B. DES MODALITÉS PARTICULIÈRES DE FINANCEMENT

1. L'établissement de règles dans les lois de programmation militaire

Par nature, le coût des OPEX comporte une part d'incertitude importante liée à l'ouverture ou à la fermeture de théâtres d'opérations en cours d'année et à l'intensité de l'engagement sur chacun des théâtres ouverts. Cette imprédictibilité relative est la raison d'être d'un financement en deux temps : une provision initiale inscrite dans le projet de loi de finances de l'année et un préfinancement en trésorerie des surcoûts nets par le ministère de la défense couvert in fine par un financement interministériel.

Les surcoûts nets OPEX font l'objet d'une demande de financement qui se traduit habituellement par un décret d'avance 299 ( * ) , publié fin novembre, ratifié en loi de finances rectificative en décembre. Ce financement interministériel est réalisé par le ministère du budget à partir des réserves de précaution des différents ministères, y compris potentiellement celles du ministère de la défense qui, de fait, porte une part de ce financement interministériel, s'ajoutant à la provision initiale de 450 millions d'euros.

Afin de sécuriser le financement des opérations extérieures, la programmation repose sur une dotation prévisionnelle annuelle dans le budget de la mission Défense en adéquation avec les nouveaux contrats opérationnels et les priorités stratégiques définis dans le Livre blanc. Par rapport aux LPM précédentes, il a été en particulier tenu compte de la limitation prévisionnelle des engagements, dans le modèle retenu, à une moyenne de trois théâtres importants, de l'adaptation de notre dispositif en Afrique aux nouvelles menaces sur la sécurité des pays amis et de la nécessaire reconfiguration du dispositif actuel des forces prépositionnées.

Le rapport annexé au projet de programmation militaire 2009-2014 avait évalué à 450 millions d'euros le montant de la dotation prévisionnelle annuelle au titre des opérations extérieures. En première lecture, un amendement introduit par votre commission, voté par le Sénat et par l'Assemblée nationale, avait inscrit dans le texte même de la loi ce mécanisme de financement sécurisant le financement interministériel du dépassement éventuel de cette enveloppe 300 ( * ) . En effet, hors abondement extérieur alloué dès la loi de finances initiale, une mobilisation des ressources supplémentaires programmées en loi de finances initiale à partir des seuls crédits accordés au ministère de la défense aurait, à crédits constants, un effet d'éviction néfaste sur les crédits destinés au fonctionnement, à la préparation des forces ou à leur équipement 301 ( * ) . La méthode actuellement mise en oeuvre permet de faire face au besoin en évitant cet effet d'éviction sous réserve que le ministère (notamment ses programmes P178 et P2012/T2 concernés par les OPEX, ne soit pas en rupture de trésorerie dans l'attente du financement interministériel.

a) Une évaluation de la dotation provisionnelle qui s'avère en décalage par rapport aux surcoûts réels des OPEX constatés en fin d'exercice

Le niveau de la provision s'est avéré régulièrement en décalage avec l'évaluation finale des OPEX. Comme le montre le tableau ci-après, qui fait apparaître des besoins de financements complémentaires, parfois supérieurs à la prévision budgétaire.

Source : ministère de la défense

Cette inscription en loi de finances initiale, qui n'atteint que 40%, ne répond qu'imparfaitement au principe de sincérité sur lequel devrait reposer la construction du Budget de la Nation.

Depuis 2008, le montant des surcoûts OPEX, selon le mode de calcul actuel, n'a jamais été inférieur à 850 millions d'euros et dépasse 1 milliard d'euros depuis 2013.

Force est de constater que la difficulté à fermer des théâtres d'opération et la croissance des risques et menaces dans nos zones d'intérêt conduit à une augmentation tendancielle du coût des OPEX et, par construction, à un décalage croissant avec une dotation initiale.

Pour autant, votre commission n'avait pas souhaité remettre en cause le montant de la provision qui a fait l'objet d'un arbitrage d'ensemble sur la programmation en cohérence avec la question des formats des armées, même si elle en avait mesuré les conséquences.

En réalité, il apparait que ce montant a une valeur indicative, et l'existence du fond interministériel est une garantie majeure pour que le financement des OPEX ne se fasse pas par régulation des équipements, ce qui est une question de bon sens. Plus une armée est engagée et plus il est nécessaire qu'elle assure le renouvellement et la modernisation de ces équipements et plus elle doit être capable, grâce à un niveau technologique supérieur, un maintien en conditions opérationnelles performant de ses hommes et de ses équipements, de s'assurer de sa supériorité militaire sur les théâtres où elle est engagée.

b) Une garantie interministérielle perfectible

Pour autant cette garantie n'est pas totale, puisque le ministère de la défense participe à cette solidarité conçue dans un cadre large qui couvre également les besoins d'autres ministères, piloté par le ministère du budget, et sa contribution excède parfois son poids dans le budget général de l'Etat 302 ( * ) .

Une dissociation du financement programmé de l'outil de défense, soumis à un niveau minime d'aléas et des engagements extérieurs peu prédictibles est sans doute à rechercher. Ce serait, avec la révision des règles de prise en compte des dépenses dans le BOP OPEX, un préalable à toute évolution du système actuel, qui, certes est imparfait au regard des principes budgétaires, mais satisfaisant, faute de mieux pour sécuriser, dans cette période dangereuse, les crédits de la défense dans les arbitrages incessants imposés par la direction du budget.

Une autre solution serait la création d'une mission OPEX qui conduirait à donner au Parlement la capacité de se prononcer par un vote annuel sur les crédits des opérations, ce qui pourrait avoir des conséquences sur l'efficacité du processus de décision, dont la performance a été saluée et qui, au demeurant, serait en contradiction avec les règles constitutionnelles adoptées en 2008.

La pratique américaine des Overseas Contingency Operations (OCO) ou de la Réserve spéciale du Trésor britannique assurent un minimum de transparence tout en laissant une large part d'initiative à l'exécutif mais paraissent mal adaptées aux procédures budgétaires nationales.

Les financements des OPEX aux États-Unis et en Grande-Bretagne

( sources Ministère de la défense - DGRIS)

Le groupe de travail attend de la mission de contrôle, confiée par la commission des finances du Sénat à la Cour des Comptes, en application de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, une réflexion sur les différents aspects du financement des OPEX mais reste fondamentalement attaché à leur financement interministériel.

Proposition : Sécuriser le financement interministériel des opérations extérieures et, en parallèle et selon la même logique, le financement interministériel pour les opérations intérieures

c) Un contrôle parlementaire régulier à mettre en oeuvre

A tout le moins, il serait souhaitable que les dispositions du 3 e alinéa de l'article 4 de la loi de programmation militaire soient effectivement mises en oeuvre et que soit programmé un débat annuel au Parlement sur les engagements de la France en dehors du territoire national sur la base d'un bilan politique opérationnel et financier communiqué préalablement aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ce bilan et le débat prévu par le dispositif adopté doivent permettre d'éclairer la représentation nationale sur les objectifs, les réalisations et les coûts de chaque OPEX. Ces dispositions n'ont pas été mises en oeuvre.


* 299 Le recours à un décret d'avance est nécessaire en raison, d'une part, de l'ampleur des mouvements à effectuer et, d'autre part, de la nécessité pour les programmes 178 et 212 d'être couverts sans attendre la promulgation de la loi de finances rectificative et ainsi éviter la rupture de trésorerie en fin d'année).

* 300 Article 4, alinéa 1 er : « La dotation annuelle au titre des opérations extérieures est fixée à 450 millions d'euros. En gestion, les surcoûts nets, hors titre 5 et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette dotation qui viendraient à être constatés sur le périmètre des opérations extérieures, font l'objet d'un financement interministériel.

* 301 Le principe de l'inscription en LFI du coût estimé des OPEX, revendication ancienne du Parlement, est une des grandes avancées de la LPM 2009-2014, qui, était de prévoir un mécanisme de budgétisation intégrale des OPEX et d'interdire leur financement par annulation de crédits d'équipement, ce qui était le cas jusqu'alors.

La loi de programmation militaire 2009-2014 avait prévu d'en évaluer de manière plus réaliste les surcoûts en loi de finances initiale en prévoyant que « le montant de la provision au titre des surcoûts des opérations extérieures, porté à 510 millions d'euros en 2009, sera augmenté de 60 millions d'euros en 2010 puis de 60 millions d'euros en 2011 » , soit au total 570 millions d'euros en 2010 et 630 millions d'euros en 2011, et en disposant que les éventuels dérapages par rapport à ces estimations seraient financés « par prélèvement sur la réserve de précaution interministérielle ».

* 302 https://www.senat.fr/commission/fin/pjlf2016/np/np08/np081.html

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