III. IL EST INDISPENSABLE DE LIMITER DAVANTAGE L'IMPACT DES GRÈVES DE LA NAVIGATION AÉRIENNE, À DÉFAUT DE POUVOIR RÉDUIRE LEUR FRÉQUENCE

Les grèves des contrôleurs aériens constituent la hantise des compagnies aériennes et de leurs passagers , car elles perturbent gravement le trafic aérien.

Le fait que la France soit la championne d'Europe toute catégorie de ces mouvements nuit considérablement à l'image des services de la navigation aérienne français et, plus largement, renforce les clichés sur une France enfermée dans une culture de la grève quelque peu archaïque .

A. LES GRÈVES DES CONTRÔLEURS AÉRIENS FRANÇAIS N'ONT AUCUN ÉQUIVALENT AILLEURS EN EUROPE

Le cabinet Ricardo Energy & Environment a réalisé en janvier 2017 au profit de la Commission européenne une étude sur « les options envisageables pour améliorer la continuité des services de la navigation aérienne en cas de grève ».

Ce document fournit des éléments de comparaisons très éclairants sur les grèves des contrôleurs aériens dans les différents pays européens ainsi que des pistes pour en limiter les effets néfastes pour le secteur du transport aérien.

1. De 2004 à 2016, 67 % des jours de grève du contrôle aérien en Europe se sont produits en France, causant 96 % des retards enregistrés sur cette période

Il ressort de l'étude précitée ainsi que des éléments fournis à votre rapporteur spécial par la DSNA que la France est de très loin le pays où les grèves des contrôleurs aériens sont les plus nombreuses et désorganisent le plus le trafic .

De 2004 à 2016, la France a enregistré 254 jours de grèves des contrôleurs aériens , contre 46 pour la Grèce, 37 pour l'Italie, 10 pour le Portugal et 4 pour l'Allemagne. La France a donc connu 5,5 fois plus de jours de grèves que le deuxième pays figurant sur cette liste fort peu valorisante.

Plus grave encore, chaque jour de grève en France a un impact sur le trafic aérien européen beaucoup plus important que pour les autres pays européens, puisqu'il est évalué à 35 000 minutes par jour de grève contre 1 800 en Grèce, 4 300 en Italie et 4 100 au Portugal.

Si la densité du trafic dans l'espace aérien français doit être prise en compte, ce phénomène s'explique avant tout par la propension des contrôleurs aériens français à faire grève toute la journée , là où leurs homologues européens ne font grève que quelques heures, ce qui perturbe nettement moins le trafic.

L'étude de Ricardo Energy & Environnement estime ainsi que de 2004 à 2016, 67 % des jours de grève des contrôleurs aériens en Europe se sont produits en France et qu'ils sont responsables de 96 % des retards dus à ces grèves . Il note que la Grèce, l'Italie et le Portugal ont aussi connu un nombre de jours de grève significatif, mais que leur impact a été bien moindre.

Les grèves se traduisent également par des annulations de vols , qui pénalisent lourdement les compagnies aériennes et leurs passagers. Ainsi, de 2005 à 2016, les 249 jours de grève survenus en France ont provoqué 162 392 annulations de vols , soit une moyenne de 652 annulations par jour de grève .

Si la moyenne du nombre de vols annulés par jours de grève est équivalente en Allemagne - 600 vols annulés - l'impact total n'est pas du tout du même ordre, les 4 jours de grève n'ayant provoqué que 2641 annulations de vol, soit un nombre 61 fois inférieur.

2. Les grèves de solidarité avec le reste de la fonction publique, une particularité française

L'une des spécificités des grèves des contrôleurs aériens français est la fréquence des conflits sociaux qui ne portent pas sur des revendications spécifiques à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) mais constituent des manifestations de solidarité avec le reste de la fonction publique , voire avec les salariés du secteur privé , dont les problématiques sont pourtant éloignées de celles des ICNA.

Ainsi, la DSNA estime que sur les 76 jours de grève au niveau national qui ont nécessité la mise en place du service minimum depuis 2010, 22 seulement étaient couverts par des préavis de grève DGAC , les 54 restant étant couverts par des préavis de grève de la fonction publique 55 ( * ) .

Cette pratique de la grève par procuration fait qu'en dépit des efforts indiscutables des responsables de la DGAC pour améliorer la qualité du dialogue social 56 ( * ) , le nombre de jours de grève reste très significatif .

Sur les dernières années , la conflictualité ne paraît pas véritablement en recul , puisqu'il y a eu 16 jours de grève en 2016 et 5 jours de grève au cours du premier semestre 2017.

Il convient en outre d'ajouter à ces chiffres nationaux une vingtaine de jours de grève au niveau local depuis 2010.

Lors de l'été 2017, les grèves survenues au centre en-route d'Aix-en-Provence ont ainsi considérablement perturbé le trafic aérien au-dessus du sud-est de la France .

La situation sociale dans ce centre restant très tendue 57 ( * ) , la DSNA craint que l'été 2018 occasionne de nouveau de nombreux retards , voire des annulations de vol .

3. Le coût des grèves des contrôleurs aériens français est considérable pour le transport aérien européen

Le coût de ces jours de grève est soumis à une forte variabilité. Il dépend d'une part, de la participation des ICNA au mouvement, et, d'autre part, de la journée considérée (période de fort trafic aux mois d'été ou à plus faible trafic).

Du point de vue de la navigation aérienne , une journée sans contrôle aérien correspond à une perte de redevances estimée entre 3 millions d'euros et 4,5 millions d'euros pour la direction des services de la navigation aérienne (DSNA).

Mais l'impact des grèves est bien plus important encore sur les compagnies aériennes . Elles se traduisent par des annulations de vol , par des minutes de retard , par des allongements des durées de vol destinées à éviter l'espace aérien qui n'est plus suffisamment contrôlée et provoquent des réactions en chaîne , le retard pris par un avion pouvant par exemple provoquer l'annulation du vol suivant.

Les statistiques d'Eurocontrol permettent d'approcher ce coût pour les compagnies aériennes. En étudiant les jours de grèves survenus depuis 2014 en France, en Grèce, en Italie et en Espagne, il est possible d'estimer que :

- le coût d'une minute de retard représente 110,50 euros , incluant l'effet cascade des retards et la valeur du temps pour les passagers,

- le coût d'un mille nautique supplémentaire en raison d'un changement de route représente 5,72 euros ;

- le coût d'un vol annulé représente 17 600 euros .

En se basant sur ces différents coûts, le cabinet Ricardo Energy & Environment estime que le coût d'une grève des contrôleurs aériens français pour les compagnies aériennes est compris entre 13,5 millions d'euros et 17,5 millions d'euros 58 ( * ) , ce qui est considérable.

S'ajoutent enfin à ces coûts tous ceux que doivent supporter les acteurs du tourisme (hôtels, tous opérateurs), probablement encore très nettement supérieurs à ceux des prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) et des compagnies aériennes.


* 55 Parmi ces 76 jours de grève, 40 ont nécessité la mise en oeuvre de réduction des programmes de vol, dont la totalité des des 22 jours avec des préavis de grève DGAC.

* 56 Les négociations menées au niveau national ont permis d'éviter une vingtaine de jours de grèves supplémentaires depuis 2010.

* 57 Début juin 2018, la DSNA avait déjà dû faire face à cinq week-end de grèves au centre de contrôle en-route d'Aix-en-Provence.

* 58 Le chiffre de 13,5 millions d'euros est calculé sur la base d'un scénario où seuls 25 % des coûts des annulations de vol sont effectivement supportés par les compagnies aériennes, celui de 17,5 millions d'euros se base sur 100 % des coûts à la charge de la compagnie aérienne.

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