C. UN EFFORT POUR LA FORMATION DES FORCES ARMÉES CENTRAFRICAINES

La restructuration des forces armées a été confiée à l'Union européenne qui a mis en place, en mars 2015, une mission de conseil (EUMAM) 200 ( * ) dont le mandat s'achève en juillet 201 ( * ) à laquelle succédera une mission de formation EUTM pour un mandat de deux fois deux ans. Cette mission s'inscrit dans l'approche globale de l'UE en RCA, qui associe sécurité et développement 202 ( * ) . EUMAM compte 70 personnes issues de 11 nations (Etats-membres et Etats tiers 203 ( * ) ), intégrés au sein des forces armées centrafricaines FACA.

1. Un bilan d'EUMAM

Une année d'expérience de la mission permet d'en établir un bilan et de tracer les perspectives pour EUTM.

La mission a été confrontée à la situation d'une armée délabrée 204 ( * ) , dépourvue d'outil de maîtrise de ses effectifs et de chaîne de commandement, dont le budget des FACA est absorbé par la masse salariale et qui de surcroît avait perdu la confiance de la population 205 ( * ) .

Cette mission a mis du temps à être acceptée dans la mesure où elle n'avait ni matériel ni financements à distribuer en soutien des FACA 206 ( * ) . Elle a dû aussi, jusqu'à l'achèvement du processus électoral, composer avec l'instabilité de ses interlocuteurs centrafricains 207 ( * ) . Elle a développé une approche du haut vers le bas, afin de restructurer le ministère de la Défense et l'état-major des armées, préalable incontournable à la mise sur pied d'une armée moderne et professionnelle.

L'objectif a été de réorganiser les FACA avant de les réformer, en agissant conjointement sur quatre axes :

• La Réforme du secteur de la sécurité (RSS), où elle apporte un fort soutien à la MINUSCA pour faire progresser le processus dans sa globalité.

Elle a ainsi largement contribué à la rédaction de la « Politique nationale de sécurité » (décembre 2015), document fixant un cadre stratégique à son action.

Reste à établir les forces qui doivent répondre à ces missions, en respectant les budgets disponibles. Un point sensible est la répartition des missions entre les forces de sécurité intérieure et les FACA. EUMAM recommande de sortir les gendarmes, sapeurs-pompiers et gardes pénitentiaires des FACA pour les intégrer à d'autres ministères, afin de recentrer l'armée sur sa mission de défense nationale.

L'urgence pour les autorités centrafricaines et la MINUSCA est désormais, dans le cadre de la RSS, de déterminer le format et les effectifs souhaités une fois le processus de réforme achevé. C'est le point majeur de la réforme du secteur de la sécurité et aussi un motif d'inquiétude.

• Les ressources humaines, car la maîtrise des effectifs est la clé de la RSS.

Après avoir procédé à l'enregistrement biométrique 208 ( * ) des 7 342 personnels des FACA, la recommandation d'EUMAM est de descendre à un format 4 000 en assainissant les rangs pour faire baisser la masse salariale et de faire un effort, dans un premier temps, sur les bataillons du génie, qui pourront réhabiliter les casernes et agir au profit des populations. EUMAM met d'ores et déjà sur pied un bataillon pour l'arrivée d'EUTM 209 ( * ) .

L'adoption prochaine du code de Justice militaire qu'EUMAM a contribué à rédiger permettra le renvoi des 500 à 600 déserteurs. Pour inciter le retour à la vie civile des 900 retraités et des volontaires pour quitter l'armée, un accompagnement par la MINUSCA et de la communauté internationale pour prendre en charge leurs pensions 210 ( * ) est nécessaire.

Pour autant, l'assainissement des FACA n'a pas commencé : radiations des déserteurs, vérification des effectifs avec la base de données soldes (8 366 militaires soldés pour 7 342 recensés par EUMAM). Les mesures de vérification (vetting allégé) en particulier sur Bangui, mises en place en 2014, ne sont pas efficaces 211 ( * ) .

A terme, cette réorganisation libérera l'espace pour le recrutement de jeunes et l'intégration d'ex-combattants dans le cadre du DDRR 212 ( * ) mais il ne faut pas se dissimuler que l'intégration d'ex-combattants des groupes armés est un objectif politique, qui peut entrer en contradiction avec l'objectif de professionnalisation . Les FACA auront des difficultés à assimiler de nouvelles recrues, a fortiori des anciens combattants des groupes armés avant d'être réorganisées 213 ( * ) .

En outre des précautions importantes doivent être prises dans l e processus d'intégration qui doit être graduel et fondé sur une sélection individuelle, avec vérification du passé de chacun et sans devoir satisfaire a priori des besoins de représentation 214 ( * ) . Le choix de l'encadrement au sein d'effectifs dont la caractéristique et la tradition a toujours été de satisfaire ses besoins par l'attribution de grades supérieurs est un point crucial. Ces mesures impopulaires nécessiteront une forte volonté politique.

Elle appuie également la réorganisation de la chaîne de commandement (Ministère de la Défense - CEMA - officiers).

• L'instruction non-opérationnelle du personnel d'état-major :

Pour augmenter leurs compétences (dans les domaines des ressources humaines, de l'informatique, de la santé et de la logistique) et ainsi renforcer l'efficacité de la chaîne de commandement, 600 stagiaires ont reçu une formation, essentiellement des cadres et de futurs formateurs, pour pérenniser l'action.

• La réalisation de projets pour gagner en crédibilité et visibilité.

Les projets ciblés sur la réhabilitation du camp de Kassaï comprennent des centres de formation spécialisée (médical, informatique, génie-infrastructure), un centre d'entrainement et des projets agro-pastoraux et de métiers du bâtiment visant à l'autonomie des FACA et à la reconversion dans la vie civile. L'avantage de ces projets, financés par des dons bilatéraux du Luxembourg (400 000 €) et de l'ambassade de France (50 000 €), est d'obtenir des effets conséquents avec des moyens limités. Cette solution de court terme a permis d'avancer concrètement à défaut de pouvoir bénéficier de financement européen plus pérenne.

Le rétablissement de la sécurité, en négociant le DDR avec les groupes armés et en engageant la RSS est une priorité du Président Touadéra. Le nouveau ministre de la défense, M. Yakété, met progressivement en place les mesures proposées par l'EUMAM.

2. Le mandat d'EUTM RCA

Le Président Touadéra et ses proches sont conscients de l'enjeu. Pour gérer ce dossier, tout comme celui du DDRR une équipe restreinte autour du Président se met en place. Il vient de désigner des responsables 215 ( * ) , il pourra également s'appuyer sur un expert indépendant de haut niveau 216 ( * ) qui pourra apporter son conseil et faire la liaison avec les Nations unies. Les ministres concernés mettront ensuite en oeuvre les décisions avec leurs administrations respectives (EMA, DGGN, DGPN, Douanes, autorités judiciaires...) sous le contrôle du Premier ministre. Un appui de la communauté internationale est très attendu.

Dans ce cadre, la mission EUTM 217 ( * ) RCA arrivera en juillet pour conseiller l'Etat-major, aider à l'actualisation des textes fondamentaux d'organisation des FACA et dispenser un enseignement opérationnel aux militaires.

Pour le général Hautecloque-Raysz, commandant d'EUTM, l'objectif est d' « aider les Centrafricains à former une nouvelle armée, multi-ethnique et contrôlée par son Président et les nouvelles institutions politiques. EUTM veut redonner aux FACA sa dignité et le sens du droit international. (...) La priorité de départ est de rétablir la chaîne de commandement hiérarchique entre ministère de la défense, état-major et bataillons. Le deuxième challenge est de recréer des académies militaires. Vient ensuite la reprise de l'entraînement des unités, dont le déploiement sur le terrain pour assurer la sécurité de la Centrafrique sera graduel. Au niveau conseil, nous avons également l'ambition de rédiger l'équivalent d'un Livre blanc, pour essayer de définir l'outil de défense que le gouvernement souhaite, à moyen terme, à 5 ou 10 ans ».

« Notre mandat est de créer une armée qui soit robuste. Le but n'est pas de faire de l'abattage, de former le plus en quantité de sections ou de bataillons. Notre formation va se faire en profondeur pour que cela puisse s'inscrire dans la durée. C'est un véritable challenge. Nous allons entraîner les instructeurs centrafricains pour qu'ensuite ceux-ci puissent préparer leurs troupes. Tout notre travail au niveau technique et tactique va s'orienter d'abord à leur donner les moyens de rétablir la sécurité intérieure. Les FACA doivent être capables de prendre la relève de la MINUSCA, qui assure actuellement le contrôle des groupes armés ».

Son état-major sera fourni par le Corps européen et elle devrait bénéficier d'un effectif plus important qu'EUMAM (de l'ordre de 180 personnels) 218 ( * ) .

La question centrale, encore ouverte, est celle de l'équipement des FACA qui sera indispensable pour pouvoir les entraîner. Il est absolument nécessaire de trouver des solutions pour fournir aux FACA les moyens minimaux, essentiellement des véhicules légers de type pick-up et de l'armement léger d'infanterie pour l'instruction et à plus long terme celle de l'équipement des forces dont les capacités opérationnelles auront été certifiées. Enfin pour accroître les capacités opérationnelles de ces forces, il conviendrait de les faire manoeuvrer avec des unités plus robustes (Forces françaises prépositionnées, contingents de la MINUSCA) et d'apporter une aide au financement de leurs équipements (cession de matériel lors du départ de Sangaris), ce qui pose la question de la levée sélective de l'embargo décidé par les Nations unies et celle, pour l'Union européenne, de la capacité d'apporter un soutien en matière d'équipements militaires (CSDB ou clearing house) (voir supra p. 150) 219 ( * ) .

EUTM RCA devra s'engager résolument dans les processus DDR et RSS en soutien à la MINUSCA, car ces processus sont intimement liés, en s'appuyant sur la volonté actuelle du gouvernement centrafricain d'avancer et de réformer.

La MINUSCA de son côté devra appuyer le redéploiement des forces de défense en province, au fur et à mesure que les unités auront été formées, avec comme objectif, parfaitement identifié par les autorités centrafricaines, de limiter l'empreinte des FACA dans la capitale.

Enfin, il est indispensable que la Communauté internationale soit réactive et apporte rapidement son soutien politique et financier pour accompagner ces réformes. La fenêtre d'opportunité pour lancer ces changements profonds est ouverte, mais elle se refermera dans quelques mois si les avancées sont insignifiantes ou trop lentes.

Le groupe de travail estime que, dans le contexte particulier de la RCA, la levée de l'embargo sur les armes à destination des FACA devrait être réalisée en deux temps : complète pour permettre à EUTM d'assurer la formation des FACA et progressive pour les FACA au fur et à mesure de la formation des unités, une fois leur capacité opérationnelle validée.

Propositions :

Permettre à EUTM RCA de disposer d'armement pour la formation des FACA.

Mettre en place une levée progressive de l'embargo sur les armes au profit des unités des FACA dont la formation aura été préalablement validée.

Organiser un mentorat au profit des FACA dans le cadre d'une coopération opérationnelle et a minima dans la cadre de patrouilles mixtes avec les unités de la MINUSCA.

*

* *

Le bilan d'ensemble des missions de conseil et de formation de l'Union européenne dans les zones de crises et de conflits où la France a engagé une opération extérieure apparaît mitigé.

Il met en évidence la lenteur du déploiement des missions avec des phases d'expertise préalable parfois excessives, tout en reconnaissant que l'Union européenne a pu, notamment pour la décision de création d'EUTM Mali agir avec célérité et que, dans d'autres cas, il était bien difficile de mettre en place une mission étoffée tant que les autorités légitimes n'étaient pas élues et que la phase de transition durait ; la mission EUMAM en RCA a permis de mieux sérier les besoins et de préparer le déploiement d'EUTM RCA dans de meilleures conditions.

La lenteur marque aussi la génération des forces. De ce point de vue, il ne serait pas inutile que chaque État-membre s'engage à pré-affecter des personnels susceptibles d'être mobilisés pour ces missions dans leurs forces armées et de sécurité intérieure et que l'Union européenne mette en place une méthode de planification de ces missions. En outre, il est peu compréhensible que certains États mettent de la mauvaise volonté à déployer des forces pour assurer la sécurité des instructeurs surtout lorsque les lieux d'instruction et d'entraînement sont éloignés des zones de combat (exemple d'EUTM Mali).

La seconde observation porte sur le contenu de la formation et sa durée. Sans doute fallait-il rapidement restaurer des forces armées maliennes pour tenir le terrain, mais les faits ont montré que les premiers bataillons formés n'ont pas fait preuve d'une réelle aptitude au combat, d'où l'instauration de cycle de réentraînement. Sans doute faut-il que la formation soit plus solide et qu'elle mise désormais davantage sur la qualité que sur le nombre des combattants. Il faudra également que les unités formées puissent disposer des armements nécessaires pour suivre une formation opérationnelle et que leurs unités soient mieux équipées.

La mise en lumière de ces difficultés a permis d'ouvrir les débats au sein de l'Union européenne et de faire progresser globalement les pays membres et les institutions vers un engagement sérieux associant davantage la problématique de sécurité à celle du seul développement.


* 200 Faute d'accord à l'époque pour lancer d'emblée une mission de formation.

* 201 Commandée par le général français Dominique Laugel.

* 202 L'UE est le premier partenaire de la RCA (500 M€ d'aide durant la Transition).

* 203 La Serbie fournit un détachement du service de santé.

* 204 Sans archives, sans dossier personnel et sans équipements.

* 205 La plupart des soldats étaient désoeuvrés et livrés à eux-mêmes ou aux agitateurs, pouvant créer des amalgames entre les FACA et les anti-balakas, indisciplinés et sans commandement. 7 000 hommes inoccupés pouvaient constituer une menace d'instabilité potentielle.

* 206 La réhabilitation du camp militaire principal Kassaï et du dispensaire militaire principal d'Obrou, avec des financements extérieurs, a permis de consolider, de rendre concrètement visible la mission. Elle a marqué également le retour des FACA dans leurs casernements.

* 207 Depuis le début de la mission, EUMAM aura connu trois ministres de la Défense, et attend la nomination du quatrième CEMA.

* 208 Une base de données biométrique des personnels militaires a été développée dans le cadre du même projet et est utilisée actuellement par les experts d'EUMAM en soutien à la direction des ressources humaines du Ministère de la Défense. Ce projet contribue à assister les autorités nationales à regrouper et caserner les Forces de Défense Nationale (FACA) et à améliorer la gestion de leurs ressources humaines.

* 209 Bataillon modèle » avec des personnels sélectionnés, comme base pour le lancement d'EUTM dans les meilleures conditions.

* 210 Les États-Unis se sont proposés début 2015 à hauteur de 5 M$.

* 211 Fin décembre, seuls un peu plus de la moitié des militaires recensés ont été vérifiés ce qui limite d'autant la connaissance de l'effectif réel, indispensable tant à la RSS qu'au DDRR).

* 212 EUMAM a chiffré à 1500-2000 les ex-combattants qui reviendraient dans les corps habillés (douaniers, forestiers, police, gendarmerie, FACA).

* 213 Une intégration de quelques dizaines d'éléments, ayant valeur de test, pourrait être envisagée à l'été.

* 214 Les groupes armés comprennent un nombre important de généraux et colonels autoproclamés et peu de sous-officiers.

* 215 Le général de division François Mobedou pour la réforme du secteur de la sécurité et le colonel Bienvenue Selesson pour la DDR.

* 216 En l'espèce l'entreprise Sovereign Global France dirigée par le général (2S) Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) de 2010 à 2013, qui a conseillé le président Ouattara entre octobre 2013 et janvier 2016 sur le processus de réinsertion des miliciens et belligérants ivoiriens.

* 217 Dont le commandement sera confié au général français Éric Hautecloque-Raysz.

* 218 Dans le cadre de la transition entre les deux missions, EUTM devrait bénéficier du transfert d'une partie du personnel de la mission EUMAM (environ 17 personnes dont l'équipe médicale serbe).

* 219 L'Union européenne a décidé en conséquence d'ajouter une exception à son embargo sur les armes frappant la RCA. Venant appliquer une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies 220 , cette décision autorise « la fourniture de matériel non létal et d'une assistance technique notamment pour permettre « les activités de formation opérationnelles et non opérationnelles » aux forces de sécurité de la République centrafricaine 221 . En outre, EUTM disposera d'une cellule projet dont l'objectif est de recenser et mettre en oeuvre les projets à financer par l'Union, ses États-membres ou des pays tiers, qui correspondent à ses objectifs et contribuent à l'exécution de son mandat. C'est le mécanisme Athena qui aura pour fonction de gérer les contributions financières à ces projets. Ceci devrait permettre d'apporter un commencement de solution pour l'acquisition de certains matériels non-létaux, mais de nouvelles dérogations conditionnelles devront être accordées au fur et à mesure des besoins pour assurer la formation opérationnelle des FACA, puis leurs capacités opérationnelles.

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