1ÈRE PARTIE :
LES ATTENTES DES FRANÇAIS ET DES EUROPÉENS FACE À L'AUDIOVISUEL PUBLIC

I. « LES ATTENTES DES FRANÇAIS FACE À L'AUDIOVISUEL PUBLIC »

Frédéric MICHEAU,
Directeur des études d'opinion de l'institut OpinionWay

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - L'étude d'opinion que nous avons réalisée repose sur une méthodologie assez particulière et un dispositif ambitieux. Celui-ci a d'abord consisté en une phase qualitative exploratoire : un petit échantillon de 82 Français a été interrogé par Internet, ce qui a permis de recueillir 1 300 verbatim. Ensuite, lors d'une phase quantitative, un échantillon national de 1 020 personnes représentatif de la population adulte française a été interrogé en ligne, du 13 au 15 juin. Enfin, nous avons souhaité apporter un éclairage européen : cinq questions ont ainsi été posées à 500 personnes au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et en Espagne.

La première partie de ma présentation porte sur l'importance et la connaissance de l'audiovisuel public.

La première question concerne l'importance de l'existence de médias du service public. Les résultats indiquent que la légitimité des médias du service public est largement reconnue, ce sur tous les supports : 82 % des personnes interrogées estiment que cette existence est importante sur le média télévisuel, 79 % en ce qui concerne la radio et 74 % pour Internet. Cette opinion est partagée par toutes les catégories de la population.

La deuxième question vise à mesurer l'identification du périmètre de l'audiovisuel public français. Les réponses obtenues montrent que le paysage audiovisuel public est bien identifié par les Français : France 2, France 3, France 5, France 4, France Ô et FranceInfo bénéficient chacune d'un bon taux d'identification, certainement facilitée par l'existence de la marque ombrelle « France ». Les scores sont plus faibles (inférieurs à 50 %) pour France 24, LCP-Public Sénat et Arte. Il est intéressant de noter que, trente ans après sa privatisation, TF1 est identifiée comme une chaîne du service public par 16 % des Français et par 28 % des 18-24 ans. La bonne identification des médias du secteur public est également constatée pour les radios.

Pour autant, la troisième question sur la différence entre les programmes proposés par les médias publics et ceux des médias privés fait apparaître une très faible identification des spécificités des médias de l'audiovisuel public. À l'exception des documentaires, les contenus sont perçus comme peu différents de ceux diffusés par le secteur privé. Les hommes perçoivent davantage de différences en ce qui concerne les documentaires et l'information, les femmes dans les séries, les films et les émissions de divertissement, les jeunes dans les séries particulièrement, le divertissement et l'offre sportive. On ignore toutefois si ces différences relèvent d'une appréciation positive ou négative.

Dans les autres pays européens, les différences sont perçues de manière plus prononcée. Dans notre étude, la France enregistre systématiquement, par rapport à ses voisins européens, le taux le plus faible de personnes déclarant que le contenu visé est différent de celui des médias privés, à une seule exception, le sport. L'Allemagne est le pays où les personnes interrogées identifient le mieux les spécificités de leur service public, quel que soit le contenu.

La faible indifférenciation entre les contenus des médias publics et privés est quelque peu remise en cause par l'étude qualitative. En première analyse, les médias publics semblent souffrir d'une perception critique par un effet d'amalgame avec les médias privés. Les programmes de ces derniers sont en effet qualifiés d'«infantilisants », d'« abrutissants ». Ils alimentent une mauvaise image de la télévision qui s'applique à l'ensemble des contenus télévisés. Les personnes interrogées estiment ainsi que l'audiovisuel public se dégraderait en proposant des programmes moins intéressants, moins intelligents qu'auparavant, faisant la part belle aux jeux ou à la téléréalité. C'est l'expression d'une critique des médias qui dénonce notamment la pauvreté des programmes.

Dans le détail, on s'aperçoit toutefois que l'audiovisuel public est clairement reconnu, en particulier le caractère national et régional des chaînes, les spécificités thématiques des chaînes de télévision et des antennes de radio. L'offre de programmes culturels de qualité est jugée comme une spécificité propre à l'audiovisuel public. De même en ce qui concerne la qualité des émissions d'information, les documentaires, les fictions. Les programmes de l'audiovisuel public sont globalement considérés comme plus « intelligents », plus « sérieux », plus « pertinents », que ceux des médias privés. L'indépendance et la neutralité font également partie des caractéristiques attribuées à l'audiovisuel public.

Les Français interrogés jugent plus sévèrement l'audiovisuel public sur d'autres aspects : ils en déplorent le manque de dynamisme et de modernité. Les programmes sont moins « innovants », moins « divertissants », moins « audacieux » que ceux des chaînes privées. De plus, l'offre sportive y est jugée insuffisante.

Au final, les Français reconnaissent des atouts à l'audiovisuel public mais déplorent un manque de dynamisme.

La deuxième partie de notre étude a pour objet l'image de l'audiovisuel public.

Cette image repose pour les personnes interrogées sur le fameux triptyque : « Informer, Éduquer, Divertir ». Les deux premières missions apparaissent comme des évidences dans les réponses recueillies, mais le divertissement est également une mission qui est associée à l'audiovisuel public.

L'image de sérieux, de responsabilité dans le choix des contenus associés à l'audiovisuel public tend à investir ce dernier d'un certain nombre de missions d'intérêt général.

La première de ces missions est d'être le garant d'un service public et de défendre l'accessibilité de tous à un patrimoine commun.

L'idée de service public, de préservation d'un bien commun est très fortement attachée à l'audiovisuel public. Cette perception véhicule des attributs d'image positifs mais aussi négatifs comme pour le service public en général. D'où une image de l'audiovisuel public en tension, partagée entre désuétude et modernisation. Remarque incidente : les participants à notre étude éprouvent des difficultés à expliquer le statut de l'audiovisuel public. Selon les réponses, il oscille entre une relative indépendance, un monopole d'état ou une entreprise publique ou semi publique.

De manière implicite, les personnes interrogées formulent des exigences qui renvoient aux valeurs du service public : l'accessibilité à travers un accès gratuit et simple pour tous à une offre culturelle dont certains seraient privés autrement ; la continuité et la fiabilité ; la défense et la valorisation d'un patrimoine commun.

La deuxième grande mission est d'être un étendard des valeurs démocratiques. Dans un contexte de défiance vis-à-vis des médias traditionnels, l'audiovisuel public doit être le garant des valeurs démocratiques et remplir certaines fonctions : encourager la parole libre, fédérer les Français, nourrir les valeurs collectives, créer des moments ritualisés où on peut célébrer l'appartenance à la nation française, représenter la France dans toute sa diversité.

La troisième mission identifiée est d'être une arme contre la désinformation. Le service public de l'audiovisuel doit mener le combat pour la véracité et lutter contre le relativisme. Il a un rôle à jouer en matière d'aide à la compréhension des enjeux, de hiérarchisation de l'information afin de faire de chacun un citoyen éclairé.

La satisfaction exprimée par les Français au sujet des programmes proposés par les médias de l'audiovisuel public est modérée. Une courte majorité se déclare satisfaits : 56 % parmi lesquels 8 % sont très satisfaits, ce qui ne démontre pas une forte adhésion. Ce taux de satisfaction est inférieur à ceux enregistrés dans les autres pays européens, à l'exception de l'Italie. Les Britanniques expriment notamment une très forte satisfaction à l'égard des programmes de la BBC - 86 % - soit 30 points de plus par rapport à la France, ce qui constitue un écart considérable. L'Allemagne et l'Espagne présentent des taux de satisfaction très corrects : 61 % et 60 % respectivement.

Lorsque nous interrogeons les Français pour connaître leur perception des médias du service public, ils louent les qualités intrinsèques du service public : information, rôle éducatif, vecteur des valeurs démocratiques, éthique, rôle fédérateur... Ils font part également d'un certain nombre de griefs qui expliquent la part d'insatisfaction globale. Ainsi, une très faible majorité estime que les médias du service public sont indépendants des pouvoirs économiques - cela pose la question de la publicité - et des pouvoirs politiques. Ils remettent également en cause leur objectivité. Sur un autre registre, les médias publics sont jugés « vieillots » et « ennuyeux » - le taux monte à plus de 60 % chez les jeunes. La question de la modernité et de l'innovation est donc posée aux médias du service public. D'une manière générale, la perception est beaucoup plus positive dans les autres pays européens, en particulier au Royaume-Uni.

La troisième et dernière partie de notre étude concerne l'avenir de l'audiovisuel public.

Nous avons posé plusieurs questions afin de connaître la position des Français sur des sujets ciblés.

La première question s'intéresse au mode de financement de l'audiovisuel et à l'éventuelle remise en cause du dyptique redevance-publicité. Il ressort de notre étude qualitative que la redevance est globalement perçue de manière négative en raison de son caractère « injuste » puisqu'il est obligatoire de la payer même pour ceux qui ne regardent ou n'écoutent pas les médias du service public. Interrogés sur le montant de la contribution à l'audiovisuel public - 139 euros -, les Français considèrent à 69 % que celui-ci n'est pas justifié au regard de l'offre de programmes. Parmi eux, 39 % estiment même que ce n'est pas du tout justifié ! Mais le rapport à la redevance est plus complexe que cela paraît. L'opinion publique s'avère partagée sur la solution de financement qui pourrait être retenue pour l'avenir. 60 % des Français restent finalement attachés à la redevance, soit qu'ils souhaitent conserver le financement mixte actuel avec la publicité (37 %), soit qu'ils souhaitent le passage à un financement reposant uniquement sur la redevance, sans apport complémentaire de recettes publicitaires. 37 % souhaitent supprimer la redevance tout en augmentant en contrepartie le volume de publicité de manière importante.

La deuxième question vise à mesurer l'intérêt que les Français porteraient à un service en ligne proposant gratuitement l'ensemble des contenus des médias du service public. La réponse est favorable (56 %). Il y a donc une attente de la part des Français pour que l'audiovisuel public se mette en conformité avec les nouveaux usages, les nouvelles formes de consommation médiatiques, fondés sur les outils numériques.

La réponse à la troisième question confirme l'attachement des Français à une information de proximité. Trois quarts des personnes interrogées souhaitent ainsi que les médias du service public proposent des contenus locaux adaptés à chaque région, sur un média unique rassemblant la télévision et la radio.

Nous avons également interrogé les Français afin de savoir s'ils seraient favorables à une obligation pour les médias du service public de ne diffuser que des contenus français et européens. Sur ce sujet, l'opinion est très partagée : 47 % y sont favorables, 50 % y sont opposés.

Enfin, notre dernière question visait à connaître la réaction des Français à l'annonce du Gouvernement de supprimer la diffusion à la télévision de la chaîne France 4 : cette décision est désapprouvée par 7 Français sur 10.

Pour terminer, je vous livre quelques attentes formulées par les Français :

- le souhait que les médias publics restent proches de tous les Français, qu'ils évoquent leur quotidien, en évitant notamment les programmes élitistes, et en privilégiant la vulgarisation, en fixant également des horaires de diffusion adaptés aux publics ;

- développer leur capacité à rassembler et fédérer les Français dans des domaines aussi divers que la culture, les questions de société, la politique ou le sport ;

- renforcer les missions d'information, d'éducation et de lutte contre la désinformation, en assurant la neutralité des débats et en garantissant la liberté d'expression ;

- insuffler de la modernité et de l'innovation dans des contenus jugés actuellement comme « peu originaux » en comparaison de ceux de l'offre privée, ce qui signifie entre autres : réduire l'offre de jeux « vieillotte », renouveler et rajeunir les animateurs, clarifier et simplifier l'offre des chaînes, éviter le « copier-coller » des contenus du privé.

En conclusion, et à titre de synthèse, il nous faut retenir de cette étude les points suivants : la légitimité des médias publics n'est pas remise en cause même par les plus jeunes. Ces médias sont bien identifiés, de même que leurs missions et leurs valeurs. Mais leurs programmes ne se distinguent pas suffisamment de ceux des médias privés. Le montant de la contribution à l'audiovisuel public n'est pas justifié au regard de l'offre proposée. Parmi les point prioritaires : le renforcement de la présence des médias locaux et la nécessaire adaptation aux nouveaux usages de consommation médiatiques, à travers une offre numérique améliorée.

De manière générale, les Français expriment une satisfaction mitigée à l'égard de l'audiovisuel public, plus faible que dans les autres pays européens. Je vous remercie pour votre attention.

Alex TAYLOR, modérateur . - Merci Frédéric Micheau pour cette présentation. Diriez-vous que la finale de la coupe du monde de football dimanche prochain fait partie de ces événements fédérateurs qui se doivent d'être diffusés sur un grand média public ?

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - Votre exemple est très conjoncturel ! Il est évident que les Français attendraient qu'un tel événement soit diffusé sur une chaîne de télévision publique. Il y a d'ailleurs d'autres événements tels que Roland-Garros ou le Tour de France, cités comme exemples dans l'étude qualitative, qui sont diffusés par le service public. Mais les Français n'en déplorent pas moins des lacunes dans l'offre sportive du service public.

Alex TAYLOR, modérateur . - Vous avez évoqué le besoin de voir évoluer l'offre numérique des médias du service public. Cette attente concerne-t-elle, au-delà des moyens de diffusion, l'offre de contenus ?

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - Cela concerne à la fois le vecteur et le contenu. Il existe une attente d'une offre publique performante sur Internet qui aille au-delà de la reprise des contenus déjà diffusés à la télévision ou à la radio. L'offre de contenus spécifiques doit donc être développée. Dans ce contexte, un indicateur comme la faible indifférenciation faite par les jeunes entre les séries du service public et celles des chaînes privées doit susciter la réflexion.

Nicolas MAZARS , Directeur des affaires juridiques et institutionnelles de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) . - Les Français jugent que la redevance est trop élevée. Leur avez-vous demandé quel serait selon eux le juste prix ? Je rappelle que le montant de la redevance en France est un des plus faibles d'Europe.

Joël WIRSZTEL , Directeur de la publication et de la rédaction de Satellifax . - En complément, je voudrais savoir si vous avez interrogé les Français pour savoir s'ils connaissaient le montant de la redevance ?

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - Nous n'avons posé la question. L'hypothèse que nous faisons est que ce montant est méconnu, et plus encore le fait qu'il soit inférieur à ceux pratiqués dans les autres pays européens. Notre interrogation ne portait pas sur le niveau du montant mais sur le fait de savoir si le montant était justifié ou non au regard de l'offre du service public de l'audiovisuel.

Alex TAYLOR, modérateur . - Avez-vous pu analyser la raison pour laquelle une part non négligeable des Français pense encore que TF1 fait partie du service public ? Est-ce lié aux contenus ou à l'histoire ?

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - Il ne s'agit que de 16 % des Français. Il y a sans doute des réminiscences liées à des effets générationnels. Mais, plus inquiétant, 28 % des jeunes considèrent que TF1 fait partie des médias publics. Nous n'avons pas malheureusement d'éléments d'explication à ce sujet.

David ASSOULINE , Vice-Président du Sénat . - Il y a une explication évidente. C'est qu'on a privatisé la première chaîne, ce qui fut une grave erreur. La numérotation des chaînes a son importance. Donner la première chaîne au privé lui a conféré beaucoup d'avantages.

Alex TAYLOR, modérateur . - Dans les autres pays, l'absence de publicité permet aussi de distinguer les chaînes publiques des chaînes privées...

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - Cela peut être un élément d'explication.

Laurence BLOCH , Directrice de France Inter . - J'ai été interpellée par les taux de satisfaction recueillis dans les autres pays européens à l'égard des médias du service public, en comparaison de la France. Il serait toutefois intéressant d'avoir une description de l'état du marché dans chacun de ces pays car celui-ci varie extraordinairement d'un pays à l'autre. On sait, par exemple, que la BBC est en position dominante depuis très longtemps.

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - On atteint ici la limite des sondages qui mesurent une perception mais ne donnent pas une connaissance factuelle. Cette perception est quand même significative mais nous n'avons pas eu l'occasion de l'étayer par des éléments factuels de marché.

Hervé RONY , Directeur général de la SCAM . - Avez-vous bien dissocié radio et télévision lorsque vous avez recueilli les appréciations des Français dans le cadre de votre étude ? Car les paysages de ces deux secteurs sont très différents...

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - Nous avons bien différencié les médias. Toutefois, dans le cadre de l'étude qualitative, les personnes interrogées ont tendance à se positionner en priorité par rapport à la télévision quand on évoque les médias publics.

Emmanuel KESSLER , Président de Public Sénat . - La demande d'information locale, de proximité vous semble-t-elle s'être accrue au cours des dernières années ou est-elle stable sachant qu'il s'est toujours agi d'une demande forte ?

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - L'attrait pour le local et la proximité constitue un sentiment général que nous mesurons de manière croissante dans toutes nos études.

Catherine SMADJA , Chargée de mission auprès de la ministre de la culture . - En matière d'information, on constate à la fois une demande de neutralité et une exigence de décryptage pour lutter contre le relativisme. Cela peut s'avérer compliqué comme l'ont démontré les reproches adressés à la BBC au sujet de sa couverture du référendum sur le Brexit. Le public que vous avez interrogé a-t-il exprimé davantage une exigence de décryptage ou plutôt de totale impartialité à l'égard du service public ?

Frédéric MICHEAU , Directeur des études d'opinion d'OpinionWay . - Il me semble que les Français ne voient pas de contradiction. Il est possible d'expliquer les choses tout en faisant preuve d'objectivité et de neutralité. La neutralité, c'est aussi présenter l'ensemble des opinions, or les Français perçoivent certaines lacunes en matière de pluralisme.

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