EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 7 décembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, sur les dispositifs d'hébergement d'urgence.

M. Philippe Dallier , rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement » . - Je vous présente aujourd'hui les résultats de mon contrôle sur les dispositifs d'hébergement d'urgence. Pourquoi ce contrôle ? Cela m'a paru logique alors que, depuis des années, je condamne la sous-budgétisation chronique que connaissent le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » et plus spécifiquement le budget consacré à l'hébergement d'urgence et à la veille sociale. J'avais envie de m'intéresser aux conséquences concrètes de cette insincérité budgétaire sur la mise en oeuvre de cette politique publique sur le terrain et alors qu'on nous répétait sans cesse qu'il n'y en avait pas.

L'hébergement d'urgence est par ailleurs soumis à de fortes pressions en termes de demande, sous l'effet principalement de la crise économique mais aussi, plus récemment, de la crise migratoire.

En outre, le Gouvernement s'est engagé depuis 2013 dans différents plans, à savoir le plan de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale du 21 février 2013 et le plan triennal de résorption des nuitées hôtelières lancé en février 2015 pour 2015-2017. Si les objectifs poursuivis ne peuvent qu'être partagés, il m'a paru utile de regarder concrètement les résultats obtenus.

Pour ce contrôle, j'ai procédé à de nombreuses auditions, qu'il s'agisse des administrations concernées ou d'associations gestionnaires de structures d'hébergement. Je me suis déplacé à Marseille, afin de ne pas avoir une vision déformée de la situation globale en me cantonnant à l'Île-de-France, ainsi que dans les locaux du Samu social de Paris et j'ai aussi visité plusieurs centres.

L'essentiel des constats et observations que je souhaite formuler devant vous, et les recommandations qui en découlent, peuvent se résumer sous deux angles. D'une part, l'hébergement d'urgence constitue une politique publique soumise à de fortes tensions qui souffre d'un évident manque de pilotage. D'autre part, malgré une offre du parc d'hébergement en nette progression, le secteur de l'hébergement d'urgence est au bord de l'asphyxie, avec une demande sans cesse en hausse et une sortie des dispositifs qui demeure insuffisante.

Je ne m'étendrai pas trop longtemps sur l'insincérité budgétaire qui marque le programme 177 tant j'ai déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet devant vous. Je rappellerai simplement que la dépense consacrée à l'hébergement d'urgence et à la veille sociale a doublé en cinq ans.

De plus, malgré des efforts indéniables de rebasage des crédits initiaux, l'insincérité reste manifeste puisque chaque année, la dotation inscrite en loi de finances initiale est inférieure à l'exécution attendue pour l'année précédente, et parfois de loin. Ainsi, en 2016, 240 millions d'euros supplémentaires doivent être ouverts, soit plus de 15 % des crédits initialement prévus.

En outre, pour 2017, le budget prévu semble enfin à la hauteur, ou presque, de l'exécution attendue pour 2016, même s'il est fort probable que des crédits manqueront encore en cours d'année.

Enfin, la sous-budgétisation, également chronique, des crédits consacrés à l'hébergement des demandeurs d'asile sur le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration » engendre d'indéniables effets de report sur l'hébergement d'urgence de droit commun. Plus généralement, la hausse du nombre de demandeurs d'asile crée des dépenses supplémentaires sur le budget de l'hébergement d'urgence généraliste, qui couvre à la fois les besoins des demandeurs d'asile avant l'enregistrement de leur demande, le cas échéant lorsqu'ils sont déboutés, mais aussi parfois pendant la procédure en elle-même. Les pressions actuellement constatées sur la procédure de demande d'asile augmenteraient par ailleurs les délais de prise en charge dans l'attente du traitement des dossiers, et malgré les efforts des services concernés, constatés par Roger Karoutchi en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». En outre, je vous rappelle que c'est aussi le budget de l'hébergement d'urgence généraliste qui finance la création des centres d'accueil et d'orientation (CAO).

Quel est l'impact de cette sous-budgétisation sur l'activité des services déconcentrés et des associations gestionnaires ?

Contrairement à ce que les services des ministères ont tendance à affirmer, il est permis de penser qu'elle complexifie considérablement le travail sur le terrain.

Tout d'abord, les services préfectoraux conduisent cette politique sociale sous tension permanente. Par exemple, en Île-de-France, les crédits permettant de payer les nuitées d'hôtel ont été insuffisants dès le mois d'août cette année.

Plus globalement, l'enveloppe de la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl) devrait, en exécution, être supérieure de 50 % par rapport au budget initialement réparti, ce qui correspond à 250 millions d'euros !

Compte tenu de ce manque initial de crédits, les services déconcentrés mènent une politique de court terme, ne pouvant que difficilement prévoir, anticiper et s'engager sur des projets de plus long terme. Certaines structures sont ainsi amenées à fermer des places pour les rouvrir finalement quelque temps après. C'est une politique de « stop and go ».

En outre, les agents des directions régionales et départementales doivent gérer la « pénurie budgétaire », en bougeant des crédits en fonction des besoins les plus urgents et en apportant les justifications nécessaires au niveau central pour qu'une enveloppe supplémentaire leur soit allouée en cours d'année. Ces difficultés de gestion ne doivent pas être négligées, ce n'est pas une situation confortable pour ces services qui ont parallèlement fait l'objet de restructurations importantes, accompagnées de réduction de personnels.

Un budget initial plus sincère assurerait indéniablement une gestion plus efficace de la dépense des services déconcentrés, avec une plus grande capacité de prévision et d'anticipation.

Les associations sont, quant à elles, parfois amenées à couvrir les besoins de financement sur leur trésorerie, dans l'attente des crédits de l'État qui vit alors « à crédit ». Il semblerait que cela n'engendre pas nécessairement de graves difficultés financières pour les structures concernées, notamment pour les plus grosses d'entre elles. Certaines associations sont toutefois amenées à faire des choix difficiles, comme en 2013 à Clermont-Ferrand où l'une d'entre elles avait remis à la rue plusieurs centaines de personnes, faute de moyens suffisants pour payer les nuitées d'hôtels et afin de préserver la poursuite de l'activité globale de l'association.

J'ai été également frappé par le fait que la plupart des personnes rencontrées à Paris et à Marseille ont indiqué que, malgré le manque de moyens, l'activité des services déconcentrés et des associations se poursuivait généralement sans changement, puisque ceux-ci tenaient pour acquis que les crédits finiraient par arriver, l'État finissant toujours par payer, même très tard !

En tant que « mauvais payeur », l'État se trouve alors dans une position nécessairement difficile pour contractualiser avec les structures et mettre en place une politique de rationalisation des coûts. L'État est un peu schizophrène.

Conséquence de la sous-budgétisation initiale, les crédits répartis au sein des budgets opérationnels de programme (BOP) sont sous-notifiés sur la quasi-totalité du territoire par rapport à l'exécution constatée l'année précédente. Toutefois, il est assez étonnant de constater que c'est dans certaines régions confrontées à la plus forte demande que le manque de crédits initiaux est le plus criant. Ainsi en est-il notamment de la divergence croissante du poids des crédits de la Drihl entre la répartition initialement opérée (33 % en 2016) et celle finalement constatée en exécution (plus de 42 % selon les prévisions pour la fin de l'année). Dès le début de l'année, plus de 20 % des crédits manquaient pour être à la hauteur des besoins constatés l'année précédente.

Les modalités de territorialisation des crédits amplifient donc les difficultés en Île-de-France, en s'ajoutant à la sous-budgétisation initiale des crédits votés au niveau national. Un rééquilibrage de la répartition des crédits entre les BOP paraît donc indispensable. Cela devrait être facilité en 2017 avec le rebasage opéré dans le projet de loi de finances initiale.

Au-delà de ces aspects budgétaires, le manque de pilotage de cette politique publique interministérielle est globalement patent. Des efforts de coordination entre les ministères concernés sont relevés, mais il n'existe pas véritablement de pilotage interministériel, compétence que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) ne semble pas en mesure de pouvoir exercer complètement.

Surtout, les outils dont disposent les services de l'État pour suivre cette politique publique restent insuffisants, tant s'agissant de la connaissance de l'offre et de la demande sur le territoire, que du manque de rapports et de bilans chiffrés permettant de suivre l'activité des acteurs sur le terrain ainsi que la dépense qui en découle.

Certes, le développement des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), le déploiement progressif du système d'information commun aux SIAO (SI-SIAO) et les enquêtes réalisées auprès des structures, comme l'enquête nationale des coûts, devraient permettre d'améliorer la situation. Mais nous n'en sommes qu'au début et les résultats ne sont pas encore satisfaisants alors que nous parlons de ces dispositifs depuis des années.

Par ailleurs, face à la pression de la demande, les gestionnaires parviennent difficilement à s'extraire de la « gestion de l'urgence dans l'urgence », au prix de solutions parfois onéreuses et au risque de « sacrifier » des projets plus qualitatifs. Indépendamment des crédits qui leur sont consacrés, les dispositifs de « logement accompagné » ne peuvent pas toujours être développés faute de temps pour les services déconcentrés et même parfois pour les associations gestionnaires.

De même, le contrôle de la qualité de l'offre d'hébergement d'urgence ne peut pas toujours être assuré convenablement, notamment pour les nuitées d'hôtel. J'y reviendrai.

Autre exemple du manque de pilotage, j'ai été étonné de découvrir que, sur l'ensemble du territoire national, les règles applicables pour gérer les demandes d'hébergement pouvaient varier et conduire à des différences de traitement importantes selon les régions, voire selon les départements.

Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, un dispositif particulièrement contraignant a été mis en place pour limiter le recours aux nuitées d'hôtels à dix par personne et par an. Si quelques exceptions très limitatives sont certes prévues dans le cas des personnes les plus vulnérables, et notamment les femmes enceintes de plus de six mois ainsi que les familles avec des enfants de moins de dix ans, cette réglementation conduit de fait, y compris pour des familles, à des fins de prise en charge sans autre solution et à limiter la demande formulée au 115. En Île-de-France, il serait inenvisageable de mettre en oeuvre une telle pratique, les associations s'y opposeraient instantanément.

Alors que s'impose le principe de l'accueil inconditionnel des personnes en situation de détresse, il est assez étonnant de constater de telles différences de traitement compte tenu d'interprétations variées sur le territoire. Il me semblerait utile d'y remédier.

Compte tenu de la contrainte budgétaire forte et de la demande toujours croissante, il apparaît également que les efforts de l'État à maîtriser les coûts demeurent insuffisants. Ainsi, le coût moyen national des places, par type d'hébergement, continue de progresser, à l'exception toutefois des places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

Certes, des efforts ont été consentis, avec notamment la mise en place de l'enquête nationale des coûts au sein du secteur « Accueil, hébergement et insertion ». Pour autant, cette enquête n'offre pas encore la possibilité de disposer d'informations suffisamment stabilisées pour en tirer des conclusions pertinentes et pour établir des comparaisons sur plusieurs années.

De même, si le conventionnement se développe, avec l'augmentation du nombre de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) conclus entre l'État et les opérateurs gérant au moins un CHRS, il se limite encore aux structures associatives les plus importantes et ne couvre que partiellement l'hébergement des personnes sans abri ou mal logées.

Surtout, une véritable politique de convergence tarifaire devrait être menée, alors que l'enquête nationale des coûts n'est, jusqu'à présent, destinée qu'à alimenter le dialogue de gestion entre l'État et les structures gestionnaires, aucunement à faire émerger une tarification à la place ou à la personne.

Je considère pour ma part que la convergence tarifaire doit se développer davantage et se généraliser, afin de dégager de nouvelles marges de manoeuvre, tout en tenant compte, bien entendu de certaines spécificités, par exemple la localisation géographique ou encore les prestations assurées.

La convergence tarifaire est possible puisqu'elle a notamment été appliquée pour les CHRS, par exemple par le préfet de la région Provence-Alpes-Côte-D'azur qui avait pour objectif d'opérer un rebasage des crédits entre les départements. Les résultats ont été manifestement très concluants.

Ce contrôle a également été l'occasion pour moi de constater que le secteur de l'hébergement d'urgence se trouvait au bord de l'asphyxie, malgré les indéniables efforts réalisés pour développer les dispositifs d'accueil et améliorer l'orientation des personnes sans abri ou mal logées.

Effectivement, le parc généraliste d'hébergement d'urgence a considérablement progressé, avec plus de 30 000 places supplémentaires entre 2012 et 2015, correspondant à une hausse de près de 40 %. Dans le même temps, les dispositifs de « logement adapté » ont également progressé, avec notamment près de 30 % de places supplémentaires en pensions de famille et maisons-relais et surtout trois fois plus de places en intermédiation locative. En outre, les conditions d'accueil se sont sensiblement améliorées dans la continuité du « plan d'humanisation » des centres d'hébergement lancé en 2008.

Si ce bilan mérite d'être salué, il convient toutefois de nuancer ces résultats compte tenu du poids considérable que représente désormais le recours aux nuitées hôtelières. En effet, leur nombre a explosé, passant d'un peu moins de 10 000 places en 2007 à plus de 41 000 en 2016. Surtout, elles ont doublé entre 2012 et aujourd'hui et représentaient près de 35 % des places dans le parc d'hébergement généraliste en 2015.

Le plan triennal de réduction des nuitées hôtelières ne fait que contenir la hausse, en particulier en Île-de-France, mais celle-ci se poursuit tout de même.

15 % de l'offre hôtelière serait déjà occupée par l'hébergement d'urgence en Île-de-France, et si le nombre de places n'augmente plus autant qu'auparavant dans cette région, ce n'est pas forcément sous l'effet du plan de réduction mais bien davantage car l'offre à bas prix s'y trouverait complètement saturée !

Or, l'hébergement à l'hôtel n'est pas satisfaisant, à plusieurs égards. Tout d'abord et avant tout, les prestations généralement offertes ne permettent pas d'assurer des conditions d'accueil et de prise en charge aussi bonnes que dans des centres d'hébergement d'urgence. Ensuite, le confort des chambres est loin d'être garanti et les possibilités offertes pour cuisiner sont souvent limitées, restreignant les capacités pour les familles de s'alimenter convenablement. L'accompagnement social est, par ailleurs, généralement très insuffisant comparé à ce qui est proposé dans les structures.

Ces limites au recours à l'hôtel sont d'autant plus dommageables que des familles y sont principalement hébergées, la moitié des places étant occupées en Île-de-France par des enfants.

En outre, un véritablement marché s'est créé sur l'hôtellerie à bas prix, tant pour les hôteliers qui se spécialisent dans l'hébergement d'urgence que pour les intermédiaires qui, jouant le rôle de réservataires, interviennent encore en Île-de-France pour environ 40 % des nuitées.

L'État étant dans l'incapacité de supprimer le recours aux nuitées hôtelières, il est indispensable qu'au-delà du développement de dispositifs alternatifs, la pratique soit davantage encadrée. Dans la mesure du possible, le respect des règles de la commande publique devrait être assuré, afin d'établir une véritable procédure de sélection dans le cadre d'une mise en concurrence. Cela n'est pas toujours aisé car les hôteliers n'ont pas nécessairement les compétences pour répondre aux marchés. Certains s'interrogent aussi sur l'utilité de procéder à une mise en concurrence dès lors que la quasi-totalité des places disponibles est déjà réservée mais au moins, cela permet d'établir un cahier des charges.

Il est également indispensable de généraliser le respect d'une charte de qualité des prestations par les hôteliers, à partir de laquelle des contrôles seraient régulièrement effectués et devraient conduire à des pénalités financières en cas de manquement avéré. En outre, l'accompagnement social dans les hôtels doit être renforcé.

Je suis également favorable au projet de rachats d'hôtels à bas prix porté par la Société nationale immobilière (SNI) et Adoma, avec le financement d'investisseurs privés et prenant la forme de résidences hôtelières à vocation sociale.

Cette solution innovante mérite d'être soutenue et j'espère que les appels d'offres lancés par le ministère du logement et le ministère de l'intérieur, chacun pour l'ouverture de 5 000 places supplémentaires, seront l'occasion de concrétiser ce projet. Bien entendu, d'autres opérateurs pourraient être amenés à être retenus pour certains lots.

Le développement des services intégrés d'accueil et d'orientation uniques dans chaque département (SIAO uniques) a également permis de mieux orienter la demande vers les places disponibles et d'améliorer globalement la fluidité des parcours. 75 % des départements disposeraient désormais d'un SIAO unique, les efforts doivent se poursuivre en ce sens.

Malgré l'offre d'hébergement qui progresse, l'État se trouve confronté à des dispositifs complètement saturés, la plupart des acteurs rencontrés ayant décrit un système « embolisé », ne parvenant pas à répondre à une demande toujours plus importante, d'autant que notre pays doit faire face à une crise migratoire importante.

Ainsi, s'agissant du 115 de Paris, 70 % des appels n'ont pas abouti en 2015 et 25 % des appels traités ont conduit à des demandes non pourvues avec, chaque nuit, des personnes isolées mais aussi des familles restant sans solution.

Une sélection opérée entre les personnes susceptibles d'être hébergées dans certaines structures serait également constatée de même qu'une concurrence entre les différents publics devant être hébergés ne serait pas non plus à exclure, même si, dans le cadre du traitement spécifique de la crise migratoire, il serait très rare que des dispositifs généralistes soient réquisitionnés pour y héberger des migrants.

L'asphyxie des dispositifs d'hébergement d'urgence tient également au nombre important de personnes qui se trouvent dans des situations administratives complexes, en particulier les personnes ni expulsables, ni régularisables, dites les « ni ni ». Ils pourraient ainsi représenter de très fortes proportions dans les structures d'hébergement d'urgence ainsi que dans les hôtels où les solutions de sortie pour les familles concernées s'avèrent généralement longues et difficiles.

L'offre disponible ne correspond pas non plus nécessairement aux besoins constatés. Ainsi, il semble qu'un nombre encore trop peu important de centres permette d'accueillir des familles, alors que, depuis 2010, il y a davantage de personnes hébergées en famille depuis le 115 de Paris que de personnes seules.

De même, des solutions doivent être prévues pour des publics spécifiquement ciblés, à l'instar des femmes victimes de violence mais aussi des personnes en sortie de soins psychiatriques.

Pour que l'offre soit mieux adaptée, mais aussi qu'un meilleur pilotage de l'offre d'hébergement d'urgence soit assuré, le déploiement du système d'information des SIAO, le SI-SIAO, est indispensable. Tandis que son module « Insertion » serait utilisé dans 49 départements et globalement bien accepté, même s'il a pu créer des difficultés de mise en place, le module « urgence » devrait être opérationnel au début de l'année 2017 pour être ensuite déployé sur l'ensemble du territoire.

Certaines structures restent réticentes, notamment lorsqu'elles disposent déjà d'un logiciel qui leur paraît satisfaisant. Pour autant, afin de permettre à l'État de mieux connaître l'offre et la demande sur l'ensemble du territoire, de disposer de statistiques harmonisées et fiables, et donc d'améliorer, encore une fois, le pilotage de cette politique publique, l'ensemble des SIAO doivent passer, à terme, au SI-SIAO. Des mesures spécifiques et des délais supplémentaires devront probablement être prévus dans certains cas, en particulier pour les SIAO parisiens et plus spécifiquement le Samu social de Paris.

Afin d'améliorer le taux de rotation sur les places d'hébergement d'urgence et de remédier à la saturation des dispositifs, les efforts doivent se concentrer sur la « sortie » des dispositifs et non uniquement sur l'entrée. Ainsi, le développement de l'intermédiation locative, dispositif par ailleurs peu onéreux par rapport à des places en structures d'hébergement, doit être encouragé, y compris par des services déconcentrés qui n'en ont parfois pas l'habitude. Dans les régions les plus tendues, le parc privé doit être davantage mobilisé, alors que la Drihl souligne notamment la pénurie de logements proposés face au succès des dispositifs « Louez solidaire » à Paris et de « Solibail » pour le reste de l'Île-de-France.

Pour cela, il conviendrait probablement de relancer, comme cela a été le cas récemment, une nouvelle campagne de sensibilisation, peut-être aussi à destination des agences immobilières qui pourraient faire le relais vers les bailleurs figurant dans leur clientèle.

Les avantages accordés aux propriétaires pourraient également être renforcés. L'an dernier, afin de lutter contre la vacance de logements privés, le groupe de travail sur le financement et la fiscalité du logement, constitué au sein de la commission des finances et dont j'étais membre, a estimé que l'avantage fiscal applicable dans le cadre du dispositif d'incitation à la location de logements dans l'ancien, dit « Borloo ancien », pourrait être amélioré. Cette préconisation reste d'actualité, non seulement pour l'intermédiation locative mais aussi pour favoriser le développement d'une offre de logement social et très social dans le parc privé. D'ailleurs, selon les annonces du ministère du logement, une mesure allant dans ce sens devrait être présentée dans le projet de loi de finances rectificative pour 2016.

Enfin, toujours dans l'esprit de favoriser l'accès au logement pérenne à ceux qui en ont la possibilité, les efforts de développement de l'offre de logement social doivent se poursuivre. Au-delà du nombre de logements construits et de leur localisation, il convient de s'intéresser à leur typologie car les plus fortes tensions s'exercent prioritairement sur les logements de 1 ou 2 pièces. Or, ce sont exactement ces types de logements qui permettent de libérer des places d'hébergement d'urgence occupées par des personnes isolées...

Tels sont les constats et les recommandations que je souhaitais formuler devant vous s'agissant des dispositifs d'hébergement d'urgence.

Mme Michèle André , présidente . - Le contrôle budgétaire qui vient de nous être présenté revêt un intérêt tout particulier. Il rappelle la nécessité de l'engagement et de la coopération de l'ensemble des acteurs participant à la mise en oeuvre de la politique de l'hébergement d'urgence. À cet égard, je souhaiterais, ce matin, évoquer devant vous mon expérience clermontoise à partir de l'exemple malheureux auquel le rapporteur spécial vient de faire référence. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Marguerite-Marie Michelin a créé, à son retour du camp de Ravensbrück, l'Association nationale d'entraide féminine (ANEF), dont la vocation initiale était de venir en aide aux jeunes filles et femmes en grande difficulté, en particulier aux prostituées. L'objet social de l'association a été progressivement étendu à la lutte contre toutes les formes d'exclusion, en même temps que celle-ci voyait sa taille croître. Toutefois, il y a quelques années, la pérennité de cette entité a été menacée. Par méconnaissance des réalités inhérentes au secteur d'intervention de l'ANEF, la direction départementale chargée de la cohésion sociale - qui avait remplacé l'ancienne direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) au début de la décennie 2010 dans le cadre de la réorganisation de l'administration territoriale de l'État (RéATE) - n'a pas su appréhender les besoins financiers de l'association, qui s'est trouvée en grande difficulté.

Certes, à quelque chose malheur est bon puisque l'embarras de l'ANEF l'a amenée à réexaminer l'ensemble de ses modes d'intervention, en particulier en matière d'hébergement et de logement, et à développer des solutions nouvelles. Pour autant, cet exemple met en évidence l'absolue nécessité, pour la bonne mise en oeuvre de la politique de l'hébergement d'urgence, du plein engagement de l'ensemble des acteurs concernés.

M. Jean-Marie Morisset , rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales . - Je partage tant les analyses, que le diagnostic et les préconisations formulées par Philippe Dallier. Il est indubitable que les sous-budgétisations en matière d'hébergement d'urgence ont, jusqu'à présent, grandement affecté les opérateurs - soit essentiellement des associations. Ces derniers, dans l'incapacité de prévoir quand leur seraient versées leurs dotations ont été contraints de solliciter leur trésorerie ou de mobiliser des lignes de crédit afin faire face à leurs dépenses de fonctionnement. D'autant que les besoins financiers ont crû : dans un département rural comme les Deux-Sèvres, l'enveloppe consacrée au paiement des nuitées hôtelières est passée de 40 000 euros à 200 000 euros ! Il n'est, aujourd'hui, plus possible de faire face à l'ensemble des demandes d'hébergement d'urgence : les dispositifs d'entrée sont saturés. Ce constat nous a été confirmé par le directeur régional et interdépartemental de l'hébergement et du logement (Drihl) d'Île-de-France, Jean-Martin Delorme.

Toutefois, à mon sens, d'autres facteurs contribuent à « compliquer » la mise en oeuvre de la politique de l'hébergement d'urgence. Tout d'abord, l'adjonction perpétuelle de dispositifs nouveaux en ce domaine, à l'exemple des centres d'accueil et d'orientation (CAO) d'autant que les budgets arrivent en retard, contribue à la désorganisation des acteurs. Ensuite, la mise en place de grandes régions a conduit à une centralisation accrue des crédits dédiés et réduit l'efficacité de la délégation de ces derniers au niveau départemental ; aussi certains départements ont-ils à souffrir d'une diminution des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence, mais aussi des personnels chargés de la mise en oeuvre de cette politique localement.

Enfin, les dispositifs de sortie vers le logement - comme l'intermédiation locative, le logement adapté, les maisons relais, etc. - n'évoluent pas non plus avec les besoins. Pourtant, dans le projet de loi de finances pour 2017, les crédits consacrés à l'hébergement d'urgence augmentent de 40 %, alors que ceux dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et au logement adapté croissent de manière bien plus limitée. Par ailleurs, le dispositif de sortie idéal, à savoir le logement social, est également doté de moyens insuffisants dans nos départements.

M. Claude Raynal . - Les difficultés rencontrées dans l'hébergement d'urgence sont désormais connues de tous. Aussi souhaiterais-je saluer le travail réalisé par Philippe Dallier. Cependant, si d'importantes sous-budgétisations ont pu être constatées par le passé en ce domaine, j'ose espérer que cette situation est désormais derrière nous. L'ajustement budgétaire opéré, sous la forme d'un « rebasage », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, devrait conduire à ce que, si sous-budgétisation il y a au cours du prochain exercice, celle-ci soit très limitée.

Le rapporteur spécial a insisté sur la nécessité de renforcer le pilotage interministériel en matière d'hébergement d'urgence. Il s'agit là d'une problématique que l'on retrouve de manière récurrente, sur des sujets très divers ; pour autant, les améliorations envisageables en ce domaine connaissent, en pratique, des contraintes.

Il a été indiqué que l'offre hôtelière « bas de gamme » était désormais saturée par l'hébergement d'urgence. Toutefois, il s'agit d'un phénomène plus général. Les résidences hôtelières qui ont été développées dans nos communes et offraient des prestations de plutôt bonne qualité étaient originellement dédiées à l'accueil, par exemple, de professionnels en déplacement pour des périodes plus ou moins longues. Elles sont dorénavant largement consacrées à ce type d'hébergement d'urgence qui devient un véritable « business ». Mais cela interroge : comment les tarifs sont-ils définis, quels contrôles sont pratiqués ?

Enfin, je relève que Philippe Dallier a souligné le manque de personnels dans les structures déconcentrées en charge de l'hébergement d'urgence. Nous verrons comment cette situation évoluera dans les mois qui viennent !

Mme Marie-France Beaufils . - Nous avions déjà évoqué ces questions en compagnie du rapporteur spécial dans le cadre des travaux du groupe de travail sur le financement et la fiscalité du logement. Le rapport rappelle les difficultés du sujet.

Toutefois, vous n'avez pas évoqué la situation des personnes faisant suite à une expulsion. Or une part importante de l'hébergement d'urgence est liée à des expulsions, souvent en raison d'impayés de loyers, là où aucune réponse n'a pu être trouvée en amont. Ces personnes se retrouvent dehors et hébergées dans des conditions particulières, inadaptées à leur situation. Savez-vous quelle est la proportion de personnes expulsées de leur logement et placées en hébergement d'urgence faute de réponse adaptée ?

La sous-budgétisation est permanente pour ces crédits : je la connais depuis de très nombreuses années. Elle s'est poursuivie quel que soit le Gouvernement malheureusement.

Je partage les inquiétudes exprimées s'agissant de la situation des structures associatives. Elles connaissent régulièrement des passages très difficiles, alors même qu'elles apportent les réponses sur le terrain. Ne pourrait-on pas obtenir une modulation de la dotation annuelle, majorant les versements en début d'année, afin de leur permettre de constituer une trésorerie, voire de solliciter un soutien au secteur bancaire en parallèle ? Cette pratique existe déjà pour certaines associations sportives ou culturelles par exemple.

Enfin, concernant l'hôtellerie, la situation est catastrophique : il n'est parfois même plus possible de parler d'hôtels. Le problème tient aussi à la capacité des élus, avec les services déconcentrés, de vérifier la qualité des hébergements. La situation est compliquée car s'il faut fermer certains établissements, on ne dispose pas des places nécessaires pour les personnes qui y sont actuellement hébergées.

Il faut donc se donner les moyens de réhabiliter les structures existantes ou développer des capacités d'accueil différentes. En Indre-et-Loire par exemple, ce sont les structures associatives qui gèrent des logements au sein du parc social, ce qui donne des résultats très satisfaisants. Cette réponse mériterait d'être étendue, car elle permet notamment d'avoir des logements bien adaptés, pouvant accueillir des familles. Toutefois, il faut que les structures associatives disposent du personnel suffisant pour pouvoir les accompagner.

M. Michel Canevet . - Je remercie le rapporteur spécial pour son diagnostic et ses propositions. Je partage beaucoup des propositions qui ont été faites.

J'ai deux questions. D'une part, la proportion de 40 % des places en Île-de-France passant par des intermédiaires m'interroge. Ces intermédiaires font-il également de l'accompagnement social ou ont-ils uniquement un rôle d'intermédiaire dans la recherche de nuitées d'hôtels ? Leur intervention et leur rémunération ne peuvent être comprises que si leur rôle s'étend à l'accompagnement social.

D'autre part, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) a imposé des quotas relatifs au nombre de logements sociaux dans les communes. Pourquoi ne pas s'appuyer davantage sur le logement social pour proposer des solutions d'hébergement d'urgence ?

M. Éric Bocquet . - Je souhaitais également obtenir des précisions sur les intermédiaires. Qui sont-ils ? Peut-on contrôler ce « trafic » ?

M. Francis Delattre . - Le flux est effectivement alimenté par les gens expulsés de leur logement. L'étude individuelle des dossiers montre que des personnes de bonne foi sont expulsées à la suite d'un accident de la vie.

Le dialogue qui s'établit entre les services sociaux des mairies et la préfecture est de plus ou moins bonne qualité, et se heurte in fine à l'idée que l'État est responsable s'il n'expulse pas en cas de loyers impayés. La situation est donc à la fois rigide et contradictoire, car il faudrait rechercher une réponse sociale avant d'en venir à l'expulsion. Je considère qu'il y a un problème social que l'on devrait tenter de résoudre par le dialogue pour ces personnes de bonne foi, plutôt que d'appliquer la solution générale de l'expulsion. L'expulsion est une solution facile à court terme : les personnes expulsées viennent dans le hall de la mairie, mais jamais à la préfecture. Nous sommes la dernière lumière qui reste allumée - telles sont les mairies !

Par ailleurs, concernant l'hébergement en nuitées d'hôtels, il y a dans ma ville un établissement qui a été progressivement transformé pour accueillir des personnes en hébergement d'urgence. Un problème rarement évoqué est celui du coût entraîné pour les collectivités territoriales, avec la scolarisation et la restauration collective pour les enfants. Les personnes hébergées en urgence ne rentrent ni dans les critères de population, ni dans les calculs de la loi SRU. Ces résidences sociales doivent au moins être prises en compte pour la détermination des moyens alloués aux collectivités territoriales !

M. Philippe Dallier . - Concernant la nature interministérielle de la politique et la question de son pilotage, Claude Raynal a raison : c'est vrai qu'un certain nombre de sujets se prêtent à ces critiques.

Mais, s'agissant du problème de l'offre et de la demande que plusieurs d'entre vous ont évoqué, ce qui me désole, c'est qu'il n'est pas nouveau : depuis dix ans, nous savons bien qu'il y a là matière à amélioration. Lors d'un hiver particulièrement rigoureux, une personne est morte de froid dans la rue et le ministre avait alors indiqué qu'il y avait pourtant des places disponibles en hébergement d'urgence !

Et pourtant, aujourd'hui, nous ne sommes pas encore parvenus à résoudre ce problème, les choses avancent doucement. C'est un peu désespérant... Je ne parviens pas à comprendre que, dans un pays comme la France, nous ne soyons pas capables de nous doter d'outils informatiques efficaces et rapidement déployables.

Des contraintes budgétaires lourdes pèsent tant sur l'État que sur les collectivités territoriales et les effectifs dans les services déconcentrés ne vont sans doute réaugmenter : raison de plus pour s'organiser et se doter d'outils qui permettent de piloter efficacement les moyens dont on dispose.

Or, que constatons-nous ? Les services intégrés d'accueil et d'orientation, les SIAO, ne sont pas encore généralisés, les systèmes d'informations qui leur sont liés (SI-SIAO) non plus.

Combien de temps faudra-t-il encore ? Il devrait être possible de s'organiser mieux et plus vite. Malheureusement, ce n'est pas encore le cas...

S'agissant des expulsions, nous ne disposons pas de chiffres détaillés. Nous avons déjà souvent débattu ici de la prévention des expulsions : d'un côté, le propriétaire souhaite que son loyer soit payé, le préfet qui prend le relais finit par consulter le maire - du moins, c'est le cas en Seine-Saint-Denis -, et finit par prendre la décision d'expulser : il est vrai que les personnes expulsées se tournent souvent vers la mairie, comme Francis Delattre l'a souligné. Mais d'un autre côté, serait-il vraiment pertinent de maintenir des personnes dans un logement dont elles ne paient plus le loyer ? C'est aussi une décision qui n'est pas sans conséquence. Je n'ai pas de « solution miracle » à proposer sur ce point...

Marie-France Beaufils émettait le voeu que les associations ne soient plus soumises à ces contraintes budgétaires liées à la lenteur du déblocage des crédits de l'État. Oui, les conséquences sont réelles sur le terrain, contrairement aux affirmations des ministères. En 2017, le « rebasage » des crédits devrait permettre d'améliorer la situation. Cependant, une budgétisation initiale sincère ne fait pas tout : il faut également engager une réflexion sur la bonne territorialisation des crédits. Aujourd'hui, la répartition entre régions ne tient pas suffisamment compte de l'évolution des besoins territoire par territoire, ce qui donne toujours lieu en fin d'année à des abondements assez importants pour la région Île-de-France, qui connaît une sous-budgétisation encore plus importante que d'autres régions.

Michel Canevet m'a interrogé sur les réservataires, c'est-à-dire les intermédiaires permettant parfois de trouver des chambres d'hôtel : ces intermédiaires ne travaillent pas dans l'accompagnement social. Il ne s'agit pas de « voyous » qui profiteraient d'un manque d'organisation de l'État mais, puisque les pouvoirs publics manquent d'outils en matière de connaissance de l'offre et qu'il faut trouver des logements, des intermédiaires assurent ce service et se font rémunérer à ce titre. C'est regrettable... Mais encore une fois, le problème fondamental est celui du pilotage et de la connaissance de l'offre et de la demande.

Michel Canevet parlait du rôle des bailleurs sociaux. Pour permettre la sortie de l'hébergement d'urgence, il est en effet nécessaire de disposer de logements sociaux. Il faudrait sans doute mieux réfléchir à la typologie des appartements que l'on construit en fonction du territoire. C'est souvent avec les bailleurs sociaux que l'on travaille également pour le développement de dispositifs du type « maisons-relais ». Leur rôle est tout à fait déterminant.

La commission a donné acte de sa communication à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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