C. LA MISE EN PLACE DES OUTILS DE RENFLOUEMENT INTERNE CONSTITUE UN FACTEUR D'INCERTITUDE

1. La définition des exigences minimales de détention de fonds propres et d'engagements éligibles (MREL)

Au sein de l'Union bancaire, c'est le Conseil de résolution unique qui a pour mission de fixer à chaque banque le niveau minimum d'instruments de dettes susceptibles d'absorber les pertes. Le règlement délégué adopté récemment par la Commission afin de préciser les modalités de calcul du MREL diffère sensiblement des standards techniques élaborés par l'Autorité bancaire européenne (ABE) dans la mesure où il n'est fait mention ni d'un montant minimum de 8 % du bilan ni d'une durée de période de transition. En l'état, alors que les exigences du MREL apparaissent comme sensiblement allégées par rapport aux perspectives antérieures, les estimations précises restent toujours extrêmement difficiles, ce d'autant plus que le Parlement européen et le Conseil disposent encore de deux mois pour rejeter le règlement proposé par la Commission. Les exigences du MREL pourraient toutefois représenter jusqu'à 37 % des actifs pondérés par les risques.

2. La capacité totale d `absorption des pertes (TLAC)

Or, à ce dispositif spécifiquement européen s'ajoute celui fixé dans le cadre du Conseil de stabilité financière (voir annexe) qui a été mandaté par le G20 pour déterminer la capacité totale d'absorption des pertes dont doivent disposer les grandes banques systémiques : le TLAC ( Total Loss Absorbing Capacity ). Ce dispositif nécessitera une initiative législative de la Commission, d'ores et déjà envisagée avant la fin de l'année 2016, afin de l'intégrer dans le corpus réglementaire européen à travers un amendement des règlements et directives relatives aux exigences de fonds propres (CRD/CRR IV 18 ( * ) ) et à BRRD. La tâche apparait ardue tant techniquement que politiquement car il s'agit en réalité non seulement d'intégrer le TLAC dans la règlementation européenne, mais aussi d'assurer la coordination avec l'application des exigences du MREL. Le TLAC ne concerne en effet que les banques globalement systémiques soit huit banques 19 ( * ) en ce qui concerne le périmètre de l'Union bancaire. Dès lors la réconciliation de ces deux exigences constitue un enjeu réel pour une partie significative du système bancaire de la zone euro tant en termes de renchérissement du coût de financement que de position concurrentielle.

Le mécanisme relatif à la capacité totale d'absorption des pertes (TLAC)
( Total Loss Absorbing Capacity )

Le 9 novembre 2015, le Conseil de stabilité financière a précisé la calibration finale des exigences minimales de TLAC applicables aux banques dites d'importance systémique mondiale :

- à compter de janvier 2019, le TLAC devra représenter au moins 16 % des actifs pondérés par les risques et être équivalent à un ratio de levier, tel que défini par le Comité de Bâle, de 6 % ;

- à compter de janvier 2022, le TLAC devra représenter au moins 18 % des actifs pondérés par les risques et être équivalent à un ratio de levier, tel que défini par le Comité de Bâle, de 6,75 %.

Les exigences définies au regard des actifs pondérés par les risques ne sont que des seuils minimaux. Elles n'incluent pas les exigences relatives aux coussins de fonds propres, coussins de conservation et coussins systémiques, qui peuvent représenter globalement une exigence complémentaire évoluant habituellement entre 2,5 % et 5 % des actifs pondérés. Au final, les exigences de TLAC portent potentiellement les exigences globales entre 19,5 % et 23% des actifs pondérés par les risques.

Le TLAC peut être constitué d'instruments de fonds propres, de dettes subordonnées, non sécurisées et dont la maturité résiduelle est supérieure à un an. Des dettes seniors à plus d'un an peuvent être éligibles au TLAC dans la limite de 2,5 % (pour un ratio de 16 %) puis 3,5 % (pour un ratio de 18 %) des actifs pondérés par les risques. Les dépôts sont exclus du TLAC.

3. La coordination des deux dispositifs

Ces deux dispositifs poursuivent globalement les mêmes objectifs
- s'assurer que les banques disposent des moyens nécessaires à un renflouement interne en cas de difficulté - et ne devraient théoriquement pas être incompatibles. Pourtant leurs caractéristiques respectives diffèrent sur de nombreux aspects : alors que le TLAC est calculé sur un total de bilan pondéré par les risques, le MREL se calcule par rapport au bilan brut ; alors que le TLAC définit les instruments éligibles, le MREL précise les instruments non éligibles... Ces divergences laissent augurer de réelles difficultés dans l'application de ces dispositifs aux principales banques européennes et alimentent une incertitude dommageable.

Mais la préoccupation principale concerne le traitement de la dette senior 20 ( * ) au regard du renflouement et de l'éligibilité au MREL. À ce stade, les investisseurs en dettes seniors bancaires européennes, ignorant quel serait le sort de leur investissement en cas de renflouement, se montreront plus réticents à investir ou exigeront des rendements bien supérieurs. L'incertitude est conséquente aussi pour les banques européennes qui, en fonction des solutions finalement retenues, devront émettre des montants de dettes éligibles estimés entre 150 et 560 milliards d'euros avec un impact non négligeable sur leur rentabilité. D'ailleurs, afin d'apporter sans plus attendre des réponses à cette situation, des États membres n'ont eu d'autre choix que de définir le statut des dettes seniors bancaires sur des bases spécifiquement nationales 21 ( * ) , fragilisant en cela l'hypothèse d'une approche parfaitement harmonisée du renflouement interne.


* 18 Directive 2013/36/UE concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (CRD IV) et Règlement (UE) n° 575/2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement (CRR IV).

* 19 BNP Pariba.s, BPCE, Deutsche Bank, Crédit Agricole, ING, Santander, Société Générale, Unicredit

* 20 La dette senior est une dette privilégiée, bénéficiant de garanties spécifiques et dont le remboursement se fait prioritairement par rapport aux autres dettes , juniors ou subordonnées .

* 21 Des amendements au German Banking Act transforment toute dette senior, en y incluant celles déjà émises, en dette subordonnée et donc éligible. En France, une réflexion est en cours afin de permettre aux banques d'émettre une nouvelle catégorie de titres qui seraient, par défaut, éligibles au renflouement interne. Cette solution, contrairement au choix allemand, ne permet pas de changer la nature des dettes déjà émises mais laisse la possibilité aux banques d'émettre à l'avenir des titres de dettes seniors non éligibles.

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