EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 26 SEPTEMBRE 2018

___________

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - J'en viens à l'ordre du jour de notre commission, qui appelle, en premier lieu, la présentation d'une communication sur le colloque relatif à l'avenir de l'audiovisuel public, tenu au Sénat le 12 juillet dernier.

En préambule, je tiens à remercier Jean-Pierre Leleux, André Gattolin et David Assouline, qui ont tous trois présidé des tables rondes lors de cette journée.

Notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a donc organisé, le 12 juillet 2018, un colloque sur le thème « Comment réenchanter l'audiovisuel public à l'heure du numérique ? », qui a rassemblé plus de 300 professionnels.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette journée, et tout particulièrement de l'étude d'opinion commandée par la commission à l'institut OpinionWay et de la première table ronde organisée sur le thème « Les missions du service public de l'audiovisuel en Europe à l'heure du numérique » à travers les interventions de Peter Boudgoust, président de la SWR et de ARTE, de Sir David Clementi, président de la BBC, de Pascal Crittin, directeur de la RTS, d'Anne Durupty, directrice générale d'ARTE France, de Monica Maggioni, alors présidente de la RAI, et de Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF.

Parmi les enseignements du sondage exclusif commandé par notre commission et mené dans cinq pays européens, je citerai le fait que la France se distingue par une faible identification des spécificités de ses médias publics par rapport aux médias privés. Si les Français reconnaissent que les programmes publics sont globalement plus « intelligents », ils estiment aussi que les médias publics manquent de dynamisme. Les personnes interrogées sont attachées à la gratuité du service public audiovisuel et à son rôle pour défendre les valeurs démocratiques et l'accès à une information fiable.

Si 80 % des Britanniques sont satisfaits de la BBC, seuls 56 % des Français le sont de l'audiovisuel public. Cet écart s'explique notamment par le sentiment de manque d'indépendance des médias publics français, à l'égard à la fois des puissances économiques - compte tenu de la dépendance à la publicité - et des autorités politiques.

Parmi les pistes d'évolution, les trois quarts des sondés souhaitent pouvoir accéder aux programmes publics locaux de télévision et de radio sur une même plateforme et 70 % sont opposés à la suppression de la diffusion hertzienne de France 4.

Partant de ces constats, les échanges menés le 12 juillet ont tout d'abord permis de rappeler que la mission de service public de l'audiovisuel était inséparable d'une ambition forte, « parfois aux limites du réalisable », selon notre collègue André Gattolin.

Cette mission s'accompagne d'une obligation d'universalité, qui recouvre à la fois un objectif de couverture territoriale, la nécessité de diversifier les programmes pour toucher tous les publics et une accessibilité maximale par la gratuité des services. Pour la présidente de la RAI, Monica Maggioni, qui est intervenue le 12 juillet : « on ne peut avoir de sociétés réellement démocratiques là où seulement ceux qui peuvent payer ont accès à des produits de qualité, aidant à comprendre le monde, les sociétés ».

Le premier enseignement est que l'universalité demeure l'objectif principal des médias publics européens. Elle implique un accès gratuit à l'ensemble des programmes du service public afin de se distinguer des plateformes par abonnement, des chaînes payantes et des chaînes gratuites privées qui font payer l'accès à leurs programmes de manière délinéarisée.

Nous avons constaté, par ailleurs, que la BBC mettait également l'universalité au centre de son projet, notamment à travers la représentation de la diversité de la nation et des régions au sein du Royaume-Uni. Le groupe britannique souhaite ainsi représenter l'ensemble de la société.

L'universalité implique que les médias publics s'adressent à tous les publics, sans distinction de territoires, d'opinions, de générations, d'origines. La dimension territoriale ou locale demeure le cadre de référence des médias publics européens, à l'exception d'ARTE, qui se revendique comme le seul média public européen.

La seconde mission de l'audiovisuel public concerne l'éveil et l'enrichissement des publics.

Cette mission d'éveil inscrit l'audiovisuel public en complément de l'éducation nationale. L'ambition culturelle et pédagogique doit idéalement traverser tous les programmes, qu'ils soient de nature informative, documentaire, fictionnelle ou divertissante. Cette aspiration prend aujourd'hui la forme d'une exigence de qualité de l'offre et d'une ambition en faveur de la création audiovisuelle nationale.

Cette exigence de qualité est aujourd'hui fragilisée par la fragmentation des audiences, la concurrence forte du privé et la priorité donnée à l'audience, donc à la demande, à travers, par exemple, des programmes d' infotainment .

L'éducation et la culture forment un objectif prioritaire des médias publics européens. Elles incarnent bien la spécificité de ces médias, qui ne doivent pas rechercher prioritairement l'audience, mais plutôt viser à fortifier le jugement des citoyens.

Si la BBC constitue un élément de la nation britannique, c'est à la fois parce qu'elle cultive farouchement son indépendance à l'égard des gouvernements, mais aussi parce qu'elle a pour ambition affichée l'impartialité, la neutralité et la précision en matière d'information. Certains de ses programmes sont dédiés à l'éducation et la qualité constitue un impératif revendiqué.

La confiance que les citoyens peuvent avoir dans les médias publics européens est étroitement liée au sentiment de neutralité et d'impartialité qu'ils peuvent inspirer. Or les Français sont nombreux à considérer que leurs médias publics ne sont pas impartiaux.

Le développement du numérique a été largement discuté le 12 juillet. Il questionne à la fois l'offre et l'organisation de l'audiovisuel public face à une globalisation de l'offre des autres médias et une dérégulation.

La délinéarisation, en particulier, favorise une politique de la demande fondée sur le libre-service au détriment d'une politique de l'offre structurée par un cahier des charges.

Les médias publics français ont conscience de l'enjeu numérique, mais tardent à s'y adapter. Seule ARTE se considère déjà comme un média délinéarisé.

Le contact avec le public commence dès la jeunesse. C'est pourquoi la BBC a conservé des programmes hertziens pour les moins de 12 ans. Le président de la BBC a d'ailleurs fait part de sa surprise face à la suppression de la diffusion de France 4 sur le réseau hertzien.

Le numérique accroît considérablement l'offre de programmes et oblige en conséquence les médias publics à se rapprocher de leurs publics. Dans cette perspective, le maintien d'une offre hertzienne à destination des plus jeunes apparaît essentiel pour construire une relation de long terme.

Par ailleurs, le président de la BBC a estimé que l'accès aux programmes publics devait être gratuit, même sur les plateformes numériques. À défaut, il a pointé le risque de s'éloigner du principe d'universalité. Le respect de la gratuité pose néanmoins la question des moyens financiers dont disposent ces médias, en particulier pour acquérir et conserver les droits des programmes proposés.

Or les gouvernements ont décidé de réduire fortement les ressources de l'audiovisuel public. Elles baisseront ainsi de 700 millions d'euros en Allemagne au cours des dix prochaines années. En Suisse également, les moyens de l'audiovisuel public sont appelés à baisser, la redevance, de 380 euros en 2018, étant ramenée à 313 euros en 2019.

Parallèlement à la baisse des financements publics, le modèle d'affaires fondé sur la publicité est remis en cause en raison de l'émergence des plateformes, qui captent la publicité, ainsi que de certaines grandes chaînes étrangères. Or ce sont les médias publics européens qui produisent le plus de contenus européens, a rappelé Pascal Crittin, le directeur de la RTS.

La stabilité dans le temps des ressources des médias publics est devenue une revendication largement partagée, dans un objectif d'indépendance. Elle implique une modernisation de la ressource au travers d'une évolution vers un impôt universel ne dépendant pas de la possession d'un téléviseur et vers des engagements pluriannuels permettant de développer des stratégies d'entreprise indépendamment des cycles électoraux.

La production de programmes de qualité et d'une information de référence a un coût qui n'est pas compatible avec une baisse continue des moyens, même si des gains de productivité sont possibles et nécessaires.

À cet égard, la réduction des dépenses de fonctionnement implique un rapprochement des structures pour constituer des groupes publics qui intègrent télévision, radio et numérique. Les mutualisations peuvent être recherchées en regroupant les moyens de production de contenus, d'une part, et les supports de diffusion, d'autre part. Ainsi, la Suisse a procédé en 2010 à la fusion de la radio et de la télévision, ce qui a été l'occasion de mettre en oeuvre une politique de mobilité professionnelle et une formation « trimédias ». Ce type d'approche est indispensable pour permettre l'adhésion des personnels aux changements nécessaires.

Pour conclure, je dirai que l'avenir de l'audiovisuel public tient dans sa capacité à proposer une alternative à la standardisation d'une offre de plus en plus globale et anglo-saxonne, à coopérer avec les autres acteurs européens pour faire rayonner notre culture et promouvoir la production européenne, à privilégier l'explication et l'approfondissement pour lutter contre les manipulations de l'information tout en respectant une stricte neutralité politique et les différents points de vue.

Pour cela, les moyens suffisants doivent être garantis dans la durée afin de permettre de créer un consensus social en interne et une alliance avec les producteurs. Dans cette perspective, notre collègue David Assouline a appelé de ses voeux « un pacte entre le public et le privé français, entre les producteurs et les éditeurs » pour résister aux GAFAN.

La transformation numérique doit également avoir pour conséquence une transformation dans l'organisation afin de mieux intégrer les différents supports de diffusion au sein de groupes de plus en plus unifiés.

M. Jean-Pierre Leleux . - Cette journée a été riche d'enseignements, grâce notamment à la qualité des intervenants. Le sondage nous a par ailleurs apporté des informations utiles.

Je considère que ce colloque est une étape importante dans la réflexion que mène le Sénat depuis plusieurs années sur l'audiovisuel public. Je vous rappelle à cet égard le rapport que j'avais fait, en 2015, avec André Gattolin sur le financement de l'audiovisuel public, dont 80 % des propositions restent valables.

Une réforme d'ensemble est annoncée par le Gouvernement. Elle était prévue pour 2019 ; on parle maintenant de 2020. Pour l'instant, nous restons dans l'attente des grandes orientations, mais je fais le constat d'un manque de cohérence et de vision de la part de l'exécutif. Le Sénat doit donc continuer de travailler pour faire des propositions fortes.

Il faut « décorseter » la réglementation, qui date de 1986 dans ses grandes lignes, alors que l'audiovisuel a énormément évolué depuis. D'aucuns s'interrogent sur la nécessité d'un audiovisuel public. Pour ma part, j'y suis favorable, à condition qu'il change. À cet égard, j'ai été frappé, à la lecture du sondage, par l'attachement des Britanniques à la BBC. On en est loin en France, donc : « Au travail ! ».

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je note toutefois que 82 % de nos compatriotes sont favorables au maintien d'un service public de l'audiovisuel.

M. André Gattolin . - Je suis également très satisfait de ce colloque. Il importe d'avoir une vision globale et d'éviter les réformes par « petits bouts ».

Soyons à l'initiative, alors que le Gouvernement semble être au point mort.

Je suis toujours frappé par la méconnaissance de l'offre et du périmètre de l'audiovisuel public chez nos concitoyens.

En la matière, il me semble que nous avons une vision plus quantitative que qualitative. Or, on est passé de Radioscopie de Jacques Chancel à l'émission de Laurent Ruquier, qui est une véritable entreprise de démolition. C'est un vrai problème. Par ailleurs, les journaux de France 3 en régions ne dispensent pas assez d'informations générales et politiques. Bref, nous ne ferons pas l'économie d'une réflexion sur les programmes, tant nationaux que régionaux.

Par ailleurs, nous n'avons aucune étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur le pluralisme, hors des périodes de campagne électorale.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous aurons bientôt l'occasion d'interroger Olivier Schrameck sur le sujet.

M. André Gattolin . - Je lui demanderai également pourquoi le CSA n'applique pas la loi du 20 décembre 2016, à l'origine de laquelle se trouve une proposition de loi que j'avais déposée, et qui lui fait obligation de nous remettre un rapport sur la publicité qui accompagne les programmes télévisés à destination de la jeunesse.

M. David Assouline . - J'ai, moi aussi, trouvé cette journée remarquable. Le Sénat est vraiment à la hauteur de l'enjeu, au contraire du Gouvernement et de l'Assemblée nationale. Quel est cet enjeu fondamental ? Il s'agit de contrer les GAFAN.

Le prochain rendez-vous que nous aurons avec le Gouvernement sera le budget. Or c'est la première fois depuis dix ans que la redevance est en baisse réelle, puisque l'on supprime la revalorisation automatique de 1 euro. On nous dit que la création est sanctuarisée, mais c'est impossible avec une telle baisse de moyens.

Ce sont 25 millions d'euros en moins, mais c'est en fait le double si l'on considère les évolutions indiciaires des personnels et la hausse automatique des coûts due à l'inflation.

Je suis favorable à une réforme globale de l'audiovisuel public. Sous le précédent quinquennat, le choix a été fait de voter d'abord une petite loi portant sur l'indépendance de l'audiovisuel public pour se donner le temps d'une réflexion plus globale. C'était l'objet du rapport Lescure sur l'exception culturelle. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps d'aller au bout, car d'autres enjeux sociaux, sécuritaires, ont saturé le débat politique. Le même phénomène se reproduit aujourd'hui, même si le Président de la République dit le contraire. D'ailleurs, quand la ministre de la culture annonce à La Rochelle une réforme de la redevance à la fin de l'année, elle est contredite une heure après par Matignon. On ne pourra rien faire avec une ministre à ce point aussi fragile et désavouée. Il semblerait que la réforme ne soit même pas dans les radars de 2019. Continuons à travailler, mais, franchement, nous ne sommes pas aidés.

Mme Dominique Vérien . - Le colloque a été l'occasion d'un très bon état des lieux, qui a mis en évidence quelques convergences avec nos partenaires européens. C'est à ce niveau que nous pourrons porter le fer contre les GAFAN en créant une plateforme numérique européenne. L'Union est déficiente, mais nous pouvons envisager de travailler avec quelques pays. Il y a certes le problème de la langue, mais il faut bien se faire à l'idée qu'il y a plusieurs langues en Europe. Cette plateforme pourrait nous y aider.

S'agissant de la redevance, on constate que l'exécutif n'a aucune vision globale. Je pense que la ministre essaie de se rapprocher des positions exprimées dans le rapport Leleux-Gattolin, mais, à chaque fois qu'elle fait un pas en avant, elle doit en faire un en arrière. Pour ma part, je ne serais pas choquée par un élargissement de son assiette, compte tenu de la diversification des modes d'accès aux programmes.

En tout cas, il est temps de mettre de l'ordre dans l'audiovisuel public.

M. Jean-Raymond Hugonet . - En tant qu'administrateur de Radio France, je suis frappé par le décalage entre les ambitions affichées et les ressources budgétaires affectées. Je suis persuadé que nous avons besoin d'un service public de l'audiovisuel. À quel prix ? Avec quelles ambitions ?

Radio France a fait beaucoup d'efforts, mais nous sommes plombés par le retard accumulé dans le numérique et le coût des travaux de rénovation de la Maison de la radio.

Malheureusement, en France, la réforme n'est vue que par un bout de la lorgnette : celui de Bercy. Nous avons aussi besoin de « réenchanter » l'audiovisuel public avec des moyens budgétaires.

Enfin, je regrette, comme beaucoup d'entre nous, que la ministre de la culture ne soit pas en mesure de décider quoi que ce soit.

Mme Laure Darcos . - Les acteurs de l'audiovisuel public ne savent pas communiquer sur leurs programmes de qualité, notamment en région. France 3 a l'avantage de pouvoir se raccrocher aux territoires et, à mon sens, un rapprochement avec France Bleu doit être étudié.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Madame Lepage, avant de vous donner la parole, je vous informe que nous consacrerons prochainement une journée d'étude à l'audiovisuel extérieur.

Mme Claudine Lepage . - Je voulais mettre l'accent sur l'accord de partenariat éditorial entre France Médias Monde et Deutsche Welle. Il y a également en projet la création d'une plateforme numérique à destination des migrants afin de leur offrir une information fiable.

M. Antoine Karam . - Je vais encore être accusé de prêcher pour ma paroisse...

Où en est-on du projet de suppression de France Ô ? Je vous rappelle que cette chaîne s'adresse plus particulièrement à plus de 2 millions de personnes sur le territoire national, et je ne parle pas des outre-mer. Si l'on veut raffermir la cohésion de la société française, cette suppression n'envoie pas un bon signal.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - À ma connaissance, France Ô devrait être basculée en « tout-numérique », comme France 4.

M. Antoine Karam . - Beaucoup de communes d'outre-mer n'ont pas accès au réseau internet. C'est notamment le cas en Guyane, alors que l'on vient de lancer de Kourou la centième fusée Ariane !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je suis entièrement d'accord avec vous.

Avant de clore notre débat, je tiens à dire, à titre personnel, que je regrette l'annonce faite par la ministre d'une réforme de la contribution à l'audiovisuel public totalement déconnectée d'une réforme d'ensemble de l'audiovisuel public, une annonce aussitôt contredite par son collègue de Bercy.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page