D. UN DISPOSITIF À PERFECTIONNER ET À SÉCURISER POUR LES JEUNES

1. La nécessité d'un accès aux soins
a) L'urgence d'un bilan de soins à l'arrivée

Le besoin d'hébergement n'est pas la seule nécessité imposée par la prise en charge des MNA. À l'issue d'un parcours migratoire souvent périlleux, il peut être urgent de faire passer au jeune migrant un bilan de soins exhaustif.

Certains acteurs associatifs, comme Médecins du monde , ont développé une expertise spécifique dans le domaine des soins prodigués aux jeunes migrants en attente d'évaluation. Cette expertise s'appuie sur la conviction que ce public appelle de la part des acteurs sanitaires une réaction rapide : outre les pathologies liées au parcours migratoire, le soutien psychologique est déterminant dans la prévention des phases de décompensation, qui peuvent parfois prendre des proportions importantes 66 ( * ) . L'association Médecins du monde a développé trois programmes dédiés à Paris, à Caen et à Nantes, qui proposent aux jeunes migrants non-accompagnés un accueil de jour avec des consultations de médecine générale ainsi que des consultations de santé mentale essentiellement guidées par une approche de psychiatrie transculturelle , similaire à celle que dispense le centre de formation Françoise-Minkowska à Paris. Le taux d'encadrement médical y est élevé, à raison de 5 jeunes suivis par médecin. Vos rapporteurs encouragent fortement les agences régionales de santé (ARS) à consacrer des appels à projets expérimentaux au développement de ces initiatives encore trop sporadiques.

Le centre Françoise-Minkowska

Créé par l'association Françoise-et-Eugène-Minkowski, le centre médico-psychologique Françoise-Minkowska est un établissement de santé mentale qui propose une offre de soins dans le cadre de l'anthropologie médicale clinique.

L'équipe pluridisciplinaire est composée de psychiatres, psychologues, anthropologues et d'une assistante de service social. Tous ces professionnels sont formés à la compétence culturelle, qui permet de tenir compte de :

- la dimension culturelle , en valorisant l'importance de l'écoute des souffrances exprimées par le patient à travers ses représentations culturelles,

- la dimension linguistique , en faisant appel à un interprétariat,

- la dimension sociale , en tenant compte de la manière dont les déterminants sociaux (absence d'hébergement notamment) impactent la santé mentale.

Source : Site internet du centre Françoise-Minkowska

Proposition n° 15 : inciter les ARS à développer des appels à projets expérimentaux destinés à assurer des bilans de santé générale et mentale aux jeunes migrants non-accompagnés.

De façon générale, les partenariats développés entre acteurs de la mise à l'abri et acteurs sanitaires sont insuffisants. L'articulation entre ARS et équipes départementales de l'aide sociale à l'enfance ne se fait souvent qu'à l'initiative des conseils départementaux, quand ces derniers en trouvent le temps. Dans quelques cas, les associations délégataires de l'évaluation et de la mise à l'abri disposent d'un infirmier parmi leur personnel. Vos rapporteurs souhaitent que cette pratique soit davantage répandue, qui consiste à accompagner la mise à l'abri d'un examen infirmier minimal afin d'éviter la diffusion de pathologies.

Dans les cas où les associations ne disposeraient pas d'un tel personnel, il paraît important d'assurer aux jeunes migrants dont l'état de santé le requerrait un accès à un bilan de soins réalisé par le centre hospitalier le plus proche. Plusieurs départements, dont la Mayenne, ont déjà conclu des conventions de partenariat avec des établissements hospitaliers allant dans ce sens. Dans le cas de la Mayenne, le protocole signé avec le centre hospitalier de Laval prévoit un bilan pathologique complet comprenant notamment le dépistage d'Ébola et du paludisme dont les résultats sont ensuite envoyés au médecin du service de protection maternelle et infantile (PMI). D'autres départements, comme la Manche, ont inscrit à leur règlement la possibilité « en cas de nécessité impérative » de faire réaliser des soins médicaux urgents.

Proposition n° 16 : encourager la signature de conventions de partenariat entre les acteurs de la prise en charge des jeunes migrants et les centres hospitaliers afin de réaliser des bilans de soins.

b) Les défis de la prise en charge médicale au cours de l'évaluation

Outre sa diffusion sur l'ensemble du territoire, deux autres défis se présentent à la prise en charge médicale des jeunes migrants primo-arrivants.

Le premier tient à l'absence de tutelle 67 ( * ) accordée aux jeunes migrants dans la phase de leur évaluation. En raison de l'absence du titulaire de l'autorité parentale, le professionnel de santé peut légitimement se montrer réticent à pratiquer sur un patient qui se prétend mineur un acte pour lequel le consentement à recueillir doit être celui du représentant légal . L'association Médecins du monde a signifié à vos rapporteurs le risque important que prend un praticien qui engage sa responsabilité médicale en soignant un jeune migrant dont la minorité et l'isolement sont en cours d'évaluation. Conscients des dérives que pourrait entraîner l'attribution d'une « tutelle d'office » provisoire de tous les jeunes migrants en attente d'évaluation, vos rapporteurs préfèrent que soit aménagée la responsabilité médicale des professionnels qui prennent en charge un jeune migrant requérant des soins d'urgence.

Proposition n° 17 : redéfinir les limites de la responsabilité médicale des professionnels de santé lorsque des situations d'urgence leur imposent d'opérer des actes médicaux sur un jeune migrant dont la minorité et l'isolement ne sont pas établis.

Le second défi est relatif à la couverture financière des dépenses de soins engagées pour les jeunes migrants non-accompagnés. Là encore, le système qui leur est applicable dénote la difficulté à penser les contours d'un statut juridique qui leur serait spécifique. Une circulaire de la direction de la sécurité sociale (DSS) de 2011 68 ( * ) conditionne l'éligibilité des jeunes migrants à la couverture maladie universelle (CMU), devenue depuis le 1 er janvier 2016 la protection universelle maladie (Puma), à leur admission à l'aide sociale à l'enfance, autrement dit à la reconnaissance de leur minorité. Les jeunes en attente d'évaluation se trouvent donc éligibles à l'aide médicale d'État (AME) , réservée aux personnes en situation irrégulière.

Cette disposition pose un problème juridique. Le décret du 1 er décembre 1999 69 ( * ) pris pour l'application de la loi instaurant la CMU énonçait comme condition d'éligibilité à la CMU une durée de résidence ininterrompue sur le territoire français d'au moins trois mois. Le décret énonçait limitativement les publics auxquels ce délai n'était pas applicable, parmi lesquels les « personnes reconnues refugiés, admises au titre de l'asile ou ayant demandé le statut de réfugié », mais pas les mineurs non-accompagnés admis au titre de l'aide sociale à l'enfance. Leur éligibilité à la CMU résulte donc d' une lecture extensive des dispositions du décret , que vos rapporteurs ne souhaitent pas contester.

Il leur apparaît d'autant plus surprenant que cette lecture extensive ne bénéficie pas aux jeunes migrants en attente d'évaluation. Outre le support juridique incertain sur lequel repose l'ouverture de la Puma aux MNA évalués présents en France depuis moins de trois mois, vos rapporteurs souhaitent rappeler que la présomption de minorité, qui doit bénéficier au migrant non évalué qui l'allègue, vaut ainsi présomption de régularité du séjour. L'exclusion de la Puma et l'éligibilité à l'AME de ces publics sont donc doublement injustifiées .

Outre l'incohérence juridique, la non-admission des jeunes migrants non-accompagnés à la Puma les empêche d'accéder aux structures de soins psychologiques réservées aux jeunes , telles les centres médico-psychologiques (CMP), dont les frais ne sont pas couverts par l'AME.

Proposition n° 18 : réviser la rédaction du décret et de la circulaire régissant le système de protection auquel sont éligibles les mineurs isolés en faveur d'une éligibilité inconditionnelle à la Puma.

2. L'amélioration de la qualité des évaluations doit permettre de remédier à l'insécurité des parcours

Dans un contexte de méfiance entre les différents acteurs intervenant auprès de l'enfant, le manque de fiabilité des évaluations crée une forte instabilité dans le parcours des jeunes.

a) La question des réévaluations

Il arrive qu'un jeune évalué mineur par un département et orienté en application du mécanisme de répartition géographique vers un autre département subisse alors une nouvelle évaluation conduisant à le considérer comme majeur et donc à lui refuser l'accès à l'aide sociale à l'enfance. Pour les conseils départementaux qui les pratiquent, ces réévaluations se justifient par le caractère manifestement erroné de la première évaluation. Il semble toutefois que ces pratiques ont vocation à disparaître à mesure que les départements améliorent la qualité des évaluations qu'ils mènent et que la confiance mutuelle se développe.

b) Les voies de recours

Le résultat de l'évaluation de minorité conduit le président du conseil départemental à prendre une décision quant à l'admission à l'aide sociale à l'enfance mais ne vaut pas décision juridique quant à l'âge de la personne. Les personnes ayant fait l'objet d'un refus de prise en charge à l'issue de leur évaluation disposent de voies de recours complexes et qui nécessitent des délais importants.

Selon une jurisprudence établie, la décision de non-admission du président du conseil départemental n'est pas susceptible de recours devant le juge administratif, dans la mesure où l'intéressé a la possibilité de saisir directement le juge des enfants afin qu'il prononce une mesure judiciaire de placement, que le département est alors obligé d'appliquer. Cette voie de recours est utilisée, avec une fréquence différente selon les départements, essentiellement à l'initiative d'associations d'aide aux étrangers, dont certaines développent une politique de recours quasiment systématique.

Voies de recours contre un refus de prise en charge

La décision de non-admission du président du conseil départemental étant une décision administrative, elle est en principe susceptible de recours en excès de pouvoir devant le juge administratif. Au demeurant, le Conseil d'État a admis, « lorsque des circonstances particulières justifient », que des mineurs, en principe dénués de capacité juridique, puissent former un référé-liberté 70 ( * ) .

Toutefois, la position constante du juge administratif, affirmée notamment par le Conseil d'État dans une décision du 1 er juillet 2015 71 ( * ) , est de ne pas admettre les recours contre les décisions de non-admission dans la mesure où il est toujours possible au jeune de saisir directement le juge des enfants afin que ce dernier décide d'une mesure de placement.

Ainsi que le souligne l'article 9 du référentiel national (arrêté du 17 novembre 2016), le refus du président du conseil départemental de prendre en charge une personne se disant MNA doit être motivé et notifié. Les voies et délais de recours doivent être indiqués et l'intéressé doit être informé sur ses droits. Il est important que cette notification ne soit pas uniquement formelle mais qu'elle s'accompagne d'explications compréhensibles par le jeune.

La décision du juge des enfants est susceptible d'appel, aussi bien par le jeune que par le département. Vos rapporteurs ont pu constater que certains départements ont choisi de contester de manière parfois systématique les décisions judiciaires leur confiant un mineur.

c) Un manque de confiance préjudiciable aux jeunes

L'utilisation de ces voies de recours par les différents acteurs intervenant auprès des jeunes se disant MNA témoigne parfois d'une certaine défiance entre ces acteurs.

Ainsi, certains départements ont développé une attitude quasi-systématique de recours contre les décisions judiciaires, estimant que les juges des enfants adoptent une position militante en décidant de la minorité d'un jeune sans tenir compte de l'évaluation réalisée.

A l'inverse, certains acteurs associatifs estiment que l'évaluation conduit de manière trop arbitraire à écarter des jeunes qui devraient être pris en charge.

L'amélioration de la qualité des évaluations doit permettre de renforcer la confiance entre ces acteurs, dans l'intérêt des personnes évaluées.

d) La conséquence des délais de jugement pour la prise en charge des jeunes

Compte tenu de l'engorgement que connaissent les juridictions, les différentes voies de recours existantes ont pour conséquence un allongement des délais. Ces délais retardent et donc raccourcissent une éventuelle prise en charge par l'aide sociale à l'enfance et peuvent même conduire un mineur à atteindre la majorité.

Par ailleurs, la situation des jeunes qui ont été évalués majeurs mais ont saisi directement le juge des enfants, que l'on désigne parfois comme des « mijeurs » est particulièrement précaire puisqu'ils n'ont pas accès aux structures réservées aux majeurs.

Parcours du jeune migrant en cours d'évaluation et voies de recours

Source : rapporteurs.

e) L'assistance d'un avocat

De façon générale, la population des jeunes migrants non-accompagnés bénéficie d'un accès difficile à l'assistance d'avocat . Le dynamisme du contentieux dépend grandement de l'investissement personnel de certains avocats, très sensibilisés à la cause et dont l'action se concentre surtout dans les territoires particulièrement concernés par le phénomène.

Afin d'assurer l'égalité d'accès au droit et au procès équitable, vos rapporteurs préconisent que soient développés, sur le thème particulier des jeunes migrants non-accompagnés, les partenariats entre les cours judiciaires et les conseils départementaux d'accès au droit (CDAD), à l'instar de ce qu'a engagé la cour d'appel de Douai.

Proposition n° 19 : inciter au développement de partenariats entre les cours judiciaires et les conseils départementaux d'accès au droit.


* 66 Céline Boutot, dans sa thèse de doctorat de médecine sur la prise en charge de la souffrance psychique des migrants précaires (2017), souligne le cas particulier des MNA comme public particulièrement vulnérable et exposé à des dégradations de santé psychique.

* 67 L'article 390 du code civil organise l'ouverture de la tutelle lorsque les parents sont tous deux décédés ou se trouvent privés de l'exercice de l'autorité parentale. L'ouverture de cette tutelle relève du juge aux affaires familiales, qui n'est généralement pas saisi au stade de l'évaluation.

* 68 Circulaire n° DSS/2A/2011/351 du 8 septembre 2011 relative à des points particuliers de la réglementation de l'aide médicale de l'État, notamment la situation familiale et la composition du foyer (statut des mineurs).

* 69 Décret n° 99-1005 du 1 er décembre 1999 relatif à la condition de résidence applicable à la couverture maladie universelle, pris pour l'application de l'article L. 380-1 du code de la sécurité sociale et modifiant ledit code.

* 70 CE, 12 mars 2014, M. A., n°375956.

* 71 CE, 1 er juillet 2015, Mme B., n° 386769.

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