SECONDE TABLE RONDE - DEUX OUTILS POUR MAXIMISER LES RETOMBÉES LOCALES

PROPOS INTRODUCTIF
Thani MOHAMED SOILIHI, Vice-président du Sénat et Sénateur de Mayotte

Propos prononcé par M. Michel MAGRAS, président de la délégation en l'absence de M. Thani MOHAMED SOILIHI, retenu en séance publique

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Mesdames et Messieurs les parlementaires et les élus, chers collègues,

Mesdames et Messieurs qui venez témoigner des actions que vous déployez dans vos territoires et du dynamisme qui les anime,

Mesdames et Messieurs, chers amis qui nous faites l'honneur de votre présence,

je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de mettre en perspective cette seconde table ronde, bien qu'il me faille jongler avec la séance publique pour soutenir des amendements sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif. Vous savez combien ces questions sont problématiques à Mayotte !

Mais revenons à l'ancrage local des économies ultramarines.

La seconde table ronde se focalise sur deux outils favorisant l'ancrage local :

- une procédure d'attribution préférentielle aux entreprises locales de parties de marchés publics, d'une part,

- une méthode d'évaluation des performances économiques d'un territoire afin de déceler les créneaux porteurs d'activité susceptibles d'être rapatriés sur le territoire, d'autre part.

Sur le premier volet, nous savons l'importance de la commande publique comme soutien à l'activité économique dans nos outre-mer. Celle-ci est en particulier vitale pour le maintien des filières structurantes comme le BTP. Ainsi, à La Réunion, elle représente près de 90 % du chiffre d'affaires de cette filière. Le coefficient multiplicateur de la dépense en matière de bâtiments et travaux publics étant parmi les plus élevés, la conjoncture économique des territoires est largement tributaire de l'effectivité de ce levier. De fait, le BTP a connu, depuis les années 1990, un développement considérable grâce à la commande publique. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, le nombre d'emplois dans ce secteur a été quasiment doublé entre 1995 et 2012, passant de 4 600 à 9 000.

Pour autant, ce secteur stratégique est affecté, depuis quelques années, par la baisse de l'investissement public due à la dégradation de la situation financière des collectivités. Ainsi, en Martinique, la diminution de l'investissement (- 4,6% en volume), et notamment de l'investissement public, a contribué à une baisse du PIB en volume de plus de 1 % en 2016.

Alors que le secteur public est essentiel pour l'économie mahoraise - rappelons que la consommation finale des administrations représentait 60 % du PIB du département en 2013 -, la détérioration de la situation financière des 26 collectivités du territoire, dont la capacité d'autofinancement a chuté de plus de 152 % en 2015, contribue au ralentissement économique à travers une baisse de la commande publique, notamment pour les investissements structurants tels que les équipements d'accès à l'eau potable, les infrastructures de transport ou de santé. Le plan d'urgence « eau » lancé par le ministère des outre-mer en février 2017, qui prévoit la mobilisation d'un fonds exceptionnel d'investissement de 5,5 millions d'euros, devrait permettre d'améliorer l'accès à l'eau potable de la population tout en relançant la commande publique sur le territoire. Au total, sur la période 2017-2021, les investissements dans ce domaine devraient légèrement excéder les 42 millions d'euros. Ce plan prévoit notamment la construction d'une usine de désalinisation et le renforcement de la digue de Combani. Enfin, le nouveau plan pour Mayotte présenté par le Gouvernement le 15 mai dernier prévoit un investissement pluriannuel « pour les infrastructures et les réseaux d'assainissement de l'eau et la gestion des déchets » pour 2018-2020 dont le montant s'élève à 150 millions d'euros.

La maximisation de l'impact du levier de la commande publique dans les outre-mer nécessitait d'en aménager les mécanismes afin qu'il profite effectivement aux entreprises locales. Ainsi la loi de programmation relative à l'égalité réelle dans les outre-mer du 28 février 2017 a-t-elle instauré un dispositif dénommé SBA ( Small Business Act ou stratégie du bon achat), tendant à réserver aux entreprises locales, pour l'essentiel des TPE-PME, jusqu'à un tiers du montant des marchés publics, et à favoriser la sous-traitance en direction des PME locales. Il s'agit d'un dispositif expérimental pour une durée de cinq ans qui bénéficie aux cinq collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte, ainsi qu'à trois des collectivités relevant de l'article 74, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, le dispositif ne s'applique qu'aux marchés passés par les services et les établissements publics de l'État. Le décret d'application est entré en vigueur le 1 er avril 2018 et je laisse le soin à nos intervenants de faire le point sur sa mise en oeuvre.

Je rappellerai simplement que ce dispositif avait été introduit en commission des lois à l'Assemblée nationale, puis supprimé par la commission des lois du Sénat au motif d'une contradiction avec les règles de l'Union européenne - la commission s'étant cependant déclarée favorable à l'esprit de la disposition - avant d'être rétablie définitivement en séance publique et enrichi en ce qui concerne la sous-traitance par l'adoption de plusieurs amendements convergents.

La seconde séquence de notre table ronde sera l'occasion de présenter l'étude « Réelle » comme « Ré-Enraciner l'Économie LocaLE ». Cette étude a été menée pour l'île de La Réunion : elle met en évidence les possibilités de relocalisation économique et le développement en mode local de nouvelles activités, avec à la clé une plus grande diversification et donc une moindre vulnérabilité de l'équilibre économique territorial. Elle permet de cibler les secteurs où la demande n'est pas satisfaite par une réponse locale et, dès lors, d'en stimuler le développement pour gagner en autonomie. Sans doute y aurait-il avantage à décliner cette démarche dans chaque territoire car une analyse fine des situations locales est un préalable à la définition et au pilotage efficace de stratégies de développement. Au nom de la reproduction des bonnes pratiques, nous serons très attentifs à sa présentation.

Je vous remercie.

PREMIÈRE SÉQUENCE - FOCUS SUR LE SMALL BUSINESS ACT (SBA)
Érik POLLIEN, Délégué général de l'Association des moyennes et petites industries de la Guyane et administrateur de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM)

Mon propos vise à apporter un cadre historique au Small Business Act (SBA).

Le SBA a été voté par le congrès des États-Unis en 1953. Il s'est accompagné de la création de la Small Business Administration . Cette institution est chargée de la défense des petites entreprises, de la formation, du conseil, de l'assistance technique et de l'accès aux marchés publics. Aujourd'hui, elle est en charge de toutes les aides fédérales aux petites entreprises, qu'il s'agisse du financement en fonds propres ou en prêts, du conseil, de la formation et du lobbying en faveur des PME. Elle participe aussi au dispositif d'aide à l'exportation pour les petites entreprises américaines. Le dispositif s'inscrit dans un cadre intégré au niveau fédéral.

L'institution propose de nombreux programmes : l'accès à l'information, le conseil et la formation, le prêt, l'assistance financière, l'assistance à la recherche et développement, l'accompagnement de femmes cheffes d'entreprises, le développement des minorités ethniques et des Indiens d'Amérique chefs d'entreprise, l'accès aux marchés publics du gouvernement et l'assistance contre les désastres naturels. L'institution intervient sur un large spectre.

Elle offre également des mesures d'insertion pour les PME. S'agissant de la réservation des marchés de fournitures ou de services dont le montant du marché est estimé entre 2 500 et 100 000 dollars, lorsque seules les grandes entreprises peuvent répondre à l'appel d'offres, une partie du marché est réservée aux PME. Les appels d'offres d'une valeur de plus de 500 000 dollars remportés par une grande entreprise doivent comporter un plan de sous-traitance. Ce montant a été fixé en 1953, alors qu'on le retrouve dans des mesures récentes de 2017 dans la loi française. Au total, sur les 200 milliards de dollars annuels de marchés publics de l'État américain, plus de 40 milliards, soit 20,8 %, sont attribués aux PME.

Le rapport d'information de la commission des affaires économiques du Sénat de juin 1997 aboutissait à trois conclusions : il n'y a pas d'aide dont l'objectif direct soit la création d'entreprises en France ; les aides sont concentrées sur un très petit nombre d'entreprises ; les créations de très petites entreprises sont très peu soutenues. Déjà, le constat français face à un dispositif né il y a 44 ans aux États-Unis était édifiant.

En août 2007, le Président de la République Nicolas Sarkozy missionne Lionel Stoléru pour apporter des solutions aux problèmes de développement des PME. Son rapport présentait des conclusions incisives :

- il préconisait de se détacher du modèle du SBA américain car le combat semblait inutile et perdu d'avance. Pour ce faire, il aurait fallu demander les mêmes dérogations que les États-Unis auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de l'AMP (Accord sur les marchés publics). Mais ce n'était compatible ni avec les directives communautaires, ni sur le plan constitutionnel français, et cela représentait surtout une perte de temps compte tenu de l'urgence à réformer. En d'autres termes, la déclinaison juridique du SBA des États-Unis ne s'accordait pas avec le cadre juridique européen. De plus, aux États-Unis, en valeur, le SBA réservait entre 20 % et 23 % des marchés aux PME alors qu'en France, la moyenne des marchés accordés aux PME atteignait déjà 35 % ;

- il recommandait la préparation d'un SBA européen. Il s'agissait d'améliorer l'accompagnement des PME en profitant des expériences conduites par les 27 États membres ; conduire les jeunes vers l'entrepreneuriat ; mettre en phase les réformes nationales dans la lignée d'un SBA européen ;

- il suggérait la création d'une Small Business Administration française destinée à réformer en profondeur le système français, notamment le code des marchés publics et les comportements des acheteurs publics, et destinée à prendre en compte les attentes des PME.

Ces recommandations datent de 20 ans.

En 2008, le Small Business Act européen naît. Le 25 juin 2008, l'Union européenne se dote d'un cadre stratégique pour renforcer la compétitivité des PME. En France, à cette époque, le point le plus urgent à traiter demeure le changement d'approche de la culture de l'entreprise. Le SBA européen repose sur les principes suivants : créer un environnement dans lequel les entreprises peuvent prospérer et où l'esprit d'entreprise est récompensé ; définir les règles selon le principe « Think Small First » ; assurer la réactivité des administrations publiques aux besoins des PME ; faciliter la participation des PME aux marchés publics ; faciliter l'accès des PME au financement ; promouvoir le renforcement des qualifications au sein des PME ; permettre aux PME de transformer les défis environnementaux en opportunités ; encourager les PME à tirer parti de la croissance des marchés. Ces thématiques sont toujours d'actualité.

En 2011, le SBA européen est réexaminé. Ses retombées mitigées conduisent la Commission Européenne à intégrer le SBA dans les objectifs de la stratégie UE 2020. Ce plan stratégique se donne comme objectif la promotion du principe « une fois seulement », traduit en France par le « dites-le nous une fois », l'amélioration de l'accès au financement grâce à des garanties de prêts qui aident les PME à répondre aux défis de la mondialisation et l'accompagnement des entreprises pour accéder au marché unique.

En 2014, des avancées notables dans les pays de l'Union se font sentir, mais le SBA doit être ajusté en raison de difficultés persistantes. En effet, les charges administratives et légales restent la principale préoccupation des entreprises. De plus, l'accès au financement demeure difficile, malgré les mesures prises. Enfin, l'accès aux marchés n'est pas toujours fluide.

Le 9 juin 2015, le Premier ministre Manuel Valls dévoilait un projet de mesures, repris par les médias comme le Small Business Act à la française. Ce projet prévoyait 10 mesures pour l'emploi. Il proposait également de faciliter l'accès à la commande publique et de développer l'entrepreneuriat. Mais la création d'une administration dédiée à la mise en oeuvre et la déclinaison de ces mesures n'était pas prévue.

En 2016, la première déclinaison du SBA apparaît à La Réunion. L'association de type loi 1901 « Stratégie du bon achat » est créée par des professionnels pour organiser l'achat public. Elle vise à favoriser la rencontre entre la demande émanant des acheteurs publics et l'offre du tissu économique local. Pour l'instant, cette initiative départementale est unique en France.

En 2017, la loi relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM) est votée. L'innovation de l'article 73 vient de l'utilisation du terme « local », qui symbolise à lui seul l'esprit et la volonté du législateur. Ce terme, auparavant interdit dans le jargon communautaire, apparaît pour la première fois. L'objectif consiste à fluidifier la relation entre les opérateurs économiques ultramarins et les donneurs d'ordres publics. La commande publique représente en effet, dans le secteur du BTP, la grande majorité du chiffre d'affaires de la filière. De plus, les TPE représentent plus de 90 % du tissu économique ultramarin. Des initiatives ultramarines et des remontées d'expérience telles que la « stratégie du bon achat » ont permis, pour la première fois, d'utiliser l'expression « entreprises locales » dans la loi. Enfin, la loi constitue une véritable innovation en matière de discrimination, alors qu'elle était impensable dans l'Accord sur les marchés publics surveillé de près par l'OMC, l'Europe et la jurisprudence française.

En conclusion, en prenant en compte, en plus de la loi EROM, l'arrêt de 2007 « Tropic Travaux » du Conseil d'État, issu d'un contentieux public avec une entreprise de signalisation routière guadeloupéenne, qui a profondément modifié le droit des contentieux dans les marchés publics, nous pouvons affirmer que les outre-mer participent à l'évolution du droit français dans la commande publique.

Jean-Marc PEYRICAL, Président de l'Association pour l'achat dans les services publics (APASP)

Merci Monsieur le président. Bonjour à tous. Le titre de mon intervention, « Le SBA est-il une révolution ou un leurre ? », est provocateur à dessein.

La loi du 28 février 2017 relative à l'outre-mer et son décret d'application du 2 février 2018 sont révolutionnaires. En effet, les acheteurs publics ultramarins peuvent réserver jusqu'à un tiers de leurs marchés publics à des PME locales. Une telle expérimentation est fondamentalement contraire aux principes d'égalité de traitement des entreprises candidates et de liberté d'accès au marché qui gouvernent la commande publique. Il est exceptionnel de favoriser le localisme dans la commande publique. De plus, la loi ne me paraît pas respecter entièrement le droit européen, bien que la Commission Européenne ne se soit pas encore prononcée.

Je parle de leurre en raison des retours des acheteurs publics et des entreprises que j'ai pu rassembler. Certains acheteurs n'étaient pas au courant de cette loi. Lors d'un récent sondage que j'ai réalisé en Guyane, sur 100 personnes, seulement 20 connaissaient ce texte et 80 n'en avaient pas connaissance. La loi est certes récente, mais il y a des défaillances d'information. Trois réserves ont également été exprimées par les acheteurs et les entreprises.

D'abord, la limite de 15 % par an du montant des marchés passés dans le secteur concerné au cours des trois dernières années n'est pas comprise.

Ensuite, la notion de « local » a alimenté la confusion. Or, le décret du 2 février 2018 a confirmé que le local s'entendait au sens du territoire tout entier. Ainsi, les entreprises dites locales peuvent opérer sur tout le territoire, alors que certains maires souhaitent favoriser les entreprises de leur commune ou de leur agglomération.

Enfin, le fait de favoriser des PME n'a pas de sens. Une PME est définie en France par un chiffre d'affaires maximal de 50 millions d'euros et par un nombre de salariés de moins de 250 personnes. Or, toutes les entreprises en outre-mer sont des PME. Quant aux filiales de grands groupes, d'après le droit européen, elles sont considérées comme des PME si elles ne sont pas détenues à plus de 25 % par une entreprise. Ainsi, une filiale de Suez localisée en Guyane et détenue à hauteur de 35 % par le groupe ne sera pas considérée comme une PME dans le droit européen. L'intérêt de réserver le marché aux PME alors que les territoires sont composés uniquement de PME semble paradoxal.

Ainsi, passer par un texte pour permettre aux PME locales d'accéder à la commande publique ne semble pas indispensable. Michel Crozier avait publié, dans les années 1980, un livre intitulé On ne change pas la société par décret . Je crois que favoriser les PME repose sur la diffusion de bonnes pratiques, sur la volonté des acheteurs, la formation et la compétence, le sourcing et la rencontre entre acheteurs et prestataires, en résumé sur des éléments humains plutôt que sur un texte. Je vous remercie.

Dominique VIENNE, Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de La Réunion et de l'association Stratégie du bon achat de La Réunion

Merci Monsieur le président.

Je préfère croire que le droit est au service d'acteurs intelligents. Entre la Technique, l'Organisation et le Comportement (TOC) ou la Technique, l'Insensibilité et le Contractuel (TIC), je choisis la première option.

Je suis entrepreneur dans le bâtiment. En 2009, les entrepreneurs de cette filière étaient mécontents de constater que certains chantiers étaient réalisés par de grandes entreprises extérieures. En particulier, un terminal céréalier commandé par la chambre de commerce et d'industrie avait été conçu par un architecte métropolitain à partir d'une technique de lamellé-collé. Cette technique excluait de fait les entreprises locales. J'ai alors réfléchi à un moyen d'organiser la commande publique, à partir de critères de confiance et d'équité garantissant à chacun de pouvoir accéder à la commande publique. Ainsi est née la volonté de créer la rencontre entre des mondes travaillant ensemble mais qui ne se connaissent pas. Le politique et l'économique souhaitent tous deux bâtir une société qui fonctionne.

L'association Stratégie du bon achat (SBA) n'est pas un article de loi. Elle vise à assurer le sentiment d'équité d'accès à la commande publique. À La Réunion, le chômage est important. Envisager de maximiser les retombées locales ne relève pas du nombrilisme mais d'un devoir sociétal. La commande publique ne doit pas être une dépense mais un investissement pour le bon développement de nos territoires. Le cadre juridique qui assure l'existence de l'association est composé de la loi NOTRe, de l'article 73 de la loi EROM, du plan national d'action pour les achats publics durables et de la feuille de route de l'économie circulaire.

L'association se donne pour mission de rendre visible et intelligible la commande publique pour tous les opérateurs économiques. Certes, nos territoires sont petits, mais la taille d'un acteur économique ultramarin n'est pas importante. Nous entretenons une relation intime et profonde avec le territoire, car nous sommes liés à lui d'un point de vue économique et humain. Notre destin dépend du dynamisme du territoire. L'objectif de l'association consiste à rapprocher l'offre et la demande et à modifier les conditions de rédaction des cahiers des charges pour les rendre inclusives.

Dans la stratégie du bon achat, les conditions pour former les acheteurs publics sont créées. Des modules de formation ont été mis en place avec le CNFPT. Dans les chambres consulaires, nous avons formé les chefs d'entreprise à mieux accéder à la commande publique. Il ne s'agit pas de discrimination, mais d'émancipation et de fierté.

L'association Stratégie du bon achat se compose d'un collège de 14 représentants d'entreprise parmi lesquels le BTP, les services, les professions libérales, les artisans et les commerçants. Un second collège se compose des collectivités. 14 d'entre elles sur 25 existantes à La Réunion on rejoint l'association : nous comptons des bailleurs sociaux, le conseil régional, le conseil général et les intercommunalités de La Réunion. Nous organisons des réunions mensuelles pour réfléchir ensemble sur le dynamisme du territoire et le pilotage d'une commande publique responsable qui bénéficie à nos entreprises. Pendant nos réunions, nous anticipons les besoins d'investissement et de formation que requièrent les projets publics. L'article 73 bis de la loi EROM ne vise donc pas à nous accorder un droit de tirage en raison de notre localisation géographique.

L'association a pour ambition de transformer les achats de la commande publique en actes stratégiques de développement territorial. Autrement dit, il s'agit de s'assurer que les conditions pour maximiser les retombées locales ont été réunies. Ces conditions reposent sur des contrats gagnant-gagnant, autrement dit sur des prix de vente acceptables pour les acheteurs publics et suffisamment élevés pour les entreprises afin qu'elles puissent trouver un équilibre entre leurs recettes et leurs charges. L'objectif est, grâce à ce modèle équilibré, que les entreprises puissent projeter leur volume en diversifiant ou densifiant leur activité. Nous devons maintenir un dialogue économique dans lequel les deux parties trouvent un intérêt qui converge pour participer au développement du territoire. La stratégie du bon achat encourage le croisement de compétences et soutient ainsi la diversification territoriale.

Le circuit d'économie circulaire vertueux que nous défendons débute par l'acheteur public. En achetant sur le territoire, il développe les investissements et les emplois locaux. L'emploi soutient la consommation locale qui, elle-même, se traduit par des recettes fiscales. Je vous propose de visionner le témoignage d'Éricka Bareigts, ministre des outre-mer à l'époque. Grâce à elle et à vous, Monsieur le président, les conditions que défend la stratégie du bon achat ont pu exister.

La stratégie du bon achat repose sur un triptyque : l'anticipation de la commande publique, son adaptation selon des critères d'équité pour favoriser l'accès des entreprises, et l'ancrage territorial. Ce triptyque se traduit par une convention signée entre l'acheteur public et l'entreprise qui engage juridiquement les signataires. La convention court sur une durée de 3 ans. Elle prévoit l'organisation d'une journée du territoire chaque année, pendant laquelle les acheteurs publics présentent leurs besoins. Cette rencontre permet de créer un climat de confiance. Par exemple, la journée du territoire de la Communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR) a été tenue le mois dernier. Elle a mobilisé plusieurs services publics, dont un CHU et un bailleur social.

La convention prévoit également la mise en place d'un comité expert au travers duquel les acheteurs vérifient les conditions légitimes et légales de leurs commandes. Ainsi, pour alimenter les cantines scolaires, l'acheteur peut adresser sa commande sur un marché de fournitures et de services qui prévoit la visite de vergers et d'usines par les petites classes. En fin d'année, le dispositif est évalué afin de vérifier que chaque partie a été gagnante. L'évaluation est réalisée à partir d'une matrice.

La loi NOTRe oblige les collectivités à mettre en ligne leurs données publiques. Avec une start-up réunionnaise, nous avons créé un portail baptisé EVAMAP permettant l'accès aux données d'attribution des marchés signataires. Ainsi, 143 appels marchés ont été attribués en 2015.

En conclusion, la stratégie du bon achat recommande 10 points-clés aux collectivités :

- nommer un référent en interne ;

- définir ses besoins annuels d'achat ;

- organiser une journée du territoire ;

- préparer des comités experts pour créer les conditions de localisation de la commande ;

- adapter ses procédures d'achat ;

- bonifier les conditions de trésorerie des entreprises, en payant un acompte, par exemple ;

- dimensionner ses marchés pour créer des conditions d'équité ;

- soutenir l'innovation locale ;

- passer des commandes publiques ; soutenir l'insertion et l'emploi ;

- favoriser l'ancrage territorial.

L'achat public peut être un puissant levier de développement économique de nos territoires et l'association SBA se fera un plaisir de dupliquer son expérience sur d'autres territoires. Merci de votre écoute.

Joëlle PRÉVOT-MADÈRE, Présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de Guyane

Je vous remercie. La stratégie du bon achat et ses exemples m'ont inspiré confiance. Elle devrait être appliquée en outre-mer, en prenant cependant en compte la réalité de chaque territoire.

En Guyane, la démographie galopante engendre des besoins importants. Une forte démographie peut être comprise comme l'existence de besoins supplémentaires auxquels il faut répondre en termes de création d'emplois ou d'augmentation de la commande publique. Cependant, d'après le dernier rapport d'évaluation de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), la pression démographique est liée à un taux de fécondité élevé, et surtout à une pression migratoire, plus illégale que légale, de plus en plus forte sur un laps de temps de plus en plus court.

Cette forte pression migratoire augmente les besoins en logement, et donc en foncier aménagé. De plus, l'accès aux soins est plus difficile en raison des déficits en termes de structures hospitalières, de moyens humains et de matériel. Le système éducatif est également mis sous tension. En effet, le nombre d'élèves a augmenté de plus de 1 000 par an entre 2010 et 2015. Selon les projections, le nombre d'élèves devrait s'accroître de 45 % en école élémentaire, de 35 % en collège et de 116 % en lycée.

La Guyane est le seul territoire ultramarin dans lequel sont parlées 17 langues vernaculaires. Ainsi, le taux d'échec est élevé et les chercheurs n'ont pas à ce jour trouvé de solutions totalement efficaces. Nous expérimentons depuis quelques années l'accompagnement d'enfants par des assistants en langue maternelle pour faciliter la scolarisation.

En raison de ce fort taux d'échec, le chômage se maintient à un niveau élevé, l'insécurité augmente et des activités illégales se développent. Surtout, l'ampleur de l'économie informelle pénalise l'activité légale. Enfin, la paupérisation s'accroît.

La décomposition du produit intérieur brut (PIB) révèle un secteur marchand atrophié, malgré la nécessité de favoriser la croissance économique pour absorber le choc démographique. Le PIB par habitant en Guyane stagne à 50 % du PIB national médian. Dans le même temps, le PIB par habitant en Martinique et en Guadeloupe s'accroît et se rapproche du PIB par habitant de certains départements français.

Ainsi, la collectivité locale en Guyane est fortement pénalisée et ses besoins en commandes publiques sont forts. Elle cherche à conclure des commandes au prix le plus faible possible. Pour l'instant, la stratégie du bon achat ne peut être appliquée de façon optimale en Guyane.

Compte tenu de l'importance de la commande publique dans le PIB en Guyane pour les vingt prochaines années, et dans l'attente d'un meilleur équilibre entre commande publique et économie privée, les entreprises devraient être payées en temps et en heure lorsqu'elles concluent un marché avec les collectivités ou l'État.

D'après un rapport sénatorial du 26 octobre, « la délégation a particulièrement été' frappée par trois faits saillants qui illustrent la situation remarquablement difficile des entreprises en Guyane : le premier est que ces entreprises subissent de la part du secteur public local (collectivité' territoriale de Guyane, cantine scolaire ou hôpital notamment) des délais de paiement pouvant aller jusqu'à` plusieurs mois voire même plusieurs années, ce qui n'est pas tenable pour la trésorerie des entreprises et les met gravement en péril ».

Ainsi, les retards de délai de paiement demeurent un problème important en Guyane, malgré le décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique. Nous nous sommes attachés à convaincre les services sociaux, telles la sécurité sociale, les caisses de retraite ou le régime social des indépendants (RSI), et les services de l'État de mettre en place un dispositif de nantissement des créances publiques.

Je vais vous présenter ce dispositif élaboré par Madame Harang, directrice de la sécurité sociale en Guyane. Dans un contexte socio-économique complexe, il s'agit de déployer localement une offre de « nantissement » au bénéfice des cotisants du secteur privé confrontés à des difficultés de trésorerie du fait de la défaillance de paiement dans les délais de donneurs d'ordre publics. Ce constat reconnaît les difficultés rencontrées par les chefs d'entreprise en Guyane.

Juridiquement, le dispositif se fonde sur le code des marchés publics et la circulaire du 14 février 2012, l'instruction de 2007 et la circulaire interministérielle du 25 juin 2013 dont l'objet consiste en la résorption de la dette sociale dans les départements d'outre-mer dans son volet 2, chapitre B libellé « Possibilité de nantissement des marchés des collectivités publiques ». La CPME nationale souhaite étendre ce dispositif à l'ensemble des entreprises françaises.

Les cotisants éligibles à ce dispositif doivent accumuler une dette d'au moins 10 000 euros. Le montant d'éligibilité devait initialement se porter à 20 000 euros, mais nous avons réussi à abaisser le montant pour que de très petites entreprises (TPE) puissent en bénéficier. Ils doivent également détenir un marché' public en phase d'exécution ou exécuté et non payé totalement ou partiellement, en paiement direct, et dont la somme a minima couvre une fraction non négligeable de la dette sociale portant sur la part ouvrière, ne faisant pas l'objet d'une liquidation ou d'un redressement judiciaire et n'ayant pas fait l'objet de redressement pour travail dissimulé.

Les dossiers seront analysés par une structure collégiale sur le modèle de la commission des chefs des services financiers (CCSF) ou du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI), par exemple. Elle sera composée de représentants des services publics ou organismes sociaux concernés, à savoir l'État (CRD), la direction régionale des finances publiques (DRFIP), la caisse générale de sécurité sociale (CGSS), l'institution guyanaise de retraites complémentaires (IGRC) et pilotée par le commissaire au développement productif. Elle se réunira en cas de besoin et sa saisine est à` l'initiative du cotisant lui-même, spontanément ou conseillé par l'un de ses créanciers, ayant pouvoir de décision et élaborant la convention de nantissement. Un modèle de convention de nantissement nous a été transmis.

Les dossiers doivent se composer de la production d'une copie de l'exemplaire unique du marché', du détail des différentes tranches du marché, qu'il soit entièrement réalisé ou non, de la vérification de l'absence de liquidation et de la vérification de l'existence de prise de garantie.

La sécurité sociale est même allée plus loin. Une entreprise en difficultés financières souhaitant missionner un marché est autorisée à utiliser l'argent qu'elle gagnera grâce à ce marché pour nantir ses dettes.

Le dispositif de nantissement a été présenté en 2015 et il a été mis en application en 2016. Jusqu'à mars 2017, 50 entreprises ont déposé un dossier de nantissement. Nous participons, avec l'accompagnement d'un représentant de la sécurité sociale, à la diffusion de l'existence de ce dispositif auprès des entreprises guyanaises qui ne le connaîtraient pas.

Voici le dispositif que nous proposons, Monsieur le président, afin que les entreprises guyanaises demeurent pérennes et structurées.

Gérald MAILLOT, Président de la Communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR)

Merci Monsieur le président. Bonsoir à toutes et à tous. Nous utilisons le droit mis au service du territoire et nous nous considérons comme des entrepreneurs, que nous soyons issus du secteur public ou du secteur privé. La CINOR est une intercommunalité de 200 000 habitants. Elle compte 80 000 emplois, soit un tiers des emplois de La Réunion, et 16 000 entreprises, dont 70 % relèvent de l'auto-entrepreneuriat. 60 % des entreprises ont moins de 5 ans. En 2016, nos marchés publics s'élevaient à 36 millions d'euros, dont 83 % ont été attribués aux TPE et MPE.

Le développement de notre territoire repose sur 12 projets qui seront, pour la plupart d'entre eux, livrés avant 2020. Malgré la baisse des dotations de l'État, la CINOR est capable de dépenser de l'argent pour soutenir le développement économique. Ainsi, nous allons renouveler nos infrastructures et l'organisation de la collecte des déchets. Nous souhaitons être propriétaires des poubelles, dont la fabrication et l'entretien seraient réalisés par des petites ou moyennes entreprises. Sur les marchés publics d'un montant élevé, il serait souhaitable que les grands groupes prévoient la participation de petites entreprises.

La CINOR construit actuellement une pépinière d'entreprises et de start-up , appelée le Cube. Le bâtiment, innovant, s'élèvera sur 2 ou 3 étages bâtis en construction modulaire. Les façades seront à double face, pour éviter le crépissage et la peinture. La FABTP et les syndicats du bâtiment ont exprimé leurs positions à ce sujet. La construction modulaire n'est pas répandue à La Réunion. La CINOR compte ainsi acheter les droits intellectuels pour maîtriser cette technique de construction à La Réunion.

A priori , une entreprise métropolitaine sera choisie pour réaliser les travaux, sauf si les petites et moyennes entreprises réunionnaises se regroupent sur ce marché pour y répondre. Dans ce cas, elles pourraient faire le lien entre la CINOR et l'entreprise métropolitaine.

La CINOR souhaite également édifier un téléphérique. Sa construction débutera en octobre 2018. Il prévoit 3,7 kilomètres de câbles, 40 cabines et 5 stations, pour un montant de 43 millions d'euros, dont 2,4 millions d'euros dédiés à l'exploitation et la maintenance par des entreprises réunionnaises.

Nous faisons partie de la stratégie du bon achat et je ne conçois pas de programme politique sans échanger avec les chefs d'entreprise qui prennent des risques. Un certain nombre de situations de mise en application des principes de l'association se présente à nous. La CINOR a un rôle de facilitateur.

Pour l'instant, nous sommes satisfaits de notre mandat qui a débuté en juillet 2014. Nous espérons développer le tourisme, les start-up , le bâtiment et l'économie bleue pour créer de la richesse sur notre territoire. Merci Monsieur le président.

SECONDE SÉQUENCE - ÉVALUER POUR MIEUX PILOTER, L'ÉTUDE RÉELLE
Arnaud FLORENTIN, Économiste, directeur associé du cabinet Utopies

Bonsoir Mesdames et Messieurs. L'étude RÉELLE a été initiée et pilotée par la CPME de La Réunion, par Dominique Vienne et par Santhi Véloupoulé. Des économistes et des acteurs du développement économique ont été mobilisés.

Aujourd'hui, toutes les entreprises parlent de « made in local » et d'ancrage local, tous les territoires souhaitent réenraciner leur économie via les circuits courts ou l'économie alimentaire par exemple. Cependant, ce concept est ébranlé par les pro-mondialistes d'un côté, qui dénoncent l'autarcie de ce concept, et par les acteurs à l'approche très patriotique et localiste de l'autre. Il faut sortir du débat manichéen autour du « made in local ». Nous pensons que ce n'est pas une option, mais une nécessité.

Le développement économique aujourd'hui est dominé par le paradigme de captation de richesses extérieures issues de l'exportation, du tourisme, des capitaux, des habitants et des transferts publics. Mais la circulation de richesses sur le territoire est mise de côté. Or, nous avons cherché à évaluer l'effet multiplicateur local de circulation de richesses sur un territoire. Cet effet multiplicateur résume la capacité d'un territoire à faire circuler son argent et les richesses qu'il capte. Il évalue par exemple la capacité à faire circuler l'argent dans la chaîne de fournisseurs avec ses effets induits : les salariés gagnent un revenu qui est redépensé, des impôts et taxes collectés puis redépensées et l'ensemble de ces dépenses accroissent la richesse du territoire. Ainsi, l'effet multiplicateur évalue l'accroissement de richesses.

Si, par analogie, nous pensons l'économie locale comme un seau, alors tout ce qui entre dans le seau peut potentiellement circuler. Or, l'effet multiplicateur sera d'autant plus faible que les fuites sont importantes. En d'autres termes, effectuer un achat à l'extérieur du territoire occasionne une fuite d'argent. L'ensemble de ces fuites réduit significativement l'effet multiplicateur. Il est plausible de penser qu'à niveau de richesse égal, un territoire présentant un effet multiplicateur élevé sera plus prospère qu'un territoire présentant un effet multiplicateur faible.

À partir d'études réalisées sur 300 zones d'emploi en France et sur certains comtés aux États-Unis, nous avons cherché à déterminer les facteurs de prospérité d'un territoire. Nous avons tenté d'expliquer le revenu médian, plus intéressant que le PIB, à partir de trois variables : la capacité à exporter, dont le tourisme qui constitue une exportation au niveau macroéconomique ; l'effet résidentiel, c'est-à-dire la capacité à attirer des revenus de personnes ne travaillant pas sur le territoire ; et l'effet multiplicateur local. Nous sommes arrivés à la conclusion que l'effet multiplicateur local pèse pour plus d'un tiers dans la prospérité des territoires, tous territoires confondus.

Il semble aujourd'hui que l'argent destiné au développement économique est essentiellement orienté vers la captation de ressources extérieures plutôt que vers l'alimentation de l'effet multiplicateur. Or, l'effet multiplicateur local alimente le développement économique local. C'est dans ce contexte que nous avons réalisé l'étude RÉELLE, qui cherche à comprendre le métabolisme économique d'une île, à sensibiliser les acteurs locaux, et à animer, prioriser et mobiliser les acteurs économiques. L'étude s'inscrit ainsi dans une démarche de réenracinement.

Nous avons utilisé l'outil Local Shift développé par Utopies. Il s'agit d'un simulateur d'économie locale à partir des flux entrants, sortants et circulants, afin d'analyser l'état de santé d'une île. Nous avons ainsi analysé l'économie réunionnaise à partir des échanges sur le territoire secteur par secteur, des importations et des exportations. La demande locale, qui émane des ménages, des entreprises et des administrations est souvent sous-estimée. À La Réunion, elle s'élève à 25 milliards d'euros. 20,6 milliards d'euros circulent sur le territoire. Les importations de biens et de services atteignent 4,4 milliards d'euros et les exportations, y compris le tourisme, 700 millions d'euros. La balance commerciale est significativement déficitaire. Il ne s'agit pas d'équilibrer la balance commerciale, mais plutôt de considérer les importations comme des fuites économiques importantes. Ainsi, réenraciner 10 % des flux qui partent à l'extérieur équivaut à créer 6 500 emplois locaux.

Les fuites économiques posent aussi la question de la résilience de l'île. Les importations traduisent une certaine dépendance aux matériaux et matières qui ont été nécessaires pour extraire, produire et transporter les produits sur l'île. Les secteurs prioritaires de l'île concernent les machines, les équipements, l'énergie et l'agroalimentaire.

Il semble aujourd'hui peu envisageable de pouvoir remplacer des fuites par une offre locale sans développer des modèles économiques plus circulaires, plus petits, plus collaboratifs et plus inclusifs. Ces modèles permettent d'apporter plus facilement une réponse à des marchés et des niches locaux. Dans le secteur agroalimentaire et dans d'autres, nous avons évalué le potentiel de création d'emplois et de production locale. 10 % d'autonomie supplémentaire permet la création de dizaines d'emplois sur le territoire, à condition d'innover.

Dans l'agroalimentaire, il s'agit par exemple de foodlabs , de gestion des invendus, de micro-abattoirs. En matière d'agriculture urbaine, il est possible de générer un mouvement d'idéation en se fondant sur l'exemple de l'hydroponie aux États-Unis. Il s'agit de fermes périurbaines, plutôt verticales qu'horizontales et peu coûteuses foncièrement. Dans l'énergie, la méthanisation recèle un important potentiel. Les machines et les équipements, qui représentent le premier poste d'importations, sont la priorité absolue. Il peut sembler peu imaginable de produire sur l'île les machines et équipements. Pourtant, aux États-Unis, l'entreprise Local Motors produit les bus dans la ville dans laquelle ils vont circuler. Certaines micro-usines parviennent également à produire des équipements, du verre ou des biens en plastique. L'économie de la fonctionnalité peut également être développée, en favorisant l'usage et la location, ainsi que la réparation, plutôt que la production. Il est également possible d'aménager une déchetterie inversée dans laquelle des matériaux seraient déposés et d'autres matériaux recyclés seraient récupérés.

L'étude RÉELLE est une démarche qui a vocation à se développer sur d'autres territoires à forte résilience comme les économies montagneuses, les îles ou les petites villes en souffrance. Le modèle économique de cette démarche amène un nouveau souffle et réunit développement économique et développement durable. Nous sommes convaincus que, sans ce lien, le développement est impossible sur les îles. Je vous remercie.

Michel MAGRAS, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Merci infiniment. Je trouve remarquable l'idée de ne rien perdre. Réenraciner les flux rend l'économie plus économe et plus intelligente. Je me demande si ce modèle est applicable quelle que soit l'échelle.

Arnaud FLORENTIN

Les flux sont moins importants mais la demande est également moins importante. Nous essayons d'éduquer sur la macroéconomie des territoires qui accompagne cette démarche.

Guillaume BRANLAT, Président du directoire de Aéroport de La Réunion Roland-Garros

Merci Monsieur le président. Je remercie également la CPME Réunion. L'aéroport se donne pour mission première de relier les mondes et les hommes. Je vais vous faire voyager par cette vidéo de l'île de La Réunion.

L'aéroport reçoit 2,3 millions de passagers par an. Il est le 12 e aéroport français, le 2 e aéroport des DOM et le 16 e aéroport d'Afrique. Notre trafic passager vers l'Afrique et l'Asie représente seulement 4 % des personnes passant par l'aéroport. Nous sommes le 6 e aéroport français et le 1 er aéroport des DOM en matière de fret, dont le volume s'élève à 27 000 tonnes.

Source : Hervé Douris pour la SA Aéroport de La Réunion Roland-Garros

La société aéroportuaire emploie 275 salariés répartis sur 57 métiers différents. La plateforme aéroportuaire est exploitée par 80 entreprises qui offrent en tout 2 000 emplois. La connectivité et la croissance du trafic passager mesurent l'influence économique des aéroports. L'augmentation de 10 % de la connectivité accroît de 0,5 % le PIB. Lorsque le trafic passager reçoit 100 000 passagers supplémentaires, 100 emplois directs et 400 emplois indirects sont créés. En 2017, grâce à une hausse du trafic passager de 150 000 personnes, nous avons créé 150 emplois directs et 600 emplois indirects.

Les IDE, qui désignent les investissements directs extérieurs, sont renforcés et captés par la connectivité. En effet, la connectivité est un flux. Elle permet d'être connecté et relié aux mondes qui nous entourent. La connectivité permet également d'améliorer l'internationalisation des entreprises insulaires.

Nous prévoyons de recevoir 2,5 millions de passagers par an en 2020 et 3 millions en 2025. En d'autres termes, 500 emplois directs et 2 000 emplois indirects seront créés d'ici à 2025. Nous comptons relier 22 destinations en 2025, contre 16 aujourd'hui. La connectivité serait améliorée de 40 % et le PIB augmenterait de 2 %. Nous avons pour ambition de raccorder l'Afrique et l'Asie, car ce sont deux continents connaissant un fort développement.

Je vous dévoile en avant-première le nouveau terminal de l'aéroport, dédié aux arrivées, dont le coût d'investissement s'élève à 180 millions d'euros. Entre 30 millions et 40 millions d'euros relèveraient de la commande publique. Nous souhaitons que ce nouveau terminal constitue une vitrine pour le territoire et lui permette de se développer. Dans cet investissement, la stratégie du bon achat rend la commande publique vertueuse. Aujourd'hui, certains de nos appels d'offres restent sans réponse car l'aéroport n'est pas toujours accessible pour les entreprises. La stratégie du bon achat améliorera l'attractivité d'un maître d'ouvrage ou d'un acheteur public et donnera envie aux opérateurs économiques locaux de postuler.

Les aéroports se définissaient comme des infrastructures de transport. Aujourd'hui, ce sont des infrastructures intégrées qui s'inscrivent dans la chaîne de création de valeur sur le territoire. L'aéroport exploite l'infrastructure de transport. Il doit également développer des services permettant aux compagnies aériennes d'améliorer leur compétitivité, en optimisant le temps d'immobilisation de l'avion.

Nous souhaitons développer des activités à forte valeur ajoutée comme la maintenance aéronautique, dont nous avons fortement besoin. En effet, les techniciens d'équipements aéroportuaires sont localisés en Europe. Il s'agit également de stimuler l'innovation.

L'étude RÉELLE me permet de mesurer et d'objectiver les choix stratégiques que je dois faire en tant que chef d'entreprise, en m'aidant à établir des objectifs et un plan d'actions. L'étude RÉELLE mesure l'empreinte territoriale de l'activité aéroportuaire.

La dynamique de l'étude RÉELLE alimente la mise en place d'une dynamique de co-construction avec l'ensemble des acteurs du territoire, en stimulant un espace d'initiative et d'intelligence territoriales. Nous avons besoin de mieux travailler ensemble, mieux définir le projet commun et mieux collaborer.

La dynamique de co-construction se traduira par la mise en place d'un pôle aéronautique régional reposant sur trois piliers : la maintenance, les compétences et les métiers, et le transfert de technologies. La structuration de la filière aéronautique se manifeste par le lycée qui forme aux métiers aéronautiques. Cependant, une entreprise d'hélicoptères m'a récemment fait part de la pénurie de mécaniciens à laquelle elle fait face. Le pôle aéronautique servira à structurer la filière.

En conclusion, les Assises des outre-mer et celles du transport aérien seront bientôt rendues publiques. Nous avons fortement besoin du Fonds européen de développement régional (FEDER) pour nous développer. Le président de la Commission européenne, Monsieur Jean-Claude Juncker, a formulé des propositions intéressantes pour les outre-mer. Je crois qu'elles doivent être saisies pour qu'elles deviennent des décisions, afin d'améliorer nos infrastructures et notre accessibilité. En outre-mer, il nous importe d'être compétitifs et attractifs. Merci de votre attention.

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