IV. TABLE RONDE : « FACE AUX MUTATIONS NUMÉRIQUES : QUELLES RÉPONSES, QUELLES STRATÉGIES, QUELLES NOUVELLES RÉGULATIONS ? »

A. INTRODUCTION DE LA TABLE RONDE

David ASSOULINE,
Vice-président du Sénat

Je vous remercie pour l'organisation de ce colloque.

J'essaierai, dans mon intervention, de rester à ma place d'homme politique qui doit se prononcer sur l'avenir de l'audiovisuel et imaginer le champ de la décision publique. Pour le reste, je fais confiance aux professionnels, aux lignes éditoriales, aux contenus, etc. Ce n'est pas notre métier.

Comment réenchanter l'audiovisuel public face aux mutations numériques ? D'abord en ne l'affaiblissant pas et en ne réduisant ni ses moyens financiers ni son périmètre mais, au contraire, en le renforçant. C'est ma conviction.

J'affirme ici que notre combat ne doit pas seulement consister à sauver les moyens actuels mais à les augmenter. Je sais que je suis à contre-courant de ce qui se dit globalement. Pas de méprise sur mon propos : je ne dis pas qu'il n'existe pas d'économies à réaliser dans l'audiovisuel public. Je pense même que certaines synergies et de nouvelles techniques peuvent le permettre, mais tout cela nécessite des dépenses supplémentaires si l'on veut demeurer performant tout en conservant la qualité.

Je suis depuis toujours très réformiste, et je ne me contente pas de l'existant, mais la réforme doit être au service d'une augmentation des capacités. Le numérique coûte cher et nous ne sommes qu'aux balbutiements de cette révolution. Personne n'imagine aujourd'hui ce que seront ses effets sur l'audiovisuel dans dix ans.

Cela veut dire que l'investissement nécessaire est un investissement créatif et prospectif. On doit à tout moment être capable de mettre les moyens pour être dans le courant.

Allons encore plus loin : je pense que nous devons être prescripteur des nouveaux usages et des nouveaux formats médiatiques. Au lieu de chercher seulement à s'adapter aux usages et aux formats, comme Netflix et quelques autres, qui donnent le La, nous devons être capables de créer et d'inventer pour nous en sortir.

Tout cela représente des moyens financiers, des investissements technologiques, scientifiques, des mutations. Pour faire écho à ce que disait M. Blanquer, comment donner sa place à l'humain dans un univers hypertechnologique ? L'humain est irremplaçable en matière de créativité, d'innovation, et de prescription des nouveaux usages. C'est une façon de répondre à la baisse en termes de moyens ou de masse salariale. Peut-être peut-on réduire les postes du passé ou survalorisés, mais je pense qu'il faut investir beaucoup plus dans des postes et dans du personnel créatif, qui sera sur le terrain, etc.

Ma première réponse consiste à prévoir davantage de moyens. La puissance publique a le pouvoir d'en décider. Cela change la nature du débat sur la réforme : pour l'instant, j'entends dire que son but consiste à faire 500 millions d'euros d'économies au minimum. Je ne suis pas le seul à l'entendre. C'est sacrifier le service public que d'aller dans cette direction.

Les archaïsmes ne sont pas toujours là où l'on croit. Il y a dix ans, on disait que la télévision, publique comme privée, devait prendre le cap de la révolution numérique pour reconquérir les publics jeunes qui s'en détournaient. Ce discours est aujourd'hui devenu archaïque, car il ne s'agit pas de reconquérir les publics jeunes mais tous les publics. L'usage du numérique est en effet général. Il faut donc accompagner la révolution numérique et être prescripteur de nouveaux usages, de nouveaux formats, de nouvelles modes. Canal Plus, en son temps, avait réussi à créer la mode, en inventant un nouveau regard, un autre ton. C'est le service public qui, aujourd'hui, tant en matière de radio que de télévision, peut et doit le faire. Il en a les moyens. Il ne doit pas seulement copier ce qui se fait pour rester « à la page », mais déplacer le curseur et essayer de donner le La.

Ma troisième réponse consiste à savoir quelle stratégie les pouvoirs publics doivent encourager. Jusqu'à présent il existait une concurrence entre le privé et le public. J'ai toujours choisi de donner au service public les moyens de résister à cette concurrence. C'est mon rôle d'homme politique. C'est là pour moi le sens de l'intérêt général.

Ceci est passé par un certain nombre de combats qui n'étaient pas évidents. Même lorsqu'on a cherché à faire en sorte que le service public ne dépende plus du commerce, on a quand même conféré un avantage concurrentiel au privé, la publicité allant plutôt sur Internet. On a augmenté la manne publicitaire du secteur privé, au détriment du service public, les pertes annoncées n'ayant pas été compensées à l'euro près comme promis.

On doit changer de paradigme. La survie du paysage audiovisuel français réside aujourd'hui dans sa capacité de résistance aux GAFAM. J'étais plutôt pour un processus d'assises ou d'États généraux du paysage audiovisuel français. Je pense que l'heure est à un pacte entre le public et le privé français, entre les producteurs et les éditeurs. Je parle ici de tous ceux qui, toute la journée, se disputent le marché.

L'ensemble de ces concurrents vont être balayés par les GAFAM s'ils ne parviennent pas à trouver la bonne régulation. La règle du donnant-donnant doit permettre de faire corps. Je pense au débat qui a eu lieu sur la part de droits, mais aussi entre les producteurs et les auteurs, le privé et le public. À chaque table ronde, ces derniers font mine de s'aimer, mais nous savons bien qu'ils n'arrêtent pas de se combattre toute la journée. Je crois qu'un tel pacte est nécessaire. Il faut le redéfinir.

La réforme oui, mais à chaque fois qu'on en a discuté, des malentendus sont apparus. Le service public peut s'améliorer, être dix fois plus performant, se rénover, il ne va tout de même pas si mal ! La révolution numérique n'est pas moins forte que celle qui a eu lieu dans le privé, chez TF1, M6, etc., Des millions de podcasts d'émissions de philosophie sont écoutés chaque jour, comme sur Radio France. Je veux valoriser ici tout ce qui a été fait et tout ce qui est valable, car lorsqu'on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. Il faut que chacun aille dans le sens de la réforme.

Rendez-vous pour débattre. Je pense que les discussions seront âpres et étonnantes. Heureusement, on dispose d'un peu de temps, mais il faudra vraiment qu'il s'agisse d'un débat public avec toutes les données. Nous avons une des redevances les moins élevées d'Europe. Il faut s'aligner sur la BBC, qui a deux fois plus de personnel que nous.

On a cité les Suisses en disant qu'ils ont choisi la réforme. C'est par une campagne d'opinion, de sondages et de lobbying qu'on a fait croire que les Suisses en avaient assez de payer la redevance pour le service public. Lorsqu'un véritable débat public a eu lieu, avec arguments et pédagogie, le résultat a été l'inverse de ce qui était annoncé.

Les sondages peuvent donc être complètement contradictoires, et c'est le débat public qui permettra d'aller dans le sens de l'intérêt général. Mes propos ne sont pas forcément consensuels : j'aime le débat !

David Assouline, Vice-Président du Sénat

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