III. S'APPUYER SUR LES ACQUIS DE LA POLITIQUE DE PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE : VERS DES STRATÉGIES TERRITORIALES DE PRÉVENTION DE LA RADICALISATION

Si l'État a d'abord opté pour une démarche assez centralisée autour des préfets, pour des raisons d'urgence évidentes, il est temps désormais de revenir aux acquis de la prévention de la délinquance.

En s'inspirant des bonnes pratiques existantes, du capital d'expérience et de confiance constitué depuis plus de vingt ans, les collectivités territoriales peuvent et doivent passer à l'action pour s'approprier les champs de la prévention de la radicalisation et, à cet effet mettre en place de véritables stratégies territoriales de prévention de la radicalisation, en lien avec leur propre action de prévention de la délinquance.

A. DE LA TENTATION D'UN NOUVEAU DISPOSITIF CENTRÉ SUR L'ÉTAT À LA RÉAPPROPRIATION DES OUTILS DE PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE

Dans un premier temps, à la recherche dans de brefs délais d'une méthode efficace pour l'identification de radicalisés susceptibles de commettre des violences, l'État a privilégié la construction d'un dispositif spécifique centré sur le préfet et n'associant que de loin les collectivités territoriales. Celles-ci étaient les grandes absentes du Plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes , rendu public à l'issue du Conseil des ministres du 23 avril 2014.

La circulaire du ministre de l'Intérieur du 29 avril 2014 sur la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles, qui en tirait les conclusions, voyait les collectivités exclusivement comme d'éventuels prestataires de service en matière d'accompagnement social. Les trois volets du dispositif concernaient, au niveau national, le Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) et son numéro vert, et le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et, au niveau local, « le rôle majeur des préfets » .

Ce choix présentait l'avantage de la rapidité et d'une relative centralisation des informations. Il avait pour défaut de ne pas mobiliser les collectivités et de se priver de ce relais fondamental pour la mise en oeuvre d'une politique publique d'ampleur. Par ailleurs, il conduisait à faire l'impasse sur des années d'expérience en matière de prévention de la délinquance, marquées par l'implication croissante des maires et un travail partenarial de plus en plus riche et confiant, même s'il n'était pas toujours, selon les territoires, sans accroc.

L'instruction du ministre de l'Intérieur du 19 février 2015 relative aux cellules de suivi dans le cadre de la prévention de la radicalisation a permis une première inflexion en demandant aux préfets d'associer les collectivités territoriales aux cellules départementales de veille sur la radicalisation. Elle n'était guère plus explicite et restreignait en fait le rôle des collectivités aux « politiques sociales ». De manière assez irréaliste, elle faisait d'ailleurs des services préfectoraux les « interlocuteurs de proximité des familles ».

Il reviendra au Plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) du 9 mai 2016 de véritablement prévoir un positionnement des collectivités plus conforme à leur importance . Tout un chapitre du plan est consacré au renforcement du partenariat avec les collectivités territoriales. Il prévoit par exemple de proposer aux collectivités territoriales d'être représentées au sein du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et de créer, au sein du secrétariat général du comité, une cellule nationale de coordination et d'appui à l'action territoriale ouverte aux sollicitations des collectivités. Le plan reconnaît par ailleurs un double apport des collectivités : « la détection et le signalement des situations de radicalisation » et « la participation à la prise en charge sociale des personnes en voie de radicalisation et de leur famille ».

Les mesures du Plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) du 9 mai 2016 concernant les collectivités territoriales

- proposer aux collectivités territoriales d'être représentées au Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) ;

- créer, au sein du secrétariat général du comité interministériel, une cellule nationale de coordination et d'appui à l'action territoriale ouverte aux sollicitations des collectivités ;

- proposer dans tous les départements un protocole opérationnel pour renforcer la complémentarité entre l'État et les conseils départementaux en matière de protection des mineurs face au phénomène de radicalisation et accompagner les familles ;

- encourager les communes, intercommunalités et conseils départementaux à agir en matière de détection de la radicalisation et de prévention primaire dans le domaine socio-éducatif, à travers les dispositifs existants de prise en charge des jeunes (centres socio-culturels, stages de vacances, etc.) avec co-financement possible du FIPD ;

- inscrire avant la fin 2016, dans chaque contrat de ville, un plan d'actions contre la radicalisation, contractualisé entre l'État et la collectivité, qui s'ajoute aux trois volets de droit commun (cohésion sociale, cadre de vie/renouvellement urbain et développement économique/emploi). La contrepartie financière relevant de l'État sera assurée à partir du FIPD et des crédits de la politique de la ville ;

- développer un volet de prévention de la radicalisation au sein des Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), partout où la situation l'exige. Lorsque la commune concernée dispose à la fois d'un contrat de ville et d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, les volets relatifs à la radicalisation seront soit conjoints, soit étroitement coordonnés entre les deux contrats ;

- renforcer la mobilisation de l'ensemble des acteurs, confronter les expériences et faciliter la diffusion des bonnes pratiques, en organisant une rencontre nationale des collectivités territoriales autour des enjeux de la lutte contre la radicalisation et de la prise en charge des personnes radicalisées. Cette réunion a été organisée le 24 octobre 2016.

Si l'insertion progressive des collectivités dans le dispositif de prévention de la radicalisation semble progresser, la prise en compte des outils éprouvés de la prévention de la délinquance paraît encore fragile aux yeux de nombre de collectivités .

Ici encore, dans un premier temps - et cela est compréhensible -, les pouvoirs publics se sont concentrés sur une action répressive destinée à briser les réseaux les plus dangereux et à éviter les attentats. Du reste, les autorités, comme de nombreux observateurs, ont été prises de court par le surgissement de violences : l'attaque de Charlie Hebdo , puis du Bataclan . L'absence complète du moindre élément sur la radicalisation, sur le fanatisme religieux et/ou idéologique ou encore sur les répercussions éventuelles en matière de délinquance de la situation internationale dans la Stratégie nationale de prévention de la délinquance 2013-2017 témoigne à la fois de la difficulté du Gouvernement et des administrations à anticiper le phénomène comme de leur penchant premier de ne pas le traiter dans le cadre de la prévention de la délinquance.

Cette approche, même si elle s'explique au regard de la pression des évènements, comportait toutefois deux inconvénients majeurs. En premier lieu, elle ne permettait pas de prendre en compte les décennies d'expérience de terrain des collectivités en matière de prévention. Surtout, les instruments juridiques de la répression pénale n'offraient pas la possibilité de saisir et de prendre en compte les signaux faibles d'une radicalisation dont la détection précoce se révélait pourtant indispensable.

Dans une résolution d'octobre 2016, le Forum français pour la sécurité urbaine s'est fait le porte-parole des préoccupations de nombreuses collectivités locales en la matière. Regrettant que « dans un certain nombre de territoires, la lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente [ait] remis en question le fonctionnement des partenariats, notamment entre les collectivités locales et l'État », le Forum appelait à renforcer le dialogue entre les différents niveaux territoriaux et à considérer les communes et les maires comme des « partenaires de plein droit en première ligne » et non comme de simples « prestataires des services de l'État ».

Comme on l'a vu, le Plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) du 9 mai 2016 infléchit la posture de l'État dans ce domaine aussi, comme ensuite les conventions signées avec l'AMF, France urbaine et Ville et Banlieue.

Plus globalement, les autorités de l'État ont désormais pleine conscience du rôle irremplaçable des collectivités sur le sujet, comme l'a illustré l'entretien accordé par le ministre de l'Intérieur à vos rapporteurs le 16 mars 2017.

Recommandation n° 4 : S'appuyer sur les acquis de plusieurs décennies de co-production de la sécurité et de la prévention dans les territoires et, à cet effet, mettre en place de véritables stratégies territoriales de prévention de la radicalisation, en lien avec les politiques locales de prévention de la délinquance, et intégrant diagnostic partagé, déclinaison en objectifs opérationnels et en programmes d'action...

Destinataires : Communes, intercommunalités et départements.

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