IV. LE MAINTIEN D'INTERROGATIONS UNE FOIS LA SITUATION DE MINEUR NON ACCOMPAGNÉ AVÉRÉE

A. LES CONSEILS DÉPARTEMENTAUX ET LA PRISE EN CHARGE SPÉCIFIQUE DES MNA

1. Un nombre et une charge financière en augmentation progressive

Le premier enjeu auquel les services de l'aide sociale à l'enfance des conseils départementaux se trouvent confrontés réside dans l'élévation progressive du nombre de MNA. Plusieurs départements ont en effet alerté vos rapporteurs sur la progression du nombre de prises en charge de MNA leur incombant dont la valeur absolue paraît encore de faible niveau mais dont le taux de progression suscite l'inquiétude . À titre d'exemple, les conseils départementaux de la Manche et de la Mayenne ont transmis à vos rapporteurs leurs données les plus récentes.

L'évolution des prises en charges de MNA dans deux départements

Source : Conseil départemental de la Mayenne Source : Conseil départemental de la Manche

Ces évolutions sont loin de constituer des exemples isolés. Le président du conseil départemental du Val d'Oise a fait part d'une augmentation de 34 % du total des MNA pris en charge en 2016 par rapport à l'année précédente ; les MNA y représentaient 4 % des personnes relevant de l'aide sociale à l'enfance en 2007, ils en représentent aujourd'hui 22 %.

La principale incidence de la progression des prises en charge de MNA concerne la charge financière . L'ADF, de même que les responsables associatifs, estiment le coût financier annuel moyen d'un jeune admis à l'aide sociale à l'enfance à environ 50 000 euros, à savoir 140 euros par jour . Le Gouvernement estime pour sa part ce montant à environ 40 000 euros . Ce montant moyen décrit imparfaitement la réalité des territoires, car la prise en charge, selon les formes qu'elle prend, peut s'avérer inégalement coûteuse : le coût constaté dans les Mecs peut atteindre 200 euros par jour soit 73 000 euros annuels, alors qu'auprès d'une assistante familiale, le coût global de l'accueil peut varier en fonction des contingences (vêture, transport, scolarité) et se monter à environ 80 euros par jour, ce qui représente un coût annuel d'environ 30 000 euros.

Aujourd'hui, il n'est pas possible de recueillir, au sein de l'ensemble des publics concernés par l'aide sociale à l'enfance, les données financières particulières aux MNA. Au vu des spécificités de leur prise en charge requises par leur état, vos rapporteurs engagent à la plus grande prudence quant à l'interprétation des chiffres rapportés à des montants moyens . Compte tenu du caractère inapproprié de leur admission en Mecs, explicité plus haut, et de leur admission fréquente dans des structures plus légères, il semble plausible que leur prise en charge soit généralement moins coûteuse qu'un mineur non étranger . L'argumentation du nombre de MNA pèse néanmoins fortement sur les dépenses d'aide sociale à l'enfance des départements.

2. L'exercice de la tutelle

Lorsque l'évaluation de la minorité donne un résultat positif et que l'isolement du mineur est constaté, la tutelle doit être assurée par « la collectivité publique compétente en matière d'aide sociale à l'enfance » 80 ( * ) , à savoir le conseil départemental . L'exercice effectif de la tutelle des MNA est lourd d'enjeux puisqu'en dépendent directement le bon déroulement de sa scolarité, du suivi de sa situation médicale et de l'administration de ses avoirs.

Or, l'exercice de la tutelle par le conseil départemental rencontre plusieurs obstacles liés au problème de la dualité entre le juge des enfants et le juge des tutelles. En effet, le juge des enfants, s'il est compétent pour prononcer le placement d'un mineur à l'aide sociale à l'enfance, ne dispose pas du pouvoir de déclarer la vacance de la tutelle et de la déférer au conseil départemental. Là encore, la disjonction de ces compétences s'explique et se justifie par le droit des mineurs non étrangers de bénéficier de mesures d'assistance éducative sans pour autant que la tutelle de leurs parents, présents sur le territoire national, ne leur soit retirée.

Juge des affaires familiales et juge des enfants

Le juge des affaires familiales (JAF) est un magistrat du siège plus particulièrement chargé des litiges liés à l'exercice de l'autorité parentale (article L. 213-3 du code de l'organisation judiciaire), pour lequel il dispose d'une compétence générale. L'article L. 213-3-1 du code de l'organisation judiciaire place l'attribution de la tutelle des enfants mineurs au rang de ses missions. L'article L. 373-2-6 du code civil dispose qu'il règle les questions qui lui sont soumises « en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ».

Le juge des enfants , aux termes de l'article 375 du code civil, intervient en matière civile lorsqu'il est établi qu'un mineur (non émancipé) est en danger, lorsque sa santé, sa sécurité ou sa moralité est menacée, ou quand les conditions de son éducation semblent gravement compromises. Il dispose d'une compétence générale pour tout ce qui concerne l'assistance éducative . Son incompétence en matière d'autorité parentale le contraint à s'efforcer de recueillir le consentement des parents aux mesures qu'il préconise.

Leurs attributions sont potentiellement concurrentes. La compétence du juge des enfants étant limitée, en matière civile, aux mesures d'assistance éducative, le JAF est seul compétent pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. En application de l'article 375-7 du code civil, le père et la mère, dont l'enfant a donné lieu à une mesure d'assistance éducative, conservent leur autorité parentale et exercent tous les rôles qui ne sont pas inconciliables avec l'application de la mesure. Ce texte n'attribue pas au juge des enfants le pouvoir de transférer tout ou partie de l'autorité parentale à un tiers.

Dans le cas des MNA, le placement du mineur auprès du service social départemental devrait immédiatement s'accompagner d'une constatation de la vacance de la tutelle et de son transfert au conseil départemental, que le juge des tutelles est seul compétent à prononcer. Or, les articles 411 et 411-1 du code civil, relatifs à la vacance de la tutelle et essentiellement soucieux du droit des mineurs non étrangers, ne prévoient pas d'automaticité du transfert de la tutelle en cas d'isolement constaté . N'est prévue qu'une « surveillance générale des tutelles de leur ressort » par le juge des tutelles et le procureur de la République qui, dans bien des cas, est insuffisante à détecter rapidement les cas de mineurs allégués dont la tutelle n'est pas effectivement exercée.

L'exercice de la tutelle, dans le cas des MNA, pâtit donc d' une nouvelle rupture juridique préjudiciable à sa continuité . Alors que la minorité et l'isolement sont évalués par le conseil départemental et, éventuellement, par le juge des enfants, le transfert de la tutelle qui devrait directement en découler ne peut être décidé que par le juge des tutelles.

En découlent plusieurs situations paradoxales, et inadmissibles aux yeux de vos rapporteurs, de mineurs isolés placés auprès de l'aide sociale à l'enfance mais sans tutelle effective . Il peut ainsi s'écouler près de huit mois entre un placement auprès de l'aide sociale à l'enfance décidé par le juge des enfants et le transfert de la tutelle au conseil départemental opéré par le juge des tutelles 81 ( * ) .

À plusieurs reprises, le juge a pu être contraint, saisi en urgence dans le cadre du référé-liberté, de procéder au transfert de la tutelle et de faire injonction au conseil départemental d'agir en tant que tuteur 82 ( * ) . Dans ces cas, le juge des tutelles procède fréquemment à la désignation d'un administrateur ad hoc . Aux yeux de vos rapporteurs, l'attribution d'un administrateur ad hoc aux MNA devrait automatiquement suivre le constat d'isolement et de minorité. Il y aurait lieu d'étudier l'information obligatoire et immédiate du juge des affaires familiales par le juge des enfants ou le transfert de cette compétence, pour le seul cas des MNA, au juge des enfants .

Proposition n° 24 : prévoir un rapprochement des offices du juge des enfants et du juge aux affaires familiales :

- a minima , en organisant une information systématique du juge aux affaires familiales par le juge des enfants ;

- a maxima , en organisant un transfert ponctuel de la compétence relative à la tutelle des MNA au profit du juge des enfants.

3. La nécessité d'un mode d'hébergement spécifique ?
a) L'obligation d'hébergement

Une des premières missions incombant à l'aide sociale à l'enfance et au conseil départemental détenteur de la tutelle est d'assurer au MNA un lieu d'hébergement adapté 83 ( * ) . Vos rapporteurs souhaitent préciser d'emblée que la solution hôtelière, dans ces cas, ne leur paraît pas acceptable. Tolérable lors de la phase de mise à l'abri, lorsque cette dernière se limite aux cinq jours prévus, elle n'est plus admissible une fois le jeune évalué mineur et admis à l'aide sociale à l'enfance. Dans certains cas récents relevés par l'actualité, le maintien à l'hôtel de plusieurs MNA confiés à l'aide sociale à l'enfance a pu prendre fin grâce à la saisine du juge des tutelles par des acteurs associatifs.

Vos rapporteurs souhaitent souligner qu'en plus de ne pas permettre un suivi social suffisant des publics accueillis, l'hébergement des MNA en structure hôtelière ne représente pas non plus pour le département d'intérêt économique particulier . Le département de Haute-Garonne, avant l'adoption en avril 2016 d'un plan départemental de protection de l'enfance, hébergeait près de 200 MNA en hôtel pour un coût total de 5 millions d'euros par an, soit un coût moyen de 25 000 euros, à peine moins que le coût d'un suivi par une assistante familiale ou d'un accueil en structure semi-autonome et plus que le coût d'un accueil en famille.

Cela étant, il ne faudrait pas qu'au prétexte de la pertinence de solutions spécifiques, on permette le développement de structures et de dispositifs que bon nombre d'acteurs associatifs estiment largement sous-budgétés . Vos rapporteurs souhaitent alerter sur des pratiques de plus en plus fréquentes tendant à lancer des marchés publics ou des appels à projets avec des prix de journée compris entre 50 et 70 euros, soit entre 18 000 et 25 000 euros annuels 84 ( * ) .

b) L'hébergement en semi-autonomie

Comme indiqué précédemment, la plupart des acteurs associatifs et des conseils départementaux rencontrés par vos rapporteurs ont insisté sur la spécificité du public des MNA et sur la nécessité de développer une prise en charge prenant en compte cette spécificité. La question de leur hébergement en est une des principales manifestations.

De nombreux conseils départementaux ont ainsi adopté une stratégie d'orientation des MNA les plus âgés vers de l'habitat en semi-autonomie . Souvent, les capacités d'accueil des associations restent mobilisées pour les publics les plus vulnérables (dans la plupart des cas, les jeunes de moins de 15 ans et les jeunes filles), et les jeunes garçons de plus de 15 ans, qui forment le contingent le plus important des MNA, sont recueillis dans des structures plus ouvertes, principalement des logements en cohabitation bénéficiant d'un encadrement restreint. Le département du Nord a développé une pratique similaire, la panachant néanmoins avec le recours aux structures classiques : les jeunes de moins de 15 ans intègrent le dispositif classique de l'aide sociale à l'enfance et les jeunes de plus de 15 ans sont accueillis dans des structures dédiées collectives, semi-collectives ou d'autonomie. Vos rapporteurs se montrent plutôt favorables à l'appel aux structures en semi-autonomie, autant susceptible de mieux correspondre aux besoins des MNA que de préserver les finances départementales.

Quelques conseils départementaux rencontrés par vos rapporteurs, dont celui de la Manche, ont pris le parti, plus audacieux, de les orienter vers des appartements sociaux mis à disposition par l'office public de l'habitat (OPH) . Ce type d'option présente une particularité notable : elle échappe au cadre de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles qui fait figurer « les établissements ou services prenant en charge habituellement [...] des mineurs et des majeurs de moins de vingt-et-un ans » au titre de l'aide sociale à l'enfance au nombre des établissements médico-sociaux. L'encadrement juridique de l'hébergement en appartement social présente donc une différence importante avec l'accueil en établissement, puisqu'il suppose la signature d'un contrat de location entre le bailleur social et l'occupant du logement.

Or, si aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit d'attribuer un logement à un mineur, l'incapacité de contracter de ce dernier rappelle la nécessité pour le conseil départemental d'assurer sa tutelle et d'assumer la responsabilité des actes du tutélaire . Ce type d'hébergement, qui repose sur un important lien de confiance entre le mineur et le conseil départemental, recueille toutes les faveurs de vos rapporteurs.

c) L'accueil familial : une solution à encourager

En marge de l'accueil en structure, une autre forme de prise en charge connaît un développement de plus en plus important : l'accueil familial . Fortement déconseillé par vos rapporteurs dans le cas de jeunes en attente d'évaluation pour des raisons précédemment exposées, l'accueil en famille paraît au contraire particulièrement adapté aux MNA ayant fait l'objet d'une évaluation de minorité et d'un transfert effectif de tutelle.

L'accueil familial présente avant tout un caractère bénévole . Il est à ce titre à distinguer du placement auprès d'un assistant familial, qui participe d'un service médico-social. Les accueillants familiaux doivent pour leur part véritablement assurer le rôle de parents, couvrant l'aide aux devoirs, la prise de repas commune et l'accompagnement à des sorties. Afin d'assurer la réussite de ce schéma, qui allie pour le département adéquation de la prise en charge et allègement du coût financier (les familles d'accueil recevant en moyenne une indemnité de 15 euros par jour), deux conditions doivent être rigoureusement respectées :

- l'accueil familial ne peut être ouvert qu'aux profils de MNA ne posant pas de difficulté particulière, comportementale ou scolaire . C'est notamment le parti pris par le département de l'Hérault, remarqué par certains acteurs associatifs comme ayant déployé l'approche la plus pertinente en matière d'accueil des MNA : les plus jeunes (en-dessous de 15 ans) sont orientés vers des familles d'accueil et les moins jeunes sont accueillis dans des structures de type foyer ;

- les familles d'accueil doivent bénéficier d'un suivi des équipes départementales et recevoir une formation minimale leur permettant de recevoir dans les meilleures conditions un mineur ne partageant souvent pas les mêmes références sociologiques ou culturelles.

La « cellule mineurs isolés étrangers » de Loire-Atlantique

Ce dispositif innovant est ouvert aux familles d'accueil une fois opérés l'évaluation de la minorité du jeune et le transfert de la tutelle au conseil départemental . Il est conçu comme un parrainage assuré par ces familles d'accueil, ouvert soit durant les périodes de fin de semaine, soit à temps plein.

Ces dernières, essentiellement bénévoles, touchent une indemnité de 16 euros par jour , soit un versement annuel par mineur de 5 760 euros. Est également assuré un suivi étroit des familles, qui ne sont pas des accueillants professionnels, par une cellule dédiée de quatre travailleurs sociaux.

La Loire-Atlantique est pionnière en la matière. Le développement de l'accueil familial a notamment permis de proposer une alternative aux deux modalités de prise en charge des MNA jusqu'ici pratiquées et plutôt inadaptées : l'accueil en Mecs et l'hébergement hôtelier.


* 80 Article 411 du code civil.

* 81 Conseil d'État, ordonnance du 15 février 2017, n° 407355.

* 82 Tribunal de grande instance de Toulouse, ordonnance du 20 octobre 2016, n° 634/2016.

* 83 Article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 84 À titre d'exemple, le service d'accueil des mineurs isolés étrangers (Samie) du conseil départemental de la Marne, chargé de l'hébergement des mineurs évalués, est financé par un prix de journée de 40 euros.

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