III. UN TRAVAIL EN PROFONDEUR POUR UNE RÉELLE PRISE EN COMPTE DES SPÉCIFICITÉS ULTRAMARINES

A. DES ÉTUDES TRANSVERSALES PLURIANNUELLES POUR UNE ÉVALUATION APPROFONDIE DÉBOUCHANT SUR DES PRÉCONISATIONS CONCRÈTES

Au cours de la période triennale, la délégation s'est saisie de deux sujets de fond dont l'importance est cruciale pour le développement des outre-mer : l'imbroglio foncier et l'inadéquation normative. Elle a choisi de traiter ces sujets complexes sous différents angles donnant lieu à des volets successifs.

1. Une étude pour contribuer à dénouer l'imbroglio foncier

La question du foncier, reflet d'histoires territoriales très différentes, a fait l'objet de trois approches complémentaires : le premier volet a traité la problématique de la gestion du domaine de l'État, une gestion qui stérilise le foncier sans en valoriser les potentiels, avec des focales sur la forêt guyanaise et sur la zone des cinquante pas géométriques ; le deuxième volet, centré plus spécifiquement sur le cas de Mayotte et des trois collectivités du Pacifique, a exploré les difficiles questions de l'indivision et de la conciliation du droit civil et des droits coutumiers ; enfin, le troisième et dernier volet a abordé la question des conflits d'usage et des outils de planification. Au total, à l'aune des constats dressés, la délégation a formulé soixante-dix recommandations dont certaines, de portée législative, ont d'ores et déjà connu une traduction juridique concrète à l'occasion de projets de loi discutés au Sénat.

Ainsi, le rapport de la délégation sur la gestion du domaine de l'État 6 ( * ) a-t-il connu une traduction législative immédiate lors des débats sur le projet de loi de modernisation du droit de l'outre-mer fin juin 2015. Les constats et analyses dressés dans le rapport ont fait référence lors de l'examen du chapitre II portant dispositions relatives à la maîtrise foncière et à l'aménagement, et plusieurs amendements portés par les sénateurs de la délégation ont été adoptés ou retirés au bénéfice d'engagements pris par le Gouvernement. Seul à pouvoir le faire dans les conditions de recevabilité financière posées par l'article 40 de la Constitution, le Gouvernement s'est notamment engagé à transférer de l'État aux régions de Guadeloupe et de Martinique la propriété de la zone des pas géométriques, conformément à une préconisation forte du rapport. Il a également affirmé entendre le souhait des parlementaires d'ouvrir un débat sur la gestion foncière en Guyane, notamment en ce qui concerne le domaine forestier, afin de définir un modèle économique, social et environnemental adapté à ce territoire. Un amendement a en outre été adopté contre l'avis du Gouvernement visant à stimuler la création de forêts communales en exonérant celles-ci de frais de garderie et d'administration afin de donner aux communes guyanaises des ressources nouvelles et de les rendre pilotes de l'exploitation du bois sur leur territoire.

Le deuxième volet de l'étude triennale sur le foncier dans les outre-mer 7 ( * ) a, de même, nourri l'examen du projet de loi sur l'égalité réelle. Les préconisations sénatoriales se heurtant derechef à l'irrecevabilité financière, c'est le Gouvernement qui en a décliné certaines par voie d'amendement en créant, dans le code de l'urbanisme, un titre intitulé « Dispositions relatives au foncier en outre-mer ».

La ministre des outre-mer a salué comme un « travail remarquable » le rapport d'information de la délégation sur la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer et a indiqué qu'il avait « très largement inspiré les amendements du Gouvernement » 8 ( * ) . L'examen du projet de loi a ainsi permis de revenir sur la problématique foncière guyanaise et d'enregistrer de nouvelles avancées : le Gouvernement a reconnu, au bénéfice de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), une exonération pour trois années des frais de garderie et d'administration des parcelles forestières cédées par l'État. En complément, ont été adoptés trois amendements prévoyant, en premier lieu, l'évaluation cadastrale des parcelles exploitées, concédées ou gérées par l'Office national des forêts (ONF) dans un délai de douze mois, en deuxième lieu, la faculté pour les communes et leurs établissement publics de coopération intercommunale (EPCI) d'exonérer l'ONF de taxe sur le foncier non bâti (TFNB) pour une durée maximale de huit ans et, en dernier lieu, l'exclusion des forêts domaniales de Guyane de toute possibilité d'exonération partielle de TFNB avant l'achèvement des travaux d'évaluation cadastrale.

D'autres amendements ont visé à doter Mayotte de dispositifs pour tenter de démêler l'imbroglio foncier : ils ont eu pour objet de permettre à l'établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFAM) de bénéficier de la cession gratuite de terrains appartenant à l'État pour y réaliser des opérations de construction d'écoles, de logements sociaux et d'infrastructures publiques, mais aussi de créer une Commission d'urgence foncière, structure transitoire destinée à accélérer et encourager la régularisation foncière à Mayotte en collectant et en analysant les éléments propres à inventorier les biens fonciers et immobiliers, en établissant des états des lieux des possessions et usages fonciers. Une autre proposition de la délégation, tendant à permettre la cession gracieuse de terrains de la zone des pas géométriques (ZPG) afin d'aligner les possibilités offertes par l'État sur celles offertes par le Département, a poussé le Gouvernement, sans aller cependant jusqu'à la gratuité, à prévoir une décote pouvant atteindre 95 %.

2. Une étude pour inciter à desserrer le frein normatif

La seconde étude pluriannuelle a porté sur la question normative, conférant une dimension ultramarine au travail entrepris sur ce sujet par les différentes instances du Sénat sous l'impulsion de son Président.

Dans une démarche pragmatique, la délégation a choisi d'étudier l'impact de la problématique normative sur deux secteurs d'activité majeurs pour les outre-mer : l'agriculture et le BTP. Bien qu'obéissant à des logiques organisationnelle et fonctionnelle très différentes conduisant à des architectures normatives également fort distinctes, les investigations ont montré dans les deux cas que la contrainte normative pouvait avoir des effets vertueux en stimulant la créativité et en obligeant à développer des avantages comparatifs en misant sur les différentiels qualitatifs. Mais elles ont aussi démontré que, plus que l'excès de normes, l'inadaptation de celles-ci et l'absence de prise en compte tant au niveau national qu'au niveau européen des spécificités ultramarines, climatiques notamment, bridaient le développement des territoires et constituaient des freins importants à la valorisation de ressources locales.

a) L'agriculture

Sur le volet agricole, les travaux ont montré que les filières ultramarines souffraient de la prégnance des usages phytosanitaires orphelins et de la fragilité de la couverture phytopharmaceutique, de l'inadaptation des procédures d'homologation, d'exigences moins rigoureuses pesant sur les produits d'importation et d'un système de contrôle lacunaire. Une vingtaine de propositions ont été formulées pour faciliter l'acclimatation des normes et la prise en compte des caractéristiques tropicales, pour faciliter les stratégies de labellisation et de montée en gamme ainsi que pour renforcer les contrôles sur les denrées d'importation concurrentes et assurer de meilleures protection et information du consommateur européen.

Les conclusions et recommandations de la délégation ont connu un réel écho. Intégrées dans une résolution européenne 9 ( * ) , elles sont devenues des propositions du Sénat grâce à un vote d'adoption à l'issue d'un débat en séance publique le 22 novembre 2016. Sollicité par la Commission européenne, le président de la délégation a pu en faire une présentation détaillée devant les nombreux participants du 4 e Forum des régions ultrapériphériques à Bruxelles le 30 mars 2017. Une présentation en a également été faite dans le cadre du Salon international de l'agriculture, le 1 er mars 2017, lors d'un colloque organisé par l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) sur le thème « Mieux valoriser les produits agricoles et transformés ultramarins par l'identification de l'origine et de la qualité ».

b) Le BTP

Concernant le secteur de la construction, les constats effectués ont révélé un système de production de normes réglementaires et professionnelles très centralisé et oublieux des outre-mer, débouchant sur une architecture normative touffue et inadaptée aux spécificités ultramarines, induisant des surcoûts et des pathologies récurrentes. Afin de relayer les préoccupations des acteurs locaux, trente-cinq recommandations ont été formulées pour développer l'expertise sur des modes de construction adaptés aux contextes ultramarins et décentraliser la production de normes pertinentes tout en facilitant la validation des initiatives innovantes et l'approvisionnement en matériaux, mais aussi pour réviser les réglementations pénalisantes ou aberrantes et développer la coopération avec les pays de l'environnement régional.

La délégation se félicite qu'avant même l'adoption du rapport d'information son initiative de mener une étude sur les normes applicables au secteur du BTP outre-mer ait contribué à créer une dynamique de terrain à La Réunion où un groupe de travail s'est constitué rassemblant la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics (FRBTP), la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), les assureurs, les architectes, les promoteurs, les bureaux d'étude et de contrôle ainsi que la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) pour formaliser des propositions concrètes d'ajustement des normes à partir d'un consensus partagé sur les points de blocage.


* 6 Rapport d'information n° 538 (2014-2015) du 18 juin 2015, fait au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer « Domaines public et privé de l'État outre-mer, 30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile », par M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur, et MM. Joël Guerriau, Serge Larcher et Georges Patient, rapporteurs.

* 7 Rapport d'information n° 721 (2015-2016) du 23 juin 2016 sur « Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires », fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer par MM. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur, et Mathieu Darnaud et Robert Laufoaulu, rapporteurs.

* 8 J.O. Débats Sénat, séance du 19 janvier 2017.

* 9 Résolution européenne n° 26 (2016-2017) du 22 novembre 2016 sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques.

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