II. TABLE RONDE AVEC LES RESPONSABLES DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC EUROPÉEN SUR : « LES MISSIONS DU SERVICE PUBLIC DE L'AUDIOVISUEL EN EUROPE À L'HEURE DU NUMÉRIQUE »

A. INTRODUCTION DE LA TABLE RONDE

André GATTOLIN, Sénateur

Le thème abordé à l'occasion de cette première table ronde est particulièrement opportun car il renvoie aux assises mêmes du service public de l'audiovisuel, à savoir la question des missions qui fondent son action et donc sa raison d'être.

C'est une question essentielle, plus encore aujourd'hui qu'hier, tant le paysage des services médias audiovisuels connaît actuellement d'immenses bouleversements qui impactent la nature et la forme même des contenus proposés au public.

Qu'est-ce qu'une mission ? Au préalable, il est important, je crois, de s'attarder un instant sur la signification du terme « mission ». Son étymologie est la même dans la plupart des grandes langues européennes. Originellement, il désigne « la charge donnée à quelqu'un d'accomplir quelque chose ; une charge donnée par une instance supérieure, le plus souvent de nature divine ». Si cette connotation quasi-messianique est moins prégnante dans le langage actuel, le terme parait néanmoins bien adapté à la vocation historiquement assignée à l'audiovisuel dans nos pays : celle d'envoyer, de propager, d'émettre des contenus, des « é-missions » produites dans le but d'éclairer et d'enrichir les publics destinataires.

En général, un service public trouve sa légitimité et sa raison d'être dans l'impérieuse obligation de répondre à un besoin vital pour la communauté qui ne peut être recouvré par la seule compétition entre acteurs privés sur le marché.

La particularité du service public de l'audiovisuel, c'est qu'il se fonde en premier lieu sur une politique volontariste de l'offre plutôt que sur une politique de la demande explicitement formulée par la société.

Il y a dans la notion de mission une ambition forte - parfois aux limites du réalisable - une forme de vision projetée de nature moins caractérisée et moins concrète que ce que traduit le mot obligation. Nous sommes là dans le registre du sens donné bien plus que de la norme édictée.

Identifier des missions partagées par les audiovisuels publics des différents pays européens n'est pas chose facile, tant ceux-ci diffèrent par leur culture, leur organisation administrative et leur histoire. S'ajoute aussi le fait que l'implosion du monopole d'État de la radio-télévision et l'exigence démocratique accrue au sein de nos sociétés ont fait, ces dernières années, évoluer les missions originellement confiées aux opérateurs publics qui sont apparus durant la première moitié du XX ème siècle.

Une rapide analyse permet cependant d'identifier au moins deux grandes missions communes à tous nos audiovisuels publics et affirmées lors de leur création ou de leur refondation : une mission de cohésion de la nation ; une mission d'éveil et d'enrichissement de la population.

La première mission - celle de cohésion nationale - était étroitement liée à la volonté historique de l'État d'assurer sa souveraineté et son contrôle sur les messages diffusés au travers des moyens hertziens.

Cette mission s'accompagnait d'une obligation d'universalité, celle de toucher toute la population et donc tous les publics avec une grande diversité des programmes diffusés, une couverture de l'ensemble du territoire et une accessibilité maximale par la gratuité des services.

La seconde grande mission historique, celle d'éveil et d'enrichissement des publics, visait à inscrire l'audiovisuel public en prolongement et en complémentarité des missions confiées à l'éducation nationale. Son ambition pédagogique et culturelle devait idéalement traverser tous les programmes qu'ils soient de nature informative, documentaire, fictionnelle ou divertissante. Un peu utopique au regard de la nature immersive et spectaculaire de la télévision, cette aspiration s'est souvent commuée en une exigence de qualité de l'offre et un devoir de stimulation de la création audiovisuelle nationale.

C'est cette double exigence d'universalité et de qualité de l'offre nationale qui est consubstantielle au triptyque historique des missions affichées dès 1922 par la BBC et repris par nombre de services publics de l'audiovisuel en Europe : à savoir le fameux « informer, éduquer, divertir ». Sans chercher à invalider les ambitions initiales de nos opérateurs publics, force est néanmoins de constater la relative obsolescence qui frappe aujourd'hui la formulation desdites missions.

La multiplication exponentielle des canaux de diffusion et l'émergence d'une concurrence privée forte se sont traduites par un recul et une fragmentation de l'audience de nos antennes publiques et une interrogation sur la nature distinctive de certaines des missions assignées. Le divertissement, le mélange des genres - l' infotainment par exemple -, la dictature de l'éphémère et du spectaculaire ont envahi le spectre médiatique. Une pression à laquelle l'audiovisuel public a souvent du mal à résister, au risque d'être délaissé par des pans entiers de la population.

Et si dans tous les pays, l'information publique a su conquérir, parfois de haute lutte, son indépendance à l'égard des pouvoirs publics, elle peine souvent à rester référentielle auprès de nos concitoyens.

Quant à l'offre culturelle ou à vocation éducative, elle échappe difficilement à l'un des deux écueils qui la menace : l'élitisme et le ghetto du gotha d'une part ; la dilution à l'extrême et le nivellement par le bas, d'autre part.

Par ailleurs, et malgré les opportunités dont il est porteur, le développement du numérique représente également une forme de menace pour nos paysages audiovisuels nationaux traditionnels. Il s'accompagne en effet d'une globalisation et d'une dérégulation de l'offre, d'une dilution du statut de l'éditeur-diffuseur qui cimentait autrefois les programmes et les publics dans le temps et dans l'espace. La dé-linéarisation conduit à des usages qui flattent une politique de la demande fondée sur une consommation en libre-service, au détriment d'une politique de l'offre structurée par un cahier des charges voulu par les acteurs publics.

L'audiovisuel public peut-il parvenir à se différencier dans un univers concurrentiel de plus en plus riche sans se marginaliser et échouer dans sa vocation à s'adresser à tous ? A-t-il encore les moyens d'assurer sa mission de cohésion de la nation, de valorisation de sa langue et de sa culture et d'éveil de ses publics ?

Sans préempter le riche débat qui nous attend, je crois qu'une réforme de l'audiovisuel public passe, en premier lieu aujourd'hui, par une requalification de ses missions au regard des nouveaux défis auxquels il doit faire face : se rapprocher de ses territoires et de ses publics là où l'offre globale tend à se standardiser à l'échelle mondiale ; faire rayonner notre culture et notre création en coopérant davantage avec nos partenaires européens ; opter pour l'approfondissement et l'explication face à la superficialité de l'instantané et de l'éphémère ; et enfin, mais non le moindre, ré-enchanter le public en faisant preuve d'audace et de réel souci de partage avec celui-ci.

Il me reste à présent, Mesdames et Messieurs les dirigeants des services publics de l'audiovisuel en Europe, à vous laisser la parole afin que vous puissiez nous préciser vos approches respectives des missions qui vous incombent.

Ce débat permettra peut-être d'esquisser ce que pourrait être un véritable modèle européen de service public de l'audiovisuel. Je vous remercie de votre attention.

André Gattolin, Sénateur

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