N° 389

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 février 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le « paquet connectivité »,

Par MM. Pascal ALLIZARD et Daniel RAOUL,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

AVANT-PROPOS

La Commission européenne a présenté, à l'automne dernier, cinq textes visant à réformer le cadre réglementaire des télécommunications en Europe. Le précédent « paquet télécoms » avait été adopté en 2009. Ce quatrième paquet marque une étape nouvelle, celle du très haut débit pour tous et de la connectivité permanente.

Le « paquet connectivité » s'inscrit dans la stratégie numérique de l'Union européenne lancée en 2015. Il en constitue la colonne vertébrale, puisqu'il vise le déploiement de réseaux de télécommunications fixes et mobiles à très grande capacité sur l'ensemble du territoire européen. Sans cette connectivité, il ne peut y avoir de développements numériques. Commerce en ligne, partage de contenus culturels, informatique en nuage, Big data et objets connectés ne pourront fonctionner sans des réseaux plus performants.

Les usages numériques sont sans cesse en progression. L'enjeu aujourd'hui est celui d'une connexion sans fil pour tous. Cela implique un maillage serré de l'ensemble du territoire qui s'appuie sur les meilleures technologies. Donc, plus que jamais, la connectivité est un enjeu d'aménagement du territoire, car elle permet de relier les régions les plus isolées au reste du monde.

La connectivité est aussi un enjeu pour la compétitivité de l'Union européenne. Des réseaux performants luis permettront de rester dans la course à l'innovation qui façonne l'économie actuelle. D'autres régions du monde se préparent activement à l'arrivée de la cinquième génération de téléphonie mobile, la 5G. L'Europe ne peut faire moins.

La connectivité est enfin un enjeu budgétaire. La modernisation des réseaux coûte et coûtera cher. L'Union européenne doit faire des choix qu'elle devra assumer au-delà de l'actuel cadre financier qui se termine en 2020.

Elle devra surtout favoriser les investissements privés dans les réseaux et mobiliser les opérateurs car ce sont eux qui assumeront la principale charge financière Or, ils doivent déjà faire face à la concurrence des nouveaux fournisseurs de service en ligne, qui ne font l'objet d'aucune régulation. C'est aussi un aspect que l'Union doit aborder.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires européennes du Sénat a voulu analyser les enjeux et les propositions de cette réforme. Le présent rapport en traite les principaux aspects.

I. VERS UNE EUROPE DU TRÈS HAUT DÉBIT

A. UN BILAN ET PLUSIEURS CONSTATS

1. Le bilan : un niveau global de connectivité satisfaisant, mais avec de fortes disparités territoriales

Le dernier « paquet télécom » a été adopté en 2009 et est entré en vigueur en 2010. Il visait à réformer le précédent cadre réglementaire organisant les communications électroniques établi en 2002. Sept ans après, la Commission européenne dresse un bilan des avancées et des réussites, mais aussi des manques de cette politique.

Les objectifs de 2010 étaient, à l'horizon 2020, une disponibilité universelle de connexions de 30 mégabits par seconde (Mbps), soit le haut débit, pour garantir la cohésion territoriale et l'abonnement d'au moins 50 % des ménages européens à un débit de 100 Mbps, c'est-à-dire le très haut débit, pour anticiper les besoins futurs.

Selon l'Indice relatif à l'économie et la société numérique (Desi), à la mi-2015, 71 % des foyers européens disposaient de réseaux fixes d'au moins 30 Mbps, contre 41 % en 2011. En outre, 11 % des foyers avaient souscrit un abonnement au très haut débit. Concernant le haut débit mobile, la 4G, 86 % de la population européenne en bénéficiaient. En France, seuls 55 % de la population bénéficiaient de la 4G fin 2016, mais on estime que 90 % de la population seront couverts à la fin de 2017. En matière de téléphonie fixe, l'étude européenne estime que seuls 45 % des ménages français ont accès au haut débit rapide, ce qui place la France dans les pays accusant un retard par rapport à la moyenne de l'Union européenne.

Ainsi, les objectifs en matière de connectivité au haut débit sont en passe d'être atteints. Le très haut débit, en revanche, peine encore à se généraliser. Des auditions menées, il ressort qu'en France, la faiblesse des abonnements à la fibre optique s'explique par le succès de l'ADSL qui satisfait un grand nombre de consommateurs actuellement.

Dans le même temps, la Commission européenne constate que le prix d'une connexion à un internet délivrant entre 12 et 30 Mbps a chuté de 57 % depuis 2007. Il faut y voir le résultat d'une politique d'ouverture de la concurrence qui a permis l'arrivée de nouveaux acteurs à côté des opérateurs historiques.

Derrière ces résultats se cachent des disparités entre les territoires que relève la Commission européenne. En effet, si 71 % des ménages européens avaient une connexion à un internet fixe rapide en 2015, ils n'étaient que 28 % dans les zones rurales. Et si 86 % de la population européenne bénéficiaient de la 4G, cela ne concernait que 36 % des zones rurales.

Il existe donc une vraie césure en Europe entre les territoires urbains et ruraux en matière de connectivité. C'est la raison pour laquelle Roberto Viola, directeur général pour les réseaux de télécommunications, les contenus et les technologies (DG Connect) à la Commission européenne, a évoqué avec vos rapporteurs la notion d'une « Europe à deux vitesses ».

À cela s'ajoutent des différences entre les États membres selon qu'ils ont fait le choix de soutenir l'investissement dans la fibre optique pour le très haut débit fixe ou pas. Cette technologie est, et de loin, la plus à même de porter le très haut débit. Toutefois, son coût est élevé et, contrairement à la France, un certain nombre d'États n'ont pas fait le choix de soutenir son déploiement pour l'ensemble de la population, parmi lesquels l'Allemagne, l'Italie, la Pologne ou encore le Royaume-Uni.

Le plan France Très Haut débit

Des objectifs ambitieux

Lancé au printemps 2013, le Plan France Très Haut débit vise à couvrir l'intégralité du territoire en très haut débit d'ici 2022, c'est-à-dire proposer un accès à Internet performant à l'ensemble des logements, des entreprises et des administrations. Pour atteindre cet objectif, il mobilise un investissement de 20 milliards d'euros en dix ans, partagé entre les opérateurs privés, les collectivités territoriales et l'État.

Ce Plan répond à plusieurs enjeux :

- renforcer la compétitivité de l'économie française et l'attractivité de la France par le raccordement prioritaire en fibre optique des zones d'activités économique ;

- développer des services publics innovants sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales et de montagne, en apportant un accès à Internet performant les établissements scolaires, les hôpitaux, les maisons de santé, les maisons de l'emploi, etc ;

- donner accès aux usages numériques à tous les citoyens.

Historiquement, les grands projets d'infrastructures ont été déployés dans les grandes villes, avant de s'étendre dans les zones rurales plusieurs dizaines d'années plus tard (réseau d'électricité, réseau téléphonique). Dans le cadre du Plan France Très Haut Débit, le déploiement de réseaux très haut débit est organisé en même temps sur l'ensemble du territoire grâce à la mobilisation des acteurs privés et publics :

- dans les grandes agglomérations et chefs-lieux de département, les opérateurs privés déploient des réseaux de fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH). Ils s'engagent à réaliser ces déploiements d'ici à 2020 dans le cadre de conventions signées avec les collectivités territoriales concernées et l'État. Ces zones dites "conventionnées" concernent 3 600 communes et 57 % de la population et représentent un investissement de 6 à 7 milliards d'euros ;

- en dehors des grandes agglomérations, les collectivités territoriales déploiement des réseaux publics mobilisant plusieurs types de réseaux d'accès à Internet : FttH, amélioration des débits sur le réseau ADSL, satellite, Wimax, 4G. Propriété des collectivités territoriales, ces « réseaux d'initiative publique » proposent, comme les réseaux privés, des services aux particuliers et entreprises par des fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Les recettes d'exploitation et le cofinancement issus de ces FAI permettront ainsi de financier la moitié de l'investissement (13 à 14 milliards d'euros). La seconde moitié de l'investissement (6,5 milliards d'euros) est financée par des subventions publiques, dont une enveloppe de subvention de l'État de plus de 3 milliards d'euros.

Alors que le plan vise la couverture en très haut débit de 100 % des 35 millions de logements et de locaux à usage professionnel, des assouplissements et des aménagements sont prévus. Si la couverture généralisée de la population est prévue pour 2022, l'objectif du raccordement à la fibre optique jusqu'à l'abonné porte sur 80 % de la population. Des solutions alternatives comportant un mix technologique pourrait permettre de couvrir les 20 % restant. Il est également prévu de subventionner les réseaux de collecte. Enfin, un objectif intermédiaire de couverture de 50 % des foyers à l'horizon 2017 a été également fixé.

Une mise en oeuvre critiquée par la Cour des comptes

Dans un rapport public rendu en janvier 2017 sur les réseaux fixes de haut et très haut débit, la Cour des comptes dresse un premier bilan du plan France Très Haut débit.

Dans ce rapport, la Cour rappelle que la France dispose d'un réseau haut débit des plus satisfaisants. Elle pointe en revanche le retard dans le déploiement du très haut débit et le mauvais classement de notre pays en Europe. Elle relève ainsi que « la proportion de foyers français couverts (45 %), très inférieure à la moyenne européenne (71 %), place la France au 26 ème rang parmi les 28 États membres de l'Union européenne, tandis que la proportion des foyers abonnés à internet utilisant le très haut débit (15 %), à nouveau très inférieure à la moyenne de l'Union (30 %), confère à la France la 24 ème position » .

La Cour note un réel effort porté par le Plan France très haut débit et juge que l'objectif intermédiaire de 50 % de foyers couverts en 2017 pourrait être atteint en avance.

Toutefois, elle met l'accent sur la sous-évaluation des investissements nécessaires. Selon elle, tandis que le plan estimait que les investissements publics et privés à l'horizon 2022 seraient de 20 milliards d'euros (Md€), en intégrant le raccordement final, ils devraient finalement être de 24,5 Md€. En outre, la Cour estime que 10,4 Md€ seront nécessaires pour les travaux complémentaires qui s'étendront au-delà de 2022 pour le raccordement final des 7 millions de foyers situés en zone d'initiative publique. C'est pourquoi, un montant total de 34,9 Md€ d'investissement total et une échéance à l'horizon 2030 semblent plus probable à ses yeux.

2. Ne pas répéter les erreurs du passé

La Commission européenne et l'ensemble des personnes auditionnées par vos rapporteurs soulignent que le déploiement des troisième et quatrième générations de téléphonie sans fil en Europe a pris trop de temps. Il a notamment été plus rapide aux États-Unis et en Asie. Cela est d'autant plus dommageable que l'Union européenne avait été la première à mettre au point la technologie de la 4G.

L'attribution des fréquences est une prérogative des États. Le déploiement d'une nouvelle génération de téléphonie sans fil dans l'Union dépend donc de 28 décisions différentes et de 28 calendriers distincts. Cette mise en oeuvre segmentée explique les retards pris. Des améliorations en ce domaine devraient pouvoir être trouvées pour que le déploiement de la prochaine génération se fasse plus rapidement, tout en respectant une certaine subsidiarité et la souveraineté des États.

3. Déployer des réseaux plus performants pour répondre aux besoins de demain

Plusieurs études montrent que dans les dix prochaines années, il y aura jusqu'à 50 milliards d'objets connectés de façon continue. Cela concernera entre autres la santé des personnes ou leur maison, les villes intelligentes et les véhicules autonomes, l'intelligence artificielle ou encore l'agriculture de précision. Non seulement il y aura de plus en plus d'appareils connectés aux êtres humains ou entre eux, mais ils échangeront beaucoup plus d'informations qu'avant.

Nous entrons dans l'ère de la connectivité permanente : pour fonctionner, ces objets devront pouvoir être connectés en permanence, que ce soit à un point fixe ou grâce à des réseaux de communication mobiles. Une telle transformation ne pourra se faire sans des réseaux de télécommunication plus performants, c'est-à-dire qui permettent un débit beaucoup plus élevé en un temps plus court.

À titre d'exemple, on prévoit notamment que, alors qu'il faut 14 minutes pour télécharger un scanner d'imagerie médicale avec le haut débit (20 Mbps), il ne faudra que 40 secondes avec du très haut débit (400 Mbps). De la même manière, la restauration du serveur informatique d'une entreprise ne prendra plus que 33 heures, contre 28 jours.

Ainsi, pour profiter pleinement de ces évolutions et pour être elle-même un acteur économique important dans ce secteur, l'Union européenne se doit de passer du haut débit au très haut débit.

C'est la raison pour laquelle, lors du discours sur l'état de l'Union le 14 septembre 2016, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré : «Nous avons besoin d'être connectés. Notre économie en a besoin. Tout le monde en a besoin. Et nous devons investir dans cette connectivité maintenant.»

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