E. ADAPTER LES PRISES EN CHARGE EN MILIEU CARCÉRAL

1. Renforcer l'individualisation de l'exécution des peines d'emprisonnement

Selon les services pénitentiaires d'insertion et de probation, les sorties de détention accompagnées par des agents de probation, professionnels ou bénévoles, permettent davantage de prévenir la réitération que les sorties sans accompagnement, les sorties dites « sèches ».

Au-delà de ce constat désormais partagé sur la nécessité de prévenir les sorties sèches, la question reste de savoir quel dispositif administratif doit être privilégié pour permettre cet accompagnement des sorties.

Les dispositifs sont en effet nombreux : peine complémentaire de suivi socio-judiciaire, fractionnement, aménagement de peine (libération conditionnelle, placement à l'extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique,), suivi post-libération 52 ( * ) , surveillance judiciaire des personnes dangereuses 53 ( * ) , etc . Une évaluation, puis une rationalisation des dispositifs devrait être envisagée.

Faut-il systématiser les aménagements de peine en fin de détention ? Faut-il plutôt privilégier un suivi probatoire, exécuté en relais de la peine principale d'emprisonnement ? Sans prendre position, vos rapporteurs réitèrent leur ambition d'une restructuration des services de l'administration pénitentiaire afin d'accompagner l'ensemble des sorties de détention.

Surtout, au-delà de l'octroi ou non d'un aménagement de peine, vos rapporteurs insistent sur la nécessité de préparer en détention la sortie d'incarcération : les peines courtes en France, également soumises aux procédures de libération sous contrainte - ce qui n'est pas sans générer, selon les magistrats, du travail inutile, ne sont jamais préparées, aucun projet de sortie n'est élaboré pour un détenu n'ayant même jamais suivi un parcours d'exécution de peine en détention. Alors que la majorité des peines exécutées sont des peines courtes - en 2016, la durée moyenne passée sous écrou pour les condamnés étaient de 11,5 mois, l'administration pénitentiaire devrait adapter son organisation à la préparation de ces courtes peines, y compris dans l'affectation de ces détenus 54 ( * ) .

Proposition n° 21 :

Accompagner l'ensemble des sorties de détention.

Vos rapporteurs ont également été sensibles à de nombreuses propositions visant à individualiser davantage l'exécution des peines en déléguant certaines compétences aux directeurs des établissements pénitentiaires ou aux directeurs des services pénitentiaires d'insertion et de probation. Certaines procédures apparaissent en effet excessivement lourdes et certaines décisions ne paraissent pas relever a priori de l'autorité judiciaire.

Parmi les mesures pouvant être déléguées, vos rapporteurs peuvent citer les permissions de sortir au vue de la préparation de la réinsertion professionnelle ou sociale de la personne condamnée (article D. 144 du code de procédure pénale).

De même, l'habilitation des structures offrant des travaux d'intérêt général relève aujourd'hui des juges de l'application des peines. Vos rapporteurs s'interrogent sur la plus-value d'une telle habilitation par l'autorité judiciaire.

Un travail de concertation entre directeurs des services pénitentiaires et magistrats devrait permettre d'identifier les autres prérogatives dont il serait plus rationnel de les confier aux premiers.

Proposition n° 22 :

Déléguer aux directeurs des services pénitentiaires plusieurs prérogatives actuellement dévolues aux magistrats afin d'adapter au plus près l'exécution des peines (renouvellement des permissions de sortie, habilitation des structures offrant des travaux d'intérêt général...).

2. Différencier les prises en charge au sein des établissements pénitentiaires et les régimes de détention
a) Un préalable : remettre à niveau l'immobilier pénitentiaire

Nombreux sont les rapports, tant parlementaires que gouvernementaux, ayant dénoncé ces dernières années la dégradation du patrimoine pénitentiaire 55 ( * ) « composé, pour l'essentiel, d'établissements vétustes et de locaux très dégradés par manque d'entretien, mais aussi d'établissements récents confrontés à des problèmes de conception entraînant des coûts finalement considérables ».

Afin de lutter contre la surpopulation carcérale , qui compromet l'objectif de réinsertion des personnes condamnées à des peines privatives de liberté, d'assurer des conditions décentes d'incarcération et de concrétiser le principe d'encellulement individuel , il convient de mettre en place une nouvelle politique immobilière permettant à la fois la construction de nouvelles places de prison et surtout des opérations de maintenance et de réhabilitation des établissements existants .

La construction de nouvelles places de prison est essentielle au regard de l'augmentation de la population française , mais également de l'augmentation de la délinquance constatée par les magistrats . La grande majorité des magistrats rencontrés expliquent en effet ne prononcer des peines d'emprisonnement qu'en dernier ressort et pourtant le nombre de détenus progresse. Il est alors pragmatique et raisonnable de fonder le programme immobilier sur l'estimation d'une progression continue de la population pénale et carcérale, et cela même avec le développement intensif de mesures alternatives à l'incarcération.

De plus, l'objectif d'encellulement individuel est loin d'être atteint : au 1 er août 2018, seulement 40 % des détenus en bénéficiaient .

Par ailleurs, vos rapporteurs rappellent l'importance des investissements dans la maintenance des établissements pénitentiaires . À cet égard, la comparaison entre l'entretien des bâtiments récents français et des bâtiments allemands a été frappante : alors que les centres pénitentiaires allemands sont très régulièrement entretenus et que tout dégât est réparé dans un délai compris entre une journée et une semaine, les remises à niveau de bâtiments endommagés en France sont repoussées d'année en année : par exemple un des quartiers du centre pénitentiaire de Valence, incendié en 2016, n'a toujours pas fait l'objet de travaux de réhabilitation.

À l'instar de la Cour des comptes 56 ( * ) , vos rapporteurs estiment que l'augmentation du budget de maintenance des établissements pénitentiaires permettrait in fine une réduction des dépenses exceptionnelles de réhabilitation, voire de reconstruction.

Proposition n° 23 :

Investir dans l'immobilier pénitentiaire pour que les conditions d'incarcération permettent la réinsertion des personnes détenues.

b) Diversifier les établissements pénitentiaires

En dépit de la « complexité » dénoncée du droit des peines et de l'empilement de différents plans de construction d'établissements pénitentiaires, indépendants les uns des autres, la détention française reste très généraliste .

L'ensemble des personnels pénitentiaires rencontrés par vos rapporteurs ont dénoncé l'absence de classification des établissements , et donc l'absence d'orientation ciblée des détenus .

Alors qu'il existe une grande diversité des profils des personnes incarcérées, des personnes aux profils antagonistes sont trop souvent regroupés au sein du même quartier de détention.

Il convient de véritablement diversifier les établissements pénitentiaires, en adaptant les exigences en matière de sécurité aux profils des détenus : il y a peu d'intérêt à soumettre l'ensemble des établissements pénitentiaires à des dispositifs très sécuritaires.

Davantage que la durée de la peine restant à accomplir, le profil des détenus semble être un meilleur critère pour l'affectation différenciée dans un établissement : sa capacité à se réinsérer, son comportement, son besoin ou non de prise en charge médicale permanente (notamment psychiatrique), sa sociabilité sont autant de critères permettant d'individualiser davantage la détention.

L'orientation des condamnés au sein des établissements , qui relève d'une décision de l'administration pénitentiaire, devrait être rationalisée par la mise en place d'une classification des établissements : ceux pouvant accueillir des détenus radicalisés, ceux pouvant offrir une prise en charge adaptée aux délinquants et criminels sexuels, ceux adaptés aux multirécidivistes, etc .

Au sein même des quartiers, une diversification des régimes de détention permettrait de personnaliser l'exécution des peines . À cet égard, vos rapporteurs ont pu constater que la quasi-totalité des détenus en Allemagne disposent de la clé de leur cellule et peuvent circuler assez librement au sein de leur étage entre leur cellule individuelle et les salles collectives (pièce réservée à l'entretien du linge, local cuisine, pièce réservée aux entretiens avec les conseillers de probation, etc .)

Vos rapporteurs font ainsi le pari que l'adaptation du parc carcéral à la diversité des profils des condamnés permettrait de pacifier la détention et d'améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires.

Proposition n° 24 :

Diversifier les établissements pénitentiaires en les ajustant aux profils des détenus et mettre en place une classification des établissements et des régimes de détention pour une orientation adaptée des détenus.

Dans le cadre de ce projet de diversification des établissements pénitentiaires, vos rapporteurs recommandent également de développer les centres de semi-liberté , qui permettent une transition progressive entre le milieu fermé et le milieu ouvert.

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 707 du code de procédure pénale, « toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire, dans le cadre d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte, afin d'éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. »

Le régime de semi-liberté permet de prononcer des mesures suffisamment contraignantes pour incarner la fonction répression de la sanction tout en étant suffisamment souple pour permettre l'exercice d'activités hors détention.

Contrairement aux autres aménagements (placement à l'extérieur sans hébergement, placement sous surveillance électronique), la mesure de semi-liberté peut être prononcée à l'égard des personnes sans domicile ou au domicile précaire. Il ressort des rapports d'activité des juges de l'application des peines que vos rapporteurs ont pu consulter que la mesure est souvent prononcée pour des personnes au quantum de peine significatif, présentant une inaptitude psychologique au PSE ou réitérant et ayant déjà bénéficié d'un aménagement de peine sous la forme d'un PSE.

La mesure de semi-liberté permet également un suivi quotidien des condamnés : ainsi, à Paris, un courrier électronique est adressé quotidiennement par le responsable du quartier de semi-liberté au directeur d'établissement, au SPIP, au procureur de la République et au juge de l'application des peines pour les informer du nombre de présents, de la non-réintégration de certains, des incidents, des retards ou des éventuels retours « alcoolisés ».

Vos rapporteurs regrettent la diminution des moyens accordés aux centres de semi-liberté et en conséquence, le nombre de placements en semi-liberté : si 1 825 personnes étaient écrouées dans un centre de semi-liberté au 1 er août 2015, ce ne sont plus que 1 675 détenus qui sont actuellement dans un centre de semi-liberté.

Vos rapporteurs invitent à développer les centres ou les quartiers de semi-liberté en adéquation avec les besoins des territoires .

À cet égard, ils regrettent que l'ouverture en novembre 2015 d'un nouveau centre pénitentiaire à Valence se soit traduit par la suppression du quartier de semi-liberté auparavant situé dans l'ancienne maison d'arrêt de Valence. Depuis cette fermeture, les juges correctionnels et d'application des peines du tribunal de grande instance de Valence font régulièrement part du manque d'un outil intermédiaire entre l'incarcération et le PSE : ils déplorent ainsi que 70 % des sorties du centre pénitentiaire de Valence soient désormais « sèches ». Cette fermeture apparaît dommageable car, contrairement à d'autres centres pénitentiaires, le centre pénitentiaire de Valence est bien desservi par les transports en commun, ce qui facilite l'accès à un travail ou une formation.

Aussi vos rapporteurs proposent-ils, dans le cadre du plan de construction de 15 000 places de prison, de consacrer une part significative des investissements à la création de centres de semi-liberté et de les situer au sein des agglomérations. L'association des collectivités territoriales devrait être essentielle pour assurer la desserte de ces établissements par les transports en commun et faciliter l'accès des condamnés aux dispositifs d'insertion de droit commun.

Proposition n° 25 :

Développer, au centre des agglomérations, des quartiers de semi-liberté afin de pouvoir octroyer équitablement sur le territoire des aménagements de peine.


* 52 En application de l'article 721-2 du code de procédure pénale, le temps correspondant à tout ou partie des crédits de réduction de peine accordés à un condamné peut constituer l'assiette de jours permettant le prononcé d'un suivi : dans ce cadre, le juge de l'application des peines peut soumettre le condamné à des mesures d'aide et de contrôle, à des obligations et à des interdictions applicables après sa libération, pour une durée qui ne peut excéder la durée cumulée des réductions de peine dont il a bénéficié.

* 53 En application de l'article 723-29 du code de procédure pénale, cette mesure peut s'appliquer aux personnes condamnées soit à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à sept ans pour un crime ou un délit, soit à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à cinq ans en cas de récidive, et pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru. Concrètement, la personne est astreinte, en principe, à une injonction de soins et est soumise à des obligations et interdictions. Cette mesure est prononcée, par le tribunal de l'application des peines, en cas de risque de récidive avéré, pour un temps d'épreuve qui ne peut excéder la durée cumulée des réductions de peine dont la personne a bénéficié pendant son incarcération. En cas d'inobservation de la mesure, le juge de l'application des peines peut retirer ces réductions de peine et ordonner la réincarcération de la personne.

* 54 Voir supra.

* 55 « Pour une politique pénitentiaire ambitieuse », réponse de Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, à Jean-René Lecerf, président de la commission du livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire.

* 56 Cour des comptes, référé « La politique immobilière du ministère de la justice », 13 décembre 2017.

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