TROISIÈME PARTIE : QUELLE GOUVERNANCE POUR LA PSYCHIATRIE DES MINEURS ?

A de multiples égards, la psychiatrie des mineurs, plus que d'autres disciplines médicales, ne peut être pensée isolément. Il est nécessaire de prendre en compte ses interactions et implications réciproques avec la psychiatrie des adultes. De plus, elle doit intégrer les dimensions, non seulement sanitaires mais aussi sociales et médico-sociales, des pathologies et de leur prise en charge.

La minorité du patient soulève pour sa part des enjeux spécifiques en termes de consentement et de relations avec les titulaires de l'autorité parentale et les différents intervenants du parcours éducatif et social de l'enfant et de l'adolescent.

La possibilité avérée de guérir certaines pathologies prises en charge précocement rend d'autant plus légitimes les attentes quant aux moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics. La prise en charge au long cours des maladies dont seuls les symptômes peuvent être atténués impose elle aussi une organisation coordonnée des multiples réponses possibles.

Dès lors, disposer d'une vision cohérente de la psychiatrie des mineurs apparaît, bien que difficile, absolument indispensable. Or cet objectif ne paraît pas atteint dans les conditions actuelles.

Incontestablement, des efforts ont été entrepris depuis plusieurs années pour élargir et adapter l'offre de soins. De nombreuses innovations ont vu le jour. La psychiatrie a également fait l'objet de rapport nombreux, qu'ils soient d'origine gouvernementale ou parlementaire, et de plusieurs plans dont le dernier en date est le plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015. Malgré cela, la situation de la psychiatrie des mineurs ne s'est pas véritablement améliorée et semble même pouvoir se dégrader dans les années qui viennent. Par ailleurs, de multiples plans gouvernementaux traitent d'une partie des questions qui en relèvent, ce qui contribue à morceler les approches. La politique en la matière paraît, somme toute, insuffisamment ambitieuse.

Les multiples états des lieux, d'ailleurs concordants, n'ont pas abouti à ce jour à un programme d'actions mobilisant tous les acteurs. Les pouvoirs publics ne semblent pas avoir été en mesure d'aller au-delà de la concertation pour préconiser des mesures fortes. Certains gouvernements ont fait le choix de la contrainte, qui s'est heurtée à l'incompréhension et au refus des professionnels, comme à l'occasion de l'examen de la loi « hôpital, patients, santé, territoires » 128 ( * ) et du rapport sur les missions et l'organisation de la santé mentale et de la psychiatrie 129 ( * ) . D'autres ont fait celui d'un dialogue indéfiniment prolongé.

I. UN PILOTAGE QUI MANQUE ENCORE DE LISIBILITÉ

La première condition d'une action cohérente en matière de psychiatrie des mineurs est la mise en place d'un pilotage lisible. La définition et la mise en oeuvre de la politique en matière de psychiatrie des mineurs font intervenir plusieurs niveaux institutionnels : administrations centrales et ARS, agences sanitaires et instances d'évaluation et de concertation. Les organes impliqués dans la gouvernance ont eu ces dernières années tendance à se multiplier, en dernier lieu avec la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. Chacun doit remplir un rôle précis, complémentaire des autres ; il convient d'éviter toute redondance et de susciter de faux espoirs en créant des organismes d'ores et déjà inopérants.

A. LES ADMINISTRATIONS CENTRALES ET LES AGENCES RÉGIONALES DE SANTÉ

La définition et la mise en oeuvre de la politique en matière de psychiatrie des mineurs impliquent, en ce qui concerne le volet sanitaire, à titre principal deux administrations centrales du ministère des affaires sociales et de la santé, la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Le volet médico-social relève pour sa part principalement de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).

1. La direction générale de la santé

La DGS est historiquement chargée de la définition des priorités en matière de politique de santé et du suivi de leur mise en oeuvre. Ainsi que l'ont indiqué ses représentants auditionnés par la mission d'information, son  rôle en matière de psychiatrie des mineurs est de promouvoir la prévention et la prise en charge précoce.

Le Dr Zinna Bessa a ainsi affirmé que : « la position stratégique de la DGS est de définir les priorités de santé en agissant le plus précocement possible. (...) L'un des buts de la stratégie nationale de santé est de réduire les inégalités sociales de santé. Pour ce faire, il faut soutenir la prévention en agissant de la façon la plus protectrice possible : plus on intervient tôt, plus on est efficace. (...) La stratégie nationale de santé s'est traduite par les travaux préparatoires de M. Laforcade et la loi de modernisation de notre système de santé. Sa principale avancée est l'inscription de la santé mentale, enjeu de société, dans une politique globale qui concerne davantage d'acteurs que les seuls spécialistes de la psychiatrie et les malades. La loi reconnaît une place à chacun dans le parcours de santé. Son article 69 insiste sur la spécificité des mineurs et enclenche une dynamique, par l'élaboration de projets territoriaux de santé. » 130 ( * )

La mise en oeuvre du cadre ainsi défini par les pouvoirs publics implique une mise en cohérence avec les initiatives de terrain. Or, ainsi que l'indique le Dr Bessa, « une des difficultés actuelles est le manque de visibilité par absence de pilotage des différentes interventions. L'enjeu est de faire remonter les initiatives et d'insuffler une animation globale ».

Votre mission d'information rappelle qu'il incomberait à la DGS d'assurer ce pilotage d'ensemble. De fait, elle mène un travail de concertation au travers des différents groupes de travail qu'elle anime. Cependant, force est de constater qu'elle ne dispose pas de l'ensemble des leviers nécessaires pour remplir cette mission de pilotage.

Une telle situation est notamment préjudiciable à la mise en place d'un cadre commun à la PMI, à la médecine scolaire et à la médecine universitaire propice à assurer un suivi continu des différents âges par les institutions . S'agissant de la PMI, la DGS mène un travail commun avec l'assemblée des départements de France (ADF). En revanche, la médecine scolaire et la médecine universitaire ne relèvent pas de son périmètre, puisqu'elles dépendent respectivement du ministère de l'Éducation nationale et de celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, et que les limites du travail interministériel sont connues.

A de multiples reprises, cette question de l'articulation entre administrations centrales a été posée et la mission d'information estime elle aussi, au regard de l'importance des enjeux de santé publique, que les périmètres ministériels devraient être clarifiés.

Proposition n°35 : Clarifier le périmètre des administrations centrales quant à la médecine scolaire et universitaire pour répondre à l'objectif de continuité du suivi et de la prise en charge des mineurs et des jeunes adultes.

2. La direction générale de l'offre de soins

La DGOS est pour sa part chargée d'assurer la meilleure organisation possible de l'offre de soins sur le territoire. Elle agit pour ce faire au travers des ARS, lesquelles ont une double compétence sanitaire et partiellement médico-sociale. Chaque ARS ayant une compétence territoriale déterminée, il revient à la DGOS de définir les grandes orientations pour notamment remédier aux inégalités territoriales et aux inégalités d'accès aux soins. Dans le cadre d'une politique axée sur la prévention et la prise en charge précoce, la question centrale est celle de l'adéquation de l'offre aux besoins. L'efficacité de la prise en charge psychiatrique des mineurs est donc au coeur des missions de la DGOS.

Dans ce cadre, celle-ci a installé sous son autorité le 13 janvier dernier le « comité de pilotage de la psychiatrie ». D'après les éléments transmis à la mission d'information, celui-ci rassemble notamment les professionnels, fédérations hospitalières et syndicats, les représentants des familles et des usagers, le président de la conférence des commissions médicales d'établissements (CME) et celui de la conférence des directeurs d'établissements spécialisés en psychiatrie. Selon le Dr Christian Müller, président de la conférence des CME, ce comité a pour mission de « proposer une orientation générale pour [la] discipline. Je pense qu'il faut harmoniser une politique de santé mentale ». Le comité est également chargé de réfléchir aux « modalités d'allocation des ressources et des dotations régionales et interrégionales [et] de repenser toutes les modalités d'allocation de ressources au niveau général, comme le prévoit son programme » 131 ( * ) .

Le comité de pilotage s'est doté d'un programme de travail en douze points qui concernent à la fois les pratiques (par exemple sur la question des soins sans consentement ou de la contention), le financement (avenir de la dotation annuelle de financement, hétérogénéité des tarifs de prestation des établissements privés), d'organisation des soins (démographie médicale, organisation des soins ambulatoires, égalité d'accès aux soins), et de recherche.

Dans les territoires, les ARS sont amenées à assurer un rôle de « chef d'orchestre » de la coordination psychiatrique. Elles doivent accompagner la définition d'un projet territorial de santé mentale, dont l'objet est, comme le prévoit aujourd'hui la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, « l'amélioration continue de l'accès des personnes concernées à des parcours de santé et de vie de qualité, sécurisés et sans rupture » 132 ( * ) . Les compétences des ARS en la matière sont en fait anciennes, s'agissant notamment de l'offre hospitalière et des secteurs. Elles disposent plus largement de moyens pour impulser les évolutions de prise en charge et promouvoir les dispositifs innovants, qu'ils soient de nature législative et réglementaire ou qu'ils résultent d'initiatives des acteurs locaux.

La loi de modernisation de notre système de santé a renforcé la place des ARS en prévoyant plusieurs autres outils pour structurer l'organisation de la psychiatrie sur le territoire. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont le principal outil pour organiser l'offre hospitalière publique. La loi ne prévoit pas de GHT spécialisé en psychiatrie mais pose le principe d'une obligation, pour tout établissement public de santé (y compris les établissements spécialisés en santé mentale), d'être partie à un GHT, sauf dérogation. Ce faisant, elle a suscité un débat sur l'opportunité de supprimer la spécificité d'organisation des établissements spécialisés en psychiatrie.

Dans la majorité des cas, les établissements psychiatriques sont intégrés à des GHT pluridisciplinaires. Selon la DGOS, depuis le 1 er juillet 2016, seuls douze établissements spécialisés en psychiatrie ont bénéficié d'une dérogation 133 ( * ) . Il ressort des auditions de la mission d'information que l'enjeu soulevé par la création de GHT spécifiques est de nature d'abord financière. Ainsi que l'ont indiqué notamment certaines fédérations hospitalières, la réticence qui a pu s'exprimer en certains endroits du territoire face à la création de GHT généralistes s'explique par la crainte de l'absence de pérennisation des crédits accordés aux soins psychiatriques .

Cette crainte que les sommes allouées à la psychiatrie au sein des GHT ne servent à financer les soins de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) ne semble qu'en partie justifiée. Les représentants de l'ARS PACA rencontrés par la mission d'information ont en effet souligné la diversité des cas de figure étant donné que les activités de MCO financent aussi parfois les soins psychiatriques, ce qui conduit à relativiser les inquiétudes. La mission d'information estime en tout état de cause nécessaire de garantir le financement des activités de psychiatrie contre les éventuels arbitrages budgétaires.

Proposition n°36 : Sanctuariser le financement des activités de psychiatrie dans les groupements hospitaliers de territoires (GHT).

Ce débat pose à nouveau la question de la tarification la plus adaptée des activités de psychiatrie dans les établissements hospitaliers . Le droit actuel prévoit l'attribution d'une dotation globale. Ce régime apparaît à la fois plus favorable à certains égards qu'une tarification à l'activité (T2A) et insuffisant pour valoriser l'activité à sa juste mesure. En tout état de cause, votre rapporteur estime que l'application de la T2A en psychiatrie n'est pas opportune compte tenu des spécificités du soin psychiatrique. Une évolution du système actuel paraît envisageable et fait d'ailleurs l'objet d'une réflexion en cours.

La DGOS a indiqué à la mission d'information avoir été saisie par les représentants de la psychiatrie pour « réactualiser les critères de répartition nationaux entre régions et (...) rendre plus transparents les critères de dotation annuelle de fonctionnement opérés par les ARS entre les établissements » 134 ( * ) .

Une réforme plus approfondie a été envisagée par le passé. Il s'agirait de trouver une alternative à la dotation globale, peu porteuse d'innovations, sans pour autant tomber dans les travers de la T2A qui encourage la multiplication des actes.

Proposition n°37 : Faire évoluer le mode de financement des établissements psychiatriques afin de rémunérer de manière plus adéquate les actes de psychiatrie en établissement hospitalier.


* 128 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 129 « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie » d'Edouard Couty, 2009.

* 130 Audition du jeudi 12 janvier 2017.

* 131 Audition du mercredi 1 er février 2017.

* 132 Article L. 3221-2 du code de la santé publique.

* 133 Bretagne : Rennes, Auvergne-Rhône-Alpes : Le Vinatier, Ile-de-France : Ville Evrard, Hauts-de-France : Clermont de l'Oise, Prémontré, Provence-Alpes-Côte-d'Azur : Montfavet, Nouvelle-Aquitaine : Poitiers et Angoulême, Occitanie : Thuir, Corse : Castellucio, Martinique : Despinoy, Guadeloupe : Monterant.

* 134 Audition du mercredi 1 er février 2017.

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