EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 13 juillet 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale, sur le profil des bénéficiaires du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Mme Marie-France Beaufils , rapporteure spéciale de la mission « Remboursements et dégrèvements » . - En 2012, dans le contexte de la crise économique, le Commissaire général à l'investissement Louis Gallois a rendu au Premier ministre Jean-Marc Ayrault un rapport intitulé « Pacte national pour la compétitivité et l'emploi ». Ce rapport préconisait des mesures de soutien à l'industrie française, dont la situation était reconnue comme extrêmement délicate. Nous avions d'ailleurs eu un échange avec lui à la commission des finances.

Peu de temps après la réception de ce rapport, le Gouvernement a décidé à l'automne 2012 de la mise en place d'un nouveau dispositif fiscal, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Une enveloppe budgétaire conséquente a été prévue puisqu'un coût de vingt milliards d'euros à l'horizon 2020 a été envisagé.

Ce nouveau dispositif fiscal est venu alourdir considérablement depuis 2014 les crédits du programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État ». Près de trois fois supérieur à l'enveloppe du crédit d'impôt recherche (CIR), le CICE a profondément bouleversé le paysage de la fiscalité des entreprises.

Près de quatre ans après la création de ce dispositif et trois ans après son lancement, il apparaît justifié de procéder au suivi et au contrôle de cette dépense fiscale conséquente qui représente près de 1 % du PIB de notre pays. Dans le cadre de ma mission de rapporteure spéciale, je vais donc vous présenter les conclusions auxquelles je suis parvenue à l'issue de ce contrôle, au cours duquel j'ai rencontré les acteurs économiques, les services fiscaux et l'ensemble des parties prenantes.

Concernant ce crédit d'impôt, je souhaiterais tout d'abord préciser plusieurs éléments.

Je tiens d'abord à rappeler de manière liminaire que le CICE a été introduit par voie d'amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2012, sans étude d'impact. Son coût et son ambition auraient pourtant justifié le contraire.

Le CICE est un crédit d'impôt dont l'assiette est constituée par les rémunérations brutes soumises aux cotisations sociales, c'est-à-dire la masse salariale, versées par les entreprises dans la limite de 2,5 fois le SMIC.

Son taux, qui était de 4 % des rémunérations versées au titre de l'année 2013, est passé à 6 % à partir du 1 er janvier 2014.

Le CICE est imputé sur l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les rémunérations ont été versées. La partie n'ayant pas trouvé à s'imputer est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée. Puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période.

La créance de CICE est néanmoins directement remboursable l'année même de sa constitution dans certains cas : les PME au sens de la réglementation communautaire, les entreprises nouvelles répondant à certaines conditions, les jeunes entreprises innovantes (JEI) et les entreprises faisant l'objet d'une procédure de conciliation ou de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Ceci est un élément de soutien aux entreprises en difficulté.

La créance de CICE est conséquente : le CICE millésime 2014, dont le taux est de 6 %, s'élève ainsi à 17,26 milliards d'euros, dont 781 millions d'euros pour les entreprises soumises à l'impôt sur le revenu et 16,5 milliards d'euros en faveur des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés.

Le coût budgétaire du CICE chaque année correspond à la somme des restitutions et des imputations de l'année. Les restitutions sont les sommes effectivement remboursées aux entreprises, tandis que les imputations, constituent une minoration de recettes d'impôt. Le coût budgétaire annuel du CICE ne correspond donc pas à la créance de l'année, qui est supérieure : une partie de la créance n'est ni restituée, ni imputée dès l'année suivante.

Le coût budgétaire du CICE a été relativement faible sur le premier exercice, de par un taux à 4 % initialement mais aussi une faible consommation la première année. La montée en puissance rapide des consommations en 2015 a relevé le coût du CICE. Sur les deux premiers exercices, près de 60 % de la créance du millésime de l'année précédente ont été consommés.

Une augmentation sensible du coût budgétaire se produira également dès l'an prochain, avec les derniers remboursements des créances du millésime 2013.

Le coût budgétaire du CICE devrait ainsi à terme atteindre vingt milliards d'euros environ, soit près de 35 % du produit brut de l'impôt sur les sociétés, ou 1 % du PIB.

Nous avons étudié la semaine passée le projet de loi de règlement pour 2015. L'exécution budgétaire montre que le difficile pilotage budgétaire du CICE est difficile.

Alors qu'en 2014 les crédits estimés pour le CICE avaient été sous consommés, la prévision pour 2015 s'est révélée en deçà de la réalisation, en raison d'une montée en charge non anticipée du dispositif. Le coût total du CICE pour 2015 a dépassé de 1,2 milliard d'euros la prévision de la loi de finances initiale, preuve d'une difficile prévision des consommations et donc du coût budgétaire pour l'État. Cela montre que l'analyse du projet de loi de règlement peut être intéressante pour la loi de finances.

Plus qu'un difficile pilotage pour l'État, le CICE a montré qu'il était complexe pour les entreprises. Alors que le CICE est souvent promu comme un dispositif « simple » du fait de son taux unique, la complexité de sa mise en oeuvre est réelle.

Le dispositif s'est montré particulièrement compliqué pour les TPE et PME. Celles-ci, qui représentent l'extrême majorité des dossiers de demande de CICE, ne sont souvent pas dotées d'une direction financière et n'ont pas les moyens comptables et juridiques de suivre l'ensemble des modifications et modalités des dispositifs fiscaux.

Les dirigeants de ces entreprises ne disposaient au lancement du dispositif souvent que de peu d'information. Les experts comptables ont ainsi joué un rôle déterminant dans le déploiement du dispositif auprès des petites et moyennes entreprises, avec le soutien des directions départementales des finances publiques.

Les modalités déclaratives, les formulaires et justificatifs nécessaires ont été réduits et simplifiés à l'issue de la première année, afin de faciliter la mobilisation des petites entreprises.

L'accompagnement des TPE-PME doit être une priorité pour toute la politique fiscale et je recommande la création de guichets dédiés à ces catégories d'entreprises, afin de leur assurer une parfaite information fiscale.

Les difficultés de compréhension du dispositif sont aussi sans doute liées à l'incohérence des annonces gouvernementales sur l'avenir du dispositif depuis sa création.

La piste d'une transformation du CICE en un allègement de cotisations sociales a été présentée en 2015 et 2016 par le Président de la République et le Premier ministre comme une évolution devant intervenir dès 2017.

Le Gouvernement a même sollicité auprès du comité de suivi des aides publiques des propositions à l'été 2016 en vue d'une transformation du CICE en allègements de charges sociales en 2017. Pourtant le Président de la République a annoncé au début du mois de juillet 2016 sa volonté de voir le taux du CICE relevé à 7 % sur le millésime 2017.

Cette difficulté d'appropriation par les entreprises a conduit à un recours massif au préfinancement. Le Gouvernement a considéré le préfinancement comme un élément incontournable du dispositif CICE dès l'exposé des motifs de l'amendement instaurant le CICE.

Pour le millésime 2014, 13 826 préfinancements sont dénombrés pour un montant de 2,601 milliards d'euros au 31 décembre 2014.

Le groupe Bpifrance est devenu l'acteur incontournable du préfinancement, via son dispositif « Avance+ Emploi ». Celui-ci s'adresse à toutes les entreprises bénéficiant du CICE employant des salariés, quelle que soit leur taille et quel que soit leur secteur d'activité.

Un dispositif de garantie des préfinancements effectués par des établissements bancaires visait à faire une répartition entre Bpifrance et les banques commerciales. Celles-ci devaient assumer les petites créances, voyant le risque éventuellement porté par Bpifrance. La très faible mobilisation du secteur bancaire pour assurer cette mission a conduit Bpifrance à devoir se saisir des petites créances, très nombreuses. Le seuil de 25 000 euros de créance a alors été levé, et les frais de dossiers supprimés pour les créances inférieures à ce seuil. Bpifrance a dû assumer la gestion d'un très grand nombre de petits dossiers, dont on aurait pu espérer qu'ils soient traités par les banques commerciales.

Bpifrance a ainsi octroyé en 2015 pour plus de 1,7 milliard d'euros de préfinancements « A+ Emploi ».

Le profil des bénéficiaires de l'offre de préfinancement de Bpifrance permet de constater une forte représentation des services aux entreprises ainsi que de l'industrie, loin devant le secteur du commerce.

Le bilan économique et financier de cette mission est cependant difficile à dresser pour Bpifrance et des risques ont été soulignés par Bpifrance sur cette mission, notamment dans les cas de contentieux d'entreprises.

Au-delà du rôle national moteur que doit conserver Bpifrance, cette expérience montre la nécessité de banques publiques territoriales, à l'échelon régional, qui s'appuieraient sur une connaissance des réseaux et spécificités locaux. Je recommande donc la création d'un tel réseau, qui peut peut-être s'appuyer sur les implantations territoriales de Bpifrance.

S'il est complexe pour les entreprises, le CICE a également été difficile à gérer pour les services fiscaux. À partir de 2013, il a été demandé aux services fiscaux de donner la priorité à la gestion du CICE.

Le rapport annuel de performances de la mission « Remboursements et dégrèvements » pour l'exercice 2014 indiquait que « ce nouveau crédit d'impôt a conduit au dépôt de plus de 560 000 nouvelles déclarations dans les services de la DGFiP au cours de l'année 2014 » . La création du CICE a déstabilisé le suivi d'autres dispositifs fiscaux.

En conséquence, les contrôles réalisés sur le CICE s'avèrent plus que limités. Le nombre de bénéficiaires rend la tâche impossible pour les services fiscaux, alors même que les montants en jeu devraient inciter à une surveillance étroite.

Pour les entreprises imposées à l'impôt sur les sociétés, il est demandé de ne pas réaliser de contrôle a priori sur les restitutions. Les contrôles a posteriori, sur restitutions et imputations, se limitent à une comparaison de la cohérence de la créance aux données transmises par l'ACOSS.

De plus, aucun contrôle n'est réalisé par les services fiscaux sur l'utilisation du CICE, alors même que celle-ci est définie par la loi. Une note de la direction générale des finances publiques du 9 juillet 2013 précise ainsi que « le CICE ne peut être remis en cause en cas de non-respect des critères légaux d'utilisation du crédit d'impôt ».

Le CICE est conditionné et doit voir sa conditionnalité respectée par ses bénéficiaires et contrôlée par les services fiscaux. Il est difficilement compréhensible pour le législateur que le Gouvernement et l'administration puissent ostensiblement déclarer ne pas contrôler le respect de la loi.

Je souhaiterais maintenant développer un aspect important de ce rapport : le profil des bénéficiaires du CICE.

Les données du millésime 2014 montrent une répartition très inégale selon la taille de l'entreprise. Ainsi, la créance de CICE est majoritairement captée par les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises, alors même celles-ci représentent moins de 1 % des dossiers de créances. Les micro-entreprises représentent au contraire près de 80 % des dossiers pour moins de 15 % de la créance. Les petites et moyennes entreprises couvrent enfin près d'un tiers des dossiers pour un peu plus d'un cinquième de la créance.

L'analyse de la répartition de la créance par secteur d'activité souligne l'éloignement du dispositif par rapport à sa cible initiale. Ainsi, la répartition de la créance par secteur d'activité montre que deux secteurs d'activité se distinguent, avec plus de 19 % chacun : les industries manufacturières et extractives d'une part, le commerce d'autre part.

Il est très significatif en termes d'évaluation de noter que l'industrie, cible initiale du dispositif, objet du rapport Gallois et justification de l'exposé des motifs, ne soit que péniblement le premier secteur concerné avec à peine 19,4 % de la créance. Moins d'un cinquième seulement de la créance est donc destiné à la cible du CICE.

La créance de CICE est concentrée sur les entreprises non soumises à la concurrence internationale. Ainsi, les entreprises réalisant plus de 10 % de leur chiffre d'affaires à l'exportation reçoivent seulement un cinquième de la créance. Les entreprises réalisant plus de 60 % de leur chiffre d'affaires à l'exportation captent pour leur part moins de 5 % (4,7 %) de la créance de CICE.

Je voudrais pour finir donner quelques éléments sur l'utilisation qui a été faite du CICE.

Aucun indicateur de performance n'a été établi en vue du suivi du CICE. L'évaluation du dispositif a été confiée à un comité de suivi dédié, au sein de France Stratégie, qui produit chaque année un rapport détaillé sur le dispositif.

Les débats parlementaires ont défini clairement l'usage qui doit être fait du CICE : le CICE est « un crédit d'impôt ayant pour objet le financement de l'amélioration de leur compétitivité à travers notamment des efforts en matière d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement . »

Souvent, les entreprises ont essentiellement perçu le CICE comme un gain financier global mais n'a à aucun moment été réellement anticipé ni affecté à une utilisation précise.

À l'usage, le CICE a été pour les TPE et PME un outil presque exclusivement destiné à pallier les grandes fragilités. Le CICE et son préfinancement par Bpifrance ont souvent été utilisés afin de reconstituer des fonds de roulement ou, souvent, en substitution à des outils de trésorerie que les banques commerciales n'assuraient pas.

Une nouvelle fois, on peut s'interroger sur l'adéquation entre l'objectif visé et l'outil mis en place. Le CICE est venu pallier la frilosité du réseau bancaire commercial que ce dernier attribuait, sans qu'il soit possible de le vérifier, aux règles de Bâle III.

Le suivi et l'utilisation du CICE devaient normalement reposer non sur un fléchage contraignant mais s'assoir sur un processus de concertation. Une procédure de consultation des représentants du personnel est prévue par la loi. Le comité de suivi qualifie l'exercice de « fréquemment formel et décevant ». L'association des directions des ressources humaines aux décisions est faible.

Le CICE peine ainsi à démontrer tant sa pertinence dans sa forme que son efficacité sur le fond. Véritable saupoudrage, ses résultats semblent sujets à caution.

Le CICE a renforcé la complexité du système fiscal français, et en particulier l'impôt sur les sociétés. Aussi, la baisse du « coût du travail » attribuée au CICE est incertaine. En effet, elle résulte du choix d'affecter le CICE aux charges de personnel dans la comptabilité des entreprises. Un tel affichage ne garantit pas l'attractivité et la compétitivité de notre territoire.

Les conséquences du CICE sont aussi incertaines du fait même du contexte dans lequel a évolué ce dispositif. Dans le même temps, les taux de change euro-dollar comme les prix des matières premières, pétrole en tête, ont été favorables à la France. Le CICE n'a pas nécessairement été l'élément le plus déterminant au faible redressement de l'économie.

Trois ans après le lancement du dispositif, ses conséquences en termes d'emploi sont, si l'on en croit les instituts de statistiques et de recherche en économie, bien moindres qu'espérées, quand ses bénéfices en termes de compétitivité sont incertains.

Nous pouvons craindre que les résultats ne soient pas au rendez-vous, et que l'investissement productif n'ait pas bénéficié du CICE à hauteur de l'ambition annoncée et du coût budgétaire consenti.

Le CICE se révèle donc un outil complexe, dispersé et à l'efficacité incertaine. Il semble aujourd'hui nécessaire de remettre à plat cette dépense fiscale conséquente et d'engager avec les vingt milliards d'euros annuellement prévus une politique publique portée par un vrai projet de prospective à moyen et long terme pour l'industrie française.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je remercie Marie-France Beaufils pour son exposé très complet sur un sujet qui constitue l'un des principaux enjeux fiscaux, au regard de sa masse financière. Je voudrais faire deux remarques.

Tout d'abord, les critiques que l'on peut adresser au dispositif ont été bien exprimées : le CICE a pris la suite de la TVA sociale qui a été supprimée à l'été 2012, à la fois pour des raisons politiques mais aussi des raisons de trésorerie, puisque le crédit d'impôt permettait de décaler d'un an la charge budgétaire. Ensuite, avec le préfinancement du CICE, Bpifrance est devenu un outil permettant de mobiliser une créance fiscale...

Le CICE atteint-il sa cible ? On sait que parmi les principaux bénéficiaires figurent des entreprises dont les activités ne sont pas délocalisables, comme La Poste... La réindustrialisation de nos territoires est encore à la peine, malgré le dispositif.

Par ailleurs, compte tenu de l'importance des créances du CICE, je voudrais connaître le coût budgétaire du relèvement de 6 % à 7 % du taux du CICE.

M. Philippe Dallier . - Je voudrais remercier Marie-France Beaufils, dont le rapport constitue presque un réquisitoire sur une mécanique complexe, pour ne pas dire une usine à gaz qui a surtout donné de l'activité aux cabinets qui ont aidé les entreprises à monter leurs dossiers. C'est regrettable que l'administration fiscale soit concentrée là-dessus.

On aurait dû, en 2012, conserver la TVA sociale : on a perdu deux ans pour aboutir à une solution compliquée, difficile à appliquer. Avec le CICE, on a voulu à la fois alléger les charges des entreprises et orienter l'utilisation de l'argent ainsi dégagé. Ce n'est pas possible, nous ne sommes pas en mesure de faire ce suivi : il faut se contenter d'un allègement de charges ; on aurait gagné deux ans et évité beaucoup de travail aux entreprises et à l'administration.

M. Éric Bocquet . - Dispose-t-on d'une évaluation de l'impact du dispositif sur l'emploi, en termes d'emplois sauvés ou créés, même approximative ? Il s'agit bien là de l'objectif du CICE, et les études ne pouvaient jusque récemment pas donner de chiffres sur ce sujet.

Par ailleurs, vous mentionnez un important taux de non sollicitation du CICE : quelles en sont les raisons ?

Enfin, vous dites que les dispositions légales ne sont pas respectées et je me demande pourquoi il n'est pas possible, dans ces conditions, de remettre en cause le dispositif.

M. Bernard Lalande . - Je suis très heureux de ce rapport qui pose les questions et propose des solutions.

Ce dispositif du CICE est meilleur que la TVA sociale car, dans le cas d'une TVA sociale, l'État n'aurait eu aucune maîtrise du dispositif, qui mettait face à face une recette fiscale et les charges des entreprises, dont les dynamismes sont complètement différents. À terme, aucun suivi de l'affectation de la recette n'était possible. A l'inverse, l'idée du CICE était de prendre une base sociale, qui est la rémunération jusqu'à 2,5 SMIC. C'est un choix politique, car il vaut mieux réindustrialiser par le bas de l'échelle des salaires.

Nous avons toujours trois biais quand nous nous intéressons au monde de l'entreprise : nous regardons l'entreprise par le biais du CAC 40 et des très grandes entreprises ; nous la voyons par le prisme syndical et du dialogue social, où la grande entreprise est également surreprésentée ; enfin, nous la regardons depuis le point de vue de l'administration qui en est souvent sociologiquement coupée. Quand on diminue l'impôt sur les sociétés, on le diminue pour toutes les entreprises alors que les grandes entreprises n'ont pas un taux d'imposition effectif de 33 % ! Le CICE permet donc de rétablir l'équilibre, sur la base de la masse salariale.

Les chefs d'entreprises sont satisfaits du CICE, qui est beaucoup moins compliqué et plus rapide que le calcul du RSI ou le calcul de provisions ou de hors bilan. Il est vrai qu'il y a eu quelques difficultés de mise en place, désormais réglées. Aujourd'hui, les 20 milliards d'euros qui sont ré-injectées et maîtrisés sont réels et suivis : ils ont servi à la trésorerie, aux fonds de roulement, à la reconstitution des fonds propres et au ré-investissement. Je ne sais pas si un autre mode opératoire aurait permis d'obtenir ce résultat. Je ne suis donc pas d'accord avec votre conclusion : selon moi, la créance d'impôt est une bonne chose car elle permet un allègement de charges pour toutes les entreprises.

M. Daniel Raoul . - CQFD !

M. Charles Guené . - Je suis peu convaincu par Bernard Lalande et je reste favorable à la TVA sociale. J'imagine que l'on pourrait envisager de substituer la TVA sociale au CICE en 2018 ; mais le tableau de Marie-France Beaufils nous montre que l'on aura une ardoise de 40 milliards d'euros à financer...

Mme Fabienne Keller . - Si je comprends bien, la créance qui apparaît une année donnée est réglée l'année suivante pour une bonne moitié. Mais elle continue de peser sur le budget de l'État au cours des quatre années suivantes. Il existe donc des restes à payer important. Il reste par exemple 6 milliards d'euros à régler au titre de l'année 2015, puisque la créance totale était de 18,7 milliards d'euros et que seuls 12 milliards d'euros ont déjà été payés.

Avec ce calcul, on aboutit à un montant total de créances restant à payer de près de 40 milliards d'euros au 1 er janvier 2018. Pouvez-vous me confirmer que cette lecture est exacte ?

M. Thierry Carcenac . - On voit bien l'opposition qui existe entre les deux parties de la salle sur cette question.

J'aimerais tout d'abord souligner la complexité du dispositif pour les services fiscaux. Ceux-ci ont l'habitude de collecter l'impôt et non de le restituer. Le CICE a représenté une charge de travail supplémentaire pour ces services, qui ont dû délaisser d'autres activités comme par exemple le contrôle des restitutions de TVA.

La non-sollicitation du CICE est surtout le fait des plus petites entreprises, alors mêmes que celles-ci versent les salaires les plus bas. Comment peut-on améliorer le dispositif à cet égard ?

Il serait intéressant de comparer les montants restitués aux entreprises au titre du CICE avec les montants payés par ces dernières du fait de la hausse du taux de la TVA.

Lorsque l'on regarde les grandes entreprises, celles-ci ont apparemment toutes bénéficié du dispositif, mais comme les montants des salaires versés varient, il existe des écarts dans les montants perçus.

Quand on crée de tels dispositifs, il faut s'assurer de la bonne utilisation des moyens conformément à l'objectif initialement fixé. Des entreprises n'ont-elles pas utilisé ce dispositif pour améliorer la redistribution des bénéfices, ce qui n'irait pas dans le sens recherché ? C'est sur cet aspect que le CICE pourrait être amélioré, afin d'encourager véritablement la création d'emplois.

M. André Gattolin . - J'aimerais à mon tour remercier la rapporteure pour ce travail, car nous manquons de données sur le CICE et sur ses effets en fonction des secteurs d'activité. Bien sûr, la plupart des entreprises bénéficient du CICE. Mais, comme il a été rappelé précédemment, nous n'avons pas mesuré l'impact de la hausse de la TVA.

Le seuil de 2,5 fois le montant du SMIC me paraît poser problème dans les secteurs qui connaissent des salaires élevés. Je mentionne souvent l'exemple de l'industrie du jeu vidéo en France. Ses principaux responsables font un bilan négatif du CICE car, certes, ils ont perçu un certain nombre d'aides, mais ils ont subi par ailleurs une baisse de recettes en raison de l'augmentation du taux de TVA, puisqu'ils n'ont pas imputé cette hausse sur leurs prix. Par ailleurs, ils emploient de nombreux salariés très qualifiés dont les salaires sont supérieurs au seuil de 2,5 fois le SMIC.

Il est donc nécessaire d'évaluer les effets du CICE secteur par secteur. Le fait que le CICE s'applique de manière générale à toutes les entreprises conduit à engager des moyens considérables. Je pense par ailleurs que d'autres dispositifs comme le suramortissement permettent un lien beaucoup plus direct entre la baisse des coûts d'une part et les investissements productifs et la création d'emplois d'autre part.

M. Michel Canevet . - Je remercie la rapporteure d'avoir démontré que le CICE est bien une « usine à gaz », alors même que le Gouvernement affiche des objectifs de simplification. Comme cela a été dit par Fabienne Keller, on va aboutir à une dette considérable qui va sans doute dépasser le montant du produit de l'impôt sur les sociétés.

Par ailleurs, ce dispositif a occasionné du travail supplémentaire à l'administration qui n'en avait pas besoin.

Une proposition assez simple avait pourtant été faite d'une baisse généralisée des charges sociales. Je souscris à cette idée, car elle permettrait véritablement de rendre les entreprises de notre pays plus compétitives sur le marché international. Il faut rappeler que notre balance commerciale est déficitaire de 4 à 5 milliards d'euros par mois et que nous ne pourrons pas y remédier sans améliorer la compétitivité de nos entreprises.

Un des travers du CICE est également qu'il tire les salaires vers le bas, en fixant un seuil à 2,5 fois le SMIC.

Il ne s'agit pas simplement d'engager des dépenses, encore faut-il pouvoir les financer. Compte tenu de la situation financière de l'État il est indispensable que les dépenses nouvelles soient gagées par des recettes nouvelles. C'est sur cette idée que reposait la « TVA sociale ». Il ne paraît pas illogique que les produits fabriqués à l'étranger puissent contribuer au financement de la protection sociale, afin que celle-ci ne soit pas seulement assise sur le produit du travail, ce qui de fait pose des difficultés économiques à nos entreprises.

À chaque fois que les déficits s'accroissent, la pression fiscale sur les entreprises augmente, ce qui est « anti-économique ». Je crois que le Gouvernement s'est totalement fourvoyé, et il faudra donc proposer un système beaucoup plus simple et compréhensible par tous.

Enfin, je suis étonné par le nombre peu important d'entreprises ayant sollicité la garantie de préfinancement. Est-ce par méconnaissance du dispositif ou parce qu'il n'existait pas réellement de besoin ?

M. Éric Doligé . - Ce rapport confirme un certain nombre de nos inquiétudes. D'après les tableaux présentés, on remarque que ce ne sont peut-être pas les entreprises qui en ont le plus besoin qui ont le plus bénéficié du CICE, ce qui pose un certain problème. Il conviendrait de les cibler en priorité.

Je suis inquiet de la charge que représentera le CICE à partir de 2018, et qui va encore croître puisque le taux va augmenter de 6 % à 7 %. J'aimerais que le rapporteur général du budget puisse nous présenter de manière consolidée toutes les charges nouvelles qui ont été décidées depuis un an ou deux et qui seront reportées sur les années futures, afin de regarder si elles ont bien été gagées.

Mme Michèle André , présidente . - Avant de donner la parole à notre rapporteure Marie-France Beaufils, je souhaiterais vous livrer une petite réflexion. En écoutant les échanges, je me suis prise à penser à cette phrase que prononçait Michel Rocard à propos des tâches difficiles : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ». Alors, imaginons...

Mme Marie-France Beaufils , rapporteure spéciale - Si l'on applique un taux de 7 % sur l'année 2017, on passe d'une créance prévue de 19,7 milliards d'euros à un montant de 23 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de plus de 16 %.

Par rapport à la remarque de Philippe Dallier, j'aimerais souligner que ce ne sont pas les cabinets de conseil qui ont été sollicités par les entreprises. Ce sont les services fiscaux qui ont réellement informé les experts-comptables dans les entreprises pour les aider dans les démarches à entreprendre. J'ai rencontré plusieurs services chargés de ce travail qui ont été dans l'obligation d'abandonner leurs autres tâches, ce qui est dommageable.

Une autre question me soucie beaucoup : ceux qui sont assujettis à l'impôt sur le revenu ne connaissent pas la réalité de ce qu'ils ont déclaré. Seules les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés font l'objet d'un contrôle de ce calcul par l'administration fiscale.

Pour répondre à Éric Bocquet, 125 000 emplois auraient été créés ou sauvés, semble-t-il essentiellement sauvés. Ce chiffre est à mettre en lien avec les 1,7 milliard d'euros de préfinancement par Bpifrance, destinés à des entreprises en grande fragilité. En effet, pour ces entreprises, il est plus aisé de considérer que, sans le CICE, elles auraient disparu. Je constate en tout cas que les secteurs les plus créateurs d'emploi ne sont pas présents dans les engagements de branche.

S'agissant du non recours, il n'existe pas chez les grandes entreprises. S'agissant des PME, le non recours peut s'expliquer par une mauvaise information et une difficulté des démarches, mais aussi parfois par les craintes d'un contrôle, ce qui justifie ma proposition d'un service fiscal dédié.

Pour répondre à Bernard Lalande, il a raison de souligner que le CICE est allé vers le soutien aux fonds de roulement : mais il devait aller à la compétitivité et à la reconquête industrielle ! Cela n'est pas vérifié aujourd'hui. Par ailleurs, rien ne permet de dire qu'une partie de ces sommes n'a pas été utilisée pour redistribuer des bénéfices. On sait que le CICE est inscrit dans les résultats, mais il est ensuite dilué dans l'ensemble des ressources et n'est pas fléché.

En 2016, la somme des créances 2013, 2014 et 2015 représente 48,1 milliards d'euros, dont 65 % a été consommé, soit 31,3 milliards d'euros. La créance déclarée sera toujours à payer par l'État, pour répondre à Fabienne Keller.

Je rappelle que si l'on revenait à un allègement des cotisations sociales, il faudrait assurer la compensation des moindres recettes pour les organismes de sécurité sociale !

Par ailleurs, mon rapport souligne notamment que les TPE et les PME souffrent d'une fragilité du système bancaire dans leur direction, d'où la proposition d'un réseau public bancaire, peut-être en s'appuyant sur les implantations régionales de Bpifrance.

La commission a donné acte de sa communication à Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page