II. UN DÉFICIT DE PILOTAGE MANIFESTE

A. UNE POLITIQUE INTERMINISTÉRIELLE EN MANQUE DE PILOTE ?

La politique d'hébergement d'urgence et, plus globalement, d'accueil des personnes pas ou mal logées, est très largement interministérielle puisqu'elle concerne à la fois, au niveau national :

- la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) qui relève du ministère des affaires sociales mais intervient sous l'autorité du ministre chargé du logement s'agissant du programme 177 ;

- la direction générale des étrangers en France (DGEF) relevant du ministère de l'intérieur ;

- la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), du ministère du logement.

Plus marginalement, le ministère de la santé mais aussi le ministère de la justice peuvent être concernés. La direction du budget est également présente à de nombreuses réunions interministérielles, compte tenu des enjeux budgétaires de cette politique.

Surtout, depuis 2010, la délégation interministérielle pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées (Dihal) est chargée de la coordination et du suivi de la mise en oeuvre des priorités de l'État en matière d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées. Le délégué interministériel est placé sous l'autorité du Premier ministre et dispose d'une équipe d'une trentaine de personnes.

Interrogés sur l'interministérialité de la politique d'hébergement d'urgence et du logement, les différents acteurs ont souligné l'important travail de coordination réalisé par la Dihal et l'ensemble des ministères , à l'occasion de nombreuses réunions. D'ailleurs, celles-ci ne sont pas exemptes de coûts, notamment en termes de moyens humains et de temps, pour les principales directions concernées (DGCS, DGEF, DHUP).

Pour autant, malgré ces efforts de coordination, le manque de pilotage global de cette politique a également été mis en avant à l'occasion de la plupart des auditions de votre rapporteur spécial, en particulier par les structures associatives travaillant avec l'État.

Rejoignant notamment les constats de la Cour des comptes dans son rapport réalisé en 2011 sur « la politique publique de l'hébergement des personnes sans domicile », les personnes entendues ont estimé qu'il n'existait pas réellement de pilote qui guiderait les actions à mener. Chaque ministère continuerait ainsi de développer sa propre vision de la politique de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes démunies, sans vision commune.

Si la Dihal pourrait être le pilote naturel de cette politique, ses capacités sont insuffisantes à l'heure actuelle. Ainsi, les raisons présentées par la Cour des comptes dans son rapport de 2011 pour expliquer cette situation insatisfaisante semblent toujours d'actualité :

« - le Dihal ne gère aucun crédit d'intervention et son pouvoir de peser sur les décisions est très limité ;

- le travail interministériel est exclusivement fondé sur la négociation et le pouvoir de persuasion ;

- l'accès limité aux services déconcentrés est une limite à l'action. ».

Le délégué interministériel présente effectivement son action comme une recherche de « performance, d'efficience et d'efficacité » en permettant la mise en relation entre les services concernés, tout en ne disposant d'aucune gestion financière.

À cela, il convient également d'ajouter le fait que la Dihal paraît actuellement chargée d'un nombre tellement important de missions qu'il paraît difficile qu'elle puisse les piloter toutes efficacement, notamment au regard des moyens dont elle dispose.

Champ d'intervention de la Dihal

Chargée de l'hébergement et de l'accès au logement , la Dihal est compétente pour assurer la coordination et l'animation de la mise en oeuvre de la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes en situation d'exclusion, en articulation avec les directions d'administration centrale concernées et, s'agissant des études, en liaison avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques et l'Insee.

À ce titre, elle est chargée :

- du plan triennal de réduction des nuitées hôtelières ;

- de la prévention des expulsions locatives ;

- de la politique d'hébergement et d'accès au logement en faveur des jeunes ;

- du logement des réfugiés , dans le cadre des engagements de la France au titre des programmes européens d'accueil de 30 700 réfugiés d'ici fin 2017 en provenance de Syrie, d'Irak et d'Érythrée. Elle est notamment chargée de la plateforme nationale pour le logement des réfugiés opérée par le groupement d'intérêt public « Habitat et interventions sociales », qui propose des logements pérennes sur tout le territoire.

Elle assure également le pilotage du dispositif national de logement des réfugiés accueillis dans le cadre du programme de réinstallation de l'Union européenne qui concerne l'accueil d'ici fin 2017 d'environ 10 000 personnes issues des camps du Liban, de Jordanie et de Turquie, pour les orienter directement vers le logement.

La Dihal est également chargée de la lutte contre l'habitat indigne , avec le pôle national de lutte contre l'habitat indigne (PNLHI) qui coordonne les actions de lutte contre l'habitat indigne et joue un rôle interministériel d'expertise au service des acteurs de terrains.

Elle assure enfin :

- l'anticipation et l'accompagnement des démantèlements de campements illicites ;

- l'accueil et l'accompagnement des gens du voyage , en se chargeant de l'animation et du secrétariat de la Commission nationale consultative des gens du voyage ;

- le pilotage des travaux de la commission interministérielle pour le logement des personnes immigrées (CILPI), qui suit au niveau national la mise en oeuvre du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants. Le Dihal en est le président.

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Surtout, le manque de pilotage se manifeste par les importantes lacunes en termes de suivi de la mise en oeuvre de cette politique publique au niveau déconcentré. Les directions ministérielles manquent en particulier d'informations précises et harmonisées sur la réalité de l'offre et de la demande sur le terrain . Les outils de pilotage de cette politique publique restent encore très largement défaillants .

Des progrès ont été réalisés et méritent, certes, d'être soulignés, avec l'enquête nationale des coûts (ENC) du secteur de l'hébergement ou encore la création des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) et surtout la mise en oeuvre, encore en cours, de leur système d'information commun (SI-SIAO). Toutefois, ces outils de pilotage sont encore balbutiants et ne permettent pas de disposer de ressources fiables au niveau national.

Rarement, à l'occasion de son activité de contrôle, votre rapporteur spécial n'avait entendu autant de critiques sur le manque de moyens consacrés par l'État au suivi de sa politique . Les associations ont le sentiment d'une action publique saccadée, improvisée . Les services déconcentrés manquent de moyens pour suivre réellement l'activité des structures gestionnaires et se reposent sur elles.

Il a également été mentionné, lors d'une audition, que le poste en principe affecté au développement de l'enquête nationale des coûts à la DGCS n'était pas occupé depuis plus d'un an, retardant nécessairement sa mise en oeuvre. Si elle est avérée, cette anecdote en dit beaucoup sur les moyens consacrés par l'État au développement des outils de pilotage pourtant indispensables.

De même, l'efficacité de la dépense publique ne semble pas constituer un enjeu véritablement prioritaire.

Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, certains acteurs et observateurs de la politique de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans domicile et démunies ont exprimé l'idée qu'elle pourrait être mieux exercée si elle était décentralisée .

Il est vrai que de nombreuses politiques sociales le sont désormais et votre rapporteur spécial a accueilli avec intérêt cette proposition de gestion par les collectivités territoriales , dont l'opportunité et la faisabilité mériteraient d'être étudiées plus précisément, afin notamment de maintenir une dimension nationale au dispositif.

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