MARDI 12 JUIN 2018

Docteur Damien Mauillon et docteur Valérie Kanoui,
représentants de l'Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP)
et Docteur David Sechter,
représentant de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP)

Mme Josiane Costes, présidente . - Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd'hui les docteurs Damien Mauillon et Valérie Kanoui, qui représentent l'association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), et le docteur David Sechter, qui représente l'association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP).

Notre mission d'information s'intéresse à la réinsertion des mineurs enfermés, dont font notamment partie les mineurs détenus, ainsi que les mineurs placés en centre éducatif fermé (CEF). Nos visites sur le terrain nous ont confortés dans l'idée que la santé doit être prise en compte dans notre réflexion. Vos confrères que nous avons rencontrés en établissement pénitentiaire pour mineurs ou en quartier pénitentiaire pour mineurs ont tous souligné l'état de santé souvent dégradé des mineurs qui ont affaire à la justice. Or un mauvais état de santé peut être un obstacle majeur au succès d'un parcours de réinsertion.

La dimension psychiatrique nous intéresse tout particulièrement : les troubles du comportement semblent répandus chez les mineurs délinquants, sans nécessairement relever toujours de la catégorie des maladies psychiatriques. Votre audition nous aidera, je l'espère, à y voir plus clair et à faire le point sur les actions que les professionnels de santé mettent en oeuvre au profit des mineurs enfermés.

Je vais vous laisser la parole pour un exposé liminaire, qui vous permettra de présenter en quelques mots vos associations puis de commencer à répondre aux questions de notre rapporteur. Puis nous aurons un temps de questions-réponses, qui nous permettra d'approfondir certains points.

Dr David Sechter, représentant de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). - Pour nous présenter brièvement, l'ASPMP est une association rattachée aux métiers de la psychiatrie générale et qui réunit des professionnels exerçant en prison dans le cadre exclusif de soins hospitaliers. Nous avons pour mission essentielle de valoriser l'approche interinstitutionnelle, le dialogue entre les différents corps intervenant auprès des publics incarcérés et la promotion de l'éthique médicale à travers notamment la recherche constante du consentement aux soins.

Avant de répondre aux questions que vous nous avez adressées, il me paraît important de préciser en propos liminaire que les pratiques en matière de suivi psychiatrique sont extrêmement différentes selon que l'on exerce en établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) ou en quartiers pour mineurs en établissement pénitentiaire.

Vous nous posez la question des pathologies auxquelles nous sommes confrontés. Nous voudrions d'ores et déjà indiquer que nous récusons toute approche de « psychiatrisation » de l'adolescent incarcéré. Je définirais notre travail davantage comme une démarche de dépistage des prodromes schizophréniques, de troubles bipolaires ou d'autres troubles du comportement liés à l'enfermement, à l'instance judiciaire ou aux carences du milieu familial. Parmi eux, nous sommes particulièrement attentifs aux insomnies, aux idées noires et aux scarifications, qui sont autant de prémices d'un éventuel passage à l'acte. Nous avons aussi à connaître de troubles psychiques plus classiques liés à l'adolescence, souvent compliqués par une carence affective. Ces troubles recouvrent des intolérances alimentaires, des frustrations, des tendances abandonniques ou narcissiques qui peuvent entraver l'administration de soins. La troisième grande famille de troubles que nous avons à traiter concerne les comportements addictifs : l'addiction au tabac arrive en tête, avec une proportion de consommateurs d'environ 90 % de la population mineure incarcérée contre 25 % dans la population générale, devant celle au cannabis, avec75 % de fumeurs réguliers contre 10 % dans la population générale, sans oublier la consommation d'alcool, le plus souvent sous la forme du binge drinking . La consommation de cannabis est classiquement associée à des syndromes amotivationnels qui expliquent que ces jeunes aient du mal à définir un projet. Les phénomènes de consommation de médicaments, telle la benzodiazépine, sont plus marginaux. A priori , aucun mineur détenu en EPM ne relève d'une situation exclusivement psychiatrique.

Concernant la prise en charge sanitaire d'un mineur enfermé, je prendrai l'exemple de l'EPM d'Orvault dans lequel j'exerce pour vous en exposer le déroulé. À son arrivée, le jeune est d'emblée reçu par un infirmier pour un entretien. L'infirmier se charge également des délivrances médicamenteuses, sous la supervision du médecin, qui délivre assez rarement - dans 10 cas sur 47 à Orvault - des ordonnances particulières de traitement. Les traitements sont dans leur majorité légers, et sont à visée plus symptomatique que thérapeutique : l'exemple le plus répandu est l'Atarax pour le traitement des troubles du sommeil.

L'équipe médicale se compose de trois équivalents temps plein, répartis en 1,5 ETP infirmier, 0,5 ETP psychologue et 1 ETP psychiatre. À son arrivée en détention, chaque mineur est vu une première fois par un infirmier, puis nous avons une réunion clinique pendant la semaine pour approfondir le diagnostic et orienter le jeune. L'infirmier effectue une deuxième consultation de l'arrivant puis le suivi avec le psychologue ou le psychiatre peut se mettre en place, avec une consultation par semaine ou toutes les deux semaines.

Nos missions sont le dépistage et la prise en charge des troubles psychiatriques, du risque suicidaire, des addictions, de la souffrance psychique, la continuité des soins avec les soignants d'amont et d'aval et la prévention. On travaille aussi à responsabiliser le jeune dans son parcours, ce qui suppose d'établir une relation de confiance. La quasi-totalité des jeunes sont suivis dans notre EPM, ce qui évite tout phénomène de stigmatisation des mineurs qui viennent nous consulter.

La situation est différente dans d'autres structures : une psychiatre qui exerce à la maison d'arrêt de Luynes, à Aix-en-Provence, qui accueille 25 mineurs, m'indiquait que son équipe développe des activités en individuel ou en groupe, qu'elle fait passer un premier entretien à chaque détenu mais qu'elle n'assure ensuite le suivi que de 30 % d'entre eux.

Vous nous interrogiez sur la collaboration des différentes autorités et administrations que concerne l'intervention thérapeutique sur les mineurs détenus. Il s'agit d'un sujet hautement sensible et complexe. Matériellement, nous participons aux commissions bihebdomadaires sur la prévention des suicides avec les éducateurs de la PJJ et les membres de l'administration pénitentiaire, aux réunions bimensuelles de coordination sur la santé des mineurs et parvenons à ménager quelques temps d'échange communs avec le jeune et son éducateur. C'est essentiellement la crainte du passage à l'acte suicidaire qui motive nos interactions avec les autres professionnels du milieu carcéral, qui ne comprennent pas toujours que les médecins soient astreints au secret médical et qui nous reprochent de ne pas vouloir partager certaines informations avec eux. La confidentialité des soins n'est pas toujours assurée en cas d'extraction du mineur à l'hôpital, en raison de la présence d'un surveillant pénitentiaire.

Concernant les difficultés particulières auxquelles nous sommes confrontés, elles recouvrent essentiellement l'accord du titulaire de l'autorité parentale, que l'article L. 1111-5 du code de la santé publique nous oblige à recueillir avant de prodiguer tout soin à un mineur. Le problème se pose de façon particulièrement aiguë dans le cas des mineurs non-accompagnés, lorsqu'ils n'ont ni tuteur ni administrateur ad hoc .

Enfin, je voudrais évoquer les différentes modalités de l'hospitalisation pour soins psychiatriques. Le premier niveau, de loin le plus répandu, est celui de la consultation ambulatoire. Le deuxième niveau est celui d'une hospitalisation de jour, qui est assurée dans ma région au sein de la maison d'arrêt de Nantes, où sont dispensés des soins plus contenants, mais où le mineur n'est jamais retenu au-delà de quelques heures. Sur les effectifs de l'EPM d'Orvault, les hospitalisations de jour se chiffrent à moins de dix jours par an. Enfin, le troisième niveau est celui d'une hospitalisation complète en unité d'hospitalisation spécialement aménagée (UHSA), qui dans notre cas se trouve à Rennes. Elle est la moins souhaitable, mais fort heureusement la plus rare (deux cas seulement en 2017).

Dr Damien Mauillon, représentant de l'Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) - Avant de vous faire part de mon expérience de médecin généraliste et addictologue à la maison d'arrêt d'Angers, je souhaitais vous interroger sur les finalités du travail de la mission d'information.

M. Michel Amiel, rapporteur . - Nous avions pour ambition initiale de nous pencher sur la réinsertion sociale des mineurs enfermés. La conduite de nos travaux nous mènera probablement à réfléchir de façon plus globale sur l'ordonnance du 2 février 1945 et sur la primauté de l'éducatif sur le carcéral. Concernant votre audition, nous sommes très intéressés par votre expérience sur les croisements des parcours de soins et des parcours délictuels. En tant qu'ancien rapporteur d'une mission d'information sur les moyens de la pédopsychiatrie, je suis particulièrement sensibilisé aux questions relatives à la démographie médicale mais aussi à l'insertion de la psychiatrie au sein des disciplines médicales plus générales.

Dr Damien Mauillon . - Je vous remercie. L'APSEP que nous représentons, Mme Kanoui et moi-même, est une association créée il y a plus de vingt ans, dans le sillage de la loi de 1994 qui a mis en place les unités de consultations et soins ambulatoires (UCSA), dans lesquelles travaillent des professionnels de santé qui ne dépendent plus du ministère de la justice.

Pour ce qui est des pathologies particulières auxquelles nous sommes exposés, il s'agit principalement de pathologies physiologiques non-urgentes, comme les problèmes bucco-dentaires par exemple. Nous pouvons aussi signaler, en plus des pathologies classiques liées à l'adolescence, une augmentation du dépistage de maladies sexuellement transmissibles, notamment des cas de Chlamydia. Les pratiques addictives sont, à mon sens, particulièrement préoccupantes : outre la consommation de tabac et de produits stupéfiants évoquée par mon confrère, je souhaitais préciser que la consommation de médicaments - benzodiazépine, valium, lyrica - est un phénomène plus spécifiquement observé chez les mineurs non accompagnés (MNA) que chez les mineurs français. Aussi, nous tentons, par un travail constant de prévention et d'éducation à la santé de mieux accompagner les pratiques addictives, nutritionnelles et sexuelles des mineurs détenus en EPM. J'en profite d'ailleurs pour signaler que, contrairement aux quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires classiques, nous disposons certes des moyens financiers pour mener de telles actions en EPM, mais nous trouvons confrontés à une diminution des moyens humains.

Dr Valérie Kanoui. - J'exerce à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, dont le quartier pour mineurs peut accueillir jusqu'à 100 détenus. Dans leur quartier, les mineurs se trouvent seuls en cellule, mais ils connaissent, pendant leurs activités, une certaine proximité susceptible d'induire une réelle violence. Les mineurs isolés qui arrivent sur le territoire et les ressortissants français ont à la fois un profil et des besoins de médication différents. Du fait de l'impossibilité de communiquer en français, les MNA peuvent passer plus souvent à l'acte auto-agressif, voire hétéro-agressif. Ils sont ainsi doublement isolés et ne peuvent participer aux activités qui sont proposées aux autres détenus mineurs. La durée d'incarcération ne leur permet pas d'acquérir de réelles connaissances susceptibles de favoriser leur insertion. D'ailleurs, fin juin de chaque année, les activités d'enseignement s'arrêtent pour les vacances d'été et les activités pédagogiques restent alors à la discrétion des services de l'administration pénitentiaire ou dépendent de la bonne volonté d'associations, qui dispensent des cours de français langue étrangère par exemple. En outre, seul un médecin addictologue est présent à Fleury-Mérogis, qui accueille 4400 détenus ! Cet établissement pénitentiaire connaît une désaffection du corps médical, la moitié des postes étant vacants. Il est ainsi inimaginable de mettre en oeuvre des actions préventives, car dispenser les soins, dans l'urgence, est déjà difficile ! Enfin, ces jeunes mineurs souffrent de carences éducatives et l'environnement carcéral n'est nullement éduquant.

Dr Damien Mauillon. - Les jeunes présentent des troubles de la concentration et de la mémorisation, en raison de leur consommation de cannabis qui obère tout apprentissage. En milieu carcéral adulte, le cannabis garantit la paix sociale, et il est toléré par les surveillants, mais cette drogue passe aussi chez les mineurs. Elle représente donc le plus gros problème de santé en milieu carcéral. La consultation « jeune consommateur », proposée dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), qui sont des centres médico-sociaux, peut constituer une solution. Si ces consultations sont régulières en EPM, il semble plus difficile de les organiser dans les quartiers pour mineurs. Cet accompagnement en addictologie doit aller au-delà de la durée de l'emprisonnement et prendre en compte à la fois la personnalité, le produit et l'environnement dans lequel évolue le mineur, qui peut s'avérer délétère. Au sein des CSAPA, les consultations sont également accordées aux patients jusqu'à l'âge de 25 ans.

Dr Valérie Kanoui. - Je souhaiterais attirer votre attention sur l'ouverture prochaine d'un EPM à Fleury-Mérogis, au sein de locaux précédemment affectés à la maison d'arrêt des femmes. Cette décision est a priori de bon aloi puisqu'elle entraînerait la fermeture du quartier pour mineurs de l'établissement pénitentiaire de Fleury-Mérogis et permettrait l'hébergement de soixante mineurs dans de bien meilleures conditions. Elle est toutefois gênante car, d'une part, les bâtiments de l'ancienne maison d'arrêt pour femmes n'ont fait l'objet d'aucune réhabilitation - des risques de légionellose y ont notamment été détectés - et, d'autre part, cela envoie un mauvais signal aux administrations chargées de la détention féminine.

Cette remarque me permet d'évoquer de façon plus générale les difficultés particulières que nous rencontrons en quartiers pour mineurs, où j'ai davantage d'expérience. Elles ont principalement trait aux contraintes de circulation qui nous sont imposées par l'administration. Songez que nous avons pour consigner d'éviter le plus possible les croisements d'un mineur de plus de seize ans et d'un majeur, consigne qui devient interdiction absolue lorsque le mineur a moins de seize ans. Je vous laisse imaginer les acrobaties d'horaires de consultation auxquelles nous devons nous livrer pour satisfaire ces impératifs. On nous a objecté que nous pourrions assurer nos consultations dans le quartier pour mineurs, ce qui est rigoureusement impossible, compte tenu de la faiblesse de nos moyens humains.

Dr Damien Mauillon . - A propos du secret médical en prison, je vous affirme sans ambages qu'il existe déjà fort peu pour les majeurs, et qu'il est absolument inexistant pour les mineurs. Un mineur étant constamment accompagné d'un surveillant en tenue, nous avons de grandes peines à faire appliquer un semblant de confidentialité des soins. Le mineur peut même en venir à refuser certaines extractions en milieu hospitalier, en raison de cet accompagnement ininterrompu. Nous sommes bien conscients des missions de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), des contingences qu'elles impliquent et de la nécessité pour eux d'être informés de l'état de santé des mineurs détenus, mais nous insistons sur la ligne rouge de la confidentialité des soins à ne pas franchir.

Dr Valérie Kanoui. - J'abonde absolument dans le sens de mon confrère. Sans confidentialité des soins, il ne peut y avoir de construction d'un lien de confiance. Or ce dernier reste essentiel au maintien de l'équilibre de ces jeunes. Lorsqu'ils manifestent la volonté que leur éducateur ne soit pas mis au courant de ce qui s'échange lors de la consultation, ce souhait doit être respecté.

Une autre difficulté a été précédemment évoquée, mais je me permets d'y revenir, tant elle est importante : il s'agit du recueil du consentement. Les évolutions récentes de la législation nous ont compliqué la tâche, en substituant à un consentement global aux soins un consentement particulier pour chaque acte thérapeutique. Deux situations doivent être distinguées. Concernant les MNA - au nombre de 90 à Fleury-Mérogis - les difficultés sont moindres puisque l'article L. 1111-5 du code de la santé publique dispose qu'un mineur coupé de sa famille mais immatriculé à la sécurité sociale pour son propre compte, ce qui est automatiquement le cas lorsqu'on est incarcéré, peut donner son consentement lui-même. Le problème est plus prégnant pour les mineurs dont les parents sont sur le territoire. En cas d'urgence, c'est-à-dire en cas de situation qui, sans traitement, peut porter atteinte à l'intégrité physique ou mentale du mineur, nous pouvons intervenir sans recueil du consentement des parents. Mon confrère a cependant eu l'occasion de vous signaler que l'essentiel des soins que nous prodiguons sont des soins non-urgents - radiologies dentaires, vaccinations, tests de dépistage - et qu'à ce titre les parents doivent systématiquement nous transmettre leur accord. Pour ce faire, l'administration pénitentiaire leur fait parvenir un premier courrier, suivi d'un second avec accusé de réception si le premier reste sans réponse. Les délais de traitement peuvent alors connaître un allongement conséquent.

Dr Damien Mauillon . - J'ajouterais que les pratiques en matière de recueil du consentement des parents sont hétérogènes sur le territoire. À Nantes, par exemple, aucun acte non-urgent n'est effectué sans lui. A Lavaur, dans le sud de la France, l'équipe médicale demande l'accord du conseil départemental en cas de silence prolongé des parents.

Dr Valérie Kanoui. - Notre tâche serait considérablement simplifiée si l'entrée en prison s'accompagnait de la nomination d'un tuteur. Cela nous protègerait certes des parents qui ne se manifestent pas, mais également de ceux qui se manifestent avec retard, une fois le soin prodigué, et qui parfois engagent notre responsabilité. L'importance du consentement des parents va, par ailleurs, au-delà des questions médicales et touche même la question du culte : un mineur ne peut pratiquer une religion de son choix sans l'accord de ses parents.

M. Michel Amiel. - Vos témoignages illustrent la grande misère de la médecine pénitentiaire. Quelles seraient les préconisations qui vous semblent les plus réalistes pour améliorer la situation que vous venez de décrire ?

Dr Daniel Mauillon. - Les consultations « jeunes consommateurs » que j'évoquais précédemment me semblent à privilégier. Comment améliorer l'accompagnement des mineurs isolés ? Faut-il désigner pour eux un tuteur ou une personne de confiance ? C'est une question complexe.

M. Michel Amiel . - Quel pourcentage de la population carcérale à Fleury représentent ces mineurs isolés?

Dr Valérie Kanoui. - Entre un tiers et 40 %, en fonction des périodes. Je formulerai, quant à moi, une proposition que je sais être irréaliste : l'incarcération des mineurs ne pouvant être bénéfique, il convient de la réduire au maximum, voire de l'éradiquer. Cette incarcération fait le lit de la criminalité ; ces mineurs demeurent livrés à eux-mêmes, en dépit de leurs occupations, et entrent en contact avec le cannabis, voire d'autres drogues ou médicaments, qui obèrent leur capacité à se réinsérer !

M. Michel Amiel. - Votre propos n'est pas si irréaliste car de nombreux magistrats partagent votre constat. Dans le cadre du parcours de soins du jeune, disposez-vous des moyens de le suivre une fois en milieu ouvert ?

Dr Valérie Kanoui. - Non, nous avons déjà du mal à les suivre pendant la détention.

Dr David Sechter. - En psychiatrie, le suivi peut parfois se prolonger à l'issue de l'incarcération si le jeune reste fixé dans la région et qu'un lien a été créé avec le professionnel de santé. Mais cette situation est loin d'être la règle et l'incarcération, comme la sortie, sont souvent vécues comme des ruptures brutales.

M. Michel Amiel . - Pourquoi l'usage des benzodiazépines chez les mineurs non accompagnés est-il si répandu ?

Dr Valérie Kanoui . - C'est bien souvent la conséquence de leur présence constante dans la rue et ces médicaments, aisés d'accès, sont utilisés, comme l'alcool, pour mieux supporter un quotidien peu enviable.

M. Michel Amiel. - Quel est le bilan de la loi de 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale qui a réformé la médecine pénitentiaire ?

Dr David Sechter. - Cette loi entendait réformer les soins prodigués aux détenus, en rattachant les professionnels aux structures hospitalières. Cette mesure avait d'ailleurs été obtenue, en psychiatrie, dès 1987.

Dr Valérie Kanoui. - Cette loi s'appuyait sur plusieurs axes : le premier visait à conférer la responsabilité des soins aux professionnels de la santé ; le second visait l'immatriculation systématique à la sécurité sociale des personnes détenues ; le troisième concernait l'éducation et la prévention ; le quatrième visait, enfin, à doter les établissements pénitentiaires d'unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) ; ces dernières sont désormais désignées comme des unités de soins en milieu pénitentiaire (USMP).

Dr Damien Mauillon. - La loi de 1994 partait du constat de la propagation du sida et entendait mobiliser les moyens, notamment ambulatoires, pour enrayer cette catastrophe sanitaire en milieu carcéral.

Mme Michelle Meunier . - Quel est l'état actuel de cette épidémie en prison ?

Dr Damien Mauillon. - Le taux de prévalence du VIH en prison est de l'ordre de 2 % chez les majeurs, soit dix fois plus qu'au dehors !

Dr Valérie Kanoui. - Les pratiques à risques chez les majeurs sont importantes. S'agissant des mineurs, les professionnels de santé sont inquiets du recul des comportements de prévention chez les jeunes, face aux épidémies de sida et d'hépatites, ces maladies faisant moins peur du fait des progrès thérapeutiques. Si le nombre de ces pathologies en prison ne semble pas, pour l'heure augmenter, les pratiques à risques connaissent une évolution inquiétante susceptible, à terme avoir un grave impact sanitaire.

L'esprit de la loi de 1994, qui prônait l'égalité des soins entre l'intérieur et l'extérieur de la prison, est devenu manifestement obsolète. Il n'y a plus d'égalité des soins, suite à la conjonction de plusieurs facteurs : la réduction des moyens, la situation exsangue des hôpitaux, qui peinent déjà à soigner leurs malades dans leur bassin de population, et la préoccupation sécuritaire de l'administration pénitentiaire qui mobilise une escorte chaque fois qu'un détenu est hospitalisé, ce qui limite les possibilités de déplacement. Un drame sanitaire se prépare en prison, en raison de la pénurie de médecins et de la difficulté à trouver des professionnels motivés pour travailler dans les conditions difficiles du milieu carcéral où ils subissent des pressions en matière de confidentialité des soins et reçoivent des injonctions concernant la manière dont ils devraient exercer.

Mme Michelle Meunier . - Quel est votre statut en tant que médecin ?

Dr Valérie Kanoui. - Nous sommes tous praticiens hospitaliers, et devrions, à ce titre, être défendus par le ministère de la santé, qui n'a manifestement pas les moyens de nous soutenir face au ministère de la justice. Pour preuve, à la direction générale de l'offre de soins (DGOS), nous ne disposons d'aucun référent en charge de la médecine pénitentiaire. Faute du soutien nécessaire, je crains que les remplacements des personnels médicaux partis en retraite n'aient pas lieu.

Mme Josiane Costes, présidente . - Comment les jeunes détenus en centres éducatifs fermés sont-ils soignés ?

Dr Valérie Kanoui. - Il me semble qu'ils relèvent du droit commun et qu'ils sont soignés par les professionnels à proximité du centre.

M. Michel Amiel . - Il n'y a pas de formation initiale en médecine pénitentiaire ?

Dr Valérie Kanoui. - Pas à proprement parler, même s'il existe un diplôme universitaire sur cette thématique. En revanche, nous espérons que les quelques internes, que nous recevons en stage, prendront la relève. Les jeunes hésitent à s'engager dans ce milieu difficile qu'est la prison. Pour preuve, depuis février dernier, onze décès de détenus ont eu lieu, dont neuf par pendaison. Il est difficile de vivre cette expérience comme jeune médecin et décider de faire ultérieurement carrière dans un tel environnement !

Mme Josiane Costes, présidente . - Madame, Messieurs, je vous remercie de vos témoignages.

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