B. L'ÉTAT S'EST D'ORES-ET-DÉJÀ ENGAGÉ À FINANCER PLUSIEURS PROJETS D'INFRASTRUCTURE DE TRANSPORT D'AMPLEUR CONSIDÉRABLE ET NE POURRA PLUS SOUSCRIRE DE NOUVEAUX ENGAGEMENTS AVANT LONGTEMPS

Au fil des années, l'État s'est engagé dans plusieurs chantiers de très grande ampleur qui vont mobiliser dans les années à venir les financements publics et les ressources humaines des sociétés spécialisées dans la conception et la réalisation d'infrastructure de transport : la liaison ferroviaire Lyon-Turin , le canal Seine-Nord Europe et le Grand Paris express .

Toutefois, dans la mesure où il aura les pires difficultés à tenir simultanément l'ensemble de ses engagements dans les années à venir , l'État devrait revoir dans certains cas ses ambitions à la baisse - comme il l'a fait pour le canal Seine-Nord Europe - et, surtout, s'interdire de promouvoir de nouveaux projets .

1. Le Lyon-Turin, un ambitieux projet dont la rentabilité socio-économique est controversée, mais qui est pris en charge à 40 % par l'Union européenne

La liaison ferroviaire Lyon-Turin vise à favoriser les échanges entre la France et l'Italie en opérant un report modal de la route vers le fer pour désengorger le réseau routier et autoroutier du sud-est de la France .

Le 24 février 2015 , le Président de la République et le Président du Conseil de la République italienne ont signé un accord valant décision de construire la section transfrontalière du projet de nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin . Cet accord a été complété par un protocole additionnel signé le 8 février 2016 .

La société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), qui est le promoteur public chargé de mettre en oeuvre le projet, instruit actuellement les appels d'offres européens , dont les premiers pourraient être lancés en 2017 .

Les travaux n'en sont plus au stade des études préliminaires - pour lesquels ont été engagés depuis 2005, y compris les financements italiens et européens, 1,24 milliard d'euros , dont 334 millions d'euros apportés par la France via l'AFITF . En effet, la galerie de Saint-Martin la Porte , longue de 9 kilomètres et actuellement en cours de creusement , servira d'élément à part entière du tunnel de base .

Le coût de ce tunnel de base, long d'environ 57 kilomètres, serait de 8,2 milliards d'euros 62 ( * ) . Sa construction durerait 12 ans .

Pour 2016-2019, l'Union européenne a accordé au projet 814 millions d'euros en juillet 2015, ce qui représente 41 % des dépenses prévues pour cette période . La France devra pour sa part apporter 2,1 milliards d'euros 63 ( * ) , échelonnés sur les 12 ans de construction de l'ouvrage.

Selon les préconisations formulées par Michel Bouvard et Michel Destot dans le rapport qu'ils ont remis au Premier ministre le 13 juillet 2015 et qu'ils ont présenté à la commission des finances du Sénat le 27 octobre 2015, un surpéage pourrait être institué en application de la directive Eurovignette 64 ( * ) sur les axes autoroutiers appelés à être en partie délestés par le tunnel. De telles dispositions ont notamment été mises en oeuvre par l'Autriche pour financer le tunnel du Brenner.

Le montant de subvention budgétaire versée par la France (en pratique, par l'AFITF) pourrait alors être réduit par un emprunt à long terme remboursé grâce à ce surpéage .

Il convient de noter que ce projet n'avait pas été examiné par la commission « Mobilité 21 » , compte tenu des engagements internationaux déjà pris en sa faveur, et qu'il n'a pas été soumis à une contre-expertise sous l'égide du Commissariat général à l'investissement , cette procédure n'étant valable que pour les projets engagés à compter de 2014.

La Cour des comptes, en particulier dans un référé adressé au Premier ministre le 1 er août 2012 et intitulé « Le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin », se montre très sceptique sur ce projet d'infrastructure, dont elle dénonce la faible rentabilité socio-économique et les prévisions de trafic progressivement revues à la baisse .

Pour leur part, les membres de votre groupe de travail estiment que ce projet peut représenter une véritable opportunité économique pour le sud-est de la France .

S'il présente certaines faiblesses , mises en lumière par la Cour des comptes, le fait que l'Union européenne finance 41 % des dépenses du tunnel de base et que la part de la France se limite à 2,1 milliards d'euros devrait préserver les intérêts de notre pays .

Enfin, le respect de nos engagements internationaux est un point fondamental .

2. Le canal Seine-Nord Europe, projet fragile pris en charge à 42 % par l'Union européenne

Inscrit au schéma directeur transeuropéen des voies navigables à grand gabarit, le projet de canal fluvial Seine-Nord Europe consiste en la réalisation d'un nouveau canal à grand gabarit , d'une longueur de 106 kilomètres , entre Compiègne et le canal Dunkerque-Escaut, permettant l'acheminement de chargements de fret pouvant atteindre jusqu'à 4 400 tonnes . Le canal Seine-Nord Europe, section française de la liaison internationale Seine-Escaut, doit permettre de relier les bassins de la Seine et de l'Oise au réseau des canaux du nord de la France , et plus largement à l'ensemble du réseau fluvial nord-européen à grand gabarit .

Le Gouvernement, lors de la réunion du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003, a confirmé la nécessité de poursuivre les études de ce nouveau canal .

Toutefois, le ministre délégué en charge des transports, de la mer et de la pêche a décidé, le 26 mars 2013, l'arrêt de la procédure de dévolution du contrat de partenariat, qui était en cours depuis 2009, et la mise en place d'une mission de reconfiguration technique du projet de canal Seine-Nord Europe , confiée par lettre du 17 avril 2013 à Rémi Pauvros, député du Nord et maire de Maubeuge. Ce dernier a rendu ses conclusions le 11 décembre 2013, proposant un projet moins ambitieux, et partant, moins coûteux.

À la suite de la remise de ce rapport, le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche a entamé le 19 décembre 2013 les démarches réglementaires liées à la modification de la déclaration d'utilité publique et a mis en place une mission administrative chargée d'approfondir le montage du projet et ses modalités de financement.

Conformément aux objectifs fixés par le Premier ministre le 26 septembre 2014 à Arras, le démarrage des travaux est prévu en 2017, pour une première mise en service du canal en 2023 .

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour créer la société de projet du canal , établissement public qui assurera la construction de l'ouvrage et le développement économique lié à l'infrastructure sous maîtrise d'ouvrage publique .

L'Union européenne a annoncé en juin 2015 sa participation au financement de l'ouvrage à hauteur de 980 millions d'euros , soit 42 % de son coût prévisionnel de 2,33 milliards d'euros sur la période 2016-2019 .

Le secrétaire d'État aux transports a procédé le 7 octobre 2015 au lancement de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique des modifications du tracé du canal Seine-Nord Europe.

Depuis 2005, l'AFITF s'est engagée à hauteur de 182 millions d'euros , dont 139 millions d'euros d'ores-et-déjà payés , au titre de conventions d'études, d'acquisitions foncières, de préparation et de poursuite du dialogue compétitif puis pour la reconfiguration du projet et la poursuite des études et des travaux.

A l'instar de la liaison ferroviaire Lyon-Turin, ce projet n'a été ni examiné par la commission « Mobilité 21 », ni soumis à une contre-expertise sous l'égide du Commissariat général à l'investissement .

Si la soutenabilité financière de ce projet n'est pas encore totalement assurée , le fort engagement de l'Union européenne en sa faveur devrait permettre de contenir son impact sur les finances publiques de notre pays.

3. Le Grand Paris express, le grand chantier français du XXI siècle

La loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, dont l'article 1 er dispose que « le Grand Paris est un projet urbain, social et économique basé sur la construction d'un nouveau réseau de transport public », a créé la Société du Grand Paris (SGP) , établissement public de l'État à caractère industriel et commercial (EPIC) qui emploie 160 personnes et dont « la mission principale est de concevoir et d'élaborer le schéma d'ensemble et les projets d'infrastructures composant le réseau de transport public du Grand Paris et d'en assurer la réalisation ».

Placée sous la tutelle des ministères chargés du logement, de l'écologie, de l'économie et des finances, la SGP a été confortée le 6 mars 2013 par le Gouvernement issu des élections de 2012 lors de la présentation par le Premier ministre du « Nouveau Grand Paris ».

Baptisé Grand Paris Express , le réseau de transport public porté par la SGP est constitué de 72 gares (que la SGP a pour mission de construire et d'aménager) et de 200 kilomètres de lignes nouvelles interconnectées au réseau existant (métro, RER et transilien).

Il comprendra :

- Des prolongements de lignes de métro existantes :

• la ligne 14 , de Saint-Lazare à Saint-Denis-Pleyel au Nord et d'Olympiades à l'aéroport d'Orly au sud ;

• la ligne 11 vers l'est, de Mairie des Lilas à Noisy-Champs en passant par Rosny-Bois-Perrier.

• une rocade de zone dense autour de Paris , la ligne 15 , métro qui desservira Noisy-Champs, Villejuif, Pont-de-Sèvres, Nanterre, La Défense, Saint-Denis Pleyel, Bobigny, Rosny-Bois-Perrier et Champigny centre ;

- trois lignes destinées à assurer le développement de territoires en expansion et une meilleure desserte des aéroports franciliens :

• la ligne 16 de Saint-Denis-Pleyel à Noisy-Champs via Le Bourget RER, Aulnay-sous-Bois et Clichy-Montfermeil ;

• la ligne 17 de Saint-Denis Pleyel au Mesnil-Amelot en passant par Le Bourget RER, Gonesse et l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle ;

• la ligne 18 de l'aéroport d'Orly à Versailles, via Massy-Palaiseau et le plateau de Saclay, prolongée à terme jusqu'à Nanterre.

En avril 2015, les premiers travaux préparatoires - ceux de la ligne 15 sud entre Pont de Sèvres et Noisy-Champs - ont débuté.

Le prolongement de la ligne 14 de Saint-Lazare jusqu'à mairie de Saint-Ouen devrait être mis en service en 2019 et la ligne 15 sud être disponible en 2022 (contre une date de 2020 initialement prévue). Les autres lignes devraient progressivement entrer en service entre 2023 et 2030 .

Lors de la dernière estimation réalisée en 2012 , le coût du Grand Paris Express a été évalué à 22,625 milliards d'euros , auxquels il convient d'ajouter :

- 798 millions d'euros au titre de la participation de 55 % de la SGP au prolongement de la ligne 14 jusqu'à Mairie de Saint-Ouen ;

- 450 millions d'euros pour la réalisation des interconnexions avec le réseau existant ;

- 1,625 milliard d'euros pour la contribution de la participation de la SGP au plan de mobilisation de la région (Éole, ligne 11, schéma directeur des RER).

Au total, la SGP investira donc 25 milliards d'euros à l'horizon 2030.

Pour financer ces dépenses, la SGP dispose pour le moment :

- de trois recettes fiscales affectées dynamiques , pour un montant de 500 millions d'euros par an environ (en 2015, 60 millions d'euros au titre de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau-IFER, 320 millions d'euros au titre de la taxe locale sur les bureaux en Île-de-France et 117 millions d'euros au titre de la taxe spéciale d'équipement) 65 ( * ) ;

- d'un engagement de l'État et des collectivités territoriales à lui verser des dotations en capital, auxquels la SGP pourrait faire appel en tant que de besoin, et qui représenteraient au maximum respectivement 1 milliard d'euros et 225 millions d'euros ;

- à compter des mises en services, des produits de son domaine (péages, redevances commerciales, etc.).

Les investissements et interventions (qui correspondent à la participation au plan de mobilisation de la région) de la SGP connaissent une montée en charge progressive : 8,5 millions d'euros en 2010, 35,1 millions d'euros en 2011, 77,4 millions d'euros en 2012, 153,6 millions d'euros en 2013, 304,9 millions d'euros en 2014 et 817 millions d'euros en 2015. 968 millions d'euros sont prévus à ce titre en 2016, sur un budget total de 1,112 milliard d'euros .

En 2015, pour la première année, la SGP a dépensé davantage qu'elle n'a perçu de recettes, ce qui l'a conduit à prélever 316 millions d'euros sur le fonds de roulement de l'établissement, accumulé depuis 2010 66 ( * ) . Mais le besoin de financement de la SGP étant évalué à 8 milliards d'euros d'ici 2020, la SGP devra en outre avoir recours à l'emprunt.

Elle a ainsi signé en 2014 un protocole d'accord avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui prévoit qu'elle bénéficiera de 4 milliards d'euros de prêts du fonds d'épargne d'ici 2022. Une première tranche de 1 milliard d'euros a ainsi été débloquée en 2015. Toujours en 2015, la SGP a également emprunté 1 milliard d'euros auprès de la Banque européenne d'investissements (BEI) 67 ( * ) , dans le cadre d'une enveloppe globale qui pourra s'élever au maximum à 4 milliards d'euros à l'horizon 2023. La SGP a pour objectif le remboursement de tous ses emprunts à l'horizon 2070.

Selon les études réalisées par la SGP, le taux de rentabilité du Grand Paris Express serait de 7 % à 8 % et ce nouveau réseau de transport induirait à terme un surcroît de PIB de 100 à 200 milliards d'euros par an (pour un PIB actuel de 600 milliards d'euros en Île-de-France) et 115 000 créations d'emplois .

Le modèle de financement du Grand Paris express paraît relativement robuste , dans la mesure où il bénéficie de plusieurs ressources fiscales affectées, dont la taxe locale sur les bureaux en Île-de-France, particulièrement dynamique.

Toutefois, les membres de votre groupe de travail estiment que le Parlement devra faire preuve d'une très grande vigilance pour s'assurer que ce chantier pharaonique , réalisé à marche forcée, ne connaîtra pas de dérives .

L'opportunité de chaque ligne doit être soigneusement évaluée et son tracé, au besoin, modifié.

Le seul projet d'infrastructure de transport ayant reçu un avis défavorable du Commissariat général à l'investissement (CGI) est la seconde partie de la ligne 18 du Grand Paris express reliant le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à Versailles, dont la rentabilité socio-économique a été jugée anormalement faible.


* 62 Valeur janvier 2012.

* 63 Valeur janvier 2012.

* 64 Directive 1999/62/CE, modifiée par la directive 2011/76/UE du 27 septembre 2011.

* 65 Ce qui devrait représenter environ 10 milliards d'euros sur 20 ans (de 2010 à 2030) et 30 milliards d'euros sur 60 ans (de 2010 à 2070, horizon prévu pour l'arrivée à échéance des derniers emprunts souscrits par la SGP).

* 66 Au 1 er janvier 2015, ce fonds de roulement s'élevait à 1,036 milliard d'euros.

* 67 En vertu d'un arrêté pris sur le fondement de l'article 12 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, la SGP ne peut souscrire d'emprunts d'une durée supérieure à douze mois auprès d'un établissement de crédit ni d'une société de financement. Elle peut en revanche contracter des emprunts supérieurs à douze mois auprès de la CDC et de la BEI qui ne relèvent d'aucune de ces deux catégories.

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