III. LES NOUVEAUX PROJETS DOIVENT ÊTRE SÉLECTIONNÉS SELON DES CRITÈRES DE RENTABILITÉ SOCIO-ÉCONOMIQUE TRÈS EXIGEANTS MÊME SI CELA IMPLIQUE DE RENONCER À DES PROJETS DÉJÀ ANNONCÉS

Le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) élaboré en 2011 suite aux Grenelle de l'environnement prévoyait une longue liste de projets de nouvelles infrastructures de transport pour notre pays (voir supra ).

Si la commission « Mobilité 21 » a eu le grand mérite d'effectuer un tri et une hiérarchisation de ces projets, force est de constater que les projets de développement de nos grands réseaux de transport demeurent très ambitieux , sans doute trop compte tenu de la situation contrainte de nos finances publiques et de l'état alarmant des réseaux existants , qui appellent une mobilisation financière et humaine sans précédent .

A. DES LIGNES LGV DONT LA RENTABILITÉ SOCIO-ÉCONOMIQUE EST TRÈS FAIBLE, APPARAISSENT COMME DES INVESTISSEMENTS EXCESSIFS À L'HEURE OÙ L'ARGENT PUBLIC EST RARE ET DOIT ÊTRE MOBILISÉ EN FAVEUR DE L'ENTRETIEN DES RÉSEAUX EXISTANTS

La passion française pour les grands projets d'infrastructure , chers et pas toujours très rentables d'un point de vue socio-économique, mais valorisants pour les porteurs de projets et très positifs d'un point de vue économique pour les acteurs du BTP, s'est traduite au cours des dix dernières années par une multiplication de projets de lignes à grande vitesse (LGV) . Le SNIT comportait ainsi pas moins de quatorze projets de nouvelles LGV !

Sur ces quatorze projets, quatre , comportant au total 671 kilomètres de lignes à grande vitesse , sont devenus réalité et ont été conduits simultanément, au prix d'un endettement considérable de SNCF-Réseau : la deuxième phase de la LGV Est, mise en service le 3 juillet 2016 ; Le Mans-Rennes, également appelée Bretagne - Pays de la Loire ; Tours-Bordeaux, également appelée Sud Europe Atlantique (SEA) ; Nîmes-Montpellier, également appelée contournement Nîmes-Montpellier.

Au moins trois autres grands projets de ligne LGV sont en cours de développement : le grand projet du Sud-Ouest, qui comprend les lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne ; Poitiers-Limoges ; Montpellier-Perpignan.

Or, les membres de votre groupe de travail ont acquis la conviction que la construction de ces nouvelles lignes , qui viendraient s'ajouter à un réseau de lignes à grande vitesse déjà largement mature au moment même où le modèle de la grande vitesse connaît des difficultés dans notre pays, mérite d'être différée, à tout le moins pendant une quinzaine d'années.

1. La grande vitesse ferroviaire, un modèle qui connaît aujourd'hui des difficultés
a) Le TGV, un modèle économique moins performant que par le passé

Alors que la fréquentation des TGV avait crû pendant une trentaine d'années, elle a stagné depuis 2012 . Parallèlement, alors qu'elle avait longtemps compté parmi les activités les plus profitables de la SNCF, la rentabilité des TGV s'est dégradée ces dernières années , ainsi que le relève la Cour des comptes dans son rapport La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence 59 ( * ) .

De fait, les prix du TGV apparaissent déjà élevés et celui-ci doit faire face à la concurrence de nouveaux modes de transports alternatifs à bas coût , tels que les vols low cost , les autocars et le covoiturage.

b) Les lignes les plus pertinentes ont déjà été construites

Le TGV est le mode de transport le plus pertinent pour les durées de trajet comprises entre 1 heure 30 et 3 heures et reliant des villes de taille démographique suffisante . En termes de distance, le TGV apparaît comme le mode de transport le plus performant jusqu'à 500 kilomètres , voire parfois jusqu'à 750 kilomètres, sous certaines conditions.

D'ailleurs, c'est lui qui dispose systématiquement de la plus forte part de marché pour les liaisons correspondant à ce type de configuration : Paris-Bruxelles, Paris-Londres, Paris-Lyon, Paris-Nantes, Paris-Strasbourg, Paris-Marseille, etc.

Or, toutes les lignes correspondant à ces caractéristiques ont d'ores-et-déjà été construites . Les nouvelles lignes qui pourraient l'être seront donc moins rentables que celles qui les ont précédées.

c) Des coûts de construction qui s'envolent

De plus, selon la Cour des comptes, les coûts de construction des LGV ont augmenté avec le temps , passant ainsi de 4,8 millions d'euros par kilomètre construit pour la ligne Paris-Lyon à 26 millions d'euros par kilomètre construit pour la ligne Sud Europe Atlantique , qui représente un investissement colossal de 7,8 milliards d'euros pour 300 kilomètres de lignes à grande vitesse .

2. Les lignes LGV actuellement en cours de gestation présentent, pour certaines, des faiblesses
a) Le grand projet du Sud-Ouest aurait le mérite de mieux relier Toulouse au reste du réseau ferroviaire mais n'a pas la pertinence qui était celle des premières lignes à grande vitesse

Le grand projet du Sud-Ouest (GPSO) comprend les lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne , soit 360 kilomètres de lignes nouvelles .

Considérant que Toulouse, quatrième ville de France, devait être raccordée au réseau ferré à grande vitesse, la commission Mobilité 21 a classé la ligne Bordeaux-Toulouse dans la catégorie des projets les plus prioritaires , c'est-à-dire dont l'engagement doit intervenir avant 2030.

Sur ce fondement, le Gouvernement a adopté le 23 octobre 2013 un schéma de réalisation prévoyant la mise en service de la ligne Bordeaux-Toulouse en 2024 et celle de la ligne Bordeaux-Dax en 2027 , la mise en service de la section Dax-Espagne intervenant ultérieurement.

Ce projet, dont le coût est pour le moment estimé à 8,3 milliards d'euros , a reçu un avis favorable avec réserves de la part du Commissariat général à l'investissement, qui s'est inquiété de sa faible valeur actualisée nette (VAN) et de son coût élevé .

Il a ensuite reçu un avis négatif de la commission d'enquête publique , qui a regretté que des alternatives techniques à la grande vitesse n'aient pas été suffisamment étudiées . Néanmoins, les décrets de déclaration d'utilité publique des deux lignes ont été publiés le 5 juin 2016 60 ( * ) .

Si votre groupe de travail ne remet pas en cause la nécessité d'assurer une meilleure desserte de la métropole de Toulouse , il déplore néanmoins que d'autres solutions techniques beaucoup moins coûteuses que la construction d'une nouvelle LGV , n'aient pas été envisagées par l'État, alors qu'il devient de plus en plus difficile de réunir les ressources publiques nécessaires au financement de ce type d'infrastructure.

Les lignes pendulaires , utilisées en particulier en Italie (pendolino), permettent en effet de faire rouler des trains à grande vitesse sur des lignes classiques grâce à des vérins qui provoquent une légère inclination des wagons, évitant ainsi la construction de lignes nouvelles .

Selon les magistrats de la Cour des comptes entendus par votre groupe de travail, le recours à cette technologie augmenterait de seulement 20 minutes le trajet de Bordeaux-Toulouse par rapport au temps de trajet sur une LGV.

L'opportunité de construire la ligne Bordeaux-Dax fait, pour sa part, l'objet de controverses. Il convient d'ailleurs de rappeler qu'elle n'a pas été classée comme prioritaire par la commission « Mobilité 21 ».

Si le secrétaire d'État chargé des transports, interrogé sur ce point par votre groupe de travail, n'a pas nié la faible rentabilité socio-économique de cette ligne LGV , il a en revanche attiré son attention sur la possibilité d'obtenir des financements européens à l'avenir, en raison du caractère transfrontalier de cette ligne.

Votre groupe de travail considère que c'est à cette condition que ce projet, qui ne revêt pas un caractère urgent, pourrait devenir pertinent pour notre pays.

b) Le Conseil d'État a donné un coup d'arrêt à la ligne LGV Poitiers-Limoges, jugeant son utilité publique insuffisante

Le projet de construction d'une ligne à grande vitesse (LGV) entre Poitiers et Limoges remonte au début des années 2000 . Après une concertation à l'automne 2006, les études de définition du projet ont commencé en 2007-2008 et se sont poursuivies les années suivantes.

En dépit d'interrogations récurrentes sur son coût et sa rentabilité , la décision de construire cette ligne a été prise par le ministre des transports le 25 mars 2013 .

Bien que le projet n'ait pas été considéré prioritaire par la commission « Mobilité 21 » , le Gouvernement l'a déclarée d'intérêt public par un décret en date du 10 janvier 2015 .

Toutefois, le cheminement difficile de cette ligne controversée a connu un coup d'arrêt majeur , et probablement définitif , avec la décision du Conseil d'État du 15 avril 2016, qui est venue annuler le décret susmentionné .

S'il a reconnu que le projet de LGV Poitiers-Limoges présentait un intérêt public (aménagement du territoire, amélioration du confort des passagers, réduction de la pollution), le juge administratif a en revanche constaté, entre autres griefs, que le coût de la ligne était élevé - 1,6 milliard d'euros -, que son financement n'était pas assuré et que sa rentabilité socio-économique était inférieure au niveau habituellement retenu par le Gouvernement pour apprécier le caractère utile à la collectivité de ce type de projet 61 ( * ) .

Fort de ces constations, le Conseil d'État a jugé que « les inconvénients du projet l'emportaient sur ses avantages dans des conditions de nature à lui faire perdre son caractère d'utilité publique ».

Cette décision marque probablement les débuts d'une nouvelle jurisprudence administrative , plus attentive à l'utilité réelle des grands projets d'infrastructure de transport en période de tensions budgétaires .

3. Construire de nouvelles LGV qui ne sont pas prioritaires, alors que toutes les ressources devraient être mobilisés en faveur du réseau structurant, serait une erreur

Votre groupe de travail considère qu'à l'heure où l'argent public est très rare, les grands projets d'infrastructure de transport doivent être sélectionnés avec la plus grande rigueur : des projets dont la rentabilité socio-économique est douteuse, dont les coûts sont déraisonnables et dont le plan de financement est toujours inconnu après l'obtention de la déclaration d'utilité publique peuvent difficilement prospérer.

De plus les pouvoirs publics ne doivent pas seulement tenir compte d'une situation budgétaire très difficile . Ils doivent également prendre toute la mesure de l'état alarmant du réseau ferroviaire français dans son ensemble .

Une grande partie des lignes du réseau structurant , en particulier en Île-de-France, zone de très loin la plus fréquentée, sont aujourd'hui dégradées , ce qui provoque de nombreux désagréments pour les usagers et peut même, dans les pires des cas, mettre en péril leur sécurité.

C'est pourquoi les priorités qui sont celles de notre pays en matière d'infrastructures de transport doivent être affirmées avec encore plus de forces qu'elles ne le sont aujourd'hui .

Les ressources, tant humaines que financières, de l'État et de SNCF Réseau doivent être concentrées sur le réseau structurant et sur les lignes classiques les plus vieillissantes .

Il convient donc de geler, au moins pour une quinzaine d'années , toute participation de l'État au financement de projets de développement de nouvelles lignes LGV , ce qui n'empêchera pas que des études, financées par l'Union européenne ou par les collectivités territoriales, puissent continuer à être menées.

Proposition n° 10 : Geler pendant une quinzaine d'années le financement par l'État des nouveaux projets de ligne à grande vitesse, en vue de donner la priorité à la modernisation des réseaux existants dans un contexte budgétaire très contraint.


* 59 La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence, Cour des comptes, octobre 2014.

* 60 Décret n° 2016-738 du 2 juin 2016 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation des lignes ferroviaires à grande vitesse Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax.

* 61 La valeur actuelle nette de la ligne est de - 200 millions d'euros et son taux de rendement interne (TRI) de 3,34 %.

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