IV. Table ronde des associations d'élus locaux du 23 novembre 2017

Jean-Marie Bockel. - Le Sénat a engagé plusieurs travaux récemment sur la thématique de la radicalisation. La commission des lois a ainsi confié à deux collègues un rapport sur la déradicalisation. Au niveau de la délégation aux collectivités territoriales, nous avons fait le choix de travailler sur l'angle du rôle des collectivités territoriales, notamment en matière de prévention de la radicalisation.

Nous avons eu un France, pendant plusieurs décennies, une pratique de partenariat entre les mairies et les intercommunalités, puis le département, avec l'État, le préfet, la justice, l'Éducation nationale, afin de mettre en place des politiques communes en matière de sécurité et de prévention de la délinquance. De la même manière, des réflexions ont lieu aujourd'hui sur la prévention de la radicalisation. Il faut prendre en compte le caractère particulier de ces dérives. Nous sommes concernés par les conséquences. L'actualité récente nous le prouve. À Strasbourg, parmi les personnes arrêtées, l'un d'entre eux était animateur de la ville de Strasbourg pour les activités périscolaires. Qui a fait une conférence de presse ? Qui a réuni les parents ? C'est la municipalité.

Luc Carvounas.- nous souhaitons produire un rapport utile aux élus locaux. On est tous confrontés à ces phénomènes de plus en plus exacerbés. Cela crée un climat anxiogène pour les administrés. Les maires se sentent démunis. Les relations se font par la confiance. Il faut partager les expériences. Nous devons également être dans le pragmatisme. La semaine dernière, nous avons auditionné le contrôleur général de la police, qui m'a presque convaincu que l'on ne peut faire autrement que de ne pas communiquer aux maires les fiches S.

Jean-Marie Bockel. - Les informations dont disposent les élus locaux sont-elles suffisantes ? Les formations proposées sont-elles pertinentes et en nombre suffisant ? Quelles sont les relations avec l'État local ? Quelles sont les expériences qui existent sur les territoires ? Enfin, la question des moyens n'est jamais loin.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, Maire de Saint-Gratien et représentante de l'AMF. - L'AMF s'est saisie depuis longtemps de ce sujet. Il y a eu beaucoup d'échanges. Selon les territoires, l'approche des difficultés n'est pas la même. L'une des difficultés existantes est de mettre en place une vraie coordination avec les services de l'État. Les maires se sentent seuls. Nous avons souvent des réunions avec les services de l'État, mais autant nous sommes les premiers à faire remonter les informations, autant la démarche inverse n'existe pas ou peu. À titre d'exemple, les élus locaux d'Ile-de-France ne sont pas mis au courant de ce qui se passe. L'AMF n'est pas arcboutée pour avoir le nom des fichiers S. Ce n'est pas l'essentiel. Les maires ont un sentiment, un ressenti de ce qui se passe sur leurs territoires. Mais ils ne connaissent pas aujourd'hui la réalité de ce qui existe en termes de radicalisation sur leur territoire, en matière de renseignements. Il me semble que pour pouvoir avancer sur ces sujets, il faut une confiance mutuelle.

Il faut également penser aux nouveaux maires, ceux élus en 2014. Quels que soient leur âge, leurs tendances politiques, ils ont été mis face à des missions puis face à des problèmes qu'ils ne mesuraient pas avant les élections. J'ai évoqué le sujet avec le directeur de cabinet du préfet du Val-d'Oise il y a peu. Il m'a dit avoir ces mêmes réflexions. On se construit une expérience, une manière d'appréhender son territoire. Les nouveaux maires ont dû faire face à une situation qu'ils ne connaissaient ou n'envisageaient pas. Il faut les aider à se former.

Il faut également mieux comprendre les phénomènes sur nos territoires. Qu'est ce qui fait que des enfants quittent le système scolaire ? Dans le Val-d'Oise, le nombre d'élèves quittant le système scolaire a progressé de 40%. Ce sont des phénomènes de radicalisation. La personne radicalisée n'est pas seulement celle qui va poser la bombe. Il faut être attentif à ce qui change sur nos territoires, à ce qui risque de s'aggraver.

Jean-Marie Bockel. - Vous avez évoqué le climat de confiance. J'ai la conviction que nous devons travailler là-dessus. Et, derrière cette thématique, il y a aussi celle de la transmission de ce climat de confiance à une nouvelle génération de maires, de magistrats, de préfets, de policiers.

Grégoire Le Blond, maire de Chantepie, représentant de l'APVF. - L'Association des petites villes de France a développé, en particulier sur ce sujet, une culture d'échanges et de rencontres avec des experts et des maires, au sein de la commission chargée de la prévention de la délinquance et de la sécurité, que je préside. Les maires se sont tournés vers cette structure interne pour nous faire part de leur désarroi, puis réfléchir à des solutions. Je partage ce qu'a dit l'AMF : je ne reviendrai pas sur la nécessité des conventions de coordination. En effet, lorsqu'elles fonctionnent, c'est bien. Mais on connaît les difficultés pour obtenir la présence des services de l'État. Cela souligne un besoin important concernant les effectifs des parquets. Les parquets n'ont plus les moyens de participer à ces travaux préventifs compte tenu de leur charge de travail. Pourtant, cette collaboration et ce lieu d'échange sont fondamentaux. Nous avons reçu au sein de la commission chargée de la prévention de la radicalisation le préfet N'Gahane, secrétaire général du CIPDR. Il a rappelé que le ministère de l'Intérieur avait conscience de la nécessité de pouvoir s'appuyer sur des informations de proximité.

Le maire dispose à la fois de prérogatives régaliennes, qu'il exerce au nom de l'État, et de ses propres compétences. Nous incitons tous nos adhérents à se doter d'un CLSPD, y compris dans les petites intercommunalités où ce n'est pas une obligation. En effet, une information est pertinente sur un territoire donné. Il faut que l'on puisse avoir ces lieux et ces moments d'échanges.

Les élus locaux, s'ils se sentent démunis, ont conscience de leur rôle. Le maire sait ce qui se passe dans les écoles, au sein des services sociaux de proximité, sur la voie publique. Dans l'exercice de ses propres prérogatives, il doit pouvoir disposer de moyens suffisants. Il doit ainsi pouvoir augmenter les effectifs de sa police municipale, créer des fonctions de médiateurs de rue, surtout depuis la disparition de la police de proximité. En effet, ce sont des relais fondamentaux de transmission de l'information. Dans ma commune, j'ai créé la fonction de médiateur de rue, qui coûte 48 000 euros par an pour un temps complet. Un premier bilan, au bout de six mois d'existence, est une baisse de 20% des dépôts de plaintes et de mains courantes. Mais toutes les communes n'ont pas la capacité de créer ce type de fonction, compte tenu d'une part de la baisse des dotations de l'État, et d'autre part du fait que les services de l'État nous demandent de plus en plus de sécuriser les espaces publics. À titre d'exemple, j'ai reçu récemment un courrier du préfet me demandant d'éviter les stationnements devant les écoles et d'assurer le contrôle à l'entrée d'évènements publics, y compris ceux se déroulant à l'extérieur. Certains maires sont obligés d'annuler des évènements, d'autres s'appuient sur des bénévoles ou se dotent de moyens coûteux. Or, les petites villes ont plus de difficultés que d'autres à accéder au FIPD. Le FIPD est un outil indispensable, par exemple pour le financement de la vidéoprotection, mais on a constaté que, depuis les attentats, les enveloppes sont réservées aux plus grandes agglomérations. Les petites villes, plus en difficulté par exemple pour créer un poste de médiateur des rues, ne peuvent pas bénéficier d'une aide de l'État pour ces projets, non fléchés dans le FIPD.

Je souhaiterais ajouter un dernier point. La radicalisation peut se faire en prison. Aujourd'hui, certains délinquants en prison sont en contact avec d'autres détenus qui peuvent les conduire à faire plus de mal en sortant. Je ne dis pas qu'il ne faut plus mettre personne en prison. Mais les collectivités territoriales peuvent jouer un rôle pour permettre à certains délinquants de faire plus de peines alternatives. Ils sont en effet acteurs de la mise en place des travaux d'intérêt général. Mais l'une des difficultés est l'encadrement, le contrôle des condamnés. Les moyens des SPIC et de la PJJ ne permettent pas à une collectivité de s'engager dans le processus des travaux d'intérêt général sans avoir recours à un encadrement supplémentaire. Il faudrait créer quelques postes au SPIC et à la PJJ, ce qui coûte moins cher que la détention.

Luc Carvounas. - Madame Eustache-Brinio, vous parliez des nouveaux maires. Au niveau de l'AMF, avez-vous des remontées significatives sur ces points ? Monsieur Le Blond, vous nous avez dit que, lorsqu'ils sont mis en place, les outils sont efficaces. Mais le sont-ils suffisamment ? Comment penser de nouveaux outils ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je ne mélange pas les problèmes de sécurité et de radicalisation. On ne les aborde pas de la même manière. Parler de la radicalisation, ce n'est pas parler des problèmes de délinquance dans nos quartiers. Ce n'est pas une caméra qui va nous aider à repérer un radicalisé. En ce qui concerne les nouveaux maires, il faut les aider à appréhender ces nouvelles difficultés. Il faut renforcer les liens entre le préfet, le procureur et le maire. Ce dernier peut se sentir seul, s'il n'y a pas des interlocuteurs et des échanges en toute transparence et avec une confiance totale. Il y a également des inégalités entre les territoires. Les communes qui font partie des programmes de la politique de la ville ont l'obligation de travailler sur la délinquance depuis le mois de mai. Il y a eu un avenant aux contrats de ville. Mais que veut dire « travailler sur » ? Il faut former les élus, les agents au contact des populations les plus fragiles. Tout cela peut être un nouveau regard sur nos missions au quotidien, partagé par les élus et les services. Cela demande beaucoup de recul et d'attention. Il faut continuer à vivre normalement tout en étant extrêmement attentif. Enfin, si l'élément révélateur a été l'attentat contre Charlie Hebdo, le phénomène de radicalisation existe depuis déjà 5 à 10 ans dans nos villes.

Jean-Marie Bockel. - Vous avez raison, il faut rester modeste. À Strasbourg, rien ne permettait d'indiquer ni à l'école, ni aux élus de proximité le moindre commencement de dérive. L'animateur était adoré des enfants. Le travail de la collectivité territoriale, dans cette école traumatisée, est important, pour qu'un climat apaisé puisse exister.

Luc Carvounas. - Vous avez évoqué la question des nouveaux maires. J'ai été élu maire pour la première fois il y a 4 ans. Mon premier jour de maire a correspondu aux tueries de Merah. La formation est vitale. Comme vous le soulignez, il faut continuer à vivre. Or, à en croire les circulaires des préfets, il faudrait tout bunkeriser.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - On ne peut pas véhiculer un message de psychose permanent. Nos habitants sont très réceptifs aux messages que nous transmettons. Nous sommes là pour rassurer, ou ne pas rassurer. Or, nous ne disposons pas des informations pour pouvoir transmettre ce message à la population.

M. Grégoire Le Blond. - En ce qui concerne les lieux de culte ayant joué un rôle en matière de radicalisation, il faut regarder les prérogatives propres des maires. Cela va au-delà de la prévention. Cela se retrouve par exemple dans les attributions de logement et la mixité. Peut-on éviter les regroupements de personnes de culture identique ? Ce sont des outils qui nous permettent de réussir l'intégration. Il faut éviter un repli sur soi, que ce soit de la part des Français d'origine européenne ou ceux issus de l'immigration. Le communautarisme est une grande difficulté à gérer dans certains quartiers. Or, la manière dont ont été attribués des logements précédemment, en regroupant les populations défavorisées dans un même quartier, ne permet pas d'assurer une vraie mixité. Et c'est dans ces quartiers où on a regroupé des gens différents entre eux que l'on a ces problèmes. Il faut aussi se poser la question de la répartition des quelque 200 000 à 280 000 migrants annuels qui viennent sur notre territoire. Il ne faut pas forcément les regrouper dans certaines grandes villes où les chances d'intégration sont assez réduites.

Mme Isabelle Santiago, Vice-Présidente du conseil départemental du Val-de-Marne, représentante de l'ADF. - L'Assemblée des départements de France m'a demandé de représenter le Val-de-Marne car nous travaillons sur ces questions depuis 2015. Il faut être modeste. Notre expérience est la suivante. Juste avant les attentats, nous avons été contactés par la procureure de la République. En effet, le département du Val-de-Marne se caractérise par la présence d'un aéroport international. Beaucoup de départs en Syrie se faisaient via cet aéroport, notamment un certain nombre de mineurs. Il a été demandé au service départemental de la protection de l'enfance de prendre en charge l'évaluation des enfants signalés via le numéro vert. L'évaluation doit se faire en moins de 48 heures, puis elle est transmise au parquet et à la préfecture de police, qui peuvent prendre la décision de retirer le passeport. Notre département est le seul en France à avoir maintenu, et même augmenté, la prévention spécialisée, en lien directement avec la proximité et les quartiers. Cela permet d'échanger régulièrement et de tisser des liens. Après les attentats, nous avons réussi à obtenir une dynamique de terrain, avec des remontées qui se font de manière rapide.

Une formation a été assurée par le ministère de l'Intérieur. Les évaluations des mineurs permettent également d'avoir une cartographie du département, et de noter des zones problématiques. Certaines villes sont des bastions de la radicalisation, avec 20 évaluations par mois de mineurs. Ces points sont évoqués au sein de la cellule à laquelle participe le préfet. Certaines questions ne dépendent plus du département. L'Éducation nationale s'est également impliquée. Elle a procédé à un travail important pour être vigilante dans les collèges et lycées. En ce qui concerne les majeurs, cela est traité directement par les services de police ainsi que par les associations habilitées. Dans le Val-de-Marne, c'est l'association Sophie qui est habilitée et qui accompagne un nombre important de familles. Nous avons également développé un réseau associatif, qui au départ n'était pas aussi structuré. Bien évidemment, il faut les former, car on ne se décrète pas en capacité de détecter les signaux de radicalisation. Mais une fois que la formation est faite, nous avons pu nous appuyer sur le potentiel important que représentent les associations qui travaillent sur les dérives sectaires.

En 2016, 120 mineurs ont été signalés. La majeure partie de ces jeunes relève de problématiques de la protection de l'enfance. Parmi eux, 8 sont en capacité de passer à l'acte. Ils ont été pris en charge par les services de police. Les autres sont à suivre car la radicalisation est installée. Quand on nous a demandé de prendre en charge ces évaluations, il faut rappeler que le personnel a un droit de retrait. Au début, nous avons eu des réunions syndicales mouvementées. En effet, les gens se rendent chez les personnes pour évaluer. Mais le personnel du Val-de-Marne fait ce travail, car il a une haute idée de la responsabilité du service public. Depuis l'assassinat du policier, une partie du personnel fait valoir son droit de retrait. Nous avons pris la décision de ne plus faire réaliser les évaluations par le service public. Nous allons donc lancer un appel à projet, pour que ce soient des associations habilitées qui évaluent les familles et les jeunes. C'est le département qui fera les transmissions.

Nous sommes également, pour l'instant, le seul département à accueillir les premiers enfants de Syrie à être revenus. Les parents ont été arrêtés en Turquie. Nous avons expliqué à la ministre Mme Rossignol les problèmes que cela posait : les parents sont en prison en France, les enfants sont sur le territoire du Val-de-Marne, et la famille proche est également sur ce territoire. Le personnel a demandé un droit de retrait. La peur va crescendo , avec moins de personnel du service public enclin à prendre en charge. Il y a également une réelle problématique pour ces enfants. Le plus grand des enfants a assisté à des choses compliquées. Nous faisons intervenir des experts. Ces enfants vont rester très longtemps dans les services publics de l'enfance. Dernièrement, la procureure de la République nous a demandé de nous préparer à recevoir un nombre important de jeunes de retour de Syrie. Ce sont des réflexions qui se traduisent par des budgets, mais aussi par une prise en compte des personnels, de l'accompagnement, de la formation.

Nous allons lancer une formation à l'échelle de toutes les communes, pour tout ce qui touche les services jeunesse, les associations de quartier. 28 000 euros annuels sont budgétés. Bien évidemment, il s'agit de formations habilitées. Nous nous sommes également rendu compte de l'urgence de travailler sur les réseaux sociaux et internet. Aujourd'hui, en dix clics, les jeunes se retrouvent sur un site djhadiste. Beaucoup de jeunes vont d'ailleurs sur ces sites. Des enseignants ont également bénéficié de nos formations.

Pour finir, je souhaite indiquer qu'il y reste énormément à faire. Nous avons la chance d'avoir un réseau très fort sur le terrain, d'avoir un travail en collaboration avec le préfet, le procureur de la République et l'Éducation nationale. L'information circule. Enfin, je souhaite souligner quelque chose qui est passé inaperçu : tous ceux qui sont passés à l'acte viennent de l'aide sociale à l'enfance.

Luc Carvounas. - Pouvez-vous nous en dire plus sur le groupe de travail regroupant le préfet et les services du département ?

Isabelle Santiago. - Il s'agit de la cellule départementale animée par le préfet. Le département y participe, mais c'est le préfet qui l'anime et qui a accès à toutes les informations.

Luc Delbreuil, coordonnateur de la mission « Lutte contre la radicalisation » du conseil départemental de l'Eure. - Je suis en poste depuis le 1 er janvier 2016, à la demande du président du conseil départemental. Il s'agit de rendre plus visible la lutte contre la radicalisation et d'essayer d'amplifier les actions menées par l'État et l'action du département en lien avec celles menées par le CIPDR. Une première formation a eu lieu en février. Ces actions sont menées auprès des personnels du département. Nous allons aussi travailler avec les associations. Je mène ces opérations, en m'appuyant sur des documents et vidéos mis en ligne par le ministère de l'Intérieur, qui sont actuellement en cours de test et d'évaluation. On essaye de mettre notre réseau à disposition de l'État, mais également de monter un réseau de vigilance avec l'ensemble des acteurs et des élus. Des actions sont également menées auprès des associations cantonales des maires, notamment pour leur donner des éléments de langage afin qu'ils soient en capacité de répondre lorsqu'ils sont interpellés. Enfin, des actions sont menées dans le cadre du CLSPD.

Nous avons proposé à l'État de développer un centre ressource qui pourrait, à partir de l'année prochaine, reprendre ces actions de formation, et se spécialiser dans l'accompagnement des situations. Enfin, le département développe les actions de prévention dans le cadre de sa politique primaire, notamment par des actions « laïcité et citoyenneté ».

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je souhaite revenir sur les propos de l'Assemblée des départements. En effet, dans l'intervention de ma collègue, tout le monde a été évoqué, sauf les maires. On va également confier à des associations l'évaluation des jeunes radicalisés. Le maire est mis à l'écart. On n'applique même pas ce que demandent le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur, lorsqu'ils affirmaient, lors de la grande réunion d'il y a quelques mois, qu'il fallait associer les maires. Il ne faut pas oublier que les mineurs et les majeurs dont on parle sont également des citoyens des villes. À un moment donné, le maire va être partie prenante. Si on n'associe pas les maires dès le démarrage, au départ de ces difficultés, on ne peut pas leur demander ensuite de s'occuper de ces personnes pour le logement, l'aide sociale. Je vais vous donner un exemple : je préside un établissement qui reçoit un quarantaine d'enfants de l'aide sociale à l'enfance. Il y a quatre mois, une famille a été arrêtée en Allemagne. Le père est en prison, la mère est assignée à résidence. Trois enfants ont été placés dans l'établissement. La position du conseil départemental a été de dire « on ne prévient personne ». Je peux comprendre la nécessité de discrétion pour la sécurité de ces enfants. Mais là, on n'a prévenu ni le maire, ni la présidente de cette institution. Si j'en parle avec autant de passion, c'est que je trouve cela anormal. Les maires sont également exclus des cellules départementales mises en place par le préfet. On ne peut pas attendre des maires qu'ils soient efficaces demain, si on ne les associe pas aujourd'hui. En ce qui concerne les lieux de culte, le seul outil dont disposent les maires est une application stricte des PLU. Nous prononçons des arrêtés de fermeture qui ne sont pas respectés. Le préfet nous dit alors de passer par la voie judiciaire. Je l'ai fait. Cela a pris un an et demi, représente un coût important pour les communes et entraîne une exposition médiatique à assumer.

Jean-Marie Bockel. - J'ai le sentiment qu'il y a quelques années, on avait réussi à trouver un modus vivendi , à mettre un place un dispositif d'information, qui pouvait d'ailleurs parfois être informelle. Je donne maintenant la parole au forum français pour la sécurité urbaine, que je connais bien pour y avoir milité pendant une vingtaine d'années. Ce que j'appréciais notamment, c'est son travail en lien avec le forum européen pour la sécurité urbaine, qui permet d'avoir un retour d'expérience de collègues étrangers. Vous m'avez appris au début de cette table ronde la mort de M. Michel Marcus, qui était le fondateur et un peu l'âme de ce forum. Je souhaite profiter de cette audition pour lui rendre un hommage appuyé et ému.

Émilie Petit, chargée de mission au forum français pour la sécurité urbaine. - Monsieur le Président, je vous remercie pour cet hommage. M. Marcus a quitté le FFSU il y a à peine un an. Tout d'abord, je vous prie d'excuser l'absence de l'adjoint au maire de Sarcelles, qui a eu une contrainte de dernière minute. Je souhaite rebondir sur quelques propos. En ce qui concerne l'articulation entre villes et État, et le fait que les maires ne reçoivent que peu d'informations, cela dépend beaucoup des territoires. Cela a été un peu lent à se mettre en place, mais de plus en plus de villes commencent à être associées à ces cellules départementales. Au niveau européen, il y a des initiatives intéressantes. Nous travaillons au niveau politique en se nourrissant d'un aller-retour permanent, qui accompagne les collectivités territoriales sur des sujets techniques. Des travaux ont déjà été initiés il y a 4 ans par nos voisins belges et néerlandais. Après les attentats de janvier 2015, les villes françaises se sont mobilisées. Certains pays sont donc plus avancés que nous. Suite à ces travaux, un premier consensus en termes d'approches apparaît : il y a des liens entre délinquance et radicalisation. Une grande partie des causes sous-jacentes sont similaires. Aussi, il est plutôt intéressant d'intégrer les politiques de lutte contre la radicalisation à des politiques transversales existantes, sans créer de dispositifs ad hoc . Il faut former les professionnels, les associations qui intervenaient déjà et qui connaissent ces problèmes et les renforcer. Les villes de Rotterdam, de Bruxelles et d'Aarhus ont pris des initiatives très intéressantes à cet égard. De nouvelles actions de lutte contre la radicalisation ont été développées au sein de partenariats existants. En ce qui concerne l'échange d'informations confidentielles, cela n'a pas posé de problème particulier, car elle se faisait déjà en matière de lutte contre la délinquance. Les mêmes cadres sont utilisés pour la prévention de la radicalisation.

En France, nous avons observé un recul par rapport aux partenariats qui pouvaient exister il y a quelques années, pour des raisons, certes légitimes, de crainte ou de déontologie. Le FFSU a voté une résolution début octobre appelant à un renforcement des partenariats.

En outre, les travaux menés dans les villes montrent l'importance de la prévention primaire, mais aussi de la prévention secondaire et tertiaire, notamment en matière de récidives et de peines alternatives. Il y a des pays où ces questions ont commencé à être traitées, notamment parce qu'il y a déjà eu des retours. Il faut mettre sur la table le travail commun. Les collectivités territoriales ont quelque chose à apporter.

L'une des activités du forum est la formation. Nous avons participé à la formation de nouveaux élus. Au début, elle portait sur la sensibilisation, la compréhension du processus de radicalisation, le rôle du maire, la manière de s'adresser à la population, avec un discours équilibré qui ne soit pas que dans la réaction et l'émotion, ou encore le soutien du politique, qui confère une légitimité aux actions menées. En effet, certains élus se posent encore des questions sur leur rôle à jouer. Du coup, cela freine le développement d'actions locales. Nous allons entrer dans une seconde phase : des formations par territoire, des réponses à des demandes spécifiques, en invitant les partenaires locaux. La question de l'accompagnement des familles et du contre-discours sera abordée. Nous accompagnons actuellement trois villes, Lille Métropole, Valenciennes et Strasbourg, qui ont intégré la question de la prévention de la radicalisation dans leur contrat de ville. Nous les aidons à mobiliser leur partenariat, afin de faire un diagnostic local et de monter un plan d'actions. Nous menons également une réflexion sur l'importance d'insérer la lutte contre la radicalisation dans les autres piliers du contrat de ville.

Luc Carvounas. - Si on veut que cela fonctionne, il faut que les maires soient dans la boucle, mais aussi qu'ils tiennent la barre. Or certains, collègues, de toute obédience politique, ont parfois un comportement particulier vis-à-vis de cette question.

Jean-Marie Bockel. - Nous avons intérêt à avancer dans la clarté sur ces questions. Nous avons commis des erreurs. Certes, lorsque des situations nouvelles émergent, nous naviguons à vue. Mais, une fois le retour d'expériences fait, nous ne pouvons plus être dans l'ambiguïté.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Aujourd'hui, c'est un combat qui dépasse le clivage droite-gauche. Que voulons-nous ensemble pour ce pays demain ? Je ne me résigne pas à laisser l'avenir des quartiers aux mains des communautés. J'ai été élevée dans une République diverse et tolérante. Or, elle a tellement reculé. Il y a des responsables politiques, des élus qui n'ont pas été très clairs sur ce sujet, à droite comme à gauche. Il existe une peur chez les citoyens aujourd'hui sur l'avenir du vivre-ensemble. La radicalisation est un vrai problème dans nos villes. Il faut avoir un discours clair, et l'État doit nous faire confiance.

En outre, il y a quelque chose d'inquiétant dans ce qui se passe dans nos écoles aujourd'hui. L'Éducation nationale doit être avec nous. Aujourd'hui, c'est le maire qui protège les enseignants, ce n'est pas l'Éducation nationale. Et ce n'est pas normal. Il y a plein de chose à réécrire, ensemble.

Grégoire Le Blond. - Je souhaite revenir sur les peines alternatives. Une peine courte coûte à la collectivité 100 euros par jour. C'est aussi le coût d'un agent du SPIC qui peut s'occuper de trois détenus en peine alternative.

Le maire a un mandat tourné vers l'humain, et cet aspect n'a pas été évoqué. Il est employeur. Aujourd'hui, il n'est pas en capacité d'avoir toutes les informations nécessaires pour le recrutement de ses effectifs, de connaître le passé de certains agents. Comment peut-on faire une enquête préalable à l'embauche ?

Enfin, que ce soient par les dotations, le FIPD ou une meilleure collaboration des services de l'État, nous attendons aujourd'hui un vrai signe de la part de l'État, et pas seulement des circulaires qui nous disent de faire plus avec moins de moyens.

Isabelle Santiago. - Je partage beaucoup de choses qui viennent d'être dites. Le temps du politique, du débat est long. Or on ne l'a pas ici. Il faut un partage de la transversalité.

Enfin, en ce qui concerne la protection de l'enfance, nous sommes tenus par des textes très contraignants. Il faut aborder les limites posées par ces textes. Il faut pouvoir mettre en place une coopération où chacun, dans la confidentialité, peut évoquer le cas d'un jeune. Nous n'avons plus de temps à perdre. En effet, ils vont beaucoup plus vite que nous.

Luc Delbreuil. - En conclusion, je pense qu'il faut développer les expertises de proximité et décloisonner en travaillant autour du secret partagé.

Émilie Petit. - Les villes françaises commencent à mettre en place des actions concrètes. Bagneux, Bordeaux, Sarcelles, Toulouse et Paris font d'ailleurs partie d'un programme financé par la Commission européenne et soutenu techniquement par le Forum européen pour la sécurité publique. À Bordeaux, a été mis en place, via le Caprii, l'un des premiers dispositifs locaux : accompagnement des professionnels par une association, qui suit également des cas individuels en partenariat avec la cellule départementale, travail avec des psychologues, des imams. Un travail vers les jeunes, mais aussi sur un contre-discours est prévu.

Luc Carvounas. - C'est un sujet sans obédience politique. Le maire est le mieux habilité à avoir la connaissance de son territoire. Mais tout cela nécessite de l'argent. Je souhaitais interpeller le gouvernement lors du débat sur le projet de loi de finances. En effet, une enveloppe de 50 millions d'euros a été débloquée pour sécuriser les écoles. Or, il y a en France 53 000 écoles. Un sas et un visiophone coûtent 4 000 euros. Le calcul ne tombe pas juste. Et, faut-il le rappeler, c'est vers nous, élus locaux que le citoyen se tourne s'il se passe quelque chose.

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