ans contre plus de 45 ans voilà quelques années, et je pense que l'apprentissage concourt à l'évolution de la sociologie de nos métiers.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Il est bon aussi de féminiser les métiers très masculins.

Carole Peyrefitte, Meilleur Ouvrier de France - Esthétique . - En cette Journée internationale des droits des femmes, après l'intervention de deux hommes, il est grand temps que les femmes prennent la parole ! En tant que vice-présidente de la chambre des métiers du Rhône, présidente des Meilleurs ouvriers de France de la région Auvergne Rhône-Alpes, je vous remercie infiniment de nous recevoir aujourd'hui. Je tiens à remercier tout particulièrement Jocelyne Caprile pour avoir largement contribué à l'organisation de cette rencontre.

Vous vous interrogiez sur la manière de féminiser le concours. Madame Hummel, vous avez employé le seul mot essentiel à la vie du concours et à la vie des femmes chefs d'entreprise. Pour se diriger vers ce type de concours, il faut avoir du coeur ! Aujourd'hui, l'entreprise se féminise et le management féminin, plus à l'écoute des autres, monte en puissance.

Devenir Meilleur ouvrier de France constitue-t-il une vocation ? Je l'ignore. C'est mon père qui, un matin, m'a incitée à passer le concours. Je ne pense pas qu'il existe une recette pour y réussir. Il faut le faire avec coeur. Les Meilleurs ouvriers de France représentent une voie d'excellence, de passion. Or, les femmes excellent dans la passion !

Sylvia Barrault, Meilleur Ouvrier de France - Gouvernante . - Je suis la vice-présidente de la classe des Meilleurs ouvriers de France Réceptionniste en hôtellerie. Ce concours existe grâce au bénévolat, il faut le souligner.

Je participe à l'un des comités d'organisation et nous avons travaillé bénévolement durant 1 600 heures pour préparer le concours. Nous avons accueilli 47 inscrits ; cent jurys bénévoles étaient présents toute la journée. Il a fallu trouver des lieux nous accueillant gratuitement. Nous avons souhaité travailler avec les professeurs et les professionnels, mais les écoles hôtelières, fermées pendant les vacances scolaires, ne pouvaient pas nous recevoir. Nous avons dû chercher des lieux ou des entreprises qui nous recevraient pour un coût modéré. Nous avons la chance d'exercer un métier très représenté, compte tenu du nombre d'hôtels, mais j'ai eu des échanges aujourd'hui avec plusieurs jeunes femmes venant de métiers relativement rares. Sans une aide financière pour faire vivre ces comités, je crains que les concours ne disparaissent dans certains métiers. Or, il s'agit pour beaucoup de concours féminins.

Je m'adresse donc aux politiques pour qu'ils nous aident à recevoir les soutiens financiers dont nous avons besoin. Lors des jurys finaux, nous sommes remboursés à hauteur de soixante euros pour notre chambre d'hôtel parisienne ! Dans ce concours, nous oeuvrons avec passion, mais notre démarche, il faut le dire, est bénévole.

Marie-Brigitte Duvernoy, Meilleur Ouvrier de France - Pianos d'art . - Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Je viens du métier de la restauration de pianos. Technicienne, j'ai travaillé en usine. C'est un métier dans lequel, surtout lorsque j'ai commencé, il y a trente ans, on ne nous faisait aucun cadeau. Pour se faire respecter, il faut être meilleure que les hommes. C'est la raison pour laquelle j'ai présenté le concours en équipe, avec mon compagnon, lui aussi restaurateur. Nous avons été reçus en 2000.

Ce concours m'a permis d'accéder à un master de conservation-restauration de biens culturels à la Sorbonne. Je ne pouvais alors que m'investir dans le COET pour permettre à d'autres personnes d'obtenir ce titre. En 2000, j'ai également eu l'honneur de recevoir le prix Met'FEM créé par la chambre des métiers de la région Provence-Alpes-Côte-D'azur, décerné aux femmes qui créent une entreprise dans un métier d'hommes. J'ai rencontré des femmes qui mènent un combat quotidien face au comportement des hommes.

Dans les usines de pianos, y compris celle de Bösendorfer, l'atelier finition, accord, égalisation et réglage ne compte que des femmes. En revanche, sur la scène d'un concert ou d'un festival - lieux de prestige - les femmes apparaissent peu. Notre crédibilité doit être reconnue par nos pairs. Nous répondons toujours présentes pour résoudre des problèmes techniques, mais on doit aussi nous donner notre place. Nous faisons, nous aussi, avancer l'économie.

Notre concours a besoin de subventions. Les Meilleurs ouvriers de France pourront ensuite accompagner les apprentis pour leur apprendre l'excellence. Nous sommes réunis aujourd'hui pour progresser de manière positive. J'espère donc avoir apporté ma petite pierre à cet édifice.

Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Comment avez-vous été orientées vers le métier que vous exercez aujourd'hui ? Avez-vous été encouragées, dissuadées ? Comment l'Éducation nationale assure-t-elle l'orientation ?

Noëllie Duperret, Meilleur Apprenti de France 2015 -Charpentier . - J'ai participé au concours de Meilleur apprenti de France dans la catégorie Charpente. Au collège, j'étais plutôt bonne élève et tous mes professeurs m'incitaient à passer un baccalauréat général, ce que je ne souhaitais pas. J'ai insisté pour m'orienter vers un baccalauréat professionnel en charpente. J'ai cependant été très déçue. Il aurait été préférable pour moi de partir en apprentissage dès le début. Le baccalauréat professionnel conduit à devenir chef d'équipe, à exercer un métier très théorique, éloigné de la pratique. J'ai donc refait un CAP en un an chez les Compagnons du devoir. J'aurais dû être mieux orientée après le collège.

Christiane Hummel . - Pourquoi avez-vous choisi un baccalauréat professionnel ?

Noëllie Duperret . - J'ai refusé de m'orienter vers un baccalauréat général, mais j'étais réticente vis-à-vis de l'apprentissage, car je savais que je serais la seule fille. Je me suis orientée vers un baccalauréat professionnel pour conforter mon choix.

Christiane Hummel . - Comment vos parents ont-ils réagi ?

Noëllie Duperret . - Ils m'ont toujours suivie.

Léa Garigue, Meilleur Apprenti de France 2014 - Peinture carrosserie décor . - Je suis carrossière-peintre, Meilleure apprentie de France en peinture-carrosserie, option décor. Je suis artisan depuis quelques mois. Je me suis, moi aussi, engagée dans un baccalauréat professionnel, une grave erreur quand vous souhaitez exercer un métier manuel. Le baccalauréat professionnel propose beaucoup de théorie et peu de pratique en entreprise, en dehors de quelques stages de deux à quatre semaines. En apprentissage, en revanche, on est intégré dans l'entreprise et on apprend à se gérer soi-même. Quand on sort du baccalauréat, on a certes acquis les bases, mais on ne maîtrise pas le métier comme on le devrait. Pourtant, le bac représente un niveau supérieur à l'apprentissage.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes . - La présidente de la commission de la culture et de l'éducation en prend bonne note.

Léa Garigue . - Dans un métier d'hommes, les filles rencontrent de grosses difficultés, en particulier en cours ou dans les vestiaires. Par exemple, au lieu de la danse, il faut pratiquer le rugby, le football, le handball. Les lycées ne sont pas organisés pour nous accueillir. Avec quatorze filles, voire moins, sur 600 élèves, la situation est plutôt compliquée.

Pascale Allaert, Meilleur Ouvrier de France - Teinturier . - J'ai obtenu le titre de Meilleur ouvrier de France en 2007. Je suis issue du métier du pressing. Mes parents étaient artisans et possédaient plusieurs établissements. Quand j'ai pris conscience des charges qu'ils supportaient, je n'ai pas souhaité prendre leur suite.

J'ai passé mon CAP Pressing en 1989, puis mon brevet de maîtrise en 1992. Je me suis lancée dans la formation en 1999 en tant que salariée et je suis aujourd'hui formatrice indépendante. Voilà quatre ou cinq ans, j'ai souhaité me reconvertir en tant que professeur des écoles. Or, j'ai constaté que mon titre de Meilleur ouvrier de France ne me donnait pas le niveau pour devenir professeur des écoles. Je fais pourtant de la pédagogie depuis dix ans. Le titre de Meilleur ouvrier de France est positionné au niveau III, c'est-à-dire à Bac+2 ; le brevet de maîtrise m'ouvre les mêmes portes. Je signale aussi que j'ai trois enfants. Quand ce concours sera-t-il mieux valorisé au niveau de l'Éducation nationale ?

Maryvonne Blondin . - Je tenais à intervenir sur le sujet. La semaine dernière, le Sénat a débattu à l'occasion des trente ans du baccalauréat professionnel. Des mesures supplémentaires vont permettre de valoriser l'apprentissage et le baccalauréat professionnel. Pourtant, comme vous l'avez précisé, le fait que votre titre ne figure pas dans le référentiel de l'Éducation nationale pose certaines difficultés.

Ancien professeur, je m'intéresse au choix, par des femmes, de métiers plutôt masculins comme carreleur ou charpentier. Pour préparer ce débat, je me suis rendue dans un lycée des métiers et de l'écoconstruction du Finistère et j'ai rencontré les professeurs et les élèves. J'ai constaté qu'une seule fille suivait la formation de carreleur. J'ai eu l'impression qu'elle s'était orientée dans cette voie parce qu'elle ne savait pas vraiment quoi faire d'autre. Qu'est-ce qui vous a incitée à vous diriger vers ce métier ?

Séverine Jean, Meilleur Ouvrier de France - Carreleur . - J'ai un parcours un peu atypique et je pense que d'autres femmes se trouvent dans ma situation en France. Je viens d'une famille de commerçants qui se battent tous les jours pour que leurs enfants puissent avoir une vie confortable et étudier dans de bonnes écoles. J'ai vu mes grands-parents et mes parents se battre pour que nous menions une vie décente. J'ai toujours été élevée dans l'esprit du travail, de la rigueur, de la discipline et de la droiture. J'ai commencé à travailler en famille, dans l'entreprise de démolition automobile de mon père. À l'âge de dix-sept ans, je démontais des voitures. J'ai suivi un cursus scolaire normal. J'ai quitté le lycée en classe de première, parce que je ne souhaitais pas passer mon baccalauréat. J'ai intégré l'entreprise familiale.

J'ai pratiqué le motocross durant quatorze ans sur des circuits où les femmes étaient peu présentes. J'ai travaillé pendant dix ans dans la démolition automobile, à la grande surprise des clients ! J'ai ensuite décidé de créer ma propre entreprise. J'ai alors dû choisir un nouveau métier, en tenant compte de mes compétences physiques. À l'époque, je devais aussi m'occuper de mon bébé.

Je souhaitais exercer un métier physique. Le carrelage me correspondait tout à fait. Ce métier est fabuleux. Il nécessite une régularité de travail très soutenue. Vous n'avez pas le droit de vous arrêter ; tout doit être posé et jointé en fin de journée pour satisfaire le client. Nous jouons avec des couleurs. Quand je termine une maison, le résultat est magnifique et les clients ravis. Je me suis heurtée à des difficultés pour apprendre ce métier, notamment quand j'ai appelé l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Néanmoins, nous avons la chance, en France, de disposer de centres pour ceux et celles qui souhaitent se reconvertir, même si les personnes un peu différentes sont toujours mises de côté, surtout lorsque ce sont des femmes.

Jocelyne Caprile . - Je ne suis pas sûre que l'on se lève un matin en se disant que l'on va devenir Meilleur ouvrier de France. Quand je me suis mariée, j'ai trouvé un emploi de remplacement dans un pressing, le temps que mon mari termine ses études. Je pensais rester ensuite à la maison pour élever nos enfants. Finalement, nous avons travaillé tous les deux et quand mes patrons ont vendu leur magasin, voulant assurer mon salaire, j'ai racheté leur entreprise. Avec deux enfants, je devais gagner ma vie.

Le concours représentait plutôt un « challenge » personnel pour savoir ce que je valais professionnellement et distinguer mon entreprise des autres. Après vingt ans de métier, j'avais à coeur de valoriser mon entreprise. Au cours de mon brevet de maîtrise, mon enseignante m'a encouragée à passer le concours des Meilleurs ouvriers de France. Je n'y avais jamais pensé. J'ignorais même qu'il existait dans mon métier. Pour la plupart d'entre nous, les Meilleurs ouvriers de France récompensent les métiers de bouche ou les métiers d'art, mais pas forcément les métiers de service. Or l'excellence peut exister dans tous les métiers. J'ai donc préparé en parallèle le concours des Meilleurs ouvriers de France, que j'ai réussi avec brio ! Il m'a beaucoup apporté. Je n'y aurais jamais pensé, comme vous n'auriez sans doute jamais non plus pensé devenir sénatrices un jour. On ne décide pas. C'est la vie qui vous fait avancer...

Bernard Werner, Meilleur Ouvrier de France - École Boulle . - Je suis tourneur sur bronze et orfèvre. J'ai eu la chance d'être nommé maître d'art en 1994. J'exerce un métier assez rare, avec un tour ovale. J'ai choisi deux élèves femmes. La première a passé son CAP en 1978 à l'École Boulle. Le métier de tourneur sur bronze traditionnel exige de tenir les outils à la main comme le tourneur sur bois. Il ne nécessite pas des efforts surhumains, mais il faut bien s'y prendre. J'ai obtenu une bourse du ministère de la culture pour perfectionner durant trois ans ces deux ouvrières déjà très qualifiées, dont l'une est Meilleur ouvrier de France. Je leur ai transmis mes savoirs et la technique du tour ovale. L'une d'elles a pris ma suite en 1998, et j'en suis fier. Je travaillais avec elle hier encore. La deuxième est entrée au Mobilier national, aux Gobelins.

Nous pourrions évoquer le niveau du Meilleur ouvrier de France et le ministère de la culture qui exige un master pour accéder aux marchés publics, mais c'est un autre débat.

Noëllie Duperret . - J'ai découvert le métier grâce à mon père, compagnon charpentier. Toute petite, j'ai éprouvé l'envie d'entrer chez les compagnons en charpente. J'ai d'abord obtenu mon baccalauréat professionnel avant d'effectuer un CAP en un an chez les Compagnons. Le sujet du concours correspondait à mon travail d'adoption pour intégrer les Compagnons du devoir. Je suis actuellement aspirante et je réalise mon tour de France. Je change de ville et d'entreprise deux fois par an.

Marianne Thoyer, Meilleur Ouvrier de France 2015 - Graphisme . - Une femme Meilleur ouvrier de France est têtue et tenace. Si nous possédions une particularité génétique, ce serait la ténacité. J'ai passé les épreuves qualificatives du diplôme quinze jours après avoir fait un AVC, et j'ai produit mon chef d'oeuvre en étant enceinte.

Dans le secteur du graphisme, les grands noms sont quasiment tous masculins à l'échelle nationale. Avec les Meilleurs ouvriers de France, nous avons toutefois la chance de disposer d'un diplôme de l'Éducation nationale dont le cahier des charges est rédigé par les professionnels, et en parfaite adéquation avec ce que l'on attend de nous dans la vie professionnelle. Si le titre de Meilleur ouvrier de France ne vous ouvre pas des portes, il vous fait acquérir une reconnaissance. Il prouve que vous avez acquis un savoir-faire et que vous êtes capable de le développer.

Il existe deux solutions pour féminiser ce diplôme. Les subventions au COET sont les bienvenues, mais l'argent n'est pas l'élément le plus important. La revalorisation du diplôme pourrait constituer une meilleure solution. Surtout, la communication nous fait vraiment défaut. Personne ne sait aujourd'hui que les Meilleurs ouvriers de France couvrent 210 métiers. On ne voit que les métiers de bouche, mais bien d'autres professions sont ouvertes. La féminisation du concours passera par une communication accrue sur les métiers et sur le fait qu'une femme est parfaitement capable d'obtenir ce diplôme. Sans doute faut-il trouver des solutions pour que les femmes n'aient pas peur de s'y atteler, malgré les enfants, le travail à la maison. Nous pouvons toutes le faire, j'en suis la preuve vivante.

Thiodhilde Fernagu, tapissier . - Je suis tapissier au Sénat, et non tapissière, car il y a une différence entre ces deux métiers. J'ignore si l'on peut dire désormais « tapissière », mais généralement une tapissière réalise des rideaux et des coussins, quand le travail d'un tapissier porte sur de gros fauteuils et canapés. Pour ma part, j'exerce le travail d'homme, c'est-à-dire que je réalise des canapés et des fauteuils. Je travaille la plupart du temps avec des hommes, et il est très difficile, en tant que femme, de supporter à longueur de journée leurs petites blagues et leur « flirt » constant, d'autant que vous devez toujours réagir convenablement, sous peine de devenir une « sale bonne femme » si vous vous mettez en colère. Il faut beaucoup d'intelligence, de calme et de diplomatie. Pour espérer évoluer dans le milieu, il est nécessaire de bien s'entendre avec les hommes. J'espère devenir employeur à l'avenir et j'observerai sans doute la situation d'un autre oeil.

J'ignore s'il existe une différence entre les Compagnons du devoir et les Compagnons du tour de France. Je pensais que cette méthode de formation était réservée aux hommes jusqu'à très récemment. Alors que ces écoles sont de vraies références dans l'artisanat, il me paraît insensé qu'elles n'aient ouvert leurs portes que si tardivement aux femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Les femmes ont-elles plus leur place chez les compagnons aujourd'hui ?

Jean-Luc Chabanne . - Je suis moi-même compagnon du devoir. Les femmes entrent en apprentissage depuis longtemps. En revanche, elles ne peuvent être reçues en tant que compagnons au sein de l'Association ouvrière des Compagnons du devoir et du tour de France que depuis 2003 officiellement, et depuis 1998-1999 officieusement.

Noëllie Duperret . - Il existe trois types de compagnonnage. L'Association ouvrière des compagnons du devoir dont je fais partie accepte les filles depuis 2003. La Fédération compagnonnique et l'Union compagnonnique ne les acceptent en revanche toujours pas. Nous n'avons donc guère le choix...

Bernard Hibert . - Ces deux associations perçoivent néanmoins des subventions d'État.

Annick Billon . - Merci, Mesdames les présidentes, merci, Madame la sénatrice, d'avoir organisé cette journée. Merci à vous toutes pour ces témoignages intéressants. Vous mettez souvent en avant vos qualités de femmes et vos difficultés en tant que mères dans le monde actif. Avez-vous été candidate au titre de Meilleur ouvrier de France pour mieux vous imposer dans votre profession, être reconnue et devenir chef d'entreprise ?

Marc Laménie . - Je m'associe aux remerciements de mes collègues pour vos témoignages très éclairants. Les Meilleurs ouvriers de France sont souvent aussi créateurs d'entreprises. Mes collègues sénatrices peuvent en témoigner, au sein de la commission des finances du Sénat, dont je suis membre, nous abordons souvent le cas des petites entreprises et les embûches financières, sociales, économiques, fiscales, ainsi que les problèmes posés par la lourdeur et la complexité administratives. La tâche de simplification des démarches administratives reste immense. Comment le ressentez-vous et comment pouvons-nous faire progresser cette situation ?

Hélène Luc, ancienne sénatrice . - Je suis très intéressée par la rencontre d'aujourd'hui. J'étais une ouvrière du textile - tisseuse sur soie - un très beau métier que j'ai beaucoup aimé, même si je n'ai pas eu l'honneur de devenir Meilleur ouvrier de France.

Ancienne présidente de groupe au Sénat, je suis aujourd'hui sénatrice honoraire. J'ai beaucoup appris de nos échanges. J'ignorais en particulier qu'une partie du travail destiné à l'organisation de ce concours était bénévole.

Je voudrais exprimer mon admiration pour ces Meilleures ouvrières et Meilleures apprenties de France, qu'elles exercent le métier de charpentier, de carreleur ou de peintre en carrosserie. Elles se sont battues pour être là où elles sont aujourd'hui, elles sont fières de leur travail, épanouies dans la vie et parviennent à tout mener de front.

En France, près de la moitié des femmes qui travaillent se concentrent dans une dizaine de métiers sur quatre-vingt-sept familles professionnelles. Il s'agit en général de la santé, des services sociaux et de l'éducation, de l'administration publique et du commerce de détail. Très souvent, cependant, elles se trouvent au bas de l'échelle. Il faut absolument améliorer cette situation. Les femmes ont la capacité d'exercer les mêmes métiers que les hommes. Il faut aussi que l'égalité de salaire soit respectée.

Quand j'étais sénatrice, j'étais la seule femme présidente de groupe au Sénat. On m'a souvent demandé comment je faisais avec tous ces hommes ! Comme vous, lorsque l'on fait son travail, que l'on défend ses idées, on gagne son statut et la reconnaissance des autres.

Charline Pritscaloff, Meilleur Ouvrier de France 2011 - Fleuriste . - Vous vous interrogiez sur la façon d'aider les petites entreprises. Je suis entrée en apprentissage après ma troisième. Je souhaitais depuis longtemps faire le métier de fleuriste et durant mon apprentissage, l'un de mes professeurs m'a donné la passion des concours. J'ai commencé dès la fin de mon brevet professionnel. Ce professeur, Meilleur ouvrier de France, nous a transmis l'amour du col tricolore.

Ce concours s'est soldé par une belle victoire, mais j'ai été licenciée : dans certaines petites entreprises, il n'est pas forcément bien vu d'être meilleur que le patron. Il n'est pas non plus toujours facile de trouver du travail, car nous faisons un peu peur, il faut bien le dire ! Les patrons pensent que nous coûtons trop cher. Or à un niveau III, le salaire n'est pas si exorbitant que cela. On m'a finalement proposé de reprendre une affaire. Je m'emploie tous les jours à la rendre plus belle, avec ma petite équipe de trois personnes, une apprentie et deux employés. J'ai créé un deuxième magasin récemment.

Or, mon quotidien est aujourd'hui accaparé par la paperasse, ce qui me désole. Entre les devis pour les clients, les factures et l'administration, j'y consacre deux à trois jours par semaine. C'est une vraie douleur pour moi. Je voudrais vous dire que ces lois que vous adoptez régulièrement ne sont pas adaptées aux petites entreprises. Par exemple, après la question des mutuelles, en ce début d'année, je dois faire passer des entretiens à mes salariés. Mes employés et moi avons presque le même âge. Ils viennent me voir directement lorsqu'ils souhaitent me parler. Je suis toujours à leur écoute. C'est normal : je ne suis rien sans eux ! On pense qu'il y a eu un allègement des démarches, mais à chaque fois, en fait, c'est toujours plus de papier. Quand on a le malheur de répondre avec un peu de retard, on doit payer 10 % de majoration. La moindre erreur est sanctionnée.

Cette année, une nouvelle loi a accordé des subventions pour la rémunération des apprentis de moins de dix-huit ans. Or, cette loi a entraîné deux effets pervers. Toutes les entreprises ont recruté des apprentis de moins de dix-huit ans en CAP, pour ne pas les payer, et de nombreux apprentis plus âgés se sont donc retrouvés sans travail, dans l'incapacité d'effectuer leur brevet professionnel, faute d'entreprise pour les accueillir.

Le CAP ne devrait pas être une voie de garage, mais il est en train de le devenir ! On choisit son métier avec coeur et passion. Mais aujourd'hui, des jeunes sont orientés vers l'apprentissage alors qu'ils auraient pu se découvrir dans une autre voie. Moi, j'en rêvais, de mon métier, mais ce n'est pas toujours le cas pour tout le monde ! Nous accueillons des jeunes qui sont là parce qu'ils doivent bien trouver quelque chose à faire, pas parce que ça les passionne... Du coup, ils ne sont pas motivés et certains nous quittent au bout de quinze jours. Ce départ représente un échec pour tout le monde et il nous place dans une situation délicate : il nous coûte un peu d'argent et, en outre, il nous empêche d'accueillir un autre apprenti.

Michel Bellanger, président du concours du Meilleur apprenti de France . - Nous consacrons au concours des Meilleurs ouvriers de France 1 000 à 1 500 heures de travail, voire 2 000 heures pour certains. Nous le devons au soutien de nos collègues, mais aussi à celui de nos épouses. Si je devais partager mon ruban tricolore avec quelqu'un, je le partagerais volontiers avec mon épouse.

Nathalie Calderini, Meilleur Ouvrier de France - Coiffure . - J'ai trente-trois ans de métier et une entreprise de plus de vingt ans. Mon entreprise compte sept salariés, ce qui me donne droit à trois apprentis et deux jeunes titulaires de contrats de qualification. Or, j'ai besoin de quatre apprentis. Les jeunes en contrats de qualification ne peuvent pas s'épanouir dans mon entreprise, alors que les apprentis trouvent automatiquement du travail à l'issue de leur apprentissage. Je devrais avoir le choix. Pourtant, aujourd'hui je dois refuser des jeunes dont j'ai besoin.

Élisabeth Lamure, présidente de la délégation du Sénat aux entreprises . - Nous arrivons à la conclusion de nos échanges. Je tenais à réagir à vos interventions. Notre système éducatif présente de nombreuses qualités, mais il a également le défaut de ne pas intégrer de manière plus systématique l'apprentissage. Nous parlons trop des diplômes et pas suffisamment des métiers. Nous avons besoin de vos témoignages pour transmettre ce message à l'Éducation nationale et tenter de remédier à cette situation.

Vous avez parlé de ce qu'implique pour vous le fardeau administratif. Tous les chefs d'entreprise que nous rencontrons soulignent combien cela est lourd pour eux. Un entrepreneur nous dit qu'il commence véritablement sa semaine le mercredi, une fois traitées toutes les démarches qui s'imposent à lui. Nous devons, là encore, y remédier. Nous élaborons trop de lois, des textes trop bavards. Nous devons absolument, en tant que parlementaires, nous autodiscipliner.

S'agissant de votre dernière intervention, nous travaillons actuellement sur une proposition de loi sur l'apprentissage. J'intégrerai volontiers cette question. Il faut réformer l'apprentissage pour qu'il devienne plus attractif, à la fois pour les apprentis et pour les entreprises qui les accueillent. Je vous remercie pour vos contributions.

Catherine Morin-Desailly . - Nous avons toutes les quatre été très intéressées de découvrir ce diplôme de Meilleur ouvrier de France, le parcours, la diversité des motivations, ses modalités organisationnelles, le bénévolat des organisateurs, le manque de moyens, les questions d'équivalence du diplôme pour permettre à ceux et celles qui le souhaitent de se réorienter utilement par la suite. Toutes les remarques que vous nous avez exposées ont été consignées très précieusement. Lorsque nous découvrons que le compagnonnage reste majoritairement réservé aux garçons, que l'on vous dissuade insidieusement de suivre la voie que vous avez choisie, il y a matière à réflexion pour nous, législateurs, qui votons la loi et en suivons l'application. Prenons rendez-vous dans un an pour mesurer nos avancées. Je vous remercie d'avoir participé à cette rencontre.


* 4 Document de communication réalisé par Marianne Thoyer, MOF 2015 - Graphisme.

* 5 Éléments transmis par le COET (Comité d'organisation du concours « Un des meilleurs ouvriers de France » et des expositions du travail).

* 6 Voir l'encadré ci-contre « Le concours « Un des meilleurs ouvriers de France » : quelques éléments d'information. »

* 7 http://www.lecompagnonnage.com/?Questions-reponses (capture d'écran réalisée en juin, dernière visualisation opérée le 4 juillet).

* 8 Ces statistiques sont issues du concours de 2013-2015 (25 ème concours).

* 9 De nombreuses dispositions de cette proposition de loi ont été insérées dans le texte du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés pour les entreprises et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif.ves, adopté par la commission des affaires sociales du Sénat le 1 er juin 2016.

* 10 Voir l'encadré ci-dessus (Le concours « Un des meilleurs ouvriers de France » : quelques éléments d'information).

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