B. VERS UNE LOI DIARD POUR LE CONTRÔLE AÉRIEN ?
1. Les contrôleurs aériens français sont soumis à un système d'astreinte destiné à assurer un service minimum en cas de grève
Si les contrôleurs aériens bénéficient du droit de grève consacré par la Constitution , celui-ci doit s'articuler avec cet autre principe constitutionnel qu'est la continuité du service public .
Aussi les aiguilleurs du ciel français sont-ils soumis depuis 1985 à un service minimum dont les principes essentiels sont précisés par la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 59 ( * ) .
L'article 2 de cette loi prévoit qu'en cas de cessation concertée du travail dans les services de la navigation aérienne , doivent être assurés en toute circonstance :
- la continuité de l'action gouvernementale et l'exécution des missions de la défense nationale ;
- la préservation des intérêts ou besoins vitaux de la France et le respect de ses engagements internationaux, notamment le droit de survol du territoire ;
- les missions nécessaires à la sauvegarde des personnes et des biens ;
- le maintien de liaisons destinées à éviter l'isolement de la Corse , des départements et territoires d'outre-mer et de Mayotte ;
- la sauvegarde des installations et du matériel de ces services .
Son article 3 autorise en outre le ministre chargé de l'aviation civile à désigner les personnels indispensables à l'exécution de ces missions , ce qui a permis la mise en place d'un système d'astreinte .
Son décret d'application n°85-1332 du 17 décembre 1985 60 ( * ) précise la liste des services nécessaires à l'exécution des missions déterminées à l'article 2 et indique en particulier que « la capacité offerte pour les survols , dans les espaces aériens gérés par la France, est égale à la moitié de celle qui serait normalement offerte dans la période considérée ».
En outre, 80 % environ des vols au départ ou à l'arrivée des aéroports ouverts (leur liste est là encore fixée par le décret d'application), doivent être assurés .
2. L'absence de préavis individuel de grève nuit à la prévisibilité de l'ampleur des mouvements sociaux
Le délai de préavis en cas de grève est fixé en France à 5 jours pour les contrôleurs aériens et il est respecté par leurs syndicats.
Pour autant, la prévisibilité de l'ampleur de ces grèves demeure très insuffisante car les ICNA ne sont pas soumis aux dispositions de la loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, plus connue sous le nom de « loi Diard ».
Cette loi impose en effet aux « salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols » 61 ( * ) , c'est-à-dire à la très grande majorité des salariés du secteur du transport aérien (compagnies aériennes, aéroports, etc.), une obligation , sous peine de sanctions disciplinaires, d'informer leur chef d'entreprise de leur intention de participer à une grève au plus tard quarante-huit heures avant le début de celle-ci 62 ( * ) . Ils doivent également informer leur employeur au moins vingt-quatre heures à l'avance de leur renonciation à participer à une grève ou de leur volonté de reprendre le travail.
Ces dispositions législatives ont permis d'améliorer considérablement la gestion par les compagnies aériennes de leurs effectifs en cas de grève et ainsi de limiter le nombre d'annulations de vols . Elle ont également renforcé l'information dont bénéficient les passagers , celle-ci devant être gratuite, précise et fiable sur l'activité assurée au plus tard vingt-quatre heures avant le début de la perturbation.
Le fait que les aiguilleurs du ciel ne se voient pas appliquer ces mesures fait qu'il demeure impossible de prévoir l'ampleur exacte de leurs grèves , ce qui peut conduire à des situations ubuesques , où quelques grévistes suffisent pour provoquer la mise en place du service minimum et de son système d'astreinte, sans parler des nombreux vols annulés alors qu'il y aurait eu suffisamment de contrôleurs pour permettre leur maintien.
Le rapport du cabinet Ricardo Energy & Environment note ainsi que les incertitudes quant à la façon dont les 50 % de survols seront assurés (liste des secteurs ouverts, capacité) conduit les compagnies aériennes à prendre des décisions tardives sur les routes que pourront emprunter leurs vols , ce qui provoque des retards et des annulations supplémentaires .
Elle en conclut que le service minimum à la française ne permet pas en pratique de limiter autant les impacts des grèves des contrôleurs aériens que les systèmes mis en place en Italie ou en Grèce , par exemple.
3. Une application de la loi Diard aux contrôleurs aériens permettrait de limiter l'ampleur des perturbations du trafic provoquées en cas de grève
Votre rapporteur spécial déplore que les grèves des contrôleurs aériens français perturbent autant le trafic aérien européen et donnent de leur profession une image très négative par ailleurs injustifiée.
Si le droit de grève des ICNA, garanti par la Constitution, doit naturellement être protégé, il convient toutefois de réfléchir à des solutions concrètes pour améliorer une situation qui cause trop de dommages au secteur du transport aérien comme à la réputation de notre pays, qui accomplit par ailleurs de nombreux efforts pour renforcer son attractivité.
C'est pourquoi il considère que l'application de la loi Diard aux contrôleurs aériens , évoquée à plusieurs reprises dans le débat public, doit être débattue avec leurs organisations syndicales à l'occasion de la préparation du prochain protocole social de la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Elle devra faire par la suite l'objet d'une inscription dans la loi .
Les compagnies aériennes regroupées au sein de l'organisation Alliance for Europe plaident pour un délai de préavis individuel de 72 heures .
Votre rapporteur spécial, pour sa part, juge plus raisonnable que soient appliquées aux ICNA les mêmes exigences qu'aux autres professionnels du transport aérien , à savoir 48 heures de préavis individuel . Cette obligation devra naturellement s'articuler avec les dispositions qui régissent le service minimum des contrôleurs aériens.
Recommandation n° 14 : appliquer la loi Diard aux contrôleurs aériens, en l'adaptant aux caractéristiques du service minimum auquel ils sont déjà astreints. |
* 59 Loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l'aviation civile, et relative à l'exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne.
* 60 Décret n°85-1332 du 17 décembre 1985 portant application de la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l'aviation civile et relative à l'exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne
* 61 L'article L. 1114-3 du code des transports dispose que « sont considérés comme salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols les salariés des exploitants d'aérodrome et des entreprises, établissements ou parties d'établissement mentionnés à l'article L. 1114-1 qui occupent un emploi de personnel navigant ou qui assurent personnellement l'une des opérations d'assistance en escale mentionnée au même article L. 1114-1, de maintenance en ligne des aéronefs, de sûreté aéroportuaire, de secours et de lutte contre l'incendie ou de lutte contre le péril animalier. »
* 62 L'article L. 1114-3 du code des transports prévoit qu' « en cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer ».