PREMIÈRE TABLE RONDE - ÉCONOMIE CIRCULAIRE ET TERRITORIALISATION DE L'ACTIVITÉ DANS LES OUTRE-MER

PROPOS INTRODUCTIF
Jocelyne GUIDEZ, Sénatrice de l'Essonne

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les élus,

Mesdames et Messieurs qui apportez votre concours à la réussite de cet après-midi de communion entre les territoires et de démonstration des talents qui s'y déploient,

Chers amis venus vous informer des ressorts qui animent la vie économique de nos outre-mer,

je voudrais en premier lieu vous dire le plaisir que j'ai à être directement associée au déroulement de notre manifestation, moi qui suis à la fois élue de l'Essonne et établie en Martinique où se trouve une partie de mon berceau familial, comme vient de le rappeler aimablement le président Magras. Vous comprendrez combien m'est chère la démarche consistant à croiser les regards, confronter les expériences et intensifier les échanges !

Notre première table ronde, qui réunit un nombre important d'intervenants venus des trois océans, Atlantique, Indien et Pacifique, s'articule autour de deux séquences qui présentent deux axes forts favorisant l'ancrage territorial : la filiarisation des économies, d'une part, le développement de l'économie circulaire, d'autre part.

La structuration en filières doit constituer une voie privilégiée pour les économies des territoires, afin d'ancrer dans le paysage certaines activités auxquelles viendront s'agréger d'autres activités pour développer des chaînes de production plus économes des importations, capables de fixer localement les emplois, de valoriser les potentiels et d'asseoir une moindre dépendance vis-à-vis de l'extérieur. La filiarisation permet ainsi de conférer une plus grande cohésion et une meilleure robustesse au développement territorial.

La structuration en filières et le degré d'intégration des filières est évidemment variable selon les territoires, l'orientation de leur économie et leur degré de maturité. Mais, partout, la réflexion est à l'oeuvre sous l'impulsion tout à fait déterminante des organisations patronales et sectorielles qui fédèrent localement les énergies et dont de nombreux représentants sont aujourd'hui parmi nous. Dans des univers où sphère publique et sphère privée sont encore trop souvent séparées par une frontière étanche et éprouvent des difficultés à dialoguer, la prise de conscience tend néanmoins à s'accélérer et des synergies se concrétisent avec l'implication des collectivités locales. La Réunion et la Nouvelle-Calédonie en particulier en offrent de remarquables exemples !

De façon générale, les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire, du BTP, des énergies renouvelables ou des nouvelles technologies de l'information et de la communication sont particulièrement porteurs et moteurs. Que seraient la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion sans leur célèbre filière canne-sucre-rhum ? Que serait l'économie de La Réunion sans sa filière agroalimentaire ? Que serait l'économie calédonienne sans son industrie minière ?

Les enjeux sont majeurs à maints égards, notamment du point de vue de l'emploi local, mais aussi pour un rayonnement territorial sur le fondement d'une réputation d'excellence. Ainsi, le rhum agricole des DOM jouit-il d'une image de qualité exceptionnelle, reconnue d'ailleurs pour la Martinique par la labellisation AOC depuis 1996 ! La filière canne est en outre pourvoyeuse d'emploi et de cohésion territoriale avec plus de 5 000 exploitations sur les trois territoires concernés et près de 8 000 équivalents temps plein. De même, la filière banane est le premier employeur privé des Antilles françaises avec 56 % des salariés agricoles en Guadeloupe et 77 % en Martinique. De son côté, l'industrie minière est le premier employeur privé de Nouvelle-Calédonie avec environ 9 000 emplois directs ou en sous-traitance, sans compter les emplois induits dans le commerce et les services.

Et ce ne sont là que quelques exemples de réussite exemplaire ; mais nous en découvrirons bien d'autres dans quelques minutes ! En outre, les potentialités sont immenses, je pense notamment à celles de l'économie bleue, encore embryonnaire.

Cependant, le chemin du succès est souvent semé d'embûches et notre colloque a aussi vocation à exposer les difficultés rencontrées et les réponses apportées, l'expérience des pionniers pouvant parfois permettre aux acteurs émergents de surmonter plus aisément les obstacles et d'emprunter des raccourcis.

La seconde séquence de notre table ronde se focalisera sur les vertus de ce que l'on dénomme l'économie circulaire. Parce que nos territoires ultramarins se caractérisent souvent par la rareté du foncier disponible ainsi que des patrimoines naturels terrestres et maritimes d'une grande richesse, la préoccupation environnementale en termes de préservation et d'économie des ressources y est primordiale.

Sur ce chapitre aussi l'optimisation est de mise et les territoires se prennent en main ! Qu'il s'agisse de la gestion des déchets issus de la perliculture en Polynésie française, de la gestion durable des forêts guyanaises pour la production de sciages et profilés mais aussi de biomasse, ou encore du traitement et de la valorisation en Guadeloupe des déchets d'équipements électriques et électroniques récoltés dans la Caraïbe, la prise de conscience est générale et les plans d'action et les réalisations se multiplient. Ces initiatives sont bien sûr propices au développement d'un ancrage territorial de l'activité.

Mais les acteurs des territoires qui nous font l'honneur de leur présence au Sénat aujourd'hui sauront bien mieux que moi présenter les enjeux qui s'attachent à la structuration en filières et au développement d'une économie circulaire, de même que leurs contraintes et leurs atouts. Aussi vais-je m'effacer pour leur céder la parole.

Je vous remercie.

PREMIÈRE SÉQUENCE - MISER SUR LA « FILIARISATION » DE L'ÉCONOMIE »
Vincent GERONIMI, Directeur adjoint du CEMOTEV - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Merci Monsieur le sénateur, merci de cette invitation à venir échanger sur le sujet important des territoires ultramarins. Je suis universitaire et vais parler en tant que tel, mais pas seulement.

En premier lieu, je me suis permis de prendre du recul, en opérant la synthèse d'une littérature impressionnante portant sur les problèmes liés au développement des petites économies insulaires. Nous comprenons pourquoi l'ancrage territorial du développement, pour les petites économies insulaires, et plus spécifiquement les territoires ultramarins, constitue un enjeu.

Ensuite, j'ai beaucoup travaillé sur l'exemple de la Nouvelle-Calédonie. Elle présente d'intéressantes spécificités pour se développer, telles que le nickel qui y est présent en abondance. Une stratégie de développement industriel s'est construite, mais la Nouvelle-Calédonie ne parvient toujours pas à équilibrer sa balance commerciale, malgré d'importantes exportations de nickel, qui représentent l'essentiel de ses exportations.

Dans notre ouvrage La Nouvelle-Calédonie face à son destin , nous arrivions à la conclusion que la Nouvelle-Calédonie devrait, pour se développer de façon soutenable, exploiter et valoriser son patrimoine. Le lien entre le patrimoine et l'ancrage local des économies ultramarines consiste en ce que le patrimoine constitue un capital spécifique, matériel, immatériel ou naturel, qui s'inscrit sur un territoire. Autrement dit, ce patrimoine est introuvable ailleurs. Ainsi, il peut être le point de départ du développement d'une activité économique et de produits différenciés destinés à des marchés extérieurs. Il permet alors de s'insérer dans l'économie mondiale et de favoriser le développement des petites économies insulaires.

Certains éléments, souvent évoqués lorsqu'on parle des territoires insulaires, doivent être remis en cause. Par exemple, la faible taille d'un territoire est souvent considérée comme un handicap économique. Certes, de petits marchés offrent difficilement la possibilité de bénéficier de rendements d'échelle. Toutefois, si ce handicap était aussi important et incontournable, les petits territoires devraient présenter des performances économiques inférieures aux autres territoires. Or, la littérature démontre le contraire. Les revenus par habitant générés par de petites économies peuvent être supérieurs à ceux de plus grandes économies.

Ce résultat remet en cause la surdétermination des trajectoires de développement par la taille d'un pays ou des critères géographiques liés à l'insularité. De fait, les trajectoires et performances de croissance des petites économies insulaires sont très hétérogènes.

Cependant, comme le rappelait Monsieur Magras, les petites économies insulaires restent confrontées à la difficulté, d'un point de vue macroéconomique, d'équilibrer leur balance commerciale. Bien qu'un petit nombre d'entre elles parviennent à couvrir les exportations de marchandises par les importations de marchandises, cet objectif pour les territoires ultramarins paraît inatteignable. Le taux de couverture de la Nouvelle-Calédonie, dont la stratégie de développement repose sur l'exportation de nickel, atteint 60 %. Ce chiffre, qui désigne le rapport entre la valeur des exportations sur celle des importations, est élevé. Poser la bonne santé et le développement économiques de ces territoires en termes d'équilibre de la balance commerciale ne fait pas forcément sens.

Comme l'indiquent les recherches de Bertram et Poirine, les petites économies insulaires qui réussissent privilégient les services, en particulier le tourisme et les flux financiers. Ils peuvent provenir de sources différentes : la relation particulière ou le passe-droit accordé par une puissance tutélaire permettant de bénéficier de dispositions fiscales intéressantes, ou les transferts liés aux migrations, souvent dans les économies les plus pauvres. Les meilleures performances s'obtiennent par la combinaison des services et des flux financiers.

Les résultats de nos analyses de la Nouvelle-Calédonie montrent que les stratégies de différenciation des produits et services doivent être exploitées, par la mobilisation des patrimoines et actifs territoriaux spécifiques dont bénéficient les petites économies insulaires. Par patrimoine, je veux parler de patrimoine naturel ou immatériel. En effet, la richesse totale ne se mesure pas uniquement à l'investissement économique traditionnel qu'affichent les comptes nationaux. Elle inclut aussi la richesse immatérielle, plus difficile à saisir, comme le capital humain, la qualité de la formation, le capital culturel et social, la qualité des institutions. Les stratégies de développement ne prennent pas toujours en compte cet aspect immatériel.

Ce patrimoine et ces actifs ancrés dans les territoires peuvent fonder des stratégies de différenciation permettant d'échapper à la concurrence par les prix. Être le seul à vendre un produit différencié permet de pratiquer un prix plus élevé, ce qui compense des coûts importants, liés par exemple à la faible taille ou à l'éloignement géographique.

La filiarisation de l'économie doit reposer sur une stratégie de valorisation et de mobilisation des actifs territoriaux spécifiques. La différenciation fondée sur cette stratégie permet à une économie confrontée à des coûts importants de s'insérer dans un marché mondial concurrentiel, de garder de l'emploi au niveau local et de s'insérer dans les « chaînes de valeur mondiales », c'est-à-dire des filières mondiales.

La tentative d'exploiter l'endémisme du patrimoine naturel, comme c'est le cas en Nouvelle-Calédonie, constitue cependant un danger pour une telle stratégie. Les plantes qui accumulent beaucoup de nickel sont composées de molécules dont les propriétés se révèlent intéressantes pour l'industrie agroalimentaire. Développer cette filière, si c'est possible, permettrait d'obtenir un positionnement intéressant.

Le tourisme illustre également la distinction entre une stratégie différenciée et une stratégie ordinaire. Par exemple, le tourisme de masse en République Dominicaine opère une concurrence par les prix mais, de ce fait, la rentabilité baisse. C'est pourquoi le pays, depuis quelques années, a adapté sa stratégie touristique et exploite désormais son patrimoine et ses actifs territoriaux spécifiques, en plus du sable, du soleil et de la mer.

Je vous remercie pour votre attention.

Vincent PACINI, Enseignant, chercheur, entrepreneur et consultant

Merci et bonjour à tous. Je suis à la fois enseignant-chercheur, entrepreneur et consultant car je considère qu'on ne peut plus regarder le monde d'aujourd'hui avec une seule paire de lunettes. Dans mon travail, j'adopte plusieurs angles d'analyse.

Le graphique illustre à quel point le monde dans lequel nous vivons a changé. Il présente les courbes du produit intérieur brut (PIB) par habitant et les revenus par habitant de la Révolution industrielle à aujourd'hui. Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, les deux courbes sont corrélées. Dans ce monde des territoires de stocks, la création de richesse augmentait les revenus. Après la seconde guerre mondiale, la corrélation ne se retrouve plus. En d'autres termes, créer de la richesse sur un territoire n'augmente pas les revenus. Le PIB peut même baisser et les revenus augmenter. Cette transformation est la marque des territoires de flux.

Dans le monde des stocks, l'espérance de vie s'élevait à 50 ans environ. La moitié de la vie était consacrée au travail. Aujourd'hui, avec l'allongement de la durée de vie à 80 ans, un salarié aux 35 heures par semaine passe 14 % de sa vie à travailler. Avant, les lieux de vie et de travail étaient proches. Aujourd'hui, sur certains territoires, 60 à 70 % des actifs travaillent à l'extérieur. Les mécaniques et les dynamiques de développement ne sont plus les mêmes.

J'ai simplifié ces différences à travers deux modèles. Avant la seconde guerre mondiale, la richesse était créée et utilisée localement, et parfois exportée. La création de valeur reposait sur deux paramètres, l'agriculture et l'industrie. Dans le monde des flux, l'essentiel des revenus provient du paramètre résidentiel, qui représente en moyenne 50 % des revenus d'un territoire aujourd'hui, que ce soit en métropole ou en outre-mer. Ces revenus résidentiels se composent des retraites, du tourisme, des revenus portuaires et des revenus fonciers. Le tourisme génère 150 milliards d'euros. Additionnés aux 700 milliards d'euros versés par la sécurité sociale, la somme représente presque la moitié du PIB français.

Les revenus distribués par la sécurité sociale et l'administration publique irriguent l'économie des territoires, alors que les économies locales ne produisent que 20 % de leur revenu. En d'autres termes, aucune économie ni aucun territoire ne peuvent se développer seul, sans échanges extérieurs.

Cette manière d'observer la dynamique de développement d'un territoire produit un autre regard : certains territoires se considèrent comme pauvres, notamment en raison de leur nombre élevé de chômeurs et de bénéficiaires du RSA. Ces chiffres sont les marqueurs d'une réalité qui ne rend compte de la dynamique des flux. En effet ces mêmes territoires, peuvent capter bien plus de revenus (ramenés aux nombres d'habitants et par an) que la moyenne des territoires, mais leur modèle de développement a besoin de plus de ressources pour générer un emploi présentiel (emploi destiné à satisfaire les besoins des populations locales).

En résumé, les territoires qui présenteront demain les modèles de développement les plus robustes fonctionneront sur 3 leviers : créer de la valeur ajoutée exportable, capter des revenus et faire circuler les richesses captées et créées à l'intérieur du territoire. Et ces mécanismes devront s'inscrire dans une logique de croissance verte prenant notamment en compte une gestion raisonnée des ressources. La hausse mondiale du coût de l'énergie augmentera les coûts de production. Ainsi, l'importation d'énergie, qui représente 80 % du mix énergétique des territoires, crée un désavantage. Le développement peut reposer sur une plus forte indépendance énergétique et sur l'économie circulaire.

Le travail de recherche, commandé par Groupama en partenariat avec le CNAM, portait initialement sur l'impact de l'évolution des dynamiques territoriales sur les territoires de la France métropolitaine. L'étude a ensuite été étendue aux territoires d'outre-mer, notamment de l'océan Indien, des Antilles et à la Guyane. Nous avons appliqué la grille d'analyse utilisée pour l'espace métropolitain, en utilisant les trois critères suivants :

- l'attractivité : est-ce que le territoire attire des habitants, des revenus... ?

- la résilience : est-ce que le territoire a créé des emplois privés depuis la crise de 2008-2009 ?

- est-ce que le moteur présentiel génère de la richesse ?

Or, les résultats obtenus sont similaires à ceux de la France métropolitaine. Aucun territoire n'est condamné et les territoires ruraux ne sont pas nécessairement les territoires les plus fragiles.

Ma conclusion rejoint donc celle de Monsieur Geronimi. Il existe de réelles opportunités pour les territoires ultramarins, dès lors qu'ils prennent en compte la dynamique des flux dans leur stratégie et qu'ils cherchent à valoriser leurs spécificités. Je vous remercie.

Chérifa LINOSSIER, Présidente de la Représentation patronale du Pacifique sud (RPPS) et de la Confédération des PME de Nouvelle-Calédonie (CPME-NF)

Bonjour à toutes et à tous.

Les enjeux de structuration seront développés sur trois axes majeurs : le contexte économique des territoires français du Pacifique, la structuration des filières comme un enjeu de diversification et les freins liés à l'organisation institutionnelle de Nouvelle-Calédonie.

Les produits intérieurs bruts (PIB) par habitant de Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Polynésie française comptent parmi les PIB par habitant les plus élevés des territoires d'outre-mer français. Celui de Nouvelle-Calédonie est similaire au PIB par habitant en métropole et celui de la Polynésie française se situe dans la moyenne des territoires ultramarins.

Dans l'océan Pacifique, les territoires d'outre-mer français font partie des meilleures économies en termes de PIB par habitant. Cet indicateur en Nouvelle-Calédonie côtoie celui de la Nouvelle-Zélande.

Source : CEROM

Source : CEROM / Gouvernement NC

Toutefois, nos économies se sont souvent concentrées sur un seul secteur d'activité. En Polynésie française, par exemple, le tourisme compte 2 700 entreprises, génère 15 % du chiffre d'affaires du pays et emploie 16 % des effectifs salariés. La croissance économique s'élevait à 1,8 % en 2016, dont un tiers s'explique par la croissance du tourisme. La corrélation entre le taux de croissance économique et la fréquentation touristique est manifeste.

En Nouvelle-Calédonie, dans les années 1960 et 1970, le nickel représentait jusqu'à 30 % du PIB. Cette part a diminué lors des dernières décennies, mais la dépendance aux cours du nickel reste forte et la croissance économique demeure corrélée aux cours de ce métal.

Ces deux exemples illustrent la dépendance de ces territoires à la volatilité de leur levier de croissance respectif. Une stratégie de diversification des sources de croissance et de développement d'autres filières paraît alors nécessaire.

La perliculture en Polynésie française illustre l'importance de la structuration en filières. Si le gouvernement polynésien a marqué sa volonté de soutenir le développement de cette filière en 1990, elle a souffert d'un manque d'organisation et d'une surproduction chronique. Les ventes de perles ont ralenti dans les années 2000. De ce fait, les producteurs et les négociants se sont regroupés en groupement d'intérêt économique (GIE) afin de valoriser la perle de Tahiti et de dynamiser sa commercialisation. Le 13 décembre 2016, l'Assemblée polynésienne a adopté une loi relative à la réforme réglementaire. Aidée par la volonté des acteurs politiques et économiques, cette loi a permis la création d'un conseil de la perliculture, l'instauration de quotas et la mise en place de cartes professionnelles.

En Nouvelle-Calédonie, l'exemple de l'industrie manufacturière et de ses leviers de croissance sera présenté par Xavier Benoist.

La volonté politique et économique croissante de structurer certaines filières en Nouvelle-Calédonie s'est traduite par la réalisation d'études portant sur quatre filières considérées comme prioritaires : le recyclage, l'agriculture, la pêche et le tourisme. Cependant, la provincialisation de l'organisation institutionnelle constitue un frein à cette structuration. En Nouvelle-Calédonie, les provinces disposent en effet de compétences stratégiques élargies, mais chacune gère ses filières économiques indépendamment des autres.

En termes de développement rural, maritime et touristique, de réglementation environnementale, de développement économique et d'insertion professionnelle, chaque province développe sa propre stratégie, alors que la Nouvelle-Calédonie ne compte que 270 000 habitants. Les provinces ont commencé à structurer leurs filières, mais elles se limitent à leur zone géographique. En l'état, la provincialisation institutionnelle permet la structuration des filières uniquement à l'échelle locale, et non à l'échelle du territoire.

En conclusion, la diversification économique en Nouvelle-Calédonie doit reposer sur une stratégie de développement territoriale et sur la coordination des provinces qui sont volontaires. Les investisseurs et chefs d'entreprises que je représente sont en effet prêts à relever ce défi. Je vous remercie de votre attention.

Xavier BENOIST, Président de la Fédération des Industries de Nouvelle-Calédonie (FINC)

Merci Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, je vais partager avec vous l'exemple de l'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie. En écho aux propos de la sénatrice de l'Essonne, qui demandait ce que serait l'économie calédonienne sans le nickel, je demanderais ce que serait l'économie calédonienne sans son industrie de transformation.

En résonance avec les mots de Monsieur Geronimi, je crois qu'en Nouvelle-Calédonie l'esprit d'entreprendre est l'un des piliers de la réussite de la structuration des filières. Cet esprit pionnier perdure et il a permis, via le développement de modèles économiques en collaboration avec la puissance publique, la structuration de certaines filières. Aujourd'hui, nous faisons face à de nouveaux enjeux pour continuer ce développement.

Dans l'économie calédonienne, l'industrie compte 2 800 entreprises, dont 700 emploient 15 400 salariés dans le secteur privé, et contribue à 16 % de la création de valeur ajoutée. Elle est le premier employeur privé du territoire.

Cette industrie s'articule autour de trois principaux secteurs : le nickel, qui ne représentait que 3 % du PIB en 2015 selon les estimations de l'institut statistique ; l'industrie manufacturière, qui représente 9 % du PIB et emploie 8 % de la population active ; et l'énergie, amenée à se développer.

Comme l'indiquait le président, l'industrie de transformation se compose de 8 filières : le bâtiment, l'agroalimentaire, la consommation courante, le textile - je salue le président d'honneur de la fédération des industries textiles, également propriétaire de la quatrième entreprise textile française -, l'artisanat d'art - dont le président de la chambre des métiers et de l'artisanat est présent à cette séance -, l'impression et la signalétique, l'auto-moto-bateau, l'équipement industriel et la maintenance.

L'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie a également pu se développer grâce à l'accompagnement des pouvoirs publics dans les années 1980. Monsieur Tjibaou et Monsieur Lafleur ont en effet souhaité mettre en place une politique de développement économique pour résoudre les difficultés institutionnelles et civiles, avec le soutien de l'État.

La défiscalisation est très importante pour ce développement. Le montant du financement des projets d'entreprises s'élevait à 53 milliards de francs Pacifique en 2013, dont 8 % destinés à l'industrie manufacturière. Des outils de financement, essentiels bien que parfois peu performants, ont également été mis en place : l'AFD, BPI, l'IOM et les banques. Le système bancaire calédonien souffre cependant de certaines carences pour répondre à nos besoins.

La Nouvelle-Calédonie présente toujours une fiscalité à l'entrée, c'est-à-dire une taxation lors de l'entrée sur le marché, même si le difficile projet d'une réforme de type TVA est en cours. L'industrie de transformation bénéficie d'une exonération des taxes générales à l'importation (TGI). En d'autres termes, un importateur paye la TGI, mais elle n'est pas due par un producteur sur les matières premières et les emballages. Ainsi, l'industrie de transformation jouit d'un avantage concurrentiel. Elle bénéficie également d'une protection de marché sous la forme, d'une part, d'une taxe à l'entrée sur les produits importés et déjà transformés localement et, d'autre part, d'un dispositif quantitatif de quotas lorsqu'il existe une production locale. Un dispositif de défiscalisation locale, en plus de la défiscalisation nationale, accompagne aussi l'investissement productif.

Enfin, les provinces, dont je salue la première vice-présidente en charge du développement économique de la province sud, aident les PME et micro-entreprises grâce à un budget dédié. Il représente 4,8 % du montant des aides financières des provinces et constitue un élément essentiel pour l'accompagnement de l'industrie de transformation.

Une étude des Comptes économiques rapides pour l'outre-mer (CEROM) a mesuré le poids du nickel en Nouvelle-Calédonie dans l'industrie de transformation. En termes d'emplois liés ou de commandes d'achats reçus, l'industrie manufacturière n'est pas trop dépendante du développement du nickel, contrairement aux secteurs du BTP et du commerce. D'autres secteurs que le nickel pourraient ainsi se développer et permettraient d'accompagner l'épanouissement économique calédonien dans les prochaines années.

Aujourd'hui, l'industrie de transformation est bien implantée en Nouvelle-Calédonie. Il nous semble que la relance de la structuration des filières existantes doit reposer sur la volonté des acteurs économiques. À ce titre, les états généraux de l'industrie de novembre 2017 ont permis, d'une part, la création d'un « cluster », c'est-à-dire d'un réseau d'entreprises dédié à l'accompagnement des industriels pour exporter au niveau régional et, d'autre part, la structuration des filières en amont et à l'aval. Ils ont également favorisé l'émergence d'une volonté politique de la part de la Nouvelle-Calédonie, des provinces et de l'État.

Les états généraux de l'industrie se donnaient pour objectif la révolution de l'industrie calédonienne à travers 6 axes de travail. Un groupe d'environ 100 personnes, composé d'une moitié d'industriels et d'une autre moitié de représentants de la société civile, s'est rassemblé pendant deux jours pour réfléchir collectivement à ce que devrait et ce que pourrait être cette industrie d'ici 5 à 10 ans. 17 propositions ont été formulées. Elles ont fait naître 10 projets en cours de déploiement. Par exemple, un projet consiste à développer des solutions logistiques mutualisées pour les industriels calédoniens. Un autre prévoit, à moyen terme, l'utilisation d'un logo destiné à identifier les produits fabriqués localement qui respectent une charte de qualité.

La structuration de l'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie doit également reposer sur l'export. Il y a 4 ans, le nickel était considéré comme le seul produit exportable. Pourtant, une étude de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie a montré que 18 % d'industriels avaient déjà engagé des démarches pour exporter. Ainsi, un réseau d'entreprises exportatrices a été créé. Il compte une centaine d'adhérents, dont des fédérations patronales et des chambres consulaires. Le gouvernement calédonien a également déployé un plan stratégique qui s'appuie sur ce réseau pour accompagner les industriels et d'autres entreprises à exporter. Ainsi, en 2016, 18 entreprises ont réussi à exporter. Elles étaient 39 en 2017 et 64 en 2018, à la date d'arrêt de l'étude. La zone d'intervention s'étend aux pays de l'arc mélanésien, au Japon, à Taiwan et à la Chine, où elle exporte du textile.

La structuration des filières constitue un réel enjeu pour la Nouvelle-Calédonie et son industrie de transformation. Un transformateur de riz, qui importe sa matière première, est implanté sur le territoire depuis un certain temps. Aujourd'hui, dans le cadre de sa politique agricole, la province sud a entrepris des travaux avec la technopole pour cultiver du riz. Un débouché naturel pour écouler cette production existe. Une fois les rendements et la qualité nécessaires atteints, le transformateur de riz historique pourra être alimenté en matière première. De même, la filière béton et ciment se structure aujourd'hui. Enfin, avec la mise en place de nouvelles réglementations, l'industrie du chauffe-eau solaire devrait se structurer prochainement. Elle attise cependant des appétits extérieurs au territoire qui contribuent à freiner, voire empêcher cette structuration.

Un certain nombre de nos interlocuteurs au sein de l'administration française affirment que la Nouvelle-Calédonie est compétente pour son développement économique car les provinces le sont. Certes. Mais l'État dispose d'outils très performants qui nous font défaut. Tant qu'un autre outil n'aura pas été déployé, la défiscalisation doit être maintenue. Or, BPI France est une institution puissante. Certains de ses dispositifs ont été déployés, mais la Nouvelle-Calédonie a besoin d'elle et de l'État pour modifier le système bancaire. Le gouvernement calédonien et les provinces doivent bien entendu accompagner le développement stratégique pour relancer la structuration des filières existantes.

Une autorité indépendante de la concurrence a récemment été créée. Elle préconise une concurrence complète et totale pour réguler les marchés. Cependant, la concurrence menace les outils tels que les protections de marché et les exonérations spécifiques. Ainsi, nous ne sommes pas entièrement en accord avec un modèle économique essentiellement régulé par la concurrence. Je pense que nos élus ont un rôle à jouer pour développer des modèles libéraux régulés permettant d'accompagner la structuration des filières de l'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie.

En conclusion, quel que soit le choix institutionnel du 4 novembre ou des référendums à venir, le développement de la Nouvelle-Calédonie doit reposer sur le développement de ses filières. La volonté, le savoir-faire et l'innovation existent en Nouvelle-Calédonie. La stratégie de l'État, ambitieuse, annoncée par le président Macron autour d'un axe indo-pacifique, est une très bonne nouvelle. Elle est essentielle pour nous accompagner, mais elle nécessite la mobilisation de moyens qui n'existent pas aujourd'hui. Je vous remercie.

Grégory NICOLET, Président de l'Interprobois Guyane

Bonjour Mesdames, bonjour Messieurs. Je vais vous présenter la façon dont s'est structurée l'interprofession des bois de Guyane.

Les exploitants forestiers et les scieurs, la mission « forêt bois » à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Guyane et la commission « bois » des moyennes et petites industries (MPI) de Guyane se sont regroupés à maintes reprises contre l'Office national des forêts, unique fournisseur. Par la suite, les exploitants et scieurs ont exposé leurs revendications aux autres entrepreneurs de la filière.

En 2009, malgré des différences de points de vue et de taille d'entreprise, une dizaine de corporations de métiers différentes ont été regroupées pour créer l'interprofession bois : gestionnaires forestiers, exploitants forestiers, scieurs, charpentiers, menuisiers, ébénistes, artisans d'art, architectes et professionnels de la filière bois-énergie. L'interprofession compte 215 entreprises, souvent de petite taille, dont 23 PME, et représente 830 emplois.

Avec le soutien de la CCI et des acteurs publics, nous avons été lauréats du dispositif « Grappe d'entreprises » et permis la promotion de la filière bois. Grâce à cette dotation, nous avons financé la création de la Maison de la forêt et des bois de Guyane. Elle s'érige comme un totem de nos métiers au milieu de la ville depuis la fin de sa construction en fin d'année 2017. Nous souhaitons également obtenir une certification de gestion durable de nos massifs forestiers. Nous sommes déjà labellisés PEFC et nous sommes en cours de labélisation FSC de nos 8 millions d'hectares de forêt.

La création d'un centre technique des bois et des forêts de Guyane pour développer des produits innovants est également prévue. Nous obtiendrions ainsi un meilleur positionnement à l'export et un meilleur ancrage local. En effet, de nombreux produits brésiliens, surinamiens, américains et nord-européens sont commercialisés. Face à cette concurrence, nous devons innover et proposer de nouveaux produits. Se positionner sur les marchés extérieurs nous permettrait également de réduire notre dépendance à la commande publique. Cette stratégie à l'export se heure cependant à des frais de port élevés et à des lignes commerciales difficiles plutôt tournées vers l'import. Aujourd'hui, environ 25 % de la production est exportée. Nous souhaitons que cette part atteigne 50 à 60 % dans les 6 ou 7 prochaines années.

La composition de l'interprofession bois est hétérogène. Certains corps de métiers, comme les scieurs et les charpentiers, sont surreprésentés tandis que d'autres, comme les menuisiers d'art et les ébénistes, sont sous-représentés malgré leur importance pour exporter sur des marchés de niche à forte valeur ajoutée. Ils sont peu structurés, mais nous avons intérêt à les soutenir. Par exemple, certains exportent au Canada et en Amérique du Nord.

Les entreprises sont très dispersées en Guyane. Nous sommes certes présents sur l'ensemble du territoire, mais nous rencontrons des difficultés pour nous réunir et communiquer. Nous réussissons cependant à construire une vision globale de la filière.

L'interprofession compte un seul fournisseur de bois : l'État. L'Office national des forêts (ONF) relève à la fois du secteur privé pour le bois et du secteur public pour la préservation des forêts. Le dialogue était parfois difficile avec cet acteur mais, grâce à l'interprofession, des points d'accord ont été trouvés.

Avec 215 entreprises, le tissu entrepreneurial se révèle peu dense, mais le projet de développement stratégique de la filière sur 10 ans amorcé en 2010 et mis en place en 2015 devrait tripler le nombre d'entreprises et créer 1 000 emplois directs. Il repose sur le développement de la filière biomasse, autrement dit le recyclage des connexes de l'exploitation forestière et des premières et deuxièmes transformations.

Notre modèle économique a correctement fonctionné jusqu'en 2011. Ensuite, la chute d'activité a fortement déséquilibré la filière et d'autres sources de revenus ont dû être trouvées. En accord avec les programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE), nos efforts se sont concentrés sur le développement des énergies renouvelables et de la filière biomasse. Un objectif de fourniture de 25 Mégawatts d'électricité issue de la biomasse a été fixé. Cette stratégie de diversification concerne et unit l'ensemble des entreprises de l'interprofession.

Malgré l'hétérogénéité des acteurs de la filière bois, nous avons réussi à définir une vision commune qui a permis la naissance de l'interprofession. Tandis que certains exploitent la forêt et que d'autres s'approvisionnent sur le marché extérieur, une prise de conscience de l'interdépendance des acteurs a pu émerger. L'effondrement d'un secteur affaiblirait les autres.

Pour mieux se positionner sur les marchés locaux, une marque « bois de Guyane française » a été créée. L'obtention de l'écocertification constitue une réussite d'un point de vue éthique. Nous sommes reconnus pour notre exemplarité par les secteurs forestiers tropicaux, européens et nord-américains.

Une aide aux surcoûts a été mise en place. Sa négociation a débuté environ 10 ans auparavant et l'interprofession l'a confirmée. Ainsi, nous prévoyons de collecter et centraliser les fonds reçus pour l'aide aux surcoûts afin d'organiser des actions collectives pour se positionner sur les marchés extérieurs. L'argent collecté va soutenir l'émergence de la première entreprise de bois massif abouté et de bois massif reconstitué destinés aux marchés européen et nord-américain. Les bois seront résistants aux intempéries et aux termites. Une telle usine coûte entre 5 et 6 millions d'euros. Or, aucun acteur de la filière ne serait capable d'assumer seul les risques sans l'argent collecté.

Sur 10 ans, nous souhaitons réduire notre dépendance économique à l'exploitation de la forêt primaire. Elle constitue une source de richesse importante, mais sa conservation est une priorité. La valeur du bois est aujourd'hui connue, mais elle risque d'augmenter dans les prochaines années, en raison de sa rareté croissante. Dans certains pays d'Asie, la valeur de certains bois a été multipliée par 10. Ainsi, l'exploitation d'une forêt de plantation permettrait de préserver la forêt primaire. Grâce au développement de la filière biomasse, nous aurons les moyens de valoriser cette forêt de plantation sur les marchés. Dans un premier temps, le bois sera destiné à la filière bois-énergie. Dans 20 ans, des bois d'oeuvre pourront être exploités pour la construction de logements. Les bois de la forêt primaire seront destinés à des marchés de niche, afin d'en retirer la plus haute valeur possible.

Nous faisons face à de nombreux défis : augmenter l'activité des filières, atteindre les seuils de rentabilité des équipements industriels, assurer la fluidité des chaînes de transformation, diversifier les approvisionnements et les productions, construire une offre compétitive, développer le marché local du bâtiment, approvisionner les centrales biomasses et se positionner sur les marchés à l'export.

Nous devons également renforcer le poids économique de la filière bois, attirer des investisseurs, pérenniser les formations aux métiers de la filière et adapter les infrastructures. La Guyane connaît une forte pression démographique et compte de nombreux jeunes actifs. Ainsi, développer la formation professionnelle et créer de l'emploi localement constitue un enjeu pour la filière. L'ensemble des métiers de la filière sont proposés à la formation : sylviculteurs, exploitants forestiers, scieurs, mécaniciens, hydrauliciens, professionnels de l'énergie. La formation s'adresse à tous les niveaux, du CAP ou BEP à Bac+5. La création d'emploi favorisera la stabilité du territoire.

La production de bois d'oeuvre s'élève à 70 000 m 3 . Nous prévoyons un triplement de notre capacité de production dans 10 ans et une production de bois énergie de 300 000 tonnes.

Désormais établie, l'interprofession bois doit accélérer sa structuration. Nous souhaitons obtenir une reconnaissance nationale, puis européenne. L'ensemble des projets ont pu être réalisés grâce à la volonté des chefs d'entreprise. La reprise de la croissance économique en Guyane favorise notre optimisme. Selon nous, l'interprofession est promise à un grand avenir. Merci de votre attention.

Une stratégie de développement à 10 ans

Philippe LABRO, Président du Syndicat du Sucre de La Réunion

Je remercie le président Magras pour l'invitation à ce débat. Mesdames et Messieurs, chers amis de l'outre-mer, la structuration des filières me semble constituer une solution adaptée aux outre-mer. Je vous présenterai dans un premier temps les avantages de la structuration des filières, puis ses avantages en outre-mer. Enfin, j'illustrerai mon propos par l'exemple de la filière canne-sucre en outre-mer.

Selon moi, la structuration des filières offre de nombreux avantages aux secteurs de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire pour quatre raisons. D'abord, elle permet l'émergence d'une vision stratégique commune et partagée par les différents acteurs de la chaîne de valeur. Ensuite, la structuration constitue un outil de régulation, dont nos marchés ont de plus en plus besoin. Sur les marchés alimentaires, la régulation stabilise les niveaux d'activité et limite les crises de surproduction ou de pénurie. Troisièmement, elle permet la construction de stratégies de long terme essentielles dans des secteurs d'activité requérant d'importants investissements. Enfin, la structuration assure un meilleur partage de la valeur ajoutée au sein d'une filière.

Un nombre croissant de secteurs se structure en France et en Europe, comme en témoignent les états généraux de l'alimentation et la nouvelle politique agricole commune (PAC). Or, en termes de structuration, les départements d'outre-mer (DOM) peuvent servir de modèle.

Les DOM sont précurseurs en la matière car la nécessité de se structurer y est particulièrement importante. Dans un monde de plus en plus aléatoire et ouvert, le besoin de stabilité s'accroît. Or, les départements et collectivités d'outre-mer sont par nature plus touchés par les aléas, les instabilités et les perturbations. La structuration satisfait le besoin de stabilité.

Les perturbations résultent de causes externes et internes. Les DOM-COM reçoivent régulièrement sur leurs marchés les produits de dégagement, c'est-à-dire les surplus de produits fabriqués en métropole. Ces surplus déstabilisent les marchés locaux. En outre, la situation géographique de nos îles est propice aux incidents climatiques et la taille des marchés locaux est réduite.

Le POSEI, développé en marge de la PAC et particulièrement adapté aux régions ultrapériphériques, s'est construit pour accompagner le développement des filières. À ce titre, il doit être défendu à la fois sur le principe et sur le montant des enveloppes.

La filière canne-sucre est organisée en interprofession depuis 2006. Je salue Monsieur Isidore Laravine, co-président de l'interprofession. La structuration de la filière a apporté de nombreux avantages à l'économie et à la société de La Réunion.

La naissance de l'interprofession a permis de s'engager sur le long terme et de construire une vision partagée. En d'autres termes, nous avons choisi notre modèle de développement agricole et nous le préservons. Ce modèle est fondé sur de petites exploitations familiales créatrices d'emplois. La Réunion compte 3 000 exploitations cannières, dont la taille moyenne atteint 7,5 hectares en comptant les terrains destinés à l'exploitation d'autres matières premières. En comparaison, les exploitations en métropole s'étendent sur 120 hectares en moyenne, dont 20 hectares sont dédiés à la betterave et 100 hectares au maïs ou au blé. Le modèle mis en place dans les DOM offre 20 fois plus d'emplois à l'hectare que les cultures céréalières métropolitaines.

La structuration en filière repose sur un état d'esprit qui favorise le travail collectif et les partenariats. Le modèle réunionnais est fondé sur la complémentarité des filières agricoles. La production agricole atteint 300 millions d'euros en valeur, dont un tiers est produit par la filière canne, un tiers par la filière animale et un tiers par la filière végétale. La chaîne de valeur ajoutée de la canne s'élargit à la transformation industrielle. Ainsi, la filière canne-sucre à La Réunion est prédominante dans la production de valeur. Or, la stabilité offerte par la structuration de la filière a permis à l'interprofession de diversifier ses activités.

Par ailleurs, les exploitations de canne à sucre à La Réunion s'étendent sur toutes les communes de l'île, excepté Cilaos. Des installations industrielles, des sucreries, des centres de réception de la canne à sucre et des centres de recherche parsèment également le territoire.

Sur l'île de La Réunion, la filière canne-sucre génère 18 300 emplois directs, indirects et induits, soit 13 % des salariés du secteur privé et 9 % de la population active. En métropole, aucune activité n'atteint cette ampleur. Dans les mêmes proportions, la filière y emploierait 2,3 millions de personnes. Bien que La Réunion n'équilibre pas sa balance commerciale, elle exporte de nombreux produits issus de la filière. Le sucre et le rhum représentent deux tiers des exportations de La Réunion.

La bioéconomie peut bénéficier de la structuration de la filière canne-sucre. La culture de la canne à sucre est adaptée au climat de l'île car elle résiste aux aléas météorologiques. De plus, la canne à sucre participe aussi aux paysages de l'île et favorise le tourisme. Les deux sucreries les plus visitées de La Réunion accueillent chacune 300 000 visiteurs par an. En prenant en compte le musée du sucre et le musée du rhum, un touriste sur trois visite un site industriel. De même qu'elle est complémentaire des filières animale et végétale, la filière canne-sucre est complémentaire du tourisme. Enfin, le parc de canne à sucre capte l'ensemble des émissions en CO 2 des activités de l'île.

Dans le cadre de l'interprofession, des conventions de 6 ou 7 ans sont signées entre les producteurs de canne à sucre et les industriels. Elles assurent au producteur l'existence d'un débouché à prix fixe pour l'ensemble de sa production et protègent des crises de surproduction. Ainsi, les producteurs peuvent prendre le risque de se diversifier dans la filière animale ou la filière végétale. Grâce à cette organisation économique, le taux d'autosuffisance en produits agricoles frais atteint 80 % sur l'île.

Le modèle de l'interprofession constitue un exemple unique en France et en Europe et est amené à perdurer. Depuis les années 1980, l'industrie sucrière réunionnaise a développé 9 innovations mondiales réutilisées par le Brésil et l'Inde, dont 5 ces 7 dernières années. 10 millions d'euros sont investis chaque année dans les outils industriels. Le budget de recherche et développement s'élève à 6,5 millions d'euros par an.

L'économie cannière s'inscrit dans un modèle de développement circulaire. L'ensemble des composants de la canne à sucre servent la production. Ainsi, la bagasse permet de produire 10 % de l'électricité de l'île.

La majeure partie de la production de sucre est exportée en France et en Europe. La mélasse sert à la production de rhum et d'aliments pour le bétail. La bagasse permet, quant à elle, la production d'électricité. La production s'effectue dans un circuit intégré, rien n'est jeté. Ainsi, grâce à la réutilisation des écumes riches en amendements, nous pouvons éviter d'importer de l'engrais. La filière canne-sucre consomme peu d'herbicides et de produits chimiques.

La structuration de la filière canne-sucre permet tout à la fois le développement territorial, l'emploi, l'exportation, la complémentarité des filières agricoles, l'innovation, la bioéconomie et l'économie circulaire. J'espère vous avoir prouvé l'intérêt de la structuration en filières et j'appelle à défendre le POSEI qui la favorise. Merci à tous.

Source : Adrien Diss pour le Syndicat du Sucre de La Réunion (SSR)

SECONDE SÉQUENCE - STIMULER LES DÉMARCHES « RECYCLAGE ET VALORISATION »
Johnny LAW YEN, Président de Solyval

Bonjour à tous,

Merci de votre invitation Monsieur le président.

La décomposition du pneumatique dure des siècles s'il n'est pas recyclé. À La Réunion, depuis plus de 10 ans, nous avons construit une filière de recyclage avec certains partenaires. La prise en charge des déchets pneumatiques est une nécessité d'intérêt général. Avec un parc de plus de 400 000 véhicules, le risque sanitaire et environnemental est élevé. La saison des pluies dure 6 mois et la propagation des moustiques et des maladies vectorielles constitue un fléau. Un pneumatique peut contenir autant de larves que 20 ou 30 soucoupes d'eau. Les dépôts sauvages de pneumatiques favorisaient la prolifération de moustiques et de maladies. En 2005 et 2006, le chikungunya a touché un quart de la population et tué plus de 200 personnes. L'activité touristique s'est alors réduite de moitié. En outre, la combustion des pneumatiques pose des problèmes environnementaux et peut mettre du temps à s'éteindre.

Ainsi, entre 2004 et 2006, une filière de recyclage des pneumatiques s'est construite avec les importateurs et l'éco-organisme AVPUR. AVPUR désigne l'association pour la valorisation des pneumatiques usagés à La Réunion. Son rôle consiste à fédérer les importateurs et à structurer financièrement et techniquement la filière. Aujourd'hui, la filière compte 57 importateurs et collecte 75 % des pneumatiques de l'île. La société Run Environnement s'occupe de la collecte et Solyval gère le centre de tri, de regroupement et de recyclage. En 2019, la filière emploiera environ 30 personnes grâce au projet de revalorisation des pneumatiques.

Solyval, composée de 7 personnes, recycle la majorité des pneumatiques usagés sur l'île. Les pneumatiques collectés sont rapatriés sur le site de production, d'une taille de 1,2 hectare. Ils sont ensuite pesés puis triés. Les pneumatiques réutilisables, qui représentent entre 2 et 4 % des pneumatiques collectés, sont exportés à Madagascar. Les autres sont coupés et broyés. Le résultat, appelé « chips », servira au BTP ou sera exporté. Nous en transformons également une partie en gomme de caoutchouc, en acier et en textile. La gomme de caoutchouc permet la construction d'aires de jeux locales et l'acier est exporté. Une partie du textile est destinée aux centres équestres, l'autre partie aux centres d'enfouissement technique.

Avec les chips de pneu, nous avons réalisé d'importants chantiers pour Crête d'Or. Ces chips, utilisées comme produits drainants, permettent la création de bassins drainants. Par ailleurs, des murs de soutènement de la Zac Portail ont été construits à l'aide de ce matériau.

80 % de notre production est exportée, essentiellement en Inde. Lors de la naissance du projet, nous avions sous-estimé le potentiel de la filière à l'export. En 2010, nous avons fourni la FIFA en granulats de caoutchouc pour la Coupe du Monde de Football en Afrique du Sud.

Mais notre dépendance à l'export est forte. Les marchandises envoyées en Inde sont transformées en produits finis. Or, des usines de transformation pourraient être construites à La Réunion. Elles permettraient de générer de l'activité et de créer de l'emploi. En outre, la Chine a mis un terme à l'importation de déchets. Cette décision déstabilise la filière du recyclage en Europe et sur nos territoires. Enfin, le transport maritime est coûteux. Ainsi, nous souhaitons réduire notre dépendance à l'export.

Des études réalisées avec la CPME et nos partenaires des filières BTP et déchets ont montré l'existence d'un marché local pour les produits issus des granulats de caoutchouc. Ainsi, un nouveau projet de production de produits moulés, appelé Solygom, a été lancé. Nous sommes accompagnés par la région, l'ADEME et le Territoire de la Côte Ouest. Cet accompagnement nous permet de nous insérer sur nos petits marchés et d'être compétitifs.

Solygom prévoit la construction de dalles, de terrasses, d'allées, de panneaux et de tapis de confort pour les animaux d'élevage. Nous proposons un large panel de produits. Je compte sur la puissance publique et sur les territoires pour soutenir cette activité. Solygom s'inscrit dans l'économie circulaire, car les produits de la gamme pourront être réutilisés.

En conclusion, la filière se développe au niveau local. L'association AVPUR est performante grâce à sa bonne connaissance du terrain. Un débat national destiné à recadrer les éco-organismes est en cours et j'espère qu'AVPUR se maintiendra.

Merci de votre attention.

Chérifa LINOSSIER, Présidente de la Représentation patronale du Pacifique sud (RPPS) et de la Confédération des PME de Nouvelle-Calédonie (CPME-NF)

La CPME de Nouvelle-Calédonie s'est engagée dans une démarche de développement durable pour diversifier ses leviers de croissance économique. Il existe des fortunes dans nos poubelles. Deux femmes cheffes d'entreprise dans l'industrie, que je félicite, vont vous présenter leurs activités. Nous pouvons être fiers de nos territoires pour ces exemples de parité dans l'entreprise. Je suis fière de vous faire découvrir ces deux femmes courageuses. Merci.

Présentation d'un film sur l'activité de deux entreprises calédoniennes, OZD (recyclage de déchets organiques en compost, engrais et matériaux biomasse) et Recy'verre (recyclage du verre)

Jean-Marc AMPIGNY, Gérant de la société Essainia (2TDA SARL)

Monsieur le président, je vous remercie de l'occasion que vous me donnez d'exposer ce projet innovant et important pour le territoire. Je salue la présidente de la CGPME-CPME Martinique présente dans l'assemblée et qui m'a sollicité pour l'occasion.

L'assainissement non collectif en Martinique concerne plus de 60 % des foyers, dont seuls 20 % font l'objet d'un entretien régulier malgré ce que prévoit la loi. En d'autres termes, 47 000 habitations disposent de fosses septiques et 100 microstations, hors zone de la Communauté d'agglomération du centre de Martinique (Cacem), sont réparties dans le nord et le sud de l'île.

18 entreprises de vidange agréées collectent les boues des particuliers. Ces boues représentent un volume de 110 000 m 3 sur l'ensemble du territoire et 72 000 m 3 sur notre zone d'intervention. Dans un premier temps, nous nous sommes fixés un objectif de collecte de 50 % du volume de boue. Jusqu'au début de l'année 2018, seul le centre agréé de la Cacem était en mesure de récupérer les boues collectées. Les coûts d'acheminement vers ce site unique peuvent être importants suivant l'origine géographique des boues en raison de sa localisation et de la difficulté de circulation sur l'île.

Le projet Essainia vient répondre à ce besoin de traitement des boues sur la partie nord-est du territoire. En effet l `étude de faisabilité réalisée en 2013 avec le concours de l'Office de l'eau, l'ADEME, le bureau d'études SCE et Vilea, recommande la construction d'unités de traitement dont l'une sur le nord Atlantique.

Dans un contexte insulaire, trouver des terrains adaptés est extrêmement difficile. Le premier centre a été édifié au Marigot, car le maire de la ville, Monsieur Peraste, a tout de suite adhéré à la nécessité de ce projet et a pu identifier un terrain adapté. Dès 2014, la région devenue collectivité territoriale de Martinique (CTM) s'engage et nous convenons avec la société Maisonneuve de la mise en place d'une plateforme de traitement pilote. En 2015, les dossiers administratifs pour l'éligibilité et l'obtention de fonds européens sont constitués, par ailleurs l'arrêté préfectoral d'autorisation et le permis de construire sont obtenus. Le chantier débute en 2016 et est livré en novembre 2017. Je vous propose maintenant de visionner le film de présentation du projet....

Les images présentent l'évolution du chantier. En juin 2017, le génie civil était déjà avancé. Il se termine en juillet. En août, les équipements sont posés. En novembre, les premières boues sont acheminées par camion hydrocureur.

Je vous projette un autre film présentant cette fois-ci l'inauguration de la plateforme du Marigot.

En conclusion, le projet Essainia repose sur la réalisation de plusieurs plateformes de traitement qui seront judicieusement positionnées, conformément à l'étude de faisabilité évoquée précédemment. La maîtrise foncière est une phase toujours difficile mais pour la prochaine étape nous sommes en passe d'aboutir.

Cependant, sur les 18 entreprises agréées pour collecter les boues, 3 seulement ont adhéré au projet et une seule achemine les boues régulièrement.

Il est donc indispensable que l'État, qui délivre les agréments aux professionnels, s'assure du respect par ces derniers de la loi en matière sanitaire. L'environnement relève du droit pénal et les entreprises doivent être largement sensibilisées afin qu'elles jouent pleinement leur rôle dans la préservation de notre environnement.

Pour toute précision n'hésitez pas à consulter notre site internet www.essainia.fr qui héberge les films projetés lors de cette présentation et fournit des explications complémentaires. Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre écoute attentive.

Christian TORRES, Président de la SIDREP

Bonsoir à tous. Je suis martiniquais et vis dans les Antilles depuis 35 ans. En France, j'étais spécialiste dans le traitement des centres d'enfouissement pour la société John Deere. À l'époque, tout, le bon comme le mauvais, était enseveli. Ainsi, je me suis rendu compte que les décharges publiques recelaient des opportunités économiques : ce constat est toujours valable.

Aux Antilles, j'ai lancé l'entreprise MPM. Elle fabrique des préformes, ces soufflés en plastique destinés à la production de bouteilles par les minéraliers et les entreprises de boissons gazeuses. Il y a 23 ans, j'étais persuadé que les déchets constituaient une matière première réutilisable. J'avais déjà conscience de l'économie circulaire et du recyclage. Cependant, aucun marché n'existait et je me suis concentré sur la fabrication de préformes à partir de produits dérivés du pétrole, importés du Mexique ou de Lituanie par exemple.

Mais l'idée de transformation du plastique m'est restée. Tout ce qui se construit se déconstruit, les matériaux récupérés sont réutilisables. Après plusieurs années, les Autrichiens ont trouvé le moyen de recycler les bouteilles en plastique, mais le résultat ne pouvait pas être utilisé dans la production de contenants alimentaires.

Lorsque la technologie pour recycler des bouteilles en plastique alimentaire a été disponible, j'ai décidé de créer Sidrep, une usine de recyclage en Martinique. J'étais précurseur, contre toute attente. Le Fonds européen de développement régional (FEDER) m'a accompagné dans le financement de l'usine située sur un terrain près du port. L'usine est implantée sur un terrain de 8 000 m 2 d'une valeur de 250 euros le m 2 . Comme l'a rappelé précédemment Monsieur Ampigny, tout est coûteux à la Martinique. Les banques nous ont suivis avec beaucoup de réticence. Le projet a mis du temps à se mettre en place.

Le coût total du projet s'élève à 11 millions d'euros, foncier compris. L'usine se compose de deux lignes. La première lave 600 kg de bouteilles par heure, soit 4 500 tonnes par an, les réduit en paillettes et les lave à nouveau pour atteindre l'alimentarité. La seconde transforme les paillettes en granulés stériles destinés à l'usine de fabrication des préformes.

L'installation de l'usine au port de Fort-de-France donne accès aux marchés des Caraïbes. Il n'y a pas d'usines de préformes entre la République dominicaine et Trinité-et-Tobago ; or, 1,4 milliard de préformes sont transformées dans cette zone. Il n'y a pas non plus d'usine de recyclage et la plus proche, au Costa Rica, n'effectue pas la transformation finale ; il faut sinon aller aux États-Unis. Nous avions mis toutes les chances de notre côté ; les usines de la République dominicaine et de Trinité-et-Tobago étaient même susceptibles d'acheter notre éventuel surplus.

Les collectivités territoriales sont chargées de la collecte et du tri sélectif, conformément au contrat signé avec l'entreprise Citeo, émanation des plus importants minéraliers français. Elle est financée par une taxe sur les emballages fabriqués et elle redistribue les fonds collectés aux collectivités en fonction du poids de déchets triés. En Guyane, le processus de tri a démarré il y a moins de deux ans et il faut attendre avant de porter une appréciation. En Martinique et en Guadeloupe, 14 000 tonnes de plastique sont jetées chaque année et seulement 11 % de ce volume est collecté. Aux Antilles, mon usine traite seulement 1 000 tonnes de déchets malgré sa capacité de production de 4 500 tonnes par an. Ainsi, nous éprouvons des difficultés à honorer nos dettes.

Je me suis aperçu que lorsque l'on sort du cycle privé/privé, cela ne marche pas. Avec mon autre société MPM, je travaille avec des acteurs du secteur privé s et l'usine tourne. Nous répondons à 92 % des besoins de préformes des entreprises en Martinique, un peu moins en Guadeloupe.

Malgré l'argent investi par les collectivités - environ la moitié des 11 millions d'euros évoqués précédemment - et par moi-même, un tiers du personnel de l'usine Sidrep a dû être licencié il y a 6 mois en raison d'une trop faible activité. Il faut être un peu un aventurier pour innover dans les outre-mer ; malgré mon engagement pour faire vivre cette société, elle n'y arrive plus aujourd'hui. Lors des 20 ans d'Eco-Emballages, en décembre 2012, elle avait été citée en exemple devant plus de 1 800 personnes comme la première entreprise de plasturgie s'inscrivant dans l'économie circulaire dans les outre-mer ; je ne voudrais pas réunir à nouveau 1 800 personnes pour annoncer sa disparition en raison de défaillances de la part de Citeo et des collectivités territoriales. Ceci ne pourrait que renforcer les craintes de tous ceux qui veulent entreprendre outre-mer. Vous risquez l'argent de toute une vie dans une affaire ainsi que de plonger, dans le même temps, vos salariés dans la difficulté parce que le système ne fonctionne pas. J'ai alerté le ministère des outre-mer et la préfecture, mais la situation n'évolue pas rapidement. Le temps des banquiers n'est pas celui des politiques : ils attendent que l'argent rentre, sinon, c'est la mort ! Je vous remercie pour votre écoute.

Antoine DE PALMAS, Directeur régional recyclage et valorisation La Réunion, Mayotte et Nouvelle-Calédonie Suez

Merci, Monsieur le président, de votre invitation. Je suis honoré de défendre le développement des outre-mer et la défense de l'environnement. Je vais tâcher de présenter ma vision et celle du groupe Suez de la problématique des déchets à La Réunion et en outre-mer. La règle de Pareto illustre cette problématique. 80 % des sujets, tels la mise en place du tri sélectif, le traitement des ordures ménagères et la valorisation des encombrants ont été réglés. Ils étaient probablement faciles à mettre en place. Le témoignage précédent montre que les 20 % restants sont les plus complexes à mener, mais, j'en suis persuadé, les plus intéressants et les plus valorisants.

Notre vision de l'économie circulaire concerne la valorisation du carton. Il est demandé aux Réunionnais de trier le carton. Une fois emballé, il est envoyé en Chine, recyclé, transformé en emballage, envoyé en Europe puis revendu à La Réunion. Dans ce schéma d'économie circulaire, le carton fait le tour du monde. Or, d'un point de vue environnemental, le bilan carbone est élevé, et d'un point de vue économique, la valeur créée quitte le territoire. Notre but consiste à réduire l'étendue géographique de la chaîne de valeur pour en faire bénéficier La Réunion.

Trois éléments satisferont cet objectif. D'abord, il nous faut augmenter le volume de matières premières captées. Ensuite, il faut innover, car les nouvelles filières d'économie circulaire n'atteindront jamais la taille critique des marchés européens. Enfin, il faut développer l'innovation sociale par le prisme des nouveaux modèles économiques de l'économie sociale et solidaire qui sont différents des modèles des entreprises privées classiques.

Inovest désigne le projet de construction d'une grande usine de tri. Les deux centres d'enfouissement à La Réunion arrivent à saturation. Le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est (SYDNE), dont je salue le président Gérald Maillot, a choisi de nous faire confiance pour construire cette usine qui limitera l'enfouissement. En additionnant les volumes récoltés par le SYDNE et les déchets industriels banals (DIB) des entreprises, 70 000 tonnes de déchets sont enfouies aujourd'hui.

L'enfouissement de ce volume s'étend sur 23 hectares et emploie 10 personnes, alors que l'usine de tri s'étendra sur 2 hectares et emploiera plus de 30 personnes. Elle captera 72 % des matières premières enfouies. L'activité de cette usine ne concurrence pas le tri à la source ni le tri sélectif, elle est complémentaire.

L'usine traitera 15 000 tonnes de matières premières comme l'acier, l'aluminium, le plastique, 8 000 tonnes de compost et 70 000 tonnes de combustible solide de récupération (CSR). Depuis peu, il est considéré comme une énergie renouvelable et participera à la transition énergétique de La Réunion. L'usine permet d'optimiser la ressource foncière, en mobilisant moins de surface et de matière et en créant plus de valeur et d'emplois que les activités d'aujourd'hui.

Dans la conception, la réalisation et l'exploitation de ce projet, l'adhésion de la société de La Réunion est importante. L'usine représente un investissement d'un montant de 70 millions d'euros. La part défiscalisée de ce montant réduira les coûts pour la collectivité et les entreprises clientes. Nous faisons confiance à des entreprises réunionnaises. En se positionnant sur un marché estimé entre 2 et 3 millions d'euros, elles pourront embaucher des ingénieurs, capitaliser de l'expérience et la maintenir sur le territoire. La méthode Local Footprint ® qui sera présentée par Arnaud Florentin mesurera l'impact de cet investissement et proposera un plan d'action.

Les emplois créés pour cette usine n'existent pas encore sur le territoire. Nous avons fait appel au lycée professionnel pour développer des programmes spécifiques. Nous proposons cette usine comme lieu de travaux pratiques et comme support pédagogique. Nous souhaitons également que des formations dédiées soient élaborées, afin de recruter des Réunionnais pour ces postes à haute valeur ajoutée.

Un centre de tri récupérera les déchets de grande taille. La création d'un atelier solidaire accompagnera la structuration de la filière recyclage. Il sera exploité par une association et une entreprise d'insertion professionnelle pour favoriser le recrutement et la formation. L'objectif consiste ici à récupérer des matériaux en amont du tri sélectif et à les réparer pour alimenter les réseaux de ressourceries naissants. Le nombre d'emplois directs créé est estimé à 30 et le nombre d'emplois indirects à 100. Inovest permettra de doubler le volume de plastique actuellement capté par la filière recyclage. Le compost sera vendu au prix de 8 euros par tonne, alors qu'un sac de 15 kilos est vendu 25 euros en jardinerie.

L'économie circulaire s'oppose à l'économie linéaire. Aujourd'hui, l'économie fonctionne en écosystème plutôt qu'en concurrence classique. Il nous faut être plus complémentaire et développer de nouveaux partenariats. Le projet Inovest a été élaboré à partir d'un partenariat public-privé avec le SYDNE. Ce mode contractuel n'est pas habituel, mais il permet de profiter de la défiscalisation. Nous nous sommes engagés à rétrocéder à la collectivité l'ensemble des subventions et défiscalisations dont nous bénéficierions. Aucune marge n'est réalisée sur les subventions. Il est naturel que les clients finaux en bénéficient. Ainsi, l'apprentissage de la collaboration entre le secteur privé et le secteur associatif est favorisé.

En conclusion, le champ des possibles s'ouvre. Je suis persuadé que nous devons adopter des logiques gagnant-gagnant. Le développement des territoires va bénéficier aux entreprises. Nous devons tout mettre en oeuvre pour que ce sujet avance. Je vous remercie.

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