B. L'IMPORTANCE PRISE PAR L'IMPÉRATIF DE RÉDUCTION DU DÉFICIT PUBLIC A TOUTEFOIS RAVIVÉ LES CRAINTES D'UNE « DOMINANCE BUDGÉTAIRE » DE LA POLITIQUE DE DISTRIBUTION DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

Si l'État actionnaire entend intervenir dans la politique de distribution des entreprises et des établissements de son portefeuille comme un investisseur de droit commun, l'importance prise par l'impératif de réduction du déficit public a ravivé les craintes que les prélèvements opérés ne soient pas en adéquation avec leur situation financière . Autrement dit, l'État actionnaire mènerait en pratique une politique de distribution éloignée des principes supposés guider son action en la matière.

Il est vrai que les règles de la comptabilité publique sont susceptibles, dans un contexte de consolidation budgétaire, d'inciter les États à imposer à leur portefeuille un taux de distribution trop élevé.

1. Pour réduire son déficit public, l'État peut être tenté d'imposer aux entreprises dont il est actionnaire un taux de distribution trop élevé
a) En principe, les investisseurs institutionnels sont relativement neutres par rapport à la politique de distribution

En principe, les investisseurs institutionnels sont relativement neutres par rapport à la politique de distribution , dans la mesure où une modification du montant des dividendes est compensée par un ajustement de la valeur de l'action.

Ce principe se vérifie d'autant mieux que, pour cette catégorie d'investisseurs, il n'existe en général pas de distorsion liée à la fiscalité : la politique de distribution est alors essentiellement perçue comme un moyen d'aligner les intérêts des actionnaires et des dirigeants et de « signaler » les perspectives de croissance.

À l'inverse, l'État actionnaire n'est pas indifférent entre ces deux éléments de la rentabilité, en raison du traitement comptable des dividendes.

b) Les règles comptables propres à l'État sont néanmoins susceptibles d'induire un « biais » en faveur des dividendes

Les dividendes en numéraire ont un impact positif tant sur le solde du budget général que sur le déficit au sens de Maastricht, dans la mesure où leur versement se traduit par un encaissement budgétaire. En application de l'article 3 de la loi organique relative aux lois de finances, ils ne relèvent pas du compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État » mais sont versés au budget général.

La situation des dividendes en actions est plus complexe . Du fait de la nature mobilière de ces dividendes, leur versement ne permet pas d'améliorer le solde du budget général . Contrairement aux dividendes en numéraire, ils sont affectés au compte spécial. Toutefois, si « recevoir des dividendes sous formes de titres ne se traduit pas par un encaissement budgétaire », cette opération « constitue pourtant bien une recette au sens du Système européen des comptes » 19 ( * ) . En effet, que le dividende soit versé en numéraire ou en actions ne modifie en rien le besoin de financement des administrations publiques, l'État actionnaire recevant dans les deux cas un actif financier de même valeur. Lorsque l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) corrige le résultat d'exécution des lois de finances pour obtenir le déficit de l'État au sens de Maastricht, les dividendes versés en actions font donc l'objet d'un retraitement. Ainsi, d'un point de vue

maastrichtien, il est indifférent pour l'État actionnaire de percevoir un dividende en actions ou en numéraire.

À l'inverse, le produit des cessions de titres n'a d'impact ni sur le solde du budget général, ni sur le déficit de l'État au sens de Maastricht . En effet, dans la mesure où l'État reçoit en contrepartie de son désinvestissement un actif financier de même valeur, il n'y a pas de modification du besoin de financement des administrations publiques.

D'un point de vue budgétaire, l'État n'est donc pas indifférent au fait de percevoir des dividendes en numéraire ou de vendre des actions pour réaliser une plus-value , dans la mesure où cette dernière opération n'a aucun impact sur les indicateurs maastrichtiens et le solde du budget général.

Traitement comptable de différentes opérations
liées au portefeuille de l'État actionnaire

Déficit maastrichtien

Solde du budget général

Versement d'un dividende en numéraire

Amélioration

Amélioration

Versement d'un dividende en actions

Amélioration

Aucun impact

Cession d'actions

Aucun impact

Aucun impact

Source : commission des finances du Sénat

Pour afficher un déficit maastrichtien plus faible et améliorer le solde du budget général, l'État peut donc être tenté d'imposer aux entreprises dont il est actionnaire un taux de distribution supérieur au niveau optimal, au risque de les fragiliser sur un plan financier.

C'est précisément pour se prémunir d'un tel risque que certains pays ont fait le choix de se « lier les mains » , comme l'illustre une étude comparative menée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2014 20 ( * ) . Ainsi, un taux de distribution fixe exprimé en pourcentage du résultat net de l'entreprise est défini en Irlande (30 %), en Lituanie (entre 7 % et 80 % selon l'entreprise), aux Pays-Bas (40 %), en Slovénie (au moins 33 %) et en Suisse (pourcentage variable selon le type d'entreprise) 21 ( * ) . Des marges de négociation demeurent néanmoins en cas d'évolution de la situation financière des entreprises.

Les ratios financiers permettant de comparer les politiques de distribution

Pour comparer les politiques de distribution des entreprises cotées, deux ratios financiers sont couramment utilisés :

- le taux de rendement , qui rapporte le montant des dividendes versés par l'entreprise à son cours de bourse ;

- le taux de distribution , qui représente la part du résultat net de l'entreprise versée aux actionnaires sous forme de dividendes.

Source : commission des finances du Sénat

Dans le cas français, l'État actionnaire se limite à inciter les entreprises du portefeuille à mettre en place une « 'guidance' à moyen terme » concernant l'évolution de leur politique de distribution, afin de « donner de la visibilité tant aux marchés qu'aux finances publiques » 22 ( * ) . À titre d'illustration, le groupe Engie a pris l'engagement, sur la période 2017-2018, de verser un dividende de 0,7 euro par action.

En l'absence de « garde-fous » analogues à ceux mis en place dans les pays de l'OCDE précités, l'observation que le rendement du portefeuille géré par l'APE diverge de celui du CAC 40 depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine a relancé le débat concernant la « dominance budgétaire » de la politique de distribution menée par l'État actionnaire.

2. Cette crainte a été renforcée par l'observation que le niveau des dividendes versés par les entreprises dont l'État actionnaire a divergé de la moyenne des sociétés du CAC 40 depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine

Alors que le poids économique du portefeuille de l'État actionnaire a baissé de 40 % entre 2003 et 2015 23 ( * ) , le montant des dividendes perçus a été multiplié par quatre .

Évolution des dividendes perçus par l'État actionnaire
depuis 2003

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les rapports relatifs à l'État actionnaire)

Au cours de la même période, le montant des dividendes perçus par l'ensemble des groupes du CAC 40 a été multiplié par 2,7 - passant de 14,15 milliards d'euros à 37,5 milliards d'euros 24 ( * ) .

La forte hausse relative des dividendes perçus par l'État actionnaire semble clairement traduire jusqu'à la crise un simple phénomène de « rattrapage » lié à la volonté de ce dernier de « normaliser » sa politique de distribution en exigeant une « juste rémunération » de l'ensemble de son patrimoine. Le taux de distribution du portefeuille n'était ainsi que de 18,9 % en 2005, contre 40,3 % en 2008 25 ( * ) .

Ainsi, le rendement du portefeuille côté de l'État actionnaire est resté en ligne avec celui du CAC 40 au cours de la période 2007-2011.

a) Au cours de la période 2007-2011, le rendement du portefeuille coté de l'État actionnaire était en ligne avec celui du CAC 40

Entre 2007 et 2011, le rendement annuel moyen du portefeuille coté de l'État actionnaire s'élevait à 3,44 %, soit un niveau très proche de celui observé pour l'ensemble du CAC 40 (3,67 %).

Comparaison du taux de rendement annuel du portefeuille coté de l'État actionnaire avec celui du CAC 40 entre 2007 et 2011

(en %)

Portefeuille coté de l'État

CAC 40

2007

3,46 %

3,25 %

2008

2,93 %

3,07 %

2009

3,80 %

4,48 %

2010

3,16 %

3,63 %

2011

3,83 %

3,93 %

Moyenne

3,44 %

3,67 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Il peut en outre être observé que les évolutions du montant global des dividendes perçus par l'État actionnaire et versés par les firmes du CAC 40 sont tout à fait synchrones lors des différentes phases conjoncturelles.

Comparaison de l'évolution du montant global des dividendes perçus par l'État actionnaire et versés par les sociétés du CAC 40 entre 2003 et 2011

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les rapports relatifs à l'État actionnaire)

b) Depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine, le rendement du portefeuille coté de l'État actionnaire se situe à un niveau significativement supérieur à celui du CAC 40

À l'inverse, depuis le déclenchement de la crise européenne de la dette souveraine, le rendement du portefeuille coté de l'État actionnaire a divergé de celui du CAC 40.

Évolution du taux de rendement annuel du portefeuille coté de l'État actionnaire et du CAC 40 depuis 2007

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Depuis 2012, le taux de rendement du portefeuille coté de l'État se situe ainsi 1,5 point au-dessus de celui du CAC 40 , alors que les cinq années précédentes ne faisaient pas apparaître de différence notable.

Comparaison du taux de rendement annuel du portefeuille coté de l'État actionnaire avec celui du CAC 40 entre 2012 et 2015

(en %)

Portefeuille coté de l'État

CAC 40

2012

5,82 %

4,61 %

2013

6,92 %

4,01 %

2014

4,53 %

3,35 %

2015

4,36 %

3,53 %

Moyenne

5,41 %

3,88 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données transmises par l'APE)

Il peut être noté que l'écart reste du même ordre lorsque la comparaison est effectuée à partir d'un panel plus large incluant l'ensemble des entreprises françaises cotées pour lesquelles des données sont disponibles. D'après la base de données du professeur Aswath Damodaran, le rendement moyen s'élève en effet à 2,87 % en 2015 pour les 716 entreprises françaises répertoriées, soit 1,5 point en-deçà du rendement du portefeuille de l'État actionnaire 26 ( * ) .

Ce constat a fortement contribué aux interrogations sur le retour d'une « dominance budgétaire » de la politique de distribution de l'État actionnaire. À titre d'illustration, c'est à partir du constat que « de nombreuses entreprises dont l'État est actionnaire (neuf entreprises sur douze des plus grandes entreprises suivies par l'Agence des participations de l'État) ont affiché en 2014 des taux de distribution des résultats plus élevés que la majorité des entreprises du CAC 40 » que la Cour des comptes soulevait le « risque pour l'État de privilégier un rendement à court terme de ses participations au détriment, potentiellement, des intérêts de long terme des entreprises et des siens » dans un rapport publié en mai 2015 27 ( * ) .

Il ne semble toutefois pas avéré que l'État encourage les entreprises à faire preuve d'un plus grand « court-termisme » en matière de dividendes.


* 19 INSEE, « 3.107 - Passage du résultat d'exécution des lois de finances au déficit de l'État (S13111) au sens de Maastricht », p. 3.

* 20 OCDE, « Financing State-Owned Enterprises : An Overview of National Practices », 2014.

* 21 Ibid ., pp. 38-39.

* 22 Réponses de l'APE au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial.

* 23 D'après les comptes combinés présentés dans le rapport relatif à l'État actionnaire, le chiffre d'affaires global s'élevait à 247,8 milliards d'euros en 2003, contre 147,6 milliards d'euros en 2015. Cf. Rapport relatif à l'État actionnaire 2003, p. 21 ; Rapport relatif à l'État actionnaire 2015-2016, p. 41.

* 24 Pascal Quiry et Yann Le Fur, « Rachats d'actions et dividendes en 2015 », Vox-Fi, 26 janvier 2016.

* 25 Rapport relatif à l'État actionnaire 2010, p. 13.

* 26 Aswath Damodaran, « Dividends, Potential Dividends and Cash Balances », Musings on Markets , 27 janvier 2016.

* 27 Cour des comptes, « Le budget de l'État en 2014 (résultats et gestion) », 2015, pp. 80-81.

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