TROISIÈME PARTIE - SURVEILLER, ALERTER : DES DISPOSITIFS POUR UNE MEILLEURE ANTICIPATION ET UNE RÉACTIVITÉ RENFORCÉE

I. DE LA COLLECTE ET L'EXPERTISE DES DONNÉES À L'IMPLICATION DANS LE PROCESSUS DE DÉCISION : CONFORTER LES OPÉRATEURS DANS LEURS MISSIONS DE SURVEILLANCE ET DE VIGILANCE

A. DES SERVICES SCIENTIFIQUES COMPLÉMENTAIRES COUVRANT L'ENSEMBLE DES RISQUES AVEC DES MOYENS LIMITÉS

Les opérateurs de la connaissance des risques assurent le plus souvent leur surveillance et, partant, les missions de vigilance, tantôt pour les seules autorités, tantôt directement auprès du public. Cependant, les outils et moyens techniques et humains dont ils disposent varient considérablement d'un territoire à l'autre.

1. La surveillance des risques climatiques : les outre-mer, territoires sans radar ?
a) Une mission de vigilance assumée par Météo France

Météo France assure outre-mer la surveillance et la vigilance des risques liés au climat, comme sur l'ensemble du territoire national.

Les cartes de vigilance sont transmises par l'opérateur aux citoyens, aux médias et aux acteurs de la gestion de crise. La direction de la sécurité civile relaie ces informations auprès des personnes concernées. Le chef prévisionniste national de Météo France, basé à Toulouse, est en lien direct et régulier avec les autorités ; c'est lui qui a la charge de valider la carte de vigilance en dernier ressort.

L'organisation de Météo France, à plusieurs échelons, reflète celle de la sécurité civile et d'autres cellules de crise afin d'assurer une coopération optimale avec les différents interlocuteurs. Ceci est valable à l'échelle régionale entre les commandants des opérations de secours (COS) et les chefs prévisionnistes régionaux, basés dans les directions interrégionales de l'opérateur.

La question des moyens techniques de Météo France a été soulevée à de nombreuses reprises, notamment concernant les radars, houlographes et marégraphes à disposition dans les territoires.

Lors de la réunion de la délégation organisée par vos rapporteurs au siège de Météo France à Saint-Mandé 42 ( * ) , l'opérateur a insisté à plusieurs reprises sur la performance du nouveau modèle Arome . La directrice générale adjointe de Météo France, Mme Anne Debar, expliquait ainsi que ce modèle à plus haute résolution, déployé sur l'hexagone et en outre-mer, fonctionnait avec une maille de 1,3 kilomètre, ce maillage plus fin permettant de repérer des phénomènes météorologiques qui échappaient auparavant aux prévisionnistes, faisant donc gagner en capacité d'anticipation.

Aussi, concernant le risque cyclonique, le modèle de prévision développé par Météo France par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme est, selon l'opérateur français 43 ( * ) , « le modèle le plus fiable du monde en ce qui concerne la prévisibilité des trajectoires cycloniques ».

Météo France dispose de seulement huit radars dans les outre-mer : trois dans le secteur Antilles-Guyane (à Kourou le radar est géré en collaboration avec le CNES), deux à La Réunion et trois en Nouvelle-Calédonie, dont le remplacement devra être assuré d'ici 2020 ; aucun radar n'est présent dans les Îles du Nord. Aucun radar n'existe non plus en Polynésie française, ni à Mayotte ou encore à Saint-Pierre-et-Miquelon . Les territoires de Mayotte et des îles Wallis et Futuna ne disposent à ce jour, eux, d'aucun radar.

Le directeur de Météo France La Réunion reconnaissait le besoin d'un troisième radar, la direction n'étant « pas en mesure, à l'heure actuelle, de couvrir les précipitations sur tout le territoire, notamment dans le secteur sud-ouest, qui a été le plus touché par les pluies de Berguitta » 44 ( * ) . Le directeur notait également l'absence de houlographe, « deuxième point aveugle en matière de moyens de prévision ». Un frein financier est souvent relevé, à court terme sur l'achat du matériel comme à long terme pour sa maintenance et l'exploitation de ses données par un expert.

Dans plusieurs territoires, les radars, houlographes ou marégraphes sont achetés par les collectivités elles-mêmes pour pallier les lacunes du système national, et ce alors que les collectivités locales n'ont ni la compétence ni les moyens d'assumer pareil investissement et son entretien.

Le supercalculateur, outil au service d'une plus fine prévision

Le supercalculateur aujourd'hui présent à la Météopole de Toulouse possède une puissance de calcul de 2,5 pétaflops, soit 2,5 millions de milliards d'opérations par seconde. Le supercalculateur actuel permet ainsi de disposer d'un modèle global ARPEGE doté d'une résolution de 7,5 kilomètres contre 30 kilomètres dans les années 1990.

Les deux machines dont dispose Météo France - toutes deux à Toulouse - figurent aux 61 e et 62 e rangs mondiaux des supercalculateurs en termes de capacité. Le renouvellement du matériel doit être anticipé bien en amont. C'est la raison pour laquelle les démarches de remplacement du supercalculateur ont déjà été entamées.

Le nouveau supercalculateur est prévu pour 2020, représentant un investissement financier très conséquent pour Météo France.

Source : Déplacement à Météo France

Recommandation n° 25 :  Dans les différents bassins océaniques, renforcer les moyens de surveillance des phénomènes météorologiques, tels que radars et houlographes.

Dans le but de renforcer l'information directe du public , Météo France a mis en place des sites internet spécifiques pour chaque bassin géographique : Antilles-Guyane, La Réunion-Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon. Aussi, alors qu'au niveau national un compte Twitter automatique dédié à la vigilance et un compte Facebook alimenté par les prévisionnistes sont en préparation pour le second semestre 2018, il est prévu l'ouverture d'un compte Facebook de la direction de Polynésie Française au premier semestre 2018. Des comptes sur les réseaux sociaux pour la zone Antilles-Guyane sont en préparation.

b) Une articulation avec le rôle du préfet parfois complexe

La circulaire encadrant les procédures de vigilance et d'alerte météorologiques 45 ( * ) applicable dans l'hexagone exclut expressément les territoires ultramarins. Chaque territoire a ainsi développé son propre système, avec un découpage géographique plus ou moins fin, un code couleur particulier, des aléas spécifiques à la climatologie locale et un mode d'activation plus ou moins interfacé avec l'alerte cyclonique. Ces dispositifs ont été déployés de manière progressive entre 2006 et 2014 , et les phénomènes météorologiques traités diffèrent selon les territoires. « Le risque cyclonique, par exemple, est traité par une procédure spécifique dans tous les territoires, à l'exception des Antilles où il est intégré au système classique de vigilance » comme l'expliquait M. Alain Soulan, directeur général adjoint de Météo France.

La distinction entre les systèmes antillais et réunionnais par exemple est frappante et montre la non-harmonisation et la forte complexité des mécanismes.

Alors qu'en 2012 la direction générale de la sécurité civile (DGSC) et la direction générale des outre-mer (DGOM) ont tenté d'harmoniser ces systèmes, cette démarche s'est soldée par un échec, résultat des pratiques individuelles anciennes de chaque préfecture.

Des vigilances différentes dans la zone Antilles-Guyane et la zone océan Indien

La vigilance dans la zone Antilles-Guyane

La vigilance couvre dans cette zone trois paramètres standards : les vents violents, la mer dangereuse à la côte et les fortes précipitations ou l'orage. À la direction de la réglementation et de l'administration générale (DIRAG), les fortes précipitations et l'orage sont rassemblés en un seul paramètre, ce qui n'est pas le cas à La Réunion ou en métropole.

Pour qualifier le risque cyclonique, la vigilance météorologique dans cette zone compte deux couleurs supplémentaires, le rose et le gris.

Contrairement à la métropole, la vigilance n'est pas gérée sur place uniquement par Météo France mais aussi par le préfet qui intervient directement dans le choix du passage d'une couleur à l'autre .

Enfin, les bulletins de suivi sont produits dans la zone Antilles-Guyane dès l'activation de la vigilance jaune. En métropole, ces bulletins sont envoyés aux préfectures et publiés toutes les trois heures à partir du passage en vigilance orange. Les trois préfets compétents se sont opposés à la suppression par Météo France de cette production supplémentaire jugée non indispensable par l'opérateur.

La vigilance dans l'océan Indien

À La Réunion et à Mayotte, la vigilance Météo France diffère des autres territoires puisqu'elle est symbolisée par des hachures pour distinguer la vigilance classique du risque cyclonique.

De plus, le jaune ne figure pas dans le code couleur et la vigilance se construit en trois niveaux : pas de vigilance particulière, soyez très vigilant et une vigilance absolue s'impose.

En cas d'alerte cyclonique, la vigilance n'est plus produite à partir de l'alerte rouge, le système basculant directement sur l'alerte cyclonique. Le déclenchement de cette alerte est décidé par le préfet, tandis que la vigilance dépend de Météo France.

Source : Auditions de Météo France

La vigilance est parfois réalisée outre-mer sur des échelons infra-territoriaux : les outre-mer sont à ce titre précurseurs du projet hexagonal de Météo France. La Réunion est ainsi divisée en 5 zones, voire 7 dans le cadre du risque de houle, alors que Mayotte relève d'une zone unique. En Nouvelle-Calédonie, le zonage suit le découpage des 33 communes. En Polynésie française, l'étendue du territoire permet de distinguer 17 zones fixes.

Une exigence de crédibilité

Les rapporteurs se sont régulièrement fait écho auprès de Météo France du sentiment fort dans les Îles du Nord que les annonces météorologiques avaient été beaucoup plus alarmantes que les données ne le laissaient envisager dans l'immédiat après Irma. Alors que dans le bassin Atlantique, la population consulte régulièrement le site de l'agence de météorologie National Hurricane Center (NHC), il a été perçu de grandes divergences sur l'appréciation de l'ouragan José à la suite d'Irma. En réponse, Anne Debar, directrice générale adjointe de Météo France, signalait que les annonces et alertes émanaient alors de la préfecture et que « José était considéré comme un cyclone de faible envergure. Or, l'incertitude sur la trajectoire et la dangerosité de ce type de phénomènes est encore plus grande, ce qui peut expliquer pourquoi les autorités préfectorales ont pris de telles mesures de précaution ».

Météo France rappelait également être évalué sur son taux de non-détection des phénomènes météorologiques dangereux. Or, pour que les citoyens conservent une réponse comportementale satisfaisante aux alertes, il est nécessaire que celles-ci ne soient pas déclenchées trop régulièrement. Météo France considère ainsi le fait que la population se renseigne via de multiples canaux d'informations comme « préoccupant » de ce point de vue. L'enjeu est donc, pour Météo France et en lien avec les autorités, de définir le bon moment pour déclencher l'alerte. Selon l'opérateur, cette difficulté contribue à expliquer pourquoi les prévisions ne sont pas annoncées publiquement trop longtemps à l'avance.

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer et visite à Météo France le 19 février 2018

c) Une surveillance particulière des crues

Si le risque de crues est géré dans l'hexagone par Vigicrues, au sein du service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi), il est surveillé dans les outre-mer par un dispositif ad hoc établi dans les cellules de veille hydrologique . Ces structures, déployées uniquement dans les départements et régions d'outre-mer - où l'État est compétent en matière d'environnement - visent à répondre aux spécificités des risques d'inondation dans ces territoires, notamment de montées soudaines des cours d'eau à la suite d'intempéries.

Les cellules de veille hydrologique

Le réseau national de surveillance des cours d'eau, coordonné par le Schapi, est constitué de 19 services de prévision des crues (SPC) et des cellules de veille hydrologique (CVH) dans les départements et régions d'outre-mer, ainsi que de 25 unités d'hydrométrie , dont 5 sont implantées outre-mer.

Les CVH ont été créées à partir de 2010 (la première étant celle de La Réunion) à la suite d'une recommandation d'un rapport du service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi) de 2007.

Le réseau ultramarin des CVH est déployé, à des stades différents, sur l'ensemble des départements et régions d'outre-mer . La Réunion apparaît comme la figure de proue de ce réseau, suivie par la Martinique - en 2007 - et la Guyane, tandis que les CVH sont encore en cours de construction à Mayotte et en Guadeloupe.

La mission d'appui à la prévision des CVH consiste à apporter au public et aux autorités locales une capacité d'anticipation face aux inondations .

Les CVH utilisent les observations météorologiques fournies par les services de Météo France, qui permettent d'estimer l'intensité d'eau exprimée en millimètres par mètre carré. Les précipitations sont mesurées par les pluviomètres mais aussi, de plus en plus, par les radars. Les cellules disposent enfin de moyens propres de mesure des hauteurs et des débits sur les cours d'eau.

Source : Déplacement au Schapi à Toulouse

2. Une mission parfois internationalement partagée : le cas de la surveillance cyclonique

Chaque bassin cyclonique , défini selon les zones de développement des phénomènes, est associé à un centre météorologique régional spécialisé (CMRS) désigné par l'organisation météorologique mondiale (OMM). Les sept CMRS sont ainsi en charge de détecter, de suivre et prévoir les phénomènes ainsi que de diffuser les messages à tous les services météorologiques concernés.

Les prévisions d'impact sur un pays donné sont ensuite élaborées par le service météorologique du pays concerné , permettant aux décideurs et autorités de ces États de déclencher éventuellement les procédures adéquates.

Les territoires français sont ainsi surveillés par :

- le CMRS de Miami pour les Antilles ;

- le CMRS de La Réunion porté par Météo France, pour Mayotte et La Réunion ;

- le CMRS des Fidji pour les territoires du Pacifique sud-est (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française).

M. François Lalaurette, directeur des opérations pour la prévision, précisait devant la délégation 46 ( * ) - répondant notamment aux préoccupations de conflits de prévisions entre NHC et Météo France - qu'« il n'existe aucun lien de subordination entre l'organisation météorologique mondiale (OMM) et les services locaux, mais celle-ci organise la coopération entre les différents acteurs et constitue un soutien de premier niveau ».

Aux Antilles et à La Réunion, un plan d'organisation est défini annuellement pour préciser les modalités de cette coopération et harmoniser la communication entre Météo France et l'OMM.

Répartition des centres météorologiques régionaux spécialisés

Source : Carte Météo France

3. Risques sismique et volcanique : un partage de la mission selon les territoires

La mission de surveillance volcanologique est assurée par les différents observatoires évoqués précédemment, à la Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion. Ceux-ci ont également la mission de veille sur le risque sismique. À Mayotte, c'est le BRGM qui assume cette charge.

L'observatoire volcanologique de Martinique a insisté sur sa mission d'information de la population, notamment dans le cas de séismes. Sur chaque séisme jugé fort , l'OVSM produit dans les deux heures un communiqué public ; des liens étroits sont également entretenus avec les médias.


* 42 Visite du 19 février 2018.

* 43 M. Marc Pontaud, directeur de la recherche de Météo France lors du déplacement à Toulouse le 9 mars 2018.

* 44 Visioconférence avec La Réunion du jeudi 15 mars 2018.

* 45 Circulaire interministérielle N° IOC/E/AA/23223/C de septembre 2011 relative à la procédure de vigilance et d'alerte météorologiques.

* 46 Déplacement à Toulouse le vendredi 9 mars 2018.

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