C. DÉFENDRE UNE VISION PRAGMATIQUE DE L'EXÉCUTION DES PEINES

1. Associer les collectivités territoriales à l'exécution des peines

Si l'exécution des peines est une mission régalienne, vos rapporteurs considèrent qu'il serait cependant innovant et justifié de faire des collectivités territoriales des partenaires de l'exécution des peines .

Sans ancrage territorial, comment espérer que l'exécution des peines permette effectivement la réinsertion, dans l'emploi ou dans le tissu social ?

Les travaux d'intérêt général peuvent être un atout pour les collectivités territoriales, qui y sont insuffisamment sensibilisées par les acteurs de la chaine pénale.

De même, l'importance des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) n'est plus à prouver dans le parcours de réinsertion des sortants de prison.

Enfin, en tant que partenaires de l'exécution des peines, les collectivités territoriales doivent être associées à la détermination des lieux de détention, au choix des implantations et des services associés. Ce partenariat doit être d'autant plus étroit quand il s'agit de centres de semi-liberté ou de quartiers de préparation à la sortie, qui nécessitent une intégration dans les infrastructures de la ville.

Proposition n° 13 :

Faire des collectivités territoriales des partenaires de l'exécution des peines.

2. Assurer une politique cohérente sur le ressort d'une juridiction

Déjà dénoncée lors de l'examen de la proposition de loi sur le redressement de la justice, l'étanchéité entre les décisions de poursuite du parquet, de condamnation des juges correctionnels et d'exécution des peines par les juges de l'application des peines ne corresponde ni à la lettre, ni à l'esprit des principes constitutionnels d'individualisation des peines et d'indépendance des magistrats.

Vos rapporteurs regrettent l'absence de dialogue systématique entre les magistrats du parquet et du siège permettant l'élaboration d'une politique de juridiction cohérente, gage de l'efficacité de la justice pénale.

Ce dialogue doit pourtant avoir lieu lors de l'élaboration du projet de juridiction ou de la conférence régionale portant sur les aménagements de peine et les alternatives à l'incarcération 49 ( * ) ; il doit être décloisonné et concerner l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale.

Vos rapporteurs regrettent également l'absence de relations étroites entre les juges correctionnels et l'administration pénitentiaire .

Très peu de magistrats, a fortiori ceux siégeant en correctionnelle, se rendent dans les établissements pénitentiaires. Alors qu'il existe 186 établissements pénitentiaires, seulement 184 visites de magistrats ont été recensées en 2015 et 270 en 2016. Pourtant, l'article 10 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 prévoit que « le premier président de la cour d'appel, le procureur général, le président de la chambre de l'instruction, le président du tribunal de grande instance, le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention, le juge d'instruction, le juge de l'application des peines et le juge des enfants visitent au moins une fois par an chaque établissement pénitentiaire situé dans leur ressort territorial de compétence » .

De même, si certains parquets sont informés quotidiennement de la situation des établissements pénitentiaires du ressort (taux d'occupation, climat, incidents, etc .), certains magistrats estiment qu'une telle information serait une atteinte à leur indépendance. Vos rapporteurs considèrent que les conditions d'exécution d'une peine étant des facteurs déterminants de son efficacité, il importe que les autorités poursuivantes, celles prononçant les sanctions et celles les mettant à exécution connaissent l'état des établissements pénitentiaires, ainsi que les capacités des SPIP à prendre en charge tel nombre de personnes dans tel dispositif de milieu ouvert (stage, travail d'intérêt général, contrainte pénale, etc .).

Proposition n° 14 :

Construire des stratégies locales partagées entre tous les acteurs de la peine :

- organiser régulièrement des temps d'échanges entre juges correctionnels, juges de l'application des peines, magistrats du parquet afin de définir une politique de juridiction en matière de prononcé et d'exécution des peines ;

- développer les échanges d'informations entre l'administration pénitentiaire et l'autorité judiciaire.

Au cours de leurs déplacements, vos rapporteurs ont pu constater l'ingéniosité et la créativité des personnels oeuvrant tant au prononcé qu'à l'exécution des peines.

La grande diversité des peines pouvant être prononcées et les différentes modalités d'exécution de celles-ci ne constituent qu'un cadre et les services pénitentiaires d'insertion et de probation, en lien avec les besoins identifiés par les juridictions, disposent d'une certaine liberté pour en définir le contenu.

Vos rapporteurs soulignent ainsi la nécessité d'adapter concrètement le contenu réel de chaque peine : un sursis avec mise à l'épreuve pour un délinquant sexuel ne peut avoir le même contenu pour un délinquant financier. De même, un multirécidiviste ne doit pas avoir le même suivi qu'un primo-délinquant.

Cette adaptation du contenu des peines suppose une bonne connaissance des profils des auteurs d'infractions sur un territoire et, autour d'un diagnostic commun, la mise en relation de l'ensemble des partenaires d'un territoire.

Ainsi, le service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Drôme, visité par vos rapporteurs, a proposé entre novembre 2016 et février 2018 un dispositif adapté aux besoins criminogènes d'un grand nombre de personnes confiées par mandat judiciaire : le parrainage de désistance.

Ce dispositif repose sur des bénévoles, intervenant en milieu ouvert, avec lesquels les condamnés signent un contrat de parrainage : des réunions mensuelles sont ensuite organisées, sans préjudice de rencontres et des échanges téléphoniques non médiatisés par la présence des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. La durée du contrat oscille entre quatre et six mois.

Ce dispositif s'adresse principalement aux personnes ne bénéficiant pas des soutiens adaptés afin de sortir de la délinquance et ayant des difficultés à reconnaître leur responsabilité dans la réalité d'un parcours d'insertion, mais qui ne présentent pas de troubles psychologiques majeurs. 9 filleuls sur 10 étaient des délinquants multi-réitérants et 30 % de l'effectif avaient été condamnés plus de 10 fois. Les premières évaluations de ce dispositif témoignent de l'enclenchement d'un processus de désistance pour la quasi-totalité de l'effectif : seulement 20 à 32 % des personnes ont été évaluées comme présentant des comportements à risque infractionnel à la sortie du programme (contre 87 % au début).

Extrait du contrat de parrainage de désistance

Dans le cas d'espèce, ce sont les dispositions légales de l'article 10-1 du code de procédure pénale, relative aux mesures de justice restaurative, qui ont encadré ce dispositif.

Dans le ressort du tribunal de grande instance de Lyon, c'est le cadre légal de la contrainte pénale qui a permis le développement en 2017 d'un dispositif de « justice thérapeutique » adapté aux personnes multirécidivistes souffrant d'addictions ou de troubles mentaux favorisant le passage à l'acte.

Ce dispositif a fait l'objet d'un partenariat entre :

- les magistrats de la section de traitement direct (STD) du parquet qui oriente la procédure en fonction du profil de l'intéressé et non l'infraction commise ;

- l'association socio-judiciaire « service de contrôle judiciaire et d'enquêtes (SJCE) » Rhône-Alpes qui effectue une enquête sociale rapide dans le cadre d'un défèrement puis effectue le contrôle judiciaire de l'intéressé jusqu'à l'audience ;

- le SPIP du Rhône qui a spécialisé ses équipes et mis en place une permanence dédiée ainsi qu'un suivi thérapeutique ;

- l'association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) de Villeurbanne ;

- et la consultation de psychiatrie légale du pôle SMD-PL du centre hospitalier Le Vinatier.

Processus présentenciel de la mesure

Source : tribunal de grande instance de Lyon

Les premières évaluations démontrent le besoin d'un dispositif particulier pour les personnes présentant des troubles psychologiques et de multiples difficultés. Certaines limites ont également été identifiées, notamment la difficulté de trouver des places d'hébergement d'urgence ou social pour les personnes sans domicile fixe.

Suivi post-sentenciel de la mesure

Source : tribunal de grande instance de Lyon

Ces expériences démontrent la nécessité, selon vos rapporteurs, d'encourager les services territoriaux a identifié leurs problématiques locales et à mettre en place des expérimentations innovantes dans le cadre des dispositifs légaux existants.

Proposition n° 15 :

Adapter le contenu des peines aux profils des auteurs d'infractions dans les territoires.

3. Investir dans l'évaluation des peines exécutées et leur effet sur la récidive et la réinsertion

Vos rapporteurs considèrent indispensable d'évaluer, au plan local comme au plan national, l'ensemble des programmes de prise en charge des personnes placées sous main de justice.

Ces évaluations devraient être réalisées par les services spécialisés du ministère de la justice mais également confiées à des universitaires ou des associations spécialisées : ainsi, le dispositif de parrainage de désistance, mis en place dans le service pénitentiaire d'insertion et de probation de Valence, a fait l'objet d'une évaluation scientifique par l'association en recherche en criminologie appliquée (ARCA).

De telles pratiques ne peuvent être qu'encouragées par vos rapporteurs.

De nombreuses mesures font l'objet d'un clivage partisan, notamment l'efficacité de la contrainte pénale ou encore les effets délétères de l'emprisonnement de courte durée. Face à ces débats, le ressenti des professionnels de la justice ne suffit plus et il convient d'évaluer réellement ces dispositifs : dans quelle mesure l'incarcération induit-elle des effets négatifs ? Dans quelle mesure les réductions de peine permettent-elles la réinsertion des personnes condamnées ?

Vos rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité d'une démarche systématique : après chaque peine, une évaluation qualitative et quantitative de la situation des personnes condamnées devrait être réalisée afin d'alimenter des recherches sur la connaissance de la population pénale en France, les trajectoires habituelles de délinquance et l'efficacité de certaines peines. Cette évaluation pourrait être effectuée par d'autres acteurs que les SPIP, voire même par des acteurs indépendants de l'administration pénitentiaire.

Au-delà de dispositifs ponctuels et ciblés d'évaluation, vos rapporteurs recommandent également de réaliser des études de cohortes sur les personnes condamnées pour évaluer les risques de réitération : soulignée par le rapport des inspections (IGAS, IGSJ, IGF) de la mission d'évaluation des politiques interministérielles d'insertion des personnes confiées à l'administration pénitentiaire par l'autorité judiciaire (juillet 2016), cette nécessité a été réaffirmée par le rapport annuel de l'Observatoire de la récidive et de la désistance. Cette mesure ambitieuse est incontestablement coûteuse mais elle permettrait d'éclairer sans nul doute les priorités de l'administration pénitentiaire.

Proposition n° 16 :

Investir dans l'évaluation qualitative et quantitative des personnes placées sous main de justice :

- mettre en oeuvre une évaluation post-sentencielle des personnes condamnées ;

- réaliser des études de cohortes sur les personnes condamnées pour évaluer les risques de récidive, et mesurer l'efficacité des peines et la qualité des intervenants du milieu probationnaire.

Les données du casier judiciaire ne doivent pas constituer l' alpha et l' omega des données disponibles en matière de récidive. Pour autant, il convient que ces données soient fiables, actualisées le plus rapidement possible et de la manière la plus exhaustive possible.

Lors de leur déplacement au service du casier judiciaire national à Nantes, vos rapporteurs ont pu apprécier les efforts de modernisation du service. Ils relèvent néanmoins que de nombreux chantiers de modernisation (alimentation automatique du casier par certains applicatifs métiers, notamment) doivent encore être menés.

Si les aménagements impliquant une levée de l'écrou comme la libération conditionnelle ou la suspension de peine sont inscrits au casier judiciaire national, les aménagements réalisés sous écrou comme le placement sous surveillance électronique ou la semi-liberté n'y figurent pas. Or ces derniers, de même que les éventuels motifs de retrait ou de révocation, devraient y figurer.

Comme le relevait le rapport de M. Bruno Cotte et de Me Julia Minkowski, « l'inscription au casier judiciaire de l'ensemble des aménagements de peine serait de nature à favoriser une connaissance exhaustive de la situation pénale de la personne condamnée et à permettre ainsi de prendre une décision adaptée ».

L'attribution de nouvelles fonctions statistiques au casier judiciaire suppose néanmoins de permettre son alimentation automatique par les applicatifs, notamment Cassiopée 50 ( * ) : actuellement, seulement 10 à 15 % des fiches pénales sont transmises directement en échanges inter-applicatifs. Ce chantier en cours suppose un travail de fiabilisation des données entrées dans Cassiopée.

Proposition n° 17 :

Inscrire l'ensemble des aménagements de peine au casier judiciaire national, lui conférer des missions statistiques et systématiser les échanges inter-applicatifs.


* 49 En application de l'article D. 48-5-1 du code de procédure pénale, une conférence régionale portant sur les aménagements de peine et les alternatives à l'incarcération doit être organisée annuellement dans chaque cour d'appel afin :

- de dresser le bilan des aménagements de peine et des alternatives à la détention intervenus dans le ressort de la cour, de recenser ou mettre à jour le recensement des moyens disponibles en cette matière ;

- d'améliorer les échanges d'informations entre les juridictions, les services pénitentiaires et les services de la protection judiciaire de la jeunesse ;

- de définir et mettre en oeuvre les actions nécessaires à un renforcement des aménagements de peines et des alternatives à la détention ;

- de prévenir la surpopulation carcérale au sein des établissements pénitentiaires du ressort.

* 50 Chaîne applicative supportant le système d'information opérationnel pour le pénal et les enfants.

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