C. UNE ORGANISATION DU TRAVAIL À MODERNISER

En plus des ambiguïtés précédemment soulevées sur le contenu des missions assignées à chacune des catégories de personnels intervenant en Ehpad, de profonds correctifs sont à apporter au cadre de leur action. Concrètement, votre rapporteur identifie trois leviers principaux susceptibles de rediriger l'organisation du travail en Ehpad vers celle d'un lieu de vie :

- des moyens doivent être donnés au personnel agissant quotidiennement auprès des résidents (principalement les AS-AMP-AES) pour que leurs tâches soient convenablement accomplies ;

- des solutions innovantes doivent être envisagées pour limiter les départs forcés de résidents pour des raisons sanitaires : il s'agit d'assurer une présence médicale (infirmiers) la plus constante possible sans pour autant immobiliser des ressources humaines par ailleurs rares ;

- enfin, la tension que connaissent de nombreux établissements en sous-effectif justifie que soit facilitée l'embauche de personnels pour des temps limités ou à temps partiel.

1. Le problème originel : la gestion du temps
a) Une plage horaire insuffisante

On a précédemment fait référence aux écueils que présentait le PMP comme indicateur du besoin en soins des résidents d'Ehpad. On a pu ainsi voir que cette première étape de la dotation de l'établissement en personnel médical et paramédical n'était pas toujours le reflet, en raison de certains biais de l'indicateur statistique choisi, des besoins réellement exprimés par les résidents.

Une seconde difficulté peut surgir, celle-ci consécutive au recrutement d'un personnel imparfaitement calibré . Elle réside dans la contradiction qu'éprouve le personnel soignant, particulièrement les AS-AMP-AES, à accomplir convenablement ses tâches sous la pression du chronomètre , alors même que ces dernières requièrent un accompagnement humain qualitatif.

Votre rapporteur tient avant tout à souligner que les mesures législatives ayant progressivement organisé la réduction du temps de travail n'ont pu que fortement contribuer à la dégradation des conditions de travail en Ehpad. En effet, la contrainte budgétaire subie par les établissements, associée au caractère incompressible des tâches quotidiennes à accomplir, les ont conduits à concentrer ces dernières sur une plage horaire journalière moins importante 43 ( * ) , généralement de 7,5 heures 44 ( * ) . Or, de l'avis général des associations représentatives du personnel et des directeurs d'établissements, une plage horaire aussi restreinte ne permet pas de prendre en charge de façon satisfaisante les besoins des résidents, souvent exprimés sur une plus grande amplitude.

Compte tenu du contexte contraint des finances publiques, l'embauche ponctuelle de personnels supplémentaires est une solution difficilement mobilisable. Organisée dans le cadre des plans nationaux pluriannuels de développement de l'offre, dont il sera question plus loin, le recours à l'embauche ne semble pas une option ouverte aux établissements à périmètre de soins constant. Par conséquent, deux autres solutions doivent être actionnées : la personnalisation du soin apporté au résident et l' aménagement du temps de travail .

b) Le projet personnalisé du résident : une voie vers des « gains de productivité »

À niveau de personnel identique, plusieurs expérimentations ont été menées, démontrant qu'une approche différenciée de certains soins apportés aux résidents d'un Ehpad permettait de dégager de considérables gains de temps sans détérioration de la qualité du service apporté . Ces expérimentations se sont surtout développées sous l'impulsion de deux anciens professeurs d'éducation physique et sportive, Rosette Marescotti et Yves Gineste, à l'origine d'une nouvelle méthodologie de soins connue sous le nom d' Humanitude . Déployée depuis 1979, cette méthode a été favorablement reçue par les acteurs du secteur, jusqu'à se trouver labellisée et citée en 2016 par Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des personnes âgées.

Une expérimentation menée en 2014 dans l'Ehpad Léonce-Bajart (Nord) a montré qu'en application de la méthode Humanitude , la réduction du nombre de toilettes au lit (respect de l'autonomie résiduelle des résidents) et la suppression des changes systématiques la nuit (respect du sommeil des résidents) se sont traduits par un dégagement important de temps pour les personnels aides-soignants sans diminution du bien-être des résidents 45 ( * ) .

Il s'agit à terme de fonder les tâches des personnels médicaux et paramédicaux non plus sur le projet d'établissement , qui part souvent d'une définition « maximaliste » du soin et donc susceptible d'entraîner des actes systématiques et non requis, mais sur le projet personnalisé du résident . Cette approche « au cas par cas » ne manquera pas de produire d'importants « gains de productivité ».

Proposition n° 11 : substituer progressivement au projet général de soins de chaque établissement une évaluation individuelle des besoins en soins et actes d'aide à l'autonomie de chaque résident afin d'éviter les actes « surabondants » et d'optimiser le temps des personnels.

c) L'aménagement du temps de travail

Les possibilités d'aménagement du temps de travail sont ouvertes aux établissements privés , dont les salariés relèvent le plus souvent de conventions collectives, ainsi qu'aux établissements publics , dont les personnels relèvent de la fonction publique hospitalière.

(1) Une mesure à manier avec précaution : la journée de 12 heures

Comme réponse aux problèmes soulevés par une plage horaire journalière trop restreinte (pression exercée sur les personnels et détérioration du service rendu aux résidents), les possibilités d'extension de la journée de travail à 12 heures semblent une opportunité d'autant plus séduisante qu'elle est indifféremment ouverte au secteur public et au secteur privé et n'entraînerait donc pas de rupture d'égalité.

La journée de 12 heures en Ehpad : des règles relativement homogènes entre secteurs

Les établissements publics peuvent recourir à l'aménagement du temps du travail en application du décret du 4 janvier 2002 46 ( * ) , qui autorise le chef d'établissement à décider la mise en place de journées de 12 heures .

Les établissements privés commerciaux sont, dans leur majorité, régis par la convention collective nationale de l'hospitalisation privée (CCNHP) du 18 avril 2002. Celle-ci se réfère, en matière d'aménagement du temps de travail, à un accord du 27 janvier 2000 47 ( * ) , selon lequel « par accord d'entreprise, la durée quotidienne [de travail] pourra être portée à 12 heures . À défaut d'accord d'entreprise, après information et consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel [...] la durée quotidienne du travail pourra être portée à 12 heures », sachant que « l'amplitude quotidienne du travail [temps de pause inclus] ne pourra excéder 13 heures ».

Les établissements privés à but non lucratif sont pour leur part régis par deux conventions collectives :

- la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 (CCN 51), qui se réfère à un accord du 1 er avril 1999 48 ( * ) selon lequel « la modulation des horaires de travail » peut faire varier l'horaire collectif « d'une semaine à l'autre dans la limite de 44 heures maximum par semaine travaillée ou 44 heures sur 4 semaines consécutives » ;

- la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 (CCN 66), qui prévoit en son article 20.5 que « pour répondre à des situations particulières , [la durée quotidienne du travail] peut être portée à 12 heures conformément aux dispositions légales ».

Ainsi, un Ehpad privé ou public a la possibilité de faire passer la plage horaire journalière d'un salarié de 7,5 heures à 12 heures, sous réserve de temps de récupération ultérieurs. Les modalités de cette mise en oeuvre varient légèrement : ses conditions sont minimes dans le secteur privé commercial, un peu plus contraintes dans le secteur privé à but non lucratif régi par la CCN 66 (« pour répondre à des situations particulières »), plus restrictives dans le secteur public (cf. ci-dessous).

Là encore, plusieurs expérimentations menées en ce sens présentent des résultats positifs. En 2014, l'Ehpad du centre hospitalier de Morteau (Doubs) lance, avec l'appui de l'ARS de Franche-Comté, une organisation des journées de travail de 11,5 heures sur une amplitude de 12 heures. Cette modification a notamment permis d'augmenter les temps de repas (plus 1 heure le matin, plus 45 minutes le midi et plus 30 minutes le soir), de diminuer les temps de relais entre équipes de jour et de nuit et d'aménager des temps d'animation. L'absentéisme du personnel, d'environ 20 % au début de l'expérimentation, est devenu quasi-nul dans les services de l'Ehpad où les 12 heures ont été mises en place, illustrant la satisfaction engendrée par cette redéfinition du cycle de travail espaçant davantage les temps de travail et de repos.

L'expérimentation, menée dans un Ehpad public , n'a pu être organisée que sur la base du volontariat. En effet, contrairement aux Ehpad privés, l'aménagement du temps de travail y obéit à des conditions plus contraignantes . Le décret du 4 janvier 2002 relatif à la fonction publique hospitalière prévoit bien que le chef d'établissement peut « déroger à la durée quotidienne du travail [...] sans que l'amplitude de la journée de travail ne puisse dépasser 12 heures », mais en limite la possibilité au cas où « les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence ». Par ailleurs, une instruction de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du 7 janvier 2015 49 ( * ) cachait avec peine sa réticence au recours à la journée de 12 heures et annonçait la constitution d'un groupe de travail (exclusivement composé de représentants syndicaux) sur le sujet.

Au vu du bilan positif d'une extension de la plage horaire journalière, cette restriction paraît dommageable à votre rapporteur .

Proposition n° 12 : réviser le décret du 4 janvier 2002 afin qu'un Ehpad public puisse plus facilement procéder à des aménagements du temps de travail et mettre en place des cycles de travail fondés sur des journées de 12 heures.

Plusieurs études ont néanmoins souligné que le plébiscite des journées de 12 heures par le personnel des Ehpad n'avait rien de systématique . En effet, « le degré d'acceptabilité de cette organisation du temps de travail dépend en grande partie de l'âge et de l'ancienneté dans le métier du professionnel, de la satisfaction qu'il en retire au regard de son organisation de vie personnelle mais également de la charge et du rythme de travail pendant le service » 50 ( * ) . Il conviendra donc que les directeurs d'établissements veillent à ne pas verser d'un excès à l'autre et soient attentifs à ce que les amplitudes horaires (7,5 heures ou 12 heures) puissent être attribuées en fonction des contingences propres de chaque membre du personnel.

(2) Une pratique à limiter : le travail discontinu

En revanche, une autre modalité d'aménagement du temps de travail semble faire l'unanimité contre elle : le temps de travail discontinu , dit aussi « journées en coupé ». Il convient d'abord de rappeler que le recours au temps de travail discontinu ne peut se décider qu' au moment de l'embauche , et ne peut intervenir après la conclusion du contrat de travail de qu'avec l'accord de l'employé.

Votre rapporteur souhaite ensuite souligner que, contrairement aux possibilités d'extension de la plage horaire journalière, le recours au temps de travail discontinu ne fait pas l'objet de réglementations homogènes entre les secteurs et favorise donc des « ruptures d'égalité » de conditions de travail en Ehpad.

Le temps discontinu : des réglementations hétérogènes

Les établissements publics peuvent recourir au temps discontinu dans les conditions suivantes, définies par le décret du 4 janvier 2002 : « l'amplitude de la journée de travail ne peut être supérieure à 10 heures 30 . Cette durée ne peut être fractionnée en plus de deux vacations d'une durée minimum de 3 heures ».

Pour les établissements privés à but non lucratif :

- aux termes de la CCN 51, un avenant du 4 février 2014 51 ( * ) prévoit seulement que la durée quotidienne de travail, « en cas de travail discontinu, ne peut être fractionnée en plus de 2 séquences de travail d'une durée minimum de 3 heures ». L'amplitude maximale est donc celle du droit commun, avec une possibilité d'extension jusqu'à 12 heures ;

- aux termes de la CCN 66, l'article 20.5 prévoit qu'en cas de travail discontinu, la durée quotidienne de travail, toujours susceptible d'atteindre une amplitude maximale de 12 heures, peut compter « 3 séquences de travail d'une durée minimum de 2 heures ».

Contrairement aux établissements publics, les établissements privés à but non lucratifs ne donnent pas de durée minimale à l'interruption entre deux séquences de travail.

Quant aux établissements privés commerciaux , aucune disposition spécifique de la CCNFP ne régit le travail discontinu, auquel les directeurs peuvent donc recourir dans les limites du droit commun de la convention.

Selon le secteur de l'Ehpad, l'embauche d'un employé en travail discontinu peut induire d' importantes différences en termes de conditions de travail , notamment dans le privé commercial où ces dernières semblent moins protectrices 52 ( * ) . Par ailleurs, le rythme saccadé que suppose le travail discontinu (pics d'activité, temps de pause ne permettant pas toujours un retour au domicile, multiplication des temps de trajet) accentue sensiblement les contraintes subies par le personnel. Ainsi, même si le choix du recours au temps de travail discontinu relève de la politique de l'établissement, votre rapporteur insiste sur la préférence que les directeurs doivent accorder à la journée de 12 heures.

Proposition n° 13 : limiter le plus possible le recours au travail discontinu en Ehpad.

2. La présence médicale en Ehpad : des expérimentations à développer
a) La mutualisation de l'infirmier de nuit

Une étude menée en 2013 par l'Observatoire national de la fin de vie a montré que près d'un quart des résidents qui décèdent en Ehpad de manière non soudaine sont hospitalisés en urgence au moins une fois au cours des deux semaines qui précèdent leur décès, lorsque l'établissement ne dispose pas de présence infirmière la nuit. Cette proportion tombe à 15 % lorsque l'Ehpad dispose d'une telle présence, évitant ainsi un nombre important d'hospitalisations d'urgence inutiles.

Ce constat de la nécessité d'une couverture en présence infirmière de nuit de tous les établissements se double de celui d'une inefficience de la mobilisation d'un équivalent temps plein nocturne par établissement (le temps d'intervention médicale nocturne en Ehpad étant estimé en moyenne à une heure par nuit). Le rapprochement de ces deux exigences a nourri l'idée d'une mutualisation du temps de l'infirmier de nuit sur plusieurs établissements .

Il faut néanmoins signaler que, jusqu'en 2018, ces deux constats n'ont malheureusement pas fait l'objet d'une réponse conjointe de la part des pouvoirs publics. En effet, la couverture de la présence infirmière de nuit a été intégrée à deux plans nationaux de développement des soins palliatifs (le premier en 2008-2012 pour 1,8 million d'euros et le second en 2015-2018 pour 6 millions d'euros), sans mention d'éventuelles mutualisations. Ces dernières n'ont été que le résultat d' initiatives régionales spontanées, par voie d'appels à candidatures , sans qu'aucun crédit n'y soit spécifiquement dédié par les circulaires budgétaires.

Selon les appels à candidatures définis par les ARS, la mutualisation de l'infirmier de nuit peut prendre plusieurs formes, dont les deux plus pertinentes sont la mutualisation de l'infirmier par un Ehpad « tête de pont » auprès d'Ehpad partenaires ou le recours par plusieurs Ehpad à un infirmier de permanence recruté par un établissement de santé ou un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Plusieurs conditions pratiques supplémentaires entourent l'expérimentation, parmi lesquelles la capacité des Ehpad partenaires et les temps de trajet les séparant.

Généralement financée par l'ARS sur l'enveloppe consacrée aux financements complémentaires (plus exactement sur son reliquat une fois engagées les dépenses prévues par la circulaire budgétaire 53 ( * ) ), ces mutualisations sont instrumentées par des conventions tripartites entre l'ARS, la structure porteuse et les structures partenaires. En raison de la nature variable et non pérenne de ces financements , l'expérimentation de l'infirmier de nuit mutualisé se voit souvent menacée d'interruption, alors qu'elle est généralement favorablement accueillie et que ses gains en matière d'hospitalisations évitées sont loin d'être négligeables 54 ( * ) .

Le dossier de presse de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, prenant acte de ces résultats, fait état de la constitution d'une « enveloppe de 10 millions d'euros » pour « la première tranche d'un plan progressif d'extension du dispositif expérimental des astreintes de nuit dans les Ehpad ». Cette mesure ne répond que très imparfaitement à la préconisation formulée par notre collègue députée Monique Iborra de « prévoir dans la budgétisation des établissements la présence d'un infirmier diplômé la nuit en astreinte ou en poste ». Le maintien d'un dispositif expérimental privilégiera probablement le canal financier des financements complémentaires alors que le souhait de notre collègue, auquel votre rapporteur souscrit, aurait été de voir le financement de l'infirmier de nuit intégré à la dotation globale de soins .

Par ailleurs, votre rapporteur tient à souligner que, dans les cas de mutualisation d'infirmier de nuit où ce dernier est de permanence au sein d'un établissement de santé ou d'un Ssiad, la prise en charge financière de ce dernier peut tout à fait se faire à périmètre d'Ondam constant au titre de la fongibilité asymétrique de l'Ondam sanitaire vers l'Ondam médico-social. C'est à ce titre que votre rapporteur encourage particulièrement cette dernière forme de mutualisation, dont il pense qu'elle sera financièrement la moins coûteuse.

Proposition n° 14 : accompagner le processus de mutualisation des infirmiers de nuit en intégrant leur coût dans la dotation globale de soins des Ehpad et en privilégiant les partenariats avec les structures sanitaires.

b) La télémédecine : pour une implication plus forte du médecin coordonnateur

Depuis une décision de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) du 7 septembre 2017, deux actes de télémédecine en Ehpad ont été intégrés à la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) pris en charge par l'assurance maladie 55 ( * ) .

Il s'agit d'abord de la téléexpertise entre l'actuel et le précédent médecin traitant, dans le cas où l'admission d'un résident en Ehpad requiert un tel changement. Cette téléexpertise prend la forme d'une transmission d'avis par moyen sécurisé de l'ancien médecin traitant au nouveau et fait l'objet d'une seule facturation.

Le deuxième acte est la téléconsultation d'un résident en Ehpad par le médecin traitant ou le médecin de garde sur le territoire sur appel d'un professionnel de santé (le plus souvent, un infirmier) pour une modification d'un état lésionnel ou fonctionnel sans mise en jeu du pronostic vital. Cet acte donne lieu à la communication sécurisée par le professionnel de santé au médecin traitant de l'examen clinique du résident, qui peut adresser une prescription thérapeutique par les mêmes canaux . Cet acte est tarifé au même titre qu'une consultation en cabinet et ouvre droit aux majorations de droit commun.

Dans les deux cas, l'accomplissement de l'acte de télémédecine ne peut se faire sans le consentement du résident ou de son représentant légal.

Des cinq actes de télémédecine identifiés (téléexpertise, téléconsultation, télésurveillance, téléassistance médicale et régulation médicale), votre rapporteur estime que des deux retenus pour l'intégration au NGAP sont suffisants pour pallier l'essentiel des situations en Ehpad requérant l'avis d'un médecin, que recoupent les douze profils de soins définis par l'outil Pathos (hormis les profils T 56 ( * ) , pour lesquels la présence physique du médecin reste indispensable).

La téléexpertise et la téléconsultation apportent donc une solution bienvenue au problème de la couverture médicale des Ehpad. L'économie induite pourrait s'avérer très significative : le coût supporté par les régimes d'assurance-maladie pour les actes de télémédecine paraît bien moins élevé que ceux qu'ils assument actuellement au titre des « soins dispensés par des établissements de santé » et des « transports sanitaires » 57 ( * ) , engendrés par les hospitalisations inutiles.

Tels que définis au NGAP, ils présentent néanmoins un risque élevé d'inefficacité en raison de l'exclusion dans laquelle est maintenu le médecin coordonnateur . Ce dernier n'est mentionné que pour le cas de la téléexpertise, à l'égard de laquelle il dispose d'un simple droit d'information sous réserve de l'accord du résident. Conformément au souhait qu'il a précédemment formulé de voir réaffirmé le rôle prescripteur du médecin coordonnateur, votre rapporteur ne peut que plaider pour que son implication dans les actes de télémédecine soit renforcée. Limiter le recours à la téléconsultation au seul médecin traitant ou au médecin de garde risque de considérablement réduire l'efficacité du dispositif.

L'intégration du médecin coordonnateur pourrait néanmoins poser un problème de nature financière . Les actes de télémédecine relevant des régimes de base de l'assurance-maladie, leur couverture financière n'est pas assurée par le forfait global de soins versé aux Ehpad, contrairement aux interventions du médecin coordonnateur, dont la rémunération est fixée forfaitairement 58 ( * ) et qui n'est donc pas ès qualité habilité à pratiquer des tarifications à l'acte.

Ainsi, élargir les interventions du médecin coordonnateur, qui garde la plupart du temps une activité libérale par ailleurs, aux actes de télémédecine sans modifier son mode de rémunération l'expose à un alourdissement de ses tâches et à la baisse de l'attractivité du métier. A contrario , tarifer les actes de télémédecine réalisés par le médecin coordonnateur au même titre que ceux exécutés par un professionnel libéral extérieur présente un risque d'éviction de son activité en établissement au profit d'une activité de consultation libérale déguisée. C'est toutefois cette seconde option que privilégie votre rapporteur, qui ne pourrait être enclenchée qu'à la condition d'un strict respect des temps de présence réglementaires du médecin coordonnateur dans l'établissement, indiqués à l'article D. 312-156 du CASF.

Proposition n° 15 : ouvrir la possibilité au médecin coordonnateur d'accomplir des actes de télémédecine, et de bénéficier de la rémunération à l'acte dans le seul cas où ses temps de présence réglementaires en établissement sont respectés. Dans le cas contraire, ses actes de télémédecine seraient couverts par sa rémunération forfaitaire.

3. L'emploi aidé : un détournement au profit de l'embauche de personnel de remplacement

Plusieurs instruments ont été mis à disposition des établissements d'accueil de personnes âgées dépendantes pour faciliter les embauches de personnels peu qualifiés, notamment les personnels non médicaux parmi lesquels les agents de service hospitalier (ASH) ou les agents chargés de tâches d'entretien ou de cuisine.

Ces instruments ont récemment pris la forme des contrats uniques d'insertion (CUI) et des emplois d'avenir . Ces deux formes de contrats aidés permettaient aux établissements, tant du secteur public que du secteur privé, de bénéficier d'une aide financière de l'État pour chaque embauche, à charge pour eux d'assurer la formation de l'employé, dans l'objectif de son recrutement en CDI au terme de son contrat aidé. Le secteur sanitaire social et médico-social s'est particulièrement mobilisé autour du dispositif des emplois d'avenir en recrutant 92 830 jeunes fin 2016, ce qui représente plus d'un tiers de la totalité des contrats signés dans le secteur non marchand.

De façon générale, leur bilan est contrasté . Les actions de formation entreprises n'ont pas mobilisé de financement suffisant 59 ( * ) , peu de contrats ont débouché sur des embauches pérennes et les établissements ont surtout profité de l'aubaine financière qui leur était offerte pour recruter des personnels de remplacement .

Ce détournement de la finalité première des contrats aidés a été très probablement favorisé par l'encadrement plus strict s'imposant en Ehpad concernant l'usage des crédits non reconductibles 60 ( * ) (CNR). En effet, alors que les établissements médico-sociaux à tarificateur unique se voient reconnaître sous certaines conditions par les ARS le droit d'user de CNR pour couvrir des dépenses de personnel liées à des besoins de remplacement, les Ehpad ne peuvent y recourir que pour financer des dépenses de personnel non pérennes relevant exclusivement de la section soins 61 ( * ) , uniquement des personnels qualifiés. Les instruments de l'emploi aidé ont donc fait l'objet de reports des Ehpad pour le financement de leurs remplacements.

Conséquence de ce succès mitigé des mesures d'emploi aidé, le Gouvernement tend à lui substituer des « parcours emploi compétences » (Pec), dont le cadre est donné dans le récent rapport de M. Jean-Marc Borello 62 ( * ) . Voisins dans leur principe des instruments de l'emploi aidé, les Pec s'en distinguent par le contrôle strict qu'ils appliqueront au respect des engagements de formation qui pèsent sur l'employeur (matérialisé par un entretien systématique avec l'employé trois mois avant l'échéance de son contrat) en contrepartie de l'aide financière de l'État.

Votre rapporteur accueille favorablement cette inflexion mais aurait souhaité qu'elle se double, pour le secteur social et médico-social en particulier, de dispositifs incitatifs à l'embauche de personnel déjà formé, comme les stagiaires aides-soignants par exemple. Dans ce dernier cas, il conviendrait que le bénéfice des Pec ne soit pas limité, comme la circulaire ministérielle le prévoit actuellement aux seuls employeurs publics ou associatifs 63 ( * ) .

Proposition n° 16 : prévoir, dans le prolongement du dispositif des parcours emploi compétence, un dispositif incitatif à l'embauche en Ehpad de personnel stagiaire déjà formé.


* 43 Drees, Étude qualitative sur les conditions de travail dans les Ehpad , op. cit. : « les lois Aubry ont nécessairement amené les Ehpad à refondre leurs organisations de travail pour arriver, le plus souvent, à une réduction journalière du temps de travail plutôt que du nombre de journées travaillées annuellement ».

* 44 Les établissements pratiquent dans leur majorité des semaines de travail de 35 heures sans RTT, soit un travail journalier de 7 heures, auxquelles s'ajoutent 20 minutes de pause.

* 45 A. DAVID, L'organisation du travail en Ehpad : un outil managérial pour le directeur , mémoire EHESP, décembre 2014.

* 46 Décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, article 7.

* 47 Accord du 27 janvier 2000 relatif à la réduction et à l'aménagement du temps de travail du secteur de l'hospitalisation privée et du secteur social et médico-social à caractère commercial, chapitre 2, section 1, articles 2 et 7.

* 48 Accord du 1 er avril 1999 visant à mettre en oeuvre la création d'emplois par l'aménagement et la réduction du temps de travail, article 11.3.

* 49 Instruction DGOS/RH3 n° 2015-3 du 7 janvier 2015 portant annonce de la mise en place d'un groupe de travail de la commission hygiène, sécurité et conditions de travail du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière sur l'organisation du travail en postes d'amplitude 12 heures et rappelant les dispositions réglementaires qui encadrent ce type d'organisation.

* 50 Drees, Étude qualitative sur les conditions de travail dans les Ehpad , op. cit.

* 51 Avenant n° 2014-01 du 4 février 2014, article 05.05.4.

* 52 L'étude de la Drees ( Étude qualitative sur les conditions de travail dans les Ehpad , op. cit. ) relève un témoignage d'une aide-soignante en Ehpad privé commercial dont l'amplitude horaire quotidienne est de 13,5 heures (7h-20h30) en comptant le temps de pause, ce qui ne se rencontrerait pas dans le secteur public (où l'amplitude maximale est de 10,5 heures) ou dans le secteur privé non lucratif (où l'amplitude maximale est de 12 heures).

* 53 Qui comprennent, pour l'exercice 2017, les modalités d'accueil particulières non financées par la dotation globale de soins (UHR et Pasa entre autres), les besoins ponctuels des Ehpad, ainsi que la prise en charge de leurs frais financiers sur opérations d'investissement. Variable d'une région à l'autre, le reliquat est donc assez mince.

* 54 De 80 à 100 millions d'euros pour la seule région Ile-de-France, selon l'ARS.

* 55 Articles 14.9.1 et 14.9.2.

* 56 Les profils T requièrent une surveillance médicale rapprochée.

* 57 Article R. 314-167 du CASF.

* 58 Article D. 312-159 du CASF.

* 59 6,5 millions d'euros en 2016 et 2017 au niveau national pour les emplois d'avenir. La circulaire budgétaire n'interdisait pas aux ARS d'apporter « un soutien complémentaire à la formation des jeunes en emplois d'avenir pour répondre à des besoins supplémentaires », ce qui ne semble pas avoir été beaucoup enclenché.

* 60 Les crédits non reconductibles désignent des crédits dégagés de façon non anticipée en cours d'exercice au sein des dotations régionales limitatives (DRL) par les ARS, qui résultent notamment d'événements de gestion non programmés (excédents). L'utilisation des CNR aux fins de financement de mesures pérennes est par nature proscrite.

* 61 Circulaire n° DGCS/SD5C/DSS/CNSA/2016/126 du 22 avril 2016 relative aux orientations de l'exercice 2016 pour la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées, p. 4.

* 62 J.-M. BORELLO, Donnons-nous les moyens de l'inclusion , rapport à la ministre du Travail, janvier 2018.

* 63 Circulaire n° DGEFP/SDPAE/MIP/MPP/2018/11 du 11 janvier 2018 relative aux parcours emploi compétences et au Fonds d'inclusion dans l'emploi en faveur des personnes les plus éloignées de l'emploi.

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