B. DES CONTRAINTES AGGRAVÉES PAR L'ISOLEMENT DU MONDE RURAL

L'insuffisance de solutions d'accueil de jeunes enfants adaptées aux spécificités du travail agricole, jointe à un accès incertain aux soins dans les « déserts médicaux » ont été régulièrement cités parmi les difficultés rencontrées par les agricultrices, même s'il s'agit là de contraintes liées à la vie rurale et non pas propres au milieu agricole.

1. L'accueil des jeunes enfants

Comme le relevait en 2009 le rapport de notre collègue Jean-Marc Juilhard sur L'accueil des jeunes enfants en milieu rural 140 ( * ) , le développement de solutions d'accueil des jeunes enfants en milieu rural est soumis à deux contraintes : d'une part, la faiblesse du potentiel financier des petites communes, qui rend souvent impossible la mise en place d'établissements collectifs trop onéreux, et d'autre part les horaires de travail atypiques de nombreux parents, qui suscitent un besoin en matière de solutions de garde spécifiques, encore rares dans la plupart des territoires. Ce rapport soulignait aussi que, avec l'accès aux nouvelles technologies, la possibilité de faire garder les enfants conditionne l'installation de jeunes parents en milieu rural.

Selon le rapport du Haut Conseil à l'Égalité sur les inégalités territoriales (« EGAliTER ») 141 ( * ) , publié en juin 2014, les inégalités entre les territoires dans le domaine de l'accueil des jeunes enfants sont doubles, car elles concernent tant leur insuffisance que l' absence de diversité de l'offre.

Il existe ainsi de grandes disparités régionales malgré une offre de places importante chez les assistantes maternelles, l'ensemble des besoins ne serait pas couvert : certaines communes n'offriraient aucune place d'accueil ») aux dépens du monde rural : on comptabilise ainsi 39 places d'accueil de jeunes enfants dans les départements les plus ruraux 142 ( * ) , contre 55 au niveau national 143 ( * ) . Selon le rapport précité de la commission des affaires sociales du Sénat, « 15 départements parmi les plus ruraux étaient les moins bien dotés en offre de garde que la moyenne » 144 ( * ) .

En fonction du département, la capacité d'accueil varie de 10 à 88 places pour 100 enfants de moins de trois ans. Dans les structures collectives , la capacité d'accueil, qui est de 16,6 places pour 100 enfants de moins de trois ans au niveau national, varie de 5,5 à 42 places selon le département. 88 % des communes françaises ne disposent d'aucun établissement d'accueil du jeune enfant alors que plus d'un quart des naissances a lieu sur leur territoire 145 ( * ) .

Les équipements et services permettant l'accueil des jeunes enfants sont de la première importance pour les agricultrices .

La plupart des témoignages entendus au cours de ce travail le montrent : la responsabilité des soins aux enfants pèse encore très largement sur elles 146 ( * ) , avec des conséquences évidentes sur leur organisation quotidienne et des difficultés accrues pour celles qui, engagées dans une organisation professionnelle, sont souvent appelées à s'absenter de l'exploitation. Lors de la table ronde du 4 avril 2017, la présidente de la Chambre d'agriculture de la Lozère a insisté sur la nécessité d'une solide organisation pour éviter que la famille, et plus particulièrement les enfants, « quel que soit leur âge », « souffrent » de ces sollicitations.

L'offre de garde présente dans les territoires ruraux deux spécificités :

• elle est très majoritairement assurée par les assistantes maternelles : celles-ci assurent 87 % de l'offre de garde en milieu rural, 63 % dans l'ensemble du territoire 147 ( * ) . Selon le HCE, se référant en l'espèce à une étude de la DREES, « Du Limousin aux Pays de la Loire, entre 42 et 61 places chez les assistantes maternelles sont offertes pour 100 enfants de moins de trois ans, alors que la moyenne nationale se situe à 37 places offertes » 148 ( * ) ;

• elle repose aussi plus qu'ailleurs sur la scolarisation précoce : « pour compléter une offre de garde plus faible qu'ailleurs, le monde rural scolarise davantage ses jeunes enfants » : « 80 % des départements les plus ruraux présentent un taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans supérieur à la moyenne nationale » 149 ( * ) . Sur ce dernier point, on observe que la scolarisation des enfants de moins de trois ans a été relancée à la rentrée 2016 dans les zones rurales 150 ( * ) , ce qui a été présenté comme une solution pragmatique pour compléter les 70 000 nouvelles places de crèche créées entre 2012 et 2015 : cet aspect de l'accueil des jeunes enfants en milieu rural est donc toujours d'actualité.

Les besoins exprimés dans ce domaine par les interlocuteurs et interlocutrices de la délégation montrent l'intérêt attaché à la flexibilité des solutions d'accueil. En effet, les métiers de l'agriculture se caractérisent à la fois par des horaires souvent contraignants, impliquant parfois des besoins en urgence, y compris les week-ends et les périodes estivales, par des besoins saisonniers, notamment en lien avec les récoltes, et par des moments moins tendus où la disponibilité des parents est plus grande. Il semble donc que doivent être privilégiées des formules permettant non seulement une certaine souplesse d'horaires et de jours de présence de l'enfant, mais aussi un accueil occasionnel , en fonction de l'activité du moment, pour les familles n'ayant pas besoin en permanence d'une solution de garde.

Lors de la table ronde du 4 avril 2017, la présidente de la Chambre d'agriculture de la Lozère a ainsi jugé important de développer toutes les solutions d'accueil en zone rurale : crèches, assistantes maternelles, haltes garderies . Elle a aussi relevé l'intérêt présenté par des formules innovantes telles que des garderies itinérantes aménagées dans des bus par exemple.

Le document transmis à la délégation par les chambres d'agriculture insiste sur la nécessité de lutter contre le « délitement des services publics en zone rurale » et sur l'importance, pour les agricultrices (et agriculteurs) du service de ramassage scolaire , du maintien des crèches et des garderies ainsi que de l'accès à l'école dès l'âge de deux ans .

La création de services aux familles dans les territoires ruraux fait partie des priorités de la MSA . Ainsi que l'ont fait observer les représentants de la Caisse centrale de la MSA lors de la table ronde du 4 avril 2017, la formule des « micro-crèches » (établissements collectifs d'accueil de dix places) a été développée par la MSA pendant la période 2011-2015 : 127 micro-crèches ont ainsi été créées dans 57 départements 151 ( * ) . Selon les informations transmises à la délégation par la MSA, dans les communes rurales, près de la moitié des projets financés par le plan pluriannuel d'investissement pour la création de crèches sont des micro-crèches, la moitié de ces structures étant pilotée par des associations incluant les familles. Les représentants de la Caisse centrale de la MSA ont, au cours de la table ronde du 4 avril 2017, exprimé l'importance qu'attache la MSA à la question des horaires atypiques (soir, week-ends...) et ont évoqué les expérimentations mises en oeuvre dans ce domaine pour améliorer l'offre de solutions.

Parmi les solutions innovantes susceptibles d'inspirer les décideurs, mentionnons la maison de l'enfance multiservices de Châteauneuf-du-Faou 152 ( * ) , mentionnée par le rapport du HCE, constituée d'un relais d'assistantes maternelles et d'un centre « multi-accueil » de 24 places, associés à un accueil-relais organisé avec des associations d'aide à domicile pour prendre en charge les enfants entre 4 heures et 8h30 et 18h30 et 13 heures, chez leurs parents. On notera que cet ensemble s'adresse tout autant à l'accueil régulier qu'à l'accueil occasionnel et d'urgence.

Il semble que parmi les solutions d'accueil, les constats opérés par notre collègue Jean-Marc Juilhard sur l'intérêt des maisons d'assistantes maternelles (MAM) semblent encore valables aujourd'hui : cette formule pèse moins sur le budget des communes que le coût de fonctionnement des crèches et elle permet une vraie souplesse d'horaires 153 ( * ) . 64 % des MAM sont d'ailleurs situées dans des territoires ruraux ; 66 % de ces établissements pratiquent les horaires décalés ou atypiques.

De fait, les maisons d'assistantes maternelles sont considérées comme « une solution pour les territoires ruraux à faible densité de population et dans lesquels il n'existe pas d'alternative » : elles font ainsi l'objet d'un effort renouvelé depuis 2016 . Un soutien particulier leur est attribué dans le cadre d'une « aide au démarrage versée par les caisses d'allocations familiales aux nouvelles MAM qui respectent une charte qualité et qui sont implantées dans des territoires sous-couverts en modes d'accueil » 154 ( * ) .

La MSA contribue à ce développement, plus particulièrement dans les territoires où il y avait un « vivier » susceptible d'y travailler. Depuis la période 2011-2015, la moitié des caisses de MSA ont pris l'initiative d'accompagner les MAM qui réunissent certains critères de qualité.

Lors de la table ronde du 4 avril 2017, Catherine Laillé, présidente de la Coordination rurale de Loire-Atlantique, a par ailleurs soulevé la difficulté tenant aux trajets nécessaires pour aller « récupérer les jeunes enfants » en fin de journée , soulignant un besoin en matière de garde d'enfants à domicile, formule qu'elle a considérée pour sa part comme particulièrement adaptée aux contraintes des agricultrices.

La délégation recommande une attention particulière au développement de solutions d'accueil pour la petite enfance en milieu rural (crèches, micro-crèches, haltes garderies, maisons d'assistantes maternelles) et invite les pouvoirs publics et acteurs locaux à contribuer à la mise en place de structures innovantes prenant en compte les contraintes des métiers de l'agriculture , qui impliquent de pouvoir recourir à des formules souples (accueil régulier, occasionnel, en urgence) et flexibles (horaires décalés, week-ends, jours fériés, période estivale).

2. Des politiques « Jeunesse » dans les territoires ruraux à dynamiser

Ainsi que nous y invite un récent rapport du CESE sur la Place des jeunes dans les territoires ruraux 155 ( * ) , il faut avoir conscience de la faiblesse des politiques « Jeunesse » dans les territoires ruraux . Selon une enquête réalisée en Ille-et-Vilaine citée dans le rapport, le pourcentage de communes ayant inscrit les questions de jeunesse parmi les priorités municipales se limite au quart en milieu rural, elle est de neuf communes sur dix en revanche en milieu urbain 156 ( * ) .

Pourtant, si l'on peut comprendre qu'une taille critique minimale soit indispensable pour permettre d'envisager ces politiques, ce qui exclut de nombreuses communes rurales 157 ( * ) , l'importance de la participation à des activités sportives et culturelles pour les publics jeunes n'est pas à démontrer. Toute initiative locale permettant l'organisation de manifestations sportives ou culturelles ou la réalisation d'équipements de loisirs doit donc être encouragée. Le rapport du CESE constate que les politiques Enfance-jeunesse mises en place au niveau des intercommunalités concernent surtout l'enfance et la petite enfance (75 à 80 % des financements), les activités destinées aux adolescents et aux jeunes représentant entre 15 et 25 % seulement des budgets mobilisés, les publics les moins ciblés étant les jeunes de plus de 17 ans . Selon ce rapport, il s'agirait davantage de manque de volonté politique que de moyens financiers ou techniques 158 ( * ) .

L'exemple 159 ( * ) de la mise en place, depuis 2015, d'une politique volontariste à destination des jeunes dans le pays de l'Ardèche méridionale avec l'appui du Programme d'investissement d'avenir (PIA) 160 ( * ) montre que de telles initiatives sont possibles et qu'elles créent une continuité éducative intéressante sur les territoires de nature à favoriser la participation des jeunes à la vie des territoires et à les encourager à y rester.

La délégation encourage les politiques Enfance-jeunesse conduites au niveau local, juge nécessaire que ces politiques favorisent les activités culturelles et sportives des publics enfants, adolescents et jeunes et soutient celles qui permettent la participation des jeunes à la vie des territoires ruraux.

Elle recommande que les politiques publiques conduites au niveau local prennent systématiquement en compte les jeunes ruraux .

3. Un point crucial : améliorer l'accès au numérique

Tant la Coordination rurale que les chambres d'agriculture soulignent dans les remarques qu'elles ont adressées aux co-rapporteur-e-s les difficultés liées à un accès irrégulier et insuffisant au numérique dont sont privées les « zones blanches ». Les chambres d'agriculture demandent ainsi la couverture de l'ensemble du territoire au numérique et à la téléphonie mobile .

De fait, les aspects administratifs du fonctionnement des exploitations incombant le plus souvent aux agricultrices, faciliter ce travail par l'accès à Internet est indispensable, à une époque où la plupart des démarches s'effectuent en ligne. De plus, de nombreuses applications sont devenues des éléments importants de la gestion de certaines activités agricoles, notamment dans le domaine de l'élevage .

En outre, l'omniprésence du numérique (achats en ligne, notamment de billets de transport, prise de rendez-vous médicaux, télémédecine, soutien scolaire, inscriptions scolaires et universitaires en ligne, organisation du co-voiturage, etc.) est tel que ne pas en disposer complique singulièrement l'organisation quotidienne, a fortiori en milieu rural où le potentiel offert par les technologies numériques compense l'éloignement par rapport aux services disponibles dans les zones urbaines.

Ce constat confirme l'urgence que constitue l'extension à l'ensemble du territoire de la couverture réseau et par conséquent la suppression des « zones blanches ». L'accès à Internet à haut débit, « y compris des services de données mobiles », est d'ailleurs présenté comme une élément déterminant de l'« amélioration de la qualité de vie des citoyens des zones rurales » des pays de l'Union européenne dans le Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales , mentionné précédemment et présenté le 8 mars 2017 par la commission de l'agriculture et du développement rural et la commission des droits des femmes du Parlement européen 161 ( * ) . Ce rapport souligne l'importance des infrastructures numériques pour faciliter les échanges de bonnes pratiques entre femmes au sein des régions rurales ; il estime qu'elles constituent un atout pour maintenir la population féminine dans les zones rurales.

Selon la Coordination rurale et les chambres d'agriculture, un accès incertain au numérique aggraverait l'isolement de certaines agricultrices , même si cet isolement tient probablement surtout au cumul des responsabilités ménagères et familiales et à une charge de travail considérable dans l'exploitation.

La délégation plaide pour une extension rapide, à l'ensemble du territoire, de la couverture réseau et appelle à la suppression urgente des « zones blanches » , car l'accès à Internet et à la téléphonie mobile est devenu un élément essentiel de la gestion des exploitations agricoles et de l'organisation de la vie quotidienne, a fortiori en milieu rural , et parce que l'accès au réseau contribue à limiter l'isolement des agricultrices.

4. L'accès aux soins : la question des déserts médicaux

Les inégalités entre les territoires en termes d'accès aux soins ont été analysées en détails par notre collègue Hervé Maurey dans le cadre de son rapport Déserts médicaux : agir vraiment 162 ( * ) . Celui-ci confirme que le problème de l'accès aux soins ne réside pas dans le nombre des médecins ou des autres professions de santé, mais dans leur inégale répartition sur le territoire 163 ( * ) .

Cet accès inégal aux soins concerne tout particulièrement les femmes à travers l'insuffisance du nombre de médecins gynécologues . Lors de son audition par le groupe de travail ayant donné lieu à la publication du rapport de notre collègue Hervé Maurey, la ministre de la Santé faisait valoir, le 15 janvier 2013, que « 50 % des Français ont des difficultés d'accès aux soins, notamment d'accès aux généralistes et à certains spécialistes, en ophtalmologie, en gynécologie, et dans une moindre mesure en pédiatrie ».

Dans ce domaine, le rapport Déserts médicaux : agir vraiment met en évidence, en s'appuyant sur des données de l'assurance maladie, des délais d'attente malaisément acceptables pour obtenir un rendez-vous : en moyenne, 103 jours pour un ophtalmologiste, 51 jours pour un gynécologue et 38 jours pour un dermatologue. Il relève que ces chiffres sont corroborés par une étude sur l'accès aux soins rendue publique au mois d'octobre 2012 par l'UFC Que choisir : « dans 10 % des cas, il a fallu attendre plus de neuf mois pour un ophtalmologiste et plus de trois mois et demi pour un gynécologue » 164 ( * ) .

Le rapport de notre collègue souligne également une prise en charge très inégale, selon le territoire, de certaines pathologies particulièrement graves : « Dans une enquête réalisée à partir du registre du cancer du Calvados, on a observé que les patients ruraux présentant un cancer colorectal étaient moins souvent traités dans des centres anticancéreux que les patients citadins. Cette différence, en partie expliquée par la distance, est cause d'un retard de consultation , partant, d'un retard de diagnostic et, finalement, d'un pronostic aggravé en termes de chances de survie. De même, le développement de la chirurgie de la cataracte , qui est l'opération chirurgicale la plus fréquente et qui répond à un vrai besoin de la population âgée, apparaît encore très limité aux régions méridionales et atlantiques, avec quelques points forts autour des grandes villes, notamment universitaires » 165 ( * ) .

Compte tenu des difficultés ci-dessus évoquées concernant l'accès à des consultations de gynécologie, on peut douter que toutes les agricultrices, dont on connaît les contraintes d'organisation, consacrent le temps qu'il faudrait au dépistage, pourtant indispensable, des cancers du col de l'utérus et du sein ...

Le rapport du HCE souligne le fait que, en milieu rural, l'éclatement de l'offre de soins ajoute ses effets à la désertification rurale en cours pour « pénaliser plus particulièrement les femmes » en rendant « plus difficile l'accès à la santé sexuelle et reproductive ». Ce rapport pointe le problème du suivi des grossesses , puisque le temps de trajet pour atteindre une maternité est deux fois plus long dans les territoires ruraux que la moyenne française. Il note par ailleurs un accès à l'IVG beaucoup plus complexe 166 ( * ) .

Il est fort peu probable que la situation s'améliore dans un proche avenir 167 ( * ) , si l'on en juge par les projections de la DREES concernant les prévisions de départ en retraite et l'évolution de la démographie des médecins et par la faible attractivité des zones rurales pour les jeunes médecins : une enquête BVA réalisée en mars 2007 pour le Conseil national de l'Ordre des médecins, citée par le rapport de notre collègue Hervé Maurey, montre que 63 % des étudiants en médecine et 60 % des jeunes médecins n'envisagent pas d'exercer en zone rurale. 168 ( * )

Le développement de la télémédecine fait partie des options envisageables pour compenser (très partiellement) une offre de soins défaillante, mais cette perspective se heurte, comme on l'a vu plus haut, au problème de l'accès au réseau, inégal selon les territoires.

Les maisons de santé pluri-professionnelles , qui se sont opportunément développées ces dernières années, constituent probablement une solution à la désertification médicale. Il importe toutefois qu'elles soient conçues de manière à prendre en compte les impératifs de l'accès des femmes à des soins gynécologiques de qualité en y organisant des permanences de médecins gynécologues et de sages-femmes . Peut-être faudrait-il envisager, pour un meilleur maillage territorial, des formules innovantes telles que des bus itinérants équipés pour procéder aux examens indispensables tels que mammographie, échographie et frottis. Ainsi que le souligne le rapport précité du HCE, une formule de ce type a été mise en place dans le département des Deux-Sèvres par le Planning familial pour permettre notamment la présentation des diverses méthodes de contraception. Cette formule, même si elle ne garantit pas nécessairement l'anonymat indispensable plus particulièrement aux jeunes, semble également une piste à explorer pour favoriser l'accès à la contraception dans les territoires où il semble moins aisé.

La délégation souhaite que l'offre de soins gynécologiques soit systématiquement prise en compte dans le cadre des maisons de santé pluri-professionnelles. Elle invite aussi les agences régionales de santé (ARS) à mettre en place, pour compenser une offre de soins éclatée selon les territoires, des solutions innovantes tels que des bus itinérants équipés pour qu'il y soit procédé aux examens de dépistage des cancers du sein et du col de l'utérus et à des consultations en matière de contraception.

5. Un aspect problématique de l'isolement en milieu rural : l'invisibilité des violences au sein des couples

Selon le document transmis à la délégation par la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, les violences faites aux femmes en milieu rural « ne sont pas plus importantes en proportion qu'en milieu urbain, mais elles sont moins facilement écoutées et soutenues par les associations spécialisées ».

Le rapport EGAliTER du Haut Conseil à l'Égalité, ci-dessus mentionné, fait observer que « Bien qu'il soit admis que le phénomène des violences faites aux femmes concerne tous types de territoires et tous types de population, y compris donc les territoires ruraux et les populations qui y résident » 169 ( * ) , les statistiques relatives aux territoires ruraux dans leur globalité manquent . Ce document cite toutefois une étude de la Fédération nationale Solidarité femmes de 2013 sur les violences faites aux femmes en milieu rural à partir de données rassemblées dans la région Midi-Pyrénées. Cette analyse souligne que « les violences faites aux femmes en milieu rural sont niées ou ignorées, par conséquent majoritairement sous-estimées » 170 ( * ) .

Le rapport du HCE relève, dans plusieurs départements ruraux, une augmentation du nombre d'appels au 3919 , numéro national d'écoute anonyme pour les femmes victimes de violences. L'augmentation soulignée est très sensible en Ardèche (41 appels en 2010, 67 appels en 2011 et 88 en 2012) et dans l'Aveyron (où le nombre d'appels a augmenté de 104 % entre 2011 et 2012) 171 ( * ) . Ce document constate également que le « numéro social vert », anonyme et gratuit, mis en place en 2000 dans le département du Gers à l'initiative du conseil général, a vu le nombre d'appels relatifs aux violences faites aux femmes multiplié par 7 entre 2011 et 2012 (entre 2000 et 2012, le nombre d'appel, toutes causes confondues, a augmenté de 2,8 soit un quasi triplement).

Ces statistiques tiennent probablement davantage à une libération de la parole et à une prise de conscience croissante du fléau des violences conjugales , vraisemblablement liée aux campagnes d'information qui se sont multipliées ces dernières années, qu'à une augmentation de ces violences dans le monde rural.

Toutefois, il faut être conscient qu'il existe un certain nombre de freins à la détection, à l'orientation et à l'assistance aux victimes de ces violences en milieu rurale .

Parmi ces obstacles, l' absence d'anonymat caractérisant la vie en milieu rural joue un rôle considérable pour empêcher la dénonciation des violences au sein des couples et à la prise en charge des victimes , a fortiori quand la vulnérabilité et la dépendance économique de celles-ci est aggravée par l'absence de statut au sein de l'exploitation .

Des difficultés tenant à l'absence d'autonomie en matière de transports sont également citées parmi les obstacles à une prise en charge efficace des victimes en milieu rural, de même qu'un maillage territorial insuffisant des structures d'accueil, qui s'appuie notamment :

• sur des associations telles que Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), spécialisées dans les violences faites aux femmes et l'accueil des victimes ;

• et sur des centres d'hébergement spécialisés , destinés aux femmes et aux enfants victimes de violences familiales. Or ces centres sont généralement implantés dans la métropole régionale et difficilement accessibles pour des femmes ne disposant pas d'une solution de transport autonome (l'étude précitée de FNSF sur la région Midi-Pyrénées indique que dans le département du Tarn, qui compte 350 000 habitants, un seul centre de ce type existe 172 ( * ) ).

Le constat de difficultés particulières pour prendre en charge les victimes de violence au sein des couples en zone rurale n'est pas propre à la France. Le Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales présenté le 8 mars 2017 par la commission de l'agriculture et du développement rural et la commission des droits des femmes du Parlement européen 173 ( * ) , précédemment mentionné, invite les États de l'Union à adapter « aux conditions en milieu rural [...] les politiques mises en oeuvre et les services proposés » en la matière de manière à « garantir aux victimes un accès à l'aide ». Ce rapport appelle « les États membres ainsi que les pouvoirs publics régionaux et locaux à veiller à ce que les victimes de violence à l'égard des femmes qui résident dans les zones rurales et isolées ne soient pas privées d'un égal accès à l'aide ».

Le sujet des violences au sein des couples a été évoqué entre notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure, et Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la FNSEA, lors d'une visite au Salon international de l'agriculture le 1 er mars 2017. Jacqueline Cottier a fait état de la cellule de crise et d'écoute mise en place par la MSA , largement relayée par le réseau de la Commission nationale des agricultrices. Elle a estimé souhaitable, dans les territoires, une mise en réseau , autour de la déléguée départementale aux droits des femmes, des différents intervenants susceptibles d'être sollicités dans ce domaine.

Lors de l'audition de Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes, le 27 octobre 2016, notre collègue Marie-Pierre Monier, co-rapporteure, a évoqué la situation des femmes victimes de violence dans les territoires ruraux. La ministre a relevé la difficulté de « déployer le tissu associatif spécifique aux violences faites aux femmes dans tous les cantons » et a jugé pertinente, en conséquence, la solution consistant à faire intervenir les associations spécialisées pour « former les travailleurs sociaux et les personnels socio-éducatifs au repérage des violences faites aux femmes et à leur accompagnement ». Les déléguées départementales et régionales aux droits des femmes semblent être les interlocutrices désignées pour organiser ces contacts et encourager cette mise en réseau .

La délégation se félicite de la mise en place par la MSA d'une cellule de crise et d'écoute dédiée aux violences faites aux femmes en milieu rural . Elle souhaite que cette initiative fasse l'objet d'une large communication et que les agricultrices soient systématiquement informées de l'existence de ce recours.

Afin de favoriser une mise en réseau des différents intervenants susceptibles d'être mobilisés pour lutter contre les violences conjugales en milieu rural, la délégation estime souhaitables la désignation et la formation de référent-e-s agissant comme les relais des associations spécialisé es. Elle recommande donc la formation au repérage, à l'accueil et à l'orientation des victimes de violences , en lien avec les associations spécialisées et avec les délégations départementales et régionales aux droits des femmes, des travailleurs sociaux et des personnels socio-éducatifs.

Elle est d'avis que cette formation doit s'étendre à tous les professionnels médicaux intervenant en milieu rural .

Elle souhaite également que parmi les pistes à étudier dans certains territoires figurent la formation et la désignation, en tant que référent-e-s, de bénévoles d'associations bien implantées localement et dont l'objet se prêterait à cette extension de leurs missions, à condition toutefois que ces bénévoles soient volontaires pour ce type d'action, qu'ils y soient formés par des associations spécialisées et que les subventions allouées soient adaptées à cet élargissement de leur périmètre.

La délégation recommande donc la mise en place d'un tel maillage territorial dans les territoires où aucune structure spécifique n'est p révue pour la prise en charge des violences conjugales, en lien avec les délégations départementales et régionales aux droits des femmes.

Elle rappelle par ailleurs la priorité qui doit s'attacher à la sensibilisation des personnels de gendarmerie intervenant en zone rurale à l'accueil et à l'orientation des victimes de violences au sein des couples.

En conclusion, la délégation soutient la nécessité d'une prise en compte systématique de l'égalité femmes-hommes parmi les dimensions des politiques publiques locales et des politiques d'aménagement du territoire .


* 140 Accueil des jeunes enfants en milieu rural : développer une offre innovante , rapport d'information de M. Jean-Marc Juilhard, fait au nom de la commission des affaires sociales, n° 545 (2008-2009) - 8 juillet 2009.

* 141 Haut Conseil à l'Égalité, Combattre maintenant les inégalités sexuées, sociales et territoriales dans les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux fragilisés , 19 juin 2014.

* 142 p. 143.

* 143 Chiffres de la MSA pour fin 2013.

* 144 Toutefois, selon ce rapport , « certains départements ruraux présentent des taux d'équipement très élevés : la Haute-Loire, l'Indre et la Vendée [apparaissant] ainsi parmi les départements les mieux dotés en structures d'accueil des jeunes enfants ».

* 145 Rapport de l'INED de septembre 2014, n° 514.

* 146 La présidente de la FNSEA a cependant évoqué, lors de son audition, ces agriculteurs qui assurent eux-mêmes la plupart des trajets d'accompagnement des enfants car leur compagne, travaillant hors de l'exploitation, n'est pas disponible à ces moments de la journée.

* 147 Selon les chiffres mentionnés par le rapport précité de la commission des affaires sociales du Sénat (p. 12) et par l'étude du HCE (p. 144).

* 148 Haut Conseil à l'Égalité, Combattre maintenant les inégalités sexuées, sociales et territoriales dans les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux fragilisés , p. 143.

* 149 Rapport précité de la commission des affaires sociales du Sénat, p. 13.

* 150 Comme l'indique le discours prononcé par Laurence Rossignol, ministre des Familles, des droits des femmes et des enfants le 15 novembre 2016 au colloque « Petite enfance : regards croisés sur les modes d'accueil des jeunes enfants » organisé par la DREES.

* 151 Soit un total de 1 870 micro-crèches créées en France depuis 2008 selon une enquête de la CNAF de juillet 2015.

* 152 Communauté de communes de Haute Cornouaille dans le Finistère.

* 153 Rapport précité de la commission des affaires sociales du Sénat, p. 19.

* 154 Voir le discours prononcé par Laurence Rossignol, ministre des Familles, des droits des femmes et des enfants le 15 novembre 2016 au colloque « Petite enfance : regards croisés sur les modes d'accueil des jeunes enfants » organisé par la DREES.

* 155 Danielle Even et Bertrand Coly, section de l'aménagement durable des territoires et section de l'éducation, de la culture et de l'éducation, janvier 2017.

* 156 p. 158.

* 157 Plus de 80 % des communes en France comptent moins de 2 000 habitants selon les statistiques 2015 du ministère de l'Intérieur.

* 158 p. 159.

* 159 Cité p. 160 du rapport du CESE.

* 160 Piloté par le Commissariat général à l'investissement, le PIA a été créé pour financer des projets innovants sur les territoires sur la base de co-financements.

* 161 Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales (2016/2204(INI)), Parlement européen, 2014-2019, A8-0058/2017.

* 162 Rapport d'information de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission du Développement durable, n° 335 (2012-2013) - 5 février 2013

* 163 Ce rapport montre que pour les généralistes , cinq régions de la moitié Nord conservent des densités inférieures à 15 % de la moyenne nationale : les Pays de la Loire, le Centre, la Haute-Normandie, la Picardie et la Champagne-Ardenne (p. 10) ; la densité départementale était en 2011 en moyenne de 137,3 pour 100 000 habitants. Un département sur deux présente une densité inférieure à la moyenne, et un tiers une densité supérieure à la moyenne nationale. S'agissant des spécialistes , la densité varie de 64,3 médecins spécialistes pour 100 000 habitants dans la Haute-Loire, à 501,3 médecins spécialistes pour 100 000 habitants à Paris, soit un écart de presque 1 à 8, quand il est de 1 à 2 seulement pour les médecins généralistes (p. 11). Ces disparités ne se limitent pas aux médecins : alors que la densité départementale des infirmiers libéraux est de 105 pour 100 000 habitants en moyenne nationale, elle varie de 283 en Haute-Corse à 34 dans les Hauts-de-Seine, soit un rapport de 1 à 9. De même, alors que la densité départementale des masseurs-kinésithérapeutes est de 82 pour 100 000 habitants en moyenne nationale, elle varie de 162 dans les Hautes-Alpes à 40 dans l'Indre, soit un rapport de 1 à 4 (p. 12). Concernant les chirurgiens-dentistes , alors que la densité départementale est de 57 pour 100 000 habitants en moyenne nationale, elle varie de 109 à Paris à 29 dans la Creuse, soit un rapport de 1 à 3 (p. 13).

* 164 p. 19

* 165 p. 22

* 166 p. 162.

* 167 Parmi les recommandations concluant le rapport de M. Maurey, mentionnons l'incitation des maisons et pôles de santé, l'exonération du paiement des cotisations d'assurance vieillesse pour les médecins retraités reprenant ou poursuivant une activité dans les zones sous-médicalisées, le développement de formes salariées (centres de santé, remplaçants salariés), l'extension du conventionnement sélectif en fonction de la nature des zones d'installation, une obligation d'exercer pendant deux ans à la fin de leurs études, à temps plein ou partiel, dans les hôpitaux des chefs-lieux de départements où le manque de spécialistes est reconnu par les agences régionales de santé.

* 168 Op. cit., p 26.

* 169 p. 121.

* 170 FNSF, Les violences faites aux femmes en milieu rural , Midi-Pyrénées, étude de novembre 2013, p. 41 (cité par le rapport EGAliTER, op. cit., p. 122).

* 171 Cité par le rapport EGAliTER, op. cit., p. 122.

* 172 Voir le rapport EGAliTER, p. 125.

* 173 Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales (2016/2204(INI)), Parlement européen, 2014-2019, A8-0058/2017.

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