EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 4 juillet 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Bernard Delcros, rapporteur spécial, sur le programme des interventions territoriales de l'État (PITE) .

M. Bernard Delcros , rapporteur spécial de la mission « Politique des territoires » . - Deux éléments m'ont conduit à mener un contrôle budgétaire sur le programme des interventions territoriales de l'État (PITE), inscrit au programme 162 de la mission « Politique des territoires ». Tout d'abord, la durée des opérations du programme. Lors de sa création en 2006, il a été très clairement indiqué que « l'inscription d'une action au PITE était nécessairement balisée dans le temps ». Or, après une période expérimentale de deux ans, il est resté figé, depuis 2009, autour de quatre actions. Mon deuxième constat concerne le niveau des crédits affectés. Pour prendre le seul exemple du Marais poitevin, le montant des crédits inscrits en loi de finances, qui se situait aux environs de 4 millions d'euros par an depuis près de dix ans, a chuté à 1,2 million d'euros en 2017. Les députés avaient approuvé fin 2016 une hausse de crédits, sur laquelle le gouvernement est revenu en seconde délibération.

En conduisant ce contrôle budgétaire, je m'étais fixé pour objectif de répondre à plusieurs questions. Faut-il poursuivre ce programme ? Quel est son bien-fondé ? A-t-il une plus-value pour les territoires ? Répond-il efficacement à des enjeux spécifiques qui concernent directement l'État ? Quels critères pour sélectionner les actions ? Les montants attribués sont-ils adéquats ? La durée de l'engagement de l'État pour chacune des actions est-elle la bonne ? Enfin, faut-il y inscrire de nouvelles opérations ?

J'ai effectué plusieurs auditions, en particulier sur le cas du Marais poitevin. Je me suis rendu dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Pays de la Loire, où j'ai rencontré les principaux acteurs concernés par cette action, et je me suis entretenu avec le préfet de région Nouvelle-Aquitaine, qui la coordonne. J'ai aussi organisé une réunion de travail avec les sénateurs des départements concernés.

Créé par la loi de finances pour 2006 à la demande des préfets, qui souhaitaient disposer d'une enveloppe de crédits fongibles pour gérer les politiques locales interministérielles, le PITE est un programme budgétaire qui déroge à la lettre et à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : il ne met pas en oeuvre une politique nationale unique mais est composé d'actions territoriales répondant à des enjeux divers comme, par exemple, les algues vertes en Bretagne ou la pollution au chlordécone dans les Antilles. De plus, il est financé par des contributions issues de différents ministères.

Pour bénéficier du PITE, un projet doit satisfaire plusieurs conditions : comporter une forte dominante interministérielle, présenter un enjeu « particulier voire exceptionnel », une nécessité de réactivité - comme ce fut le cas pour la pollution aux algues vertes - ou une dimension interrégionale.

Lors de la phase d'expérimentation, entre 2006 et 2008, huit projets ont été retenus et financés parmi les 30 dossiers déposés par les préfets. Or, depuis 2009, le PITE se limite à seulement quatre actions. D'abord, le programme exceptionnel d'investissements en faveur de la Corse, qui représente les deux tiers des crédits. Puis, l'action « Eau et agriculture en Bretagne », qui contribue au plan de lutte contre les algues vertes et au maintien de la qualité de l'eau, suite à un contentieux européen dans la région. Troisièmement, le plan chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, dont l'action de sensibilisation des populations a récemment été jugée efficace par un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA). Enfin, le plan gouvernemental pour le Marais poitevin.

Dans l'ensemble, les crédits du PITE diminuent depuis 2010. Par ailleurs, aucune nouvelle action n'a été introduite depuis huit ans, alors que des demandes ont été formulées par les préfets de région.

Je veux maintenant évoquer plus particulièrement la contribution du PITE à la mise en oeuvre du plan gouvernemental pour le Marais poitevin. D'une surface de 100 000 hectares, ce marais constitue la deuxième zone humide de France, partagée entre deux régions - Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine - et trois départements - Vendée, Deux-Sèvres et Charentes maritimes. Ce territoire a été marqué par l'extension des grandes cultures céréalières et la disparition accélérée des prairies humides naturelles à partir du milieu des années 1970, ce qui a conduit à la condamnation de la France par la Cour de justice des communautés européennes en 1999 pour manquement à la directive « Oiseaux » - condamnation qui a justifié la mise en place du PITE.

Il existe de multiples dispositifs de protection des milieux naturels et des espèces dans la zone humide : zone Natura 2000, réserves naturelles nationales et régionales, label « grand site de France », etc. Et un très grand nombre d'acteurs interviennent dans la gestion du Marais poitevin, ce qui complique considérablement sa gestion. Il est difficile de tous les citer mais, pour simplifier, on peut retenir qu'il existe des acteurs privés réunis au sein de 41 syndicats de marais, eux-mêmes fédérés en quatre entités distinctes, et une multitude de structures publiques, parmi lesquelles le parc naturel régional, le parc naturel marin, trois syndicats mixtes hydrauliques, l'institution interdépartementale du bassin de la Sèvre Niortaise (IIBSN), un syndicat mixte des réserves de substitution, le conservatoire régional des espaces naturels et, bien sûr, toutes les collectivités territoriales situées dans le périmètre de la zone humide du marais - deux régions, trois départements, huit EPCI et 92 communes. À cette liste s'ajoutent l'établissement public du Marais poitevin (EPMP), qui a été créé par l'État en 2011 pour assumer la compétence de gestion de l'eau et des milieux naturels et apaiser les tensions au niveau local, et bien sûr le préfet de région Nouvelle-Aquitaine, qui assure la fonction de coordonnateur. Il convient de mentionner également le conservatoire régional des espaces naturels, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et la Ligue de protection des oiseaux (LPO), ces deux derniers étant co-gestionnaires de deux réserves naturelles nationales. Cette multitude d'acteurs montre bien le besoin d'une forte coordination par l'État.

Entre 2003 et 2013, l'État a investi 60 millions d'euros, dont près de 60 % au titre du PITE. Sur 260 millions d'euros investis en dix ans dans le Marais poitevin, près de la moitié provient des collectivités territoriales, un quart de l'État, 17 % de l'Union européenne et 11 % de l'agence de l'eau Loire Bretagne. Ces crédits sont allés principalement vers l'hydraulique - gestion des cours d'eau et rénovation des équipements - l'agriculture, pour dissuader les pratiques d'assèchement, et le tourisme.

Le PITE a été utilisé pour financer un complément aux mesures agro-environnementales afin d'inciter au développement de l'élevage et donc au maintien des prairies naturelles humides. Des dispositifs spécifiques comme les prairies communales et les contrats de « maintien de l'eau dans les parties basses des prairies » sont également soutenus par le PITE. Les résultats sont visibles puisque l'extension des surfaces asséchées a été stoppée et la surface de prairies dans la zone du Marais poitevin s'est stabilisée et a même légèrement augmenté en 2015. De plus, le parc naturel régional a reconquis en 2014 son label perdu en 1997. Le PITE a aussi financé l'entretien et la restauration d'ouvrages hydrauliques très anciens et trop longtemps délaissés ainsi que la réalisation de retenues de substitution.

Toutefois, on observe depuis 2015 une baisse importante des crédits du PITE en faveur du Marais poitevin : ces derniers ont quasiment été divisés par trois en 2017 par rapport à une moyenne d'environ 4,5 millions d'euros par an. Cette diminution de crédits ne résulte pas d'une évaluation des besoins sur le terrain et elle n'a pas été anticipée, ce qui a pu mettre les partenaires locaux en difficulté.

En somme, l'action du PITE dans le Marais poitevin a permis de redresser une situation extrêmement délicate, révélée par le retrait du label au parc naturel régional en 1997 et la condamnation de la France en 1999. Sur la durée, on peut considérer que l'action du PITE est positive. Grâce à lui, le préfet de région, très impliqué sur ce dossier, peut fédérer les nombreux acteurs du site pour concilier les usages, poursuivre le plan d'investissement et respecter les nécessaires équilibres. Toutefois, l'efficience de l'ensemble du système, qui mobilise un très grand nombre de structures privées et publiques et d'importants moyens financiers, suscite des interrogations.

Aussi convient-il de préparer sereinement un retour aux modalités classiques de financement à moyen terme, sans pour autant interrompre brutalement le PITE. En effet, les risques de dégradation du milieu naturel subsistent, les grosses réparations de remise à niveau des équipements hydrauliques ne sont pas achevées et les incitations financières au maintien des prairies humides demeurent indispensables.

En résumé, le PITE présente des avantages réels pour répondre à des situations particulières et dont les enjeux dépassent les seules questions locales. Il permet à l'État d'agir rapidement et efficacement pour répondre aux enjeux spécifiques qui le concernent, par exemple de santé publique ou de contentieux européen. Il procure aux gestionnaires - en l'occurrence les préfets de région - une très grande souplesse d'intervention et un moyen d'assurer la cohérence de l'action de l'État au-delà de certaines limites administratives et dans des contextes locaux parfois compliqués. Il offre également davantage de visibilité et de lisibilité aux acteurs locaux, dans la mesure où il regroupe des crédits de différents ministères et permet de financer un plan gouvernemental sur plusieurs années.

Aussi je propose de maintenir ce programme tout en ciblant mieux les actions éligibles et en encadrant davantage les conditions d'accès et de gestion. C'est l'objet des huit propositions suivantes.

Ma première proposition est de maintenir le dispositif PITE en le réservant exclusivement à des opérations qui répondent, à un moment donné, à des enjeux territoriaux particuliers nécessitant l'intervention de l'État, comme par exemple en cas de risque de contentieux européen, de menace pour la santé publique ou pour réduire la fracture territoriale. La deuxième proposition consiste à appliquer réellement la limitation dans le temps des actions du PITE, qui devront ensuite trouver leur place dans le droit commun et les partenariats locaux. La troisième proposition est de réaliser systématiquement des évaluations de la mise en oeuvre de chaque plan d'action tous les trois à quatre ans. Quatrième proposition : faire figurer dans les documents budgétaires les ministères contributeurs et les montants attribués annuellement à chaque action du PITE - aujourd'hui, nous n'avons pas assez de visibilité sur ce point.

Sur le cas particulier du Marais poitevin, je propose d'abord de maintenir l'action « Marais poitevin » du PITE pendant une durée de trois ans, en la dotant de 2,5 à 3 millions d'euros par an en moyenne, afin de donner de la visibilité aux acteurs locaux et de conserver un seuil critique d'intervention. Ainsi, le préfet de région sera conforté dans son rôle important, qui consiste à apaiser les tensions et à rassembler les acteurs. Deuxièmement, je propose de réserver les crédits du PITE, d'une part, aux projets de remise à niveau des ouvrages hydrauliques et aux retenues de substitution, sur la base d'une feuille de route énumérant les opérations prioritaires, et d'autre part aux mesures agro-environnementales en faveur du maintien des prairies naturelles et de leur extension. Par voie de conséquence, l'axe « Développement touristique et économique » du PITE, notamment le projet touristique de navigation fluviale, doit trouver ses financements auprès des acteurs locaux et des crédits d'État de droit commun. Troisièmement, il conviendrait de mettre à l'étude une réforme simplifiant la gouvernance du Marais poitevin. La décision en la matière revient, bien sûr, aux collectivités territoriales et à l'État mais, de mon point de vue, des rapprochements pourraient être encouragés entre les principaux opérateurs hydrauliques. Enfin, je propose une clause de réexamen de l'action « Marais poitevin » du PITE d'ici la fin de l'année 2020. Il s'agirait d'évaluer s'il convient de maintenir encore l'action ou si l'on peut transférer ces crédits vers les programmes budgétaires d'origine. L'idée est de donner un signal aux acteurs locaux et, éventuellement, de permettre le fléchage des actions du PITE vers d'autres territoires.

Mme Michèle André , présidente . - La complexité peut être sans limites, vu la capacité de notre administration à trouver des solutions parfois contradictoires. Ainsi, une condamnation fondée sur la directive « Oiseaux » nous fait découvrir la problématique de l'assèchement des marais...

M. Maurice Vincent . - Quelle est la différence entre le PITE et d'autres dispositifs apparemment similaires, comme les contrats de massif ?

M. Claude Raynal . - Je reste dubitatif. Certes, la diminution des crédits dans tous les ministères ne peut que peser sur le PITE, comme sur les autres programmes. Votre proposition de réserver le PITE à des enjeux territoriaux particuliers n'est-elle pas trop large ? De plus, vous préconisez une limitation dans le temps mais, dans le Marais poitevin, vous recommandez un maintien des crédits à un niveau compris entre 2,5 et 3 millions d'euros pendant au moins trois ans.

M. Bernard Delcros , rapporteur . - Le PITE répond à un enjeu territorial spécifique qui concerne directement l'État, comme par exemple la pollution aux algues vertes qui est un enjeu de santé publique. Les contrats de massif définissent une politique de développement spécifique à la montagne, qui mobilise des crédits européens, nationaux, régionaux et départementaux - quand les crédits du PITE proviennent exclusivement de l'État mais sont issus de différents ministères. Ceux-ci représentent d'ailleurs un total de 30 millions d'euros, ce qui n'est pas considérable. Et quand la France est condamnée par la CJUE, comme ce fut le cas dans le Marais poitevin, l'État doit bien réagir !

C'est la question de la limitation dans le temps qui a motivé mon contrôle, car au renouvellement plus ou moins régulier des crédits a succédé leur diminution brutale en 2017. Je pense qu'il convient d'abord d'informer les acteurs que ce dispositif n'est pas destiné à perdurer indéfiniment. Cela laissera le temps d'achever convenablement la rénovation de certains ouvrages hydrauliques et de préparer les dispositifs de substitution au PITE pour garantir le maintien des équilibres fragiles dans le Marais poitevin. Je rappelle que sans l'intervention du PITE en 2006, l'assèchement du marais se serait poursuivi.

La commission a donné acte de sa communication à M. Bernard Delcros, rapporteur spécial et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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