II. REVISITER LES MOYENS DE LA SÉCURITÉ ET DES SECOURS OUTRE-MER : DES TERRITOIRES DÉLAISSÉS

A. DES MOYENS DE SÉCURITÉ CIVILE PLURIELS MAIS TRÈS INÉGAUX

1. Une organisation à l'échelle territoriale ou communale

La sécurité civile repose essentiellement sur les sapeurs-pompiers et sur les civils et militaires rattachés aux services de sécurité civile de l'État.

De manière analogue au droit de la sécurité civile, l'organisation des services d'incendie et de secours est essentiellement régie dans les outre-mer par le droit commun . Quelques nuances existent dans les collectivités suivantes :

- en Polynésie française , il n'existe pas de service territorial d'incendie et de secours, les moyens sont essentiellement communaux ;

- à Saint-Barthélemy , un service territorial d'incendie et de secours a été mis en place 63 ( * ) et relève directement de la collectivité ;

- il n'existe pas de SDIS à Wallis-et-Futuna ; la sécurité civile y est assurée au niveau des circonscriptions territoriales, sous la responsabilité du chef de circonscription ;

- à Mayotte, la mise en place du droit commun des SDIS au 1 er janvier 2014 a nécessité certaines adaptations.

Les collectivités du Pacifique se démarquent également sur des éléments supports : en Polynésie française comme en Nouvelle-Calédonie, il n'existe pas de centre de traitement des appels à l'échelle du territoire .

Le traitement des appels d'urgence en Nouvelle-Calédonie

Le numéro 15, pour le SAMU, est aujourd'hui le seul à être centralisé.

Il existe une quinzaine d'interlocuteurs possibles pour les appels adressés au numéro 18 en Nouvelle-Calédonie, selon trois possibilités :

- un centre de traitement de l'alerte, sous la responsabilité de la mairie de Nouméa, pour la réception des appels de treize communes : les appels reçus par ce centre basculent automatiquement vers la mairie ou la direction générale de la sécurité civile et la gestion des risques (DGSCGR) ;

- onze opérateurs répartis sur les communes assurant directement la gestion de leur 18 ;

- trois opérateurs pour sept communes regroupées en syndicats.

Il a été créé un numéro unique à destination des professionnels, le 109 , dit « de permanence opérationnelle » ; rattaché au permanencier d'astreinte de la DGSCGR, il a vocation à faciliter la remontée d'informations en cas d'événement de sécurité civile.

Le plan de développement de la sécurité civile a été réorienté vers la création d'un numéro unique regroupant les 15/18/109/112 et d'une plateforme unique.

Source : Visioconférence du 5 avril 2018

Si l'échelle du territoire n'est pas nécessairement la plus adaptée - la Polynésie étant étendue sur une surface plus grande que l'Europe - il convient de sécuriser le traitement des appels et la bonne remontée des informations au plus haut niveau, au sein de centres aux moyens suffisants et couvrant des zones cohérentes.

Recommandation n° 39 : Dans les territoires du Pacifique, favoriser la création de centres d'appels d'urgence territoriaux ou infra-territoriaux, regroupant des centres existants, souvent communaux.

2. Des moyens souvent insuffisants voire indigents
a) Dans l'ensemble des territoires, des moyens modestes

Il ressort de l'ensemble des rencontres et auditions menées par les rapporteurs que les moyens humains et matériels de sécurité civile sont globalement modestes dans les territoires ultramarins .

Des moyens nationaux complémentaires de la sécurité civile sont également présents outre-mer notamment :

- pour le déminage :?un centre en Guadeloupe avec un effectif de 4 démineurs et un autre en Guyane avec un effectif de 5 démineurs ;?

- pour les moyens aériens :?une base en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique avec un hélicoptère pour chaque site ainsi qu'un détachement d'un avion bombardier d'eau (ABE) entre octobre et décembre à La Réunion ;

?- pour les moyens terrestres :?un détachement ponctuel feux de forêts ForMisc (formations militaires de la sécurité civile) en Nouvelle-Calédonie (actuellement 27 personnels dont 1 officier et 5 sous- officiers).

Le tableau ci-après retrace les effectifs dans les départements et régions d'outre-mer.

Les effectifs de services d'incendie et de secours outre-mer

Sapeurs-pompiers professionnels

Sapeurs-pompiers volontaires

Personnels administratifs et techniques

Total Sapeurs-pompiers

Ratio pour 1000 habitants

Guadeloupe

330

1 452

69

1 782

4,6

Martinique

261

1 102

51

1 363

3,7

Guyane

221

663

59

884

3,2

Réunion

883

1 268

276

2 151

2,5

Mayotte

218

416

47

634

2,5

Nouvelle-Calédonie*

ND

760

3,0

Polynésie française

249

378

ND

627

2,3

Wallis-et-Futuna

ND

29

2,4

France entière
(dont sapeurs-pompiers militaires)

52 900

193 800

ND

246 700

3,7

* Somme des sapeurs-pompiers et de l'unité spéciale de sécurité civile du territoire

Ratios calculés sur la base du nombre de sapeurs-pompiers et des données démographiques des rapports annuels territoriaux 2017 de l'IEDOM-IEOM ; les chiffres relatifs aux effectifs dans les DOM sont établis au 31 décembre 2016

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer d'après les chiffres du ministère de l'intérieur et indiqués au cours des visioconférences

En Nouvelle-Calédonie, la sécurité civile s'appuie sur les sapeurs-pompiers communaux et sur l'unité d'intervention de la sécurité civile (UISCNC) que le président du gouvernement peut mobiliser lors de crises majeures dépassant les capacités communales. On compte environ 650 sapeurs-pompiers communaux sur le territoire ; l'unité d'intervention compte elle 110 sapeurs-pompiers , volontaires et professionnels. Cette unité spécifique est intervenue à deux reprises à l'extérieur du territoire, au Vanuatu , à la demande de l'État : en 2015 sur l'île de Tanna et en 2017 sur celle d'Ambaë.

La Polynésie française compte 617 sapeurs-pompiers , 378 sapeurs-pompiers volontaires et 249 sapeurs-pompiers permanents, répartis dans 29 centres d'incendie et de secours (CIS).

b) À Mayotte et dans les îles Wallis et Futuna : « des centres théoriques », une situation alarmante

Les sénateurs ont été particulièrement frappés par la situation de deux territoires : Mayotte et les îles Wallis et Futuna.

Il y n'a ainsi que 17 pompiers à Wallis et 12 à Futuna. Les budgets sont pris en charge par les circonscriptions d'Uvea à Wallis, d'Alo et Sigave à Futuna.

En termes logistiques, « les centres de secours sont des centres théoriques » constatait 64 ( * ) M. Pascal Dec, chef de la circonscription d'Uvea. À Wallis, le bâtiment - qui a succédé à un conteneur - est encore relativement sommaire par rapport à un centre équivalent en métropole. Le centre de secours de Futuna dispose de ressources encore moindres ; il n'y a pas de centre de secours : les pompiers sont hébergés dans un bâtiment prêté par la chefferie « dans des conditions indignes » comme le soulignait M. Pascal Dec. Les moyens matériels vont de pair : un seul camion disponible, dans un état de vieillissement avancé et abrité dans un garage fait de planches.

Cette situation est inacceptable , alors même que ce territoire sujet a de nombreux risques naturels est extrêmement éloigné de l'hexagone et de la Nouvelle-Calédonie, isolé géographiquement et composé de plusieurs îles elles-mêmes distantes. Agir est une urgence.

Du côté de Mayotte , la situation est également extrêmement difficile. Le colonel Philippe Leclercq, commandant de la gendarmerie de Mayotte, indiquait 65 ( * ) ainsi que le seul hélicoptère disponible sur l'île ne bénéficiait pas d'un abri sécurisé et que l'arrivée d'un second hélicoptère, pourtant jugé indispensable, n'était toujours pas à l'ordre du jour. Le préfet Dominique Sorain soulignait que cette sous-dotation rendait l'île « particulièrement vulnérable en cas de risque naturel majeur ». Pour celui-ci, la départementalisation récente de l'archipel n'a pas permis de combler les retards accumulés.

Un rattrapage salutaire semble amorcé dans l'île, où l'Agence française de développement a ainsi débloqué deux prêts en 2015 et 2018 pour le SDIS 976 ; cet effort seul ne suffira cependant pas à combler le retard.

Recommandation n° 40 : Engager un plan d'investissement « sécurité civile outre-mer » pour garantir une capacité d'intervention de sécurité civile rapide et efficace dans tous les territoires et procéder à un rattrapage massif dans les territoires totalement démunis tels que Mayotte et les îles Wallis et Futuna.

3. Compter sur les renforts n'est pas une option : la question du positionnement des forces

La possibilité de renforts venants de territoires proches - en insistant sur la répartition des moyens à l'échelon zonal -, d'États voisins ou de l'hexagone est souvent évoquée dans la gestion de crise. Pour les territoires ultramarins, cette option ne peut être si facilement envisagée.

En effet, plusieurs raisons affaiblissent considérablement cette stratégie :

- les territoires voisins - États ou territoires ultramarins - peuvent également être touchés par le même aléa au même moment ;

- l'aléa en cours peut empêcher toute venue de renforts ;

- les États voisins sont souvent des pays au niveau de développement relativement bas et disposant eux-mêmes de moyens réduits ;

- les territoires de la zone de défense et de sécurité sont parfois extrêmement éloignés les uns des autres . M. Gaël Rousseau, secrétaire général de l'administration supérieure des îles Wallis et Futuna expliquait qu'il fallait compter pour atteindre Wallis depuis Nouméa par voie aérienne, « au minimum sept heures, à condition que l'aéroport de Wallis permette l'atterrissage des avions militaires » , quand, pour compter sur l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, « il faut cinq jours à cinq jours et demi pour venir en bateau de Nouvelle-Zélande ».

La gestion d'Irma a montré que les renforts de l'hexagone nécessitaient plusieurs jours de préparation et d'acheminement, alors que le bassin Atlantique n'est pas le plus éloigné.

Il convient donc d' assurer des moyens positionnés sur place dans les territoires, et ne pas compter sur des schémas d'appuis extérieurs. À ce titre, les rapporteurs ont été vigilants sur la répartition des forces armées aux Antilles, qu'ils ont pu rencontrer durant le déplacement, et sur la répartition des positionnements de matériels et moyens humains selon les îles, entre Martinique et Guadeloupe particulièrement.

Le pré-positionnement permanent de moyens importants est toujours vu comme très coûteux. Aussi, le ministère de l'intérieur considère que « le pré-positionnement permanent de moyens ou personnels n'entre pas dans la doctrine française de gestion de la crise » 66 ( * ) . Le ministère signale cependant que des pré-positionnements ponctuels sont toutefois organisés dans les outre-mer au sein des états-majors de zone et en matière de matériels au titre de la réserve nationale.

Ainsi, des personnels de la sécurité civile - sapeurs-pompiers, militaires de la sécurité civile - peuvent renforcer les états-majors de zone aux Antilles, en Guyane et à La Réunion. ?

S'agissant du matériel pré-positionné, la zone Antilles dispose de deux entrepôts de matériels de la réserve nationale en Guadeloupe et en Martinique : des équipements pour héberger des populations sinistrées ainsi que des matériels spécifiques en fonction des risques identifiés dans la zone (lots de tronçonnage, lots énergie éclairage, équipements de distribution d'eau potable, bâches, motopompes...), peuvent être mis à disposition des préfectures. Ces stocks ont été particulièrement utilisés durant les ouragans de septembre 2017.

Les rapporteurs insistent sur la nécessité de renforcer les schémas de pré-positionnement de matériels et moyens humains également durant des périodes identifiées pour certains risques saisonniers , comme c'est le cas sur le risque feux de forêts par exemple ; ce doit aussi être le cas pour les périodes cycloniques.

Recommandation n° 41 : Renforcer les pré-positionnements de moyens d'urgence durant les périodes de risques saisonniers identifiés, comme le risque cyclonique. Établir des plans, au niveau zonal comme hexagonal, de renforts mobilisables selon l'ampleur des aléas afin d'assurer une projection rapide.


* 63 Article 112 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a institué le service territorial d'incendie et de secours de Saint-Barthélemy.

* 64 Visioconférence du 12 mars 2018.

* 65 Visioconférence du 29 mai 2018.

* 66 Réponses du ministère au questionnaire des rapporteurs.

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