Rapport d'information n° 31 (2018-2019) de MM. Alain HOUPERT et Yannick BOTREL , fait au nom de la commission des finances, déposé le 10 octobre 2018

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N° 31

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 octobre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enquête de la Cour des comptes sur la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l' Agence de services et de paiement ,

Par MM. Alain HOUPERT et Yannick BOTREL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
ET RECOMMANDATIONS
DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Les principales observations

Observation n° 1 : Les aides européennes apportent une contribution indispensable aux revenus agricoles et, ainsi, à l'économie agricole, ce qui conduit à souligner les enjeux toujours majeurs, et souvent vitaux, d'une exécution correcte des paiements agricoles.

Observation n° 2 : Dans le cadre de la politique agricole commune, la France se voit confier une responsabilité de mise en oeuvre des paiements agricoles réalisés à partir des dotations du budget européen. Il est reconnu qu'il s'agit là d'une intervention déléguée, conception conforme au développement d'un pouvoir budgétaire européen autonome, qui s'accompagne d'un encadrement très fourni de l'intervention des États et d'une forte surveillance, de principe, exercée sur eux.

Observation n° 3 : La mauvaise exécution des paiements des aides agricoles a exercé des impacts très négatifs pour les finances publiques. Les refus d'apurement prononcés contre la France ont coûté plus de 2 milliards d'euros au budget général entre 2010 et 2017. Ils ont réduit d'autant les retours en provenance du budget européen. Trop souvent non financés dans les lois de finances initiales, ils ont affecté considérablement la sincérité budgétaire et ont obligé les gestionnaires à des arbitrages en cours de gestion pouvant conduire à des reports de paiement subis in fine par les exploitants.

Observation n° 4 : Les mesures prises pour limiter l'impact des refus d'apurement et le décalage considérable des calendriers de paiements des différentes campagnes agricoles lié aux défaillances de notre infrastructure de paiement - les apports de trésorerie remboursables (ATR)- ont été utiles mais sans pouvoir aucunement représenter un équivalent acceptable aux aides attendues par les exploitants.

Observation n° 5 : Le retour à un calendrier plus satisfaisant des paiements a été facilité par les améliorations coûteuses apportées à certains instruments indispensables à la gestion des soutiens agricoles -le registre parcellaire graphique (RPG) en particulier -, mais, outre que ces améliorations ont été trop longtemps différées du fait de tergiversations inacceptables, certaines des composantes de la normalisation du calendrier des paiements apparaissent critiquables. Un certain nombre d'aides ont été versées sans assurance suffisante de leur régularité. En outre, une forme de discrimination est intervenue, à l'issue de laquelle les paiements au titre des aides du second pilier, pourtant les plus mal couvertes, pour certaines d'entre elles, par les ATR, ont été moins rapidement remis en ordre de marche.

Observation n° 6 : Les dysfonctionnements de la chaîne de paiements agricoles, au contraire de la présentation monocausale qui a traditionnellement prévalu pour en attribuer la responsabilité à de simples problèmes de transition, à caractère technique, peuvent être attribués à des difficultés multifactorielles, mais qui relèvent toutes d'une responsabilité politique.

Observation n° 7 : Les insuffisances des instruments techniques de gestion (RPG, applications informatiques) ont certes joué un rôle important d'autant que les corrections dont la nécessité avait été identifiée de longue date n'ont pas été apportées en bon temps. Cependant, force est de constater que c'est, au-delà, la complexité d'une politique agricole mobilisant des interventions aussi différenciées que massives sans l'accompagnement correspondant par des moyens de gestion qui est en cause. En particulier, les obligations de contrôle des paiements semblent dépasser structurellement les capacités disponibles.

Observation n° 8 : Cette situation est aggravée par un empilement de délégations de compétence duquel il découle, en contravention avec la réglementation européenne, des situations de confusion d'intérêts.

Observation n° 9 : S'il est possible de minimiser les difficultés de transition liées à la réforme de la politique agricole et au transfert aux régions de la responsabilité d'autorité de gestion pour la période couverte par le présent rapport, il est évident que ces événements sont susceptibles d'accentuer les difficultés rémanentes de gestion des aides agricoles européennes. Ce risque apparaît d'autant plus élevé que la décentralisation de la gestion des aides agricoles est encore au milieu du gué.

Observation n° 10 : L'information sur les coûts de gestion des paiements effectués dans le cadre de la PAC est insuffisante mais il apparaît que ces coûts sont globalement élevés et affectés d'une forte variabilité selon les dispositifs envisagés, ce qui ne saurait être indifférent en termes de conceptualisation d'une politique agricole, qui, pas plus qu'aucune autre, ne doit être indifférente à ses conditions de mise en oeuvre.

Observation n° 11 : Les conditions dans lesquelles le respect des lourdes obligations de conformité pesant sur les États membres est vérifié et sanctionné appellent, au niveau interne, une meilleure articulation entre les contrôles de la commission de certification des comptes des organismes payeurs (CCCOP) et les opérateurs des paiements et, au niveau européen, un effort pour réduire les excès des méthodes forfaitaires d'évaluation et de sanction des non conformités. En outre, une accélération des procédures d'enquête doit être recherchée au niveau européen où la préoccupation de prévenir des situations d'accumulation de corrections financières aux dépenses des États doit être mieux prise en compte.

Les principales recommandations

Recommandation n° 1 : Réaliser une budgétisation sincère des risques d'apurement communautaire dès la loi de finances initiale en présentant systématiquement et avec toutes les précisions nécessaires les risques encourus ou réalisés fondant la budgétisation qui doit être isolée dans un programme à part entière de la mission AAFAR.

Recommandation n° 2 : Dans l'hypothèse, qui doit évidemment rester exceptionnelle, où le paiement des aides serait suspendu, systématiser la mise en place d'apports de trésorerie remboursables, en veillant à en améliorer le régime et à cet effet en simplifier la procédure et en porter le niveau à 100 % des aides attribuables. Veiller à éviter toute discrimination dans le rattrapage du calendrier normal de versement des aides entre celles du premier pilier et celles du second pilier.

Recommandation n° 3 : Appeler l'attention du ministère de l'agriculture sur la nécessité de publier une information plus complète sur ses coûts de gestion des aides agricoles en développant la publicité des éléments de sa comptabilité analytique et en intégrant les coûts de gestion externalisés dans la perspective de disposer d'une évaluation des coûts complets d'administration de la politique de soutien au revenu et à la production. Mettre à l'étude les économies réalisables et mettre en oeuvre les modifications d'organisation de la gestion des aides et de programmation des interventions permettant de réduire les coûts de gestion sans altérer la qualité des soutiens apportés aux exploitants et les priorités de la politique agricole.

Recommandation n° 4 : Mettre à niveau les instruments techniques de gestion des aides agricoles, et, en particulier, veiller à l'actualisation en continu du RPG et à l'amélioration des performances des systèmes informatiques. Les capacités financières de réponse aux besoins d'investissement informatique doivent être préservées tout en maîtrisant les coûts, ce qui suppose de développer la capacité d'expertise des donneurs d'ordre face à des prestataires de service dont les responsabilités éventuelles dans les difficultés rencontrées doivent être systématiquement recherchées.

Recommandation n° 5 : Réaliser une évaluation systématique des besoins en effectifs résultant des obligations d'instruction et de contrôle des aides agricoles en décomposant cette évaluation par dispositif de soutiens. En assurer la communication au Parlement en présentant les impacts budgétaires d'une éventuelle mise à niveau.

Recommandation n° 6 : Revoir la gouvernance du paiement des aides sur la base d'un principe d'affirmation de l'autonomie des différents intervenants, qui doivent pouvoir maîtriser leurs décisions, et de responsabilité financière destiné à prévenir tout aléa moral. Sur ces bases, apporter les compléments nécessaires au choix de confier aux régions la responsabilité de la gestion des aides du second pilier de la PAC.

Recommandation n° 7 : Développer l'analyse des sanctions envisagées et prononcées par la Commission européenne afin de répondre le plus tôt possible aux griefs tant d'un point de vue juridique qu'opérationnel.

Recommandation n° 8 : Au-delà des adaptations demeurant à mettre en oeuvre pour assurer la conformité des travaux de la CCCOP avec les obligations européennes de la France, il convient de mieux prendre en considération les travaux de contrôle qu'elle réalise afin de corriger le plus en amont possible les dysfonctionnements de la chaîne des paiements agricoles. En outre, la pondération des erreurs constatées par le certificateur appelle un débat technique sur sa pertinence.

Recommandation n° 9 : Dans le cadre de la conclusion de la nouvelle politique agricole commune, négocier les conditions de la délégation de gestion des enveloppes financières européennes afin que les obligations formelles de contrôle soient compatibles avec une gestion économe des fonds européens et que les méthodes de corrections financières appliquées aux États membres ne tendent pas à en surestimer systématiquement les montants. De la même manière, obtenir que les délais des procédures d'apurement soient réduits. Enfin, mettre à l'étude un mécanisme visant à pénaliser les refus d'apurement abusifs afin de prévenir les pratiques consistant à s'éloigner du respect du principe de proportionnalité entre les corrections financières et les défaillances observées ou estimées.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La France a gaspillé plus de 2 milliards d'euros, du fait de son incapacité à assurer le paiement des aides agricoles européennes entre 2010 et 2015 en respectant ses engagements internationaux.

Cette défaillance a grevé le budget de l'État et aggravé les difficultés rencontrées par une agriculture confrontée à de multiples défis. Elle s'est accompagnée de graves atteintes à des principes éminents, la sincérité budgétaire et l'égalité de traitement que l'État doit assurer à ses administrés.

Loin des justifications apportées par les Gouvernements attribuant la défaillance de l'État à des événements de gestion exceptionnels, le passage à une nouvelle politique agricole commune (PAC), le transfert aux régions des responsabilités de gestion des aides du second pilier de la PAC, ou encore à des éléments purement techniques affectant certains instruments de la chaîne des paiements agricoles, le registre parcellaire graphique, les systèmes informatiques de l'Agence de services et de paiement (l'ASP), les ressorts de la gabegie constatée sont multifactoriels, les causes apparentes faisant écho à des choix de conception annonciateurs d'inévitables dysfonctionnements, les défauts des instruments de gestion provenant, de leur côté, d'arbitrages hésitants traduisant une forme d'indifférence aux impératifs de la gestion des paiements.

Il ne serait pas responsable de négliger la complexité des fragilités qui ont conduit à un tel sinistre. L'infrastructure des paiements a connu des améliorations sur certains points, certes trop tardives, mais qui constituent aujourd'hui des acquis. Il faut préserver ces acquis et poursuivre l'entreprise de restauration des conditions d'un bon fonctionnement de la chaîne des paiements agricoles. Le plan « FEAGA », qui a essentiellement porté sur la mise à niveau de la cartographie du foncier agricole, doit pouvoir se poursuivre dans un processus de mise à jour en continu.

Surtout, il doit être prolongé dans un programme précis d'amélioration de l'efficacité, et de l'efficience, de la chaîne des paiements agricoles, faute de quoi, les risques encore prégnants de nouvelles fortes sanctions financières continueront de compromettre notre situation budgétaire et la vitalité de l'agriculture.

Afin de rétablir enfin une situation pleinement conforme aux attentes, des mesures internes doivent intervenir, dans le sens d'une organisation plus cohérente et mieux intégrée ainsi que d'une simplification du cadre des interventions publiques à destination des exploitants qui doivent être mieux articulées avec les moyens nécessaires à leur administration.

Mais, l'intégration européenne de la politique agricole oblige également à s'interroger sur certaines de ses composantes. La période actuelle de redéfinition de la PAC doit être l'occasion d'un réexamen des modalités selon lesquelles s'agence la délégation confiée aux États membres dans le champ de la gestion des enveloppes budgétaires dont ils assurent le financement. Il convient également de revoir le luxe des conditionnalités des différentes interventions publiques, qui, tout en risquant de leur faire perdre leur portée opérationnelle, tendent à nourrir des pathologies endogènes à une politique publique, absolument indispensable aux différents objectifs qu'elle poursuit en toute légitimité.

I. SOUMIS À UN ENCADREMENT RÉGLEMENTAIRE DÉVELOPPÉ ET PORTEURS D'ENJEUX MAJEURS, LES PAIEMENTS DES AIDES EUROPÉENNES À L'AGRICULTURE ONT VALU À LA FRANCE DE LOURDES SANCTIONS FINANCIÈRES DU FAIT D'UNE MAUVAISE GESTION

L'exécution du budget européen est déléguée aux États membres. Cette délégation, loin d'être inconditionnée, fait l'objet d'un strict encadrement.

Les États sont tenus d'assurer une parfaite régularité des paiements. Ces derniers doivent être conformes aux dispositions très développées des règlements européens, mais aussi réunir des conditions substantielles d'organisation et de fonctionnement des circuits de paiement, empreintes de la préoccupation d'en garantir la contrôlabilité.

À défaut, la protection des intérêts financiers de l'Union européenne conduit à des sanctions de la part des institutions européennes.

La bonne exécution des paiements des concours à l'agriculture inscrits au budget européen (la politique agricole commune - PAC) en soi porteuse d'enjeux majeurs, l'est d'autant plus pour un pays comme le nôtre, marqué par une forte tradition agricole et par une grande diversité des modes d'exploitation.

Il va sans dire que des paiements agricoles réguliers revêtent une importance essentielle pour les exploitants agricoles, la viabilité économique d'une fraction très élevée d'entreprises agricoles en dépendant.

Mais, nos finances publiques sont elles-mêmes fortement exposées dès lors que, la France demeurant le premier bénéficiaire des retours agricoles du budget européen, les sanctions appliquées en cas de mauvaise gestion des paiements réduisent nos droits sur les enveloppes financières que nous alimentons par nos contributions au budget européen et qui, théoriquement, nous sont réservées.

C'est, en effet, alors au budget de la France d'assurer la compensation des pertes de droit que nous sommes appelés à subir.

Ces compensations ont été particulièrement coûteuses ces dernières années.

Force est de constater que la France n'a pas été à la hauteur de ces différents enjeux.

La France a, en effet, dû subir des sanctions financières massives du fait des « erreurs » relevées par la Commission européenne dans la gestion des aides européennes programmées au cours des années antérieures à la mise en oeuvre de la nouvelle politique agricole commune.

En outre, les suites de la nouvelle PAC n'ont pu être pleinement assumées et le versement des aides agricoles a été considérablement désorganisé.

Cette situation n'est pas inédite, mais la période récente a témoigné d'une forte amplification des punitions financières infligées à la France, en lien avec une aggravation des dysfonctionnements de la chaîne de paiement alors constatés.

Si certaines difficultés semblent en bonne voie de résolution, les perspectives demeurent fragiles.

Afin d'éclairer les anticipations des producteurs et de satisfaire à des exigences de sincérité budgétaire, la programmation budgétaire assurée par les projets de loi de finances devrait en tenir compte, dans des conditions plus claires et satisfaisantes.

A. UN STRICT ENCADREMENT RÉGLEMENTAIRE DES PAIEMENTS AGRICOLES

Contrepartie de l'application du principe de « gestion partagée », qui, en réalité conforte le pouvoir budgétaire européen, les États parties prenantes (mais aussi versantes) à la PAC sont assujettis à des obligations strictes censées assurer la protection des intérêts financiers européens.

Ces obligations portent tant sur les organes chargés d'assurer les paiements que sur la conformité de leurs opérations au regard des règles procédurales et de fond qui s'imposent à elles.

1. Un principe de « gestion partagée » et contrôlée par les institutions européennes, ou l'affirmation de l'autonomie du budget européen

Selon l'article 59 du règlement 966/2012, les fonds FEAGA et FEADER, qui financent les aides de la PAC, sont mis en oeuvre en gestion partagée entre la Commission européenne et les États membres .

La Commission européenne n'effectue pas elle-même les paiements des aides communautaires aux agriculteurs, mais le budget communautaire rembourse les États membres des paiements effectués par l'intermédiaire d'organismes payeurs nationaux.

Cependant, il est fermement rappelé, notamment par la Cour des comptes européenne, que, si la Commission délègue l'exécution du budget agricole aux États membres, elle reste responsable en dernier ressort et doit veiller à ce que les intérêts financiers de l'Union européenne soient protégés.

Il s'agit là d'un choix d'organisation dont la dimension politique ne doit pas être négligée.

Se trouve ainsi affirmée l'autonomie du pouvoir budgétaire européen diffusée au niveau de la simple exécution des dotations budgétaires.

Conséquence logique de la notion d'intérêts financiers propres au budget européen et appelant à ce titre une protection singulière dont les termes sont définis par l'échelon européen, ce choix d'organisation participe à la consolidation de cette notion en consacrant l'existence d'un superviseur européen, la Commission européenne, lui-même contrôlé par une Cour financière, la Cour des comptes européennes.

L'option alternative, consistant à assurer une plus complète délégation de l'exécution budgétaire des choix de programmation européens aux États, sous le contrôle de leurs autorités financières propres a été expressément écartée.

Elle mériterait d'être envisagée compte tenu de certaines duplications administratives, notamment en matière de contrôle, qui peuvent alourdir les coûts de gestion des aides.

Cependant, il est difficile de négliger la prise en compte d'une nécessaire harmonisation de la qualité de gestion des interventions européennes afin d'éviter des fraudes et les distorsions de concurrence qui pourraient s'ensuivre, mais aussi de conserver à la politique agricole européenne sa dimension de politique commune.

Dans le contexte actuel de gestion des crédits agricoles européens, la délégation attribuée aux États membres est entourée d'un ensemble très dense de garde-fous, faisant l'objet de contrôles spécifiques, dédoublés, au niveau national et au niveau européen.

La réglementation européenne se traduit pour les États membres par de strictes obligations organisationnelles et fonctionnelles , dont l'impact sur les États, en particulier sur leurs charges administratives, est, logiquement, en proportion directe avec les caractéristiques agricoles des différents pays.

Compte tenu de sa situation agricole, la France fait partie des États membres qui sont appelés à supporter sous cet angle des obligations élevées.

L'organisme payeur national (pour la France, principalement l'Agence de services et de paiement) fait l'objet d'un agrément et doit inscrire son activité dans un cadre bien déterminé reposant sur une série d'obligations qui sont doublement contrôlées.

Les organismes de paiement (OP) nationaux doivent respecter des règles très strictes tendant à garantir un haut degré de conformité des dépenses (voir infra ).

Les OP sont soumis à un double contrôle :

- celui de l'organisme de certification national (pour la France, à titre principal, la commission de certification des comptes des organismes payeurs des dépenses financées par les fonds européens agricoles - CCCOP) chargé de réaliser un audit externe de l'organisme, et dont les attributions ont été étendues à la surveillance des opérations effectuées par les OP.

- celui, de niveau européen, assuré par la Commission européenne soumise elle-même à l'examen de régularité des comptes du FEAGA et du FEADER conduit par la Cour des comptes européennes (article 287 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).

Dans le processus de négociation de la nouvelle PAC, qui semble devoir tenir compte d'un objectif de simplification, il serait justifié de s'interroger sur la répartition des rôles de chacun dans la protection de l'intégrité des deniers publics.

2. Les règles d'organisation, des organismes payeurs nationaux soumis à agrément

Des dispositions spécifiques sont consacrées aux propriétés que doit réunir l'organisme de paiement (OP) par le règlement délégué 907/2014.

L'organisme payeur est soumis à un agrément tandis que son organisation doit respecter des conditions propres à lui ouvrir la capacité d'exercer correctement sa mission (voir l'encadré ci-dessous).

On relèvera, en particulier, l'existence d'une condition de capacités propres à l'OP d'exercer ses missions.

Si les règles européennes n'excluent pas le recours à des concours extérieurs pour seconder les moyens de l'OP, les délégations correspondantes doivent respecter son autonomie.

Règlement délégué 907/2014

L'article premier du règlement dispose que les organismes payeurs « offrent, en ce qui concerne les paiements qu'ils effectuent ainsi que pour la communication et la conservation des informations, suffisamment de garanties pour que :

- l'admissibilité des demandes et, dans le cadre du développement rural, la procédure d'attribution des aides, ainsi que leur conformité avec les règles de l'Union, soient contrôlées avant l'ordonnancement du paiement ;

- les paiements effectués soient comptabilisés de manière exacte et exhaustive ;

- les contrôles prévus par la législation de l'Union soient entrepris ;

- les documents requis soient présentés dans les délais et sous la forme définis par les règles de l'Union ;

- les documents soient accessibles et conservés de façon à garantir leur intégrité, leur validité et leur lisibilité dans le temps, y compris pour les documents électroniques au sens des règles de l'Union. »

L'annexe I du même règlement délégué fixe les conditions que doivent remplir la structure administrative et le système de contrôle interne de tout organisme payeur agréé concernant :

- l'environnement interne , qui inclut des standards relatifs à la structure organisationnelle (principalement la séparation obligatoire des trois fonctions d'ordonnancement, de paiement et de comptabilisation) ; ainsi que des exigences tant en matière de ressources humaines (elles doivent être « appropriées ») que lorsque l'organisme payeur délègue un certain nombre de tâches à un organisme tiers (délégation) ;

- les activités de contrôle , particulièrement les procédures d'ordonnancement, de paiement, de comptabilisation, de gestion des créances, de gestion des avances et des garanties et l'existence d'une piste d'audit suffisante ;

- l'information et la communication , s'agissant notamment de la sécurité des systèmes d'information ;

- le suivi via un dispositif de suivi continu au travers des actions de contrôle interne et l'existence d'un service d'audit interne indépendant, directement rattaché au directeur de l'organisme, et exerçant son activité conformément aux standards internationaux applicables en la matière.

La déclinaison de ces obligations en France a les conséquences suivantes.

Le responsable de l'ASP doit, avant le 15 février de l'année suivant un exercice financier, établir :

- les comptes annuels pour les dépenses effectuées dans le cadre de l'exécution des tâches qui lui sont confiées ;

- une déclaration de gestion concernant l'exhaustivité, l'exactitude et la véracité des comptes et le bon fonctionnement des systèmes de contrôle interne, sur la base de critères objectifs, ainsi que la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes ;

- un résumé annuel des rapports finaux d'audit et des contrôles effectués , y compris une analyse de la nature et de l'étendue des erreurs et des faiblesses relevées dans les systèmes, ainsi que les mesures correctrices à prendre ou à prévoir.

Par ailleurs, les États membres doivent communiquer à la Commission, au plus tard le 15 juillet, « des données et des statistiques de contrôle relatives à l'année civile précédente et, notamment, les éléments suivants :

- les données relatives aux différents bénéficiaires en termes de demandes d'aide et de paiement, de surfaces et d'animaux déclarés et/ou pour lesquels une aide est demandée, et de résultats des contrôles administratifs, des contrôles sur place et des contrôles ex post ;

- le cas échéant, les résultats des contrôles liés à la conditionnalité, notamment les réductions et exclusions applicables ».

Pour la France, ces notifications s'appuient sur les éléments transmis par l'ASP.

3. Les règles fonctionnelles imposent aux organismes payeurs de s'assurer de la régularité de leurs versements et d'en garantir la contrôlabilité

L'organisme payeur des aides agricoles européennes est soumis à des responsabilités qui dépassent largement celles d'un comptable public.

Il doit exercer des contrôles approfondis sur les conditions d'éligibilité aux soutiens publics et inscrire son activité dans des architectures informationnelles précisément définies.

a) Aperçu général

Les règles destinées à protéger les intérêts financiers de l'Union européenne dans le domaine particulier des paiements agricoles sont définies par le règlement 1306/2013 du 17 décembre 2013, précisé par le règlement délégué 907/2014.

L'article 58 du premier cité dispose que les « États membres prennent, dans le cadre de la PAC, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives, ainsi que toute autre mesure nécessaire pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l'Union ».

L'article 59 détaille les contrôles à mettre en place . Ils comprennent :

- le contrôle administratif systématique , sauf disposition contraire, de toutes les demandes d'aide et de toutes les demandes de paiement ;

- des contrôles sur place réalisés sur un échantillon , lequel est constitué, en partie, de manière aléatoire, et, en partie, sur la base du niveau de risque. La détermination du risque, qui fait l'objet d'une controverse (voir infra ) est appréciée en fonction du type d'aide, un taux de contrôle correspondant étant alors défini par les textes européens, taux qui doit être relevé lorsque des contrôles sur place inventorient des cas de non-conformité significatifs pour un type d'aide donné.

Inversement, un État peut décider de réduire le niveau minimal de contrôles sur place si les conditions minimales suivantes sont remplies :

- l'organisme de certification national a émis un avis (non rejeté par la Commission) validant à la fois que le système de contrôle interne fonctionne de manière satisfaisante et que le taux d'erreur pour la population concernée est inférieur au seuil de signification de 2 % pendant au moins les deux exercices qui précèdent ; on relève ici que l'avis de l'organisme de certification nationale exerce une influence significative sur l'économie du système, cette influence s'étendant du reste bien au-delà (voir infra ) ;

- la Commission n'a pas informé l'État membre, dans le cadre d'un apurement de conformité, des faiblesses relevées dans le système de contrôle de la mesure ou, le cas échéant, est satisfaite des actions correctives prises par l'État membre.

Dans ce cadre général, les caractéristiques des contrôles à effectuer ainsi que les modalités des sanctions administratives associées dépendent plus finement du type de paiement concerné.

Pour les aides du premier pilier, ainsi que pour les aides surfaciques du second pilier de la PAC, elles doivent être administrées dans le cadre d'un système intégré de gestion et de contrôle (le SIGC) qui doit présenter des caractéristiques réglementairement définies par la législation européenne.

Pour les aides non surfaciques du second pilier (aides hors SIGC), des mesures encadrent également leur gestion à travers des exigences portant sur les contrôles dont elles doivent être accompagnées.

Enfin, il existe des contrôles dits de conditionnalité relatifs aux interventions gérées dans le cadre du SIGC.

b) Le système intégré de gestion et de contrôle (SIGC), un corpus d'exigences destiné à assurer la conformité de la plus grande masse de dépenses agricoles du budget européen qui induit une forte pression de contrôle
(1) Le SIGC...

Le système intégré de gestion et de contrôle (SIGC) consiste en un ensemble de process de gestion visant à garantir la conformité des paiements aux règlements européens et leur contrôlabilité , et prévoit expressément une série de contrôles.

Le SIGC est mis en place dans les États membres par les organismes payeurs agréés 1 ( * ) .

Les interventions devant être placées sous le régime du SIGC sont les aides du premier pilier de la PAC ainsi que les interventions du second pilier dépendant d'une variable surfacique.

Celles-ci recouvrent les aides suivantes :

- aides aux investissements visant au boisement, à la création de surfaces boisées et à la mise en place de systèmes agroforestiers ;

- mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) ;

- agriculture biologique ;

- paiements au titre de Natura 2000 et de la directive-cadre sur l'eau ;

- paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d'autres contraintes spécifiques (ICHN en France) ;

- bien-être des animaux ;

- services forestiers, environnementaux et climatiques et conservation des forêts ;

- mise en oeuvre des opérations relevant de la stratégie de développement local des acteurs locaux et préparation et l'exécution des activités de coopération du groupe d'action locale .

Le SIGC représente une base uniforme pour les contrôles et couvre notamment les contrôles administratifs et les contrôles sur place des demandes d'aide et du système informatique auquel l'administration nationale a recours pour effectuer son travail.

En tant que système de gestion , le SIGC doit comprendre un certain nombre de bases de données informatisées et interconnectées utilisées pour recevoir et traiter des demandes d'aide.

Il prévoit ainsi :

- un système d'identification unique des agriculteurs ;

- un système d'identification couvrant toutes les superficies agricoles, le Système d'identification des parcelles agricoles (SIPA), qui doit être précis, fiable et régulièrement évalué ;

- un système d'identification des droits au paiement ;

- un système d'identification et d'enregistrement des animaux (dans les États membres où des mesures s'appliquent aux animaux ; c'est l'hypothèse de l'existence de soutiens couplés pour l'élevage).

Le système garantit une identification unique de chaque agriculteur ainsi que de toutes les parcelles agricoles et, le cas échéant, des animaux et couvre les demandes d'aides.

(2) ... induit, théoriquement, une forte pression de contrôle

En tant que système de contrôle , le SIGC doit satisfaire à des critères de contrôle bien déterminés .

L'évaluation du respect des critères s'appliquant à l'aide s'effectue par le biais de contrôles administratifs ainsi que de contrôles effectués sur place.

Les contrôles administratifs, systématiques, ont pour objet de vérifier si les conditions de l'aide sont réunies. Ils consistent en une série de recoupements des informations contenues dans les demandes des agriculteurs. Les contrôles par recoupement sont effectués automatiquement dans le système.

Pour les contrôles sur place, qui complètent les contrôles administratifs, les autorités des États membres doivent contrôler un certain nombre d'exploitations agricoles sélectionnées, soit au hasard (contrôles aléatoires), soit en recourant aux techniques d'analyse des risques.

Les contrôles sur place doivent, dans le cas général, respecter un taux minimum de 5 % des bénéficiaires d'un type d'aide relevant du premier pilier et de 3 % pour celles du second pilier , obligations qui induisent un effort de contrôle très considérable , en particulier dans les pays où la gamme des aides et l'étendue de la population concernée sont élevées.

Toutefois, sous certaines conditions, le taux de contrôle peut être abaissé : à 3 % si une intersection spatiale des demandes d'aides avec le système d'identification parcellaire est en place ; à 1 %, lorsque sont mis en oeuvre des contrôles reposant sur l'ortho-photographie.

Si les contrôles décèlent certaines irrégularités, des sanctions doivent être mises en oeuvre, soit par des réductions de l'aide imposées au bénéficiaire - la réduction doit être effective et proportionnée et peut aussi impliquer des réductions pluriannuelles -, soit via des sanctions administratives (quand les déclarations du bénéficiaire ne sont pas conformes ou sont manipulées).

Lorsqu'on détermine qu'un paiement a été effectué indûment, l'État membre doit procéder à un recouvrement.

Les États membres font rapport annuellement à la Commission et fournissent des statistiques détaillées sur les demandes, les contrôles et les réductions.

c) Les aides non surfaciques du deuxième pilier

En ce qui concerne les aides non surfaciques du deuxième pilier, elles doivent faire l'objet de contrôles administratifs de l'éligibilité , celle-ci comprenant une vérification de la conformité à la législation européenne et à la législation nationale, mais aussi au programme de développement rural applicable. Les contrôles administratifs intéressent également la correction des opérations réalisées ex post .

Par ailleurs, des contrôles sur place sont appliqués sur la base de la méthode de l'échantillon dans des conditions analogues à celles décrites plus haut. Une pénalisation à vocation préventive prévoit que si la demande dépasse 10 % de celle légalement admissible, une sanction correspondant à la différence entre ces deux montants est appliquée.

d) Le contrôle de conditionnalité

Enfin, des contrôles particuliers concernent la conditionnalité des aides relevant du SIGC.

Les règles de conditionnalité relèvent des deux grandes catégories suivantes:

- le respect des exigences réglementaires en matière de gestion (ERMG) prévue par le droit de l'Union dans les domaines suivants : environnement : protection des eaux contre la pollution par les nitrates, conservation des oiseaux sauvages et des habitats naturels ; santé publique, santé animale et santé végétale : sécurité des denrées alimentaires, identification et enregistrement des animaux, maladies animales, produits phytopharmaceutiques ; bien-être des animaux ;

- le respect des normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales des terres (BCAE), établies au niveau national . Ces normes définies par le code rural et de la pêche maritime regardent l'établissement de bandes tampons le long des cours d'eau ; le respect des procédures d'autorisation lorsque l'utilisation de l'eau à des fins d'irrigation est soumise à autorisation; la protection des eaux souterraines contre la pollution ; la couverture minimale des sols ; la gestion minimale de la terre reflétant les conditions locales spécifiques en vue de limiter l'érosion, ; le maintien des niveaux de matière organique des sols par des pratiques adaptées ; le maintien des particularités topographiques.

B. DES ENJEUX CONSIDÉRABLES POUR LA « FERME FRANCE » ET POUR LES FINANCES PUBLIQUES

En dépit de la baisse des dépenses revenant à la France à ce titre, la bonne exécution des crédits de la PAC représente un enjeu majeur pour l'économie agricole française.

La mauvaise exécution des paiements agricoles est susceptible d'avoir des incidences négatives très fortes pour les exploitants malgré les dispositifs mis en oeuvre pour en atténuer les effets.

Par ailleurs, elle implique une lourde charge pour les finances publiques nationales, tout en créant des désordres tant au regard des principes budgétaires que de la mise en oeuvre des interventions du budget agricole.

1. Les aides européennes, une contribution majeure aux revenus agricoles qui conduit à souligner les enjeux d'une exécution correcte des paiements
a) Un budget agricole européen composite marqué par une grande diversité des aides accessibles

Le budget agricole européen est composé d'interventions relevant de deux piliers, qui épousent des objectifs différenciés de soutien aux exploitations agricoles.

Le premier pilier , auquel correspond le fonds européen agricole de garantie, le FEAGA, est destiné à offrir une aide au revenu aux agriculteurs. Le premier pilier de la PAC a fait l'objet de réformes répétées, dont le sens global a consisté à découpler les subventions agricoles de la production et à renforcer le jeu des critères d'utilité sociale des entités agricoles dans la structuration des soutiens publics accordés aux exploitants.

Une indiscutable complexification de la détermination des droits associés au premier pilier de la PAC s'en est suivie , qui représente en soi un défi de gestion.

Au titre du premier pilier , les mesures de marché, importantes pour certains secteurs, ou dans certaines circonstances (en particulier, en cas de crise), sont devenues marginales dans la nouvelle PAC. Les paiements directs aux exploitants mobilisent 95 % des moyens du FEAGA .

Le cadre financier annuel en vigueur jusqu'en 2020 privilégie un premier pilier articulé autour d'une aide à double composante composée, d'une part, d'un paiement de base (DPB) principalement assis sur des critères surfaciques , et, d'autre part, d'un paiement vert . Par ailleurs, les États bénéficient de marges de manoeuvre dans la mesure où ils peuvent moduler leurs enveloppes en fonction d'un certain nombre d'objectifs. Parmi ceux-ci figurent le soutien aux filières à travers une enveloppe d'aides couplées (aides par lesquelles le niveau de la production devient une variable complémentaire déterminant le soutien, à côté des critères de surface), les soutiens aux jeunes agriculteurs, le paiement redistributif qui tend à concentrer les aides sur les petites exploitations, le soutien aux zones soumises à des contraintes naturelles ou défavorisées.

Les marges de manoeuvre offertes aux États tendent à occuper une place centrale dans le dispositif puisqu'elles peuvent couvrir jusqu'à 60 % de l'enveloppe nationale. Dans ces conditions, la PAC n'est plus pleinement commune que pour une partie, souvent minoritaire, de ses expressions, le demeurant cependant du point de vue des règles de base qui conditionnent la configuration concrète que lui donnent les États.

Le paiement vert, de son côté, ajoute à la complexification due aux modulations de l'attribution des DPB par les États membres par la prise en compte de conditionnalités liées aux services environnementaux rendus par les exploitants pour une fraction importante des droits reconnus aux agriculteurs au titre du premier pilier puisqu'une part égale à 30 % de l'enveloppe nationale est concernée.

Aides découplées, aides couplées

Les paiements découplés , versés indépendamment de la production sont structurés autour de quatre grandes enveloppes : les droits à paiement de base (DPB) qui sont liés aux surfaces mises en valeur par l'agriculteur mais sont appelés à converger, en Europe, et au sein de chaque pays; le paiement redistributif, mécanisme facultatif destiné sous un plafond de 30 % de l'enveloppe du pilier à surfinancer les premiers hectares d'une exploitation ; le paiement vert, mécanisme obligatoire, 30 % du plafond national devant être attribué selon un calcul forfaitaire par hectare aux agriculteurs respectant les conditions suivantes : contribuer au maintien de prairies permanentes sur une surface donnée, respecter une exploitation par diversification des cultures, disposer de surfaces d'intérêt écologique ; enfin, le paiement additionnel pour les jeunes agriculteurs, mécanisme facultatif et plafonné.

Les aides couplées résultent de la faculté offerte aux États membres d'affecter pour certains secteurs limitativement énumérés, entre 8 et 15 % du plafond national des paiements directs à des aides en faveur de productions animales ou végétales.

Le second pilier , dont les financements sont regroupés au sein de fonds européen pour le développement rural, le FEADER, poursuit les objectifs diversifiés . Les grandes thématiques auxquelles il renvoie sont les suivantes : favoriser la compétitivité de l'agriculture ; garantir la gestion durable des ressources naturelles et la mise en oeuvre de mesures propres à préserver le climat ; assurer un développement territorial équilibré des économies et des communautés rurales.

Si les interventions du FEADER sont précisées au niveau des États membres par des programmes de développement rural, qui peuvent relever de la responsabilité des régions, comme la France en a fait le choix , ceux-ci sont assujettis à des règles de principe, parmi lesquelles la présentation d'une évaluation ex ante devant en démontrer le caractère contrôlable, ainsi que la cohérence avec une liste d'interventions susceptibles de figurer dans de tels programmes et d'être ainsi cofinancées par le FEADER.

La liste des interventions éligibles est longue et diverse, allant du financement de systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires à la gestion des risques en passant par les soutiens à l'agriculture biologique.

La programmation financière 2014-2020 fait ressortir le poids prépondérant du premier pilier , sachant que les États membres ont la possibilité d'effectuer des transferts entre les piliers de la PAC sous un plafond de 15 % des enveloppes nationales déterminées initialement.

Cadre financier pluriannuel de la politique agricole commune

Source : Commission européenne

b) Le poids des concours européens dans l'économie agricole est considérable
(1) Malgré la réduction de la part de la France dans le budget agricole européen

La réduction de l'enveloppe agricole européenne destinée à la France constitue une tendance lourde d'autant plus regrettable que la France, pour être le premier bénéficiaire des dépenses agricoles européennes en niveau, est loin de polariser la dépense agricole européenne, une fois pris en compte des éléments d'appréciation très significatifs.

De 22 % en 2007, la part de la France dans les aides agricoles européennes a rétrogradé à 17,2 % en 2017.

Les deux tableaux ci-dessous résument la chronique de la programmation, du premier et du deuxième pilier respectivement, pour la période 2015-2020 en faisant ressortir la part devant revenir à la France.

Plafonds par exercice des paiements directs du premier pilier (UE et France)

(en milliers d'euros)

Source : Commission européenne

Plafonds par exercice des aides du deuxième pilier (UE et France)

(en milliers d'euros)

Source : Commission européenne

On relève que la nouvelle PAC se traduit par une baisse de l'enveloppe agricole de la France et par une réduction de la part relative des dépenses agricoles devant lui revenir, baisse particulièrement marquée pour le deuxième pilier de la PAC.

Dans ce contexte, la France demeure toutefois le premier bénéficiaire des aides agricoles européennes avec une part théorique de 16,8 % contre 11,2 % l'Allemagne, 10,8 % pour l'Espagne et 9,1 % pour l'Italie tandis que la Pologne a considérablement élevé son poids dans les retours agricoles issus du budget européen (de 3,4 % en 2008 à 7,5 % en 2016).

Ce panorama doit être nuancé.

En premier lieu, la France n'étant que le douzième pays au regard du critère de paiement par habitant (136 euros par habitant contre 312 euros par habitant pour l'Irlande, qui se classe en tête).

En second lieu, les données exposées ci-dessus sont des données théoriques qui ne tiennent pas compte des difficultés d'exécution des paiements agricoles, qui, particulièrement aigües pour la France, ont entraîné dans la période récente une accentuation de la réduction de la part des paiements agricoles lui revenant.

(2) Les aides européennes sont vitales pour de nombreuses exploitations agricoles

Dans ce cadre, un constat s'impose cependant : le poids des aides européennes dans les revenus agricoles est considérable, ce qui conduit à souligner les enjeux de ces interventions pour l'économie agricole.

Si, selon la commission des comptes de l'agriculture, les concours publics à l'agriculture financés sur crédits ont atteint 15,3 milliards d'euros en 2018 (13,5 milliards d'euros hors crédits d'enseignement agricole), les aides de la PAC (9,5 milliards d'euros) ont compté pour plus de 70 % de ces concours.

Évolution des concours publics à l'agriculture 2 ( * )

Source : commission des finances du Sénat

Elles représentent une part considérable de la valeur ajoutée brute de la branche agricole. En 2017, cette dernière avait atteint 29,5 milliards d'euros, de sorte que les subventions d'exploitation provenant de l'Union européenne ont permis d'accroître les ressources de la branche agricole de près d'un tiers.

Même si l'année 2016 doit être considérée comme particulièrement négative pour des revenus agricoles, alors marqués par des évolutions défavorables des prix et des productions, il est significatif qu'hors subventions, 30 % des exploitations agricoles auraient connu un excédent brut d'exploitation négatif, cette proportion n'étant plus que de 6 % après le paiement des subventions.

Impact des subventions sur l'excédent brut d'exploitation
des entreprises agricoles en 2016

Source : SSP, RICA

L'impact des subventions est également très net au niveau du revenu courant avant impôt (le RCAI), ce dernier, négatif pour 60 % des exploitations avant prise en compte des subventions, ne l'étant plus que pour 25 % d'entre elles après paiement des aides.

Impact des subventions sur le revenu courant avant impôt
des entreprises agricoles en 2016

Source : SSP, RICA

Les subventions agricoles sont indispensables au maintien d'un tissu d'exploitations diversifié.

Malgré une distribution des aides caractérisée par une certaine concentration - 20 % des exploitations concentrant 58 % des aides publiques -, les subventions réduisent significativement la polarisation des revenus agricoles provenant des opérations de marché.

Répartition des revenus agricoles
avant et après subventions

Hors subventions, 90 % du revenu agricole avant impôt est réalisé par 20 % des exploitations agricoles tandis qu'après subventions ce pourcentage tombe à environ 65 %.

Toutefois, cette propriété égalisatrice des subventions agricoles doit être nuancée.

Elle n'est pas uniformément vérifiée comme l'illustre le graphique ci-après.

Revenu courant avant impôt avec et sans subvention
par type de spécialisation

Source : SSP, RICA

2. La mauvaise exécution des paiements a exercé des impacts très négatifs pour les finances publiques et pour les exploitants agricoles eux-mêmes

Les enjeux attachés à la bonne exécution des paiements agricoles concernent tant nos finances publiques que les exploitants agricoles qui sont exposés à de graves risques du fait des difficultés rencontrées dans les relations entre la France et les autorités européennes.

a) Une source de détérioration de nos ratios budgétaires, d'atteinte aux principes de notre droit budgétaire et de désordres dans la gestion des politiques agricoles
(1) Une détérioration des « retours européens »

Le projet de loi de finances pour 2019 évalue la contribution de la France au budget européen à 21,5 milliards d'euros.

Les corrections financières subies par la France du fait des mauvaises conditions de fonctionnement de la chaîne des paiements agricoles ont atteint, entre 2010 et 2017, un dixième de cette somme.

Rapportées aux paiements annuels effectués en France en 2016, ces corrections financières atteignent même une proportion de plus de 18 %.

La moyenne annuelle des corrections financières subies par la France au titre des dépenses agricoles a ainsi alourdi notre contribution nette au budget de l'Union européenne de l'ordre de 3 % .

Elle a réduit notre taux de retour en provenance du budget européen alors même que la rubrique agricole du budget européen est la seule qui offre à notre pays des perspectives nettes de soutien de la part de ce dernier.

(2) Une inflation des dépenses budgétaires nationales...

Les corrections financières se traduisent encore par une élévation des dépenses budgétaires nationales .

Le budget national est appelé à compenser les financements manquants de la part du budget européen. Les dotations correspondantes sont inscrites au budget de la mission « Alimentation, agriculture, forêt et affaires rurales ».

En 2017, 721,1 millions d'euros ont été inscrits à ce titre, soit une masse de crédits égale à plus de 20 % des dotations demandées en loi de finances initiale au titre de la mission. Pour 2018, la somme des corrections est nettement inférieure, tout en atteignant près de 180,2 millions d'euros, soit près de 15 % des dotations budgétaires du programme 149 de la mission AAFAR hors crédit prévus pour la forêt.

(3) ... dans des conditions altérant la sincérité des lois de finances...

Dans ces conditions, c'est à bon droit que vos rapporteurs spéciaux, et tout particulièrement votre rapporteur spécial Alain Houpert, ont pu régulièrement déplorer l'insuffisance de sincérité des programmations budgétaires de la mission AAFAR résultant du défaut d'inscription en loi de finances initiale de charges pourtant certaines.

(4) ... et la qualité de la gestion des priorités de notre politique agricoles

Outre qu'elle contrevient au principe de sincérité budgétaire, cette pratique exerce des effets très déstabilisants lors de l'exécution budgétaire des dotations accordées par le Parlement .

Elle implique, en effet, des réajustements des crédits prévus pour financer les interventions publiques, qui se trouvent évincées par les impasses budgétaires de la loi de finances initiale.

(5) Des palliatifs insuffisants : la provision pour dépenses « imprévisibles », déjà une décrue préoccupante

L'inscription d'une provision de 300 millions d'euros dans le budget de la mission pour 2018 est considérée par la Cour des comptes comme un progrès de méthode.

Cependant, rattachée à l'action n° 27 du programme 149 consacrée aux moyens de mise en oeuvre des politiques publiques et de gestion des interventions, elle sanctionne budgétairement les incidences des défaillances de la chaîne des paiements agricoles, ce qui n'est qu'un moindre bien.

Surtout, l'examen des conditions effectives de sa mobilisation permet de confirmer certaines craintes.

Sur ce point, il convient de rappeler que la dotation en cause n'est pas destinée à ne traduire que les effets budgétaires des refus d'apurement, le projet annuel de performances de la mission indiquant qu'elle « vise à gérer les dépenses imprévisibles du programme ».

Cette présentation, dès l'abord, n'était guère de nature à conforter le jugement d'une amélioration de la sincérité du budget au regard des enjeux financiers résultant des refus d'apurement.

D'une part, on ne peut sérieusement considérer que les charges résultant des refus d'apurement soient systématiquement des charges imprévisibles puisque, bien au contraire, dans de nombreux cas, ces charges sont parfaitement prévisibles, ayant pu faire l'objet de négociations avec la Commission européenne allant jusqu'à inclure un calendrier précis d'apurement.

D'autre part, la généralité de l'objet de la provision, « les dépenses imprévisibles du programme 149 » , conduit, compte tenu de l'ampleur des refus d'apurement et des impasses budgétaires récurrentes réalisées dans le domaine de la compensation des risques climatiques et environnementaux, à douter de l'adéquation entre les crédits inscrits et le niveau des charges qu'il s'agit de couvrir.

La mobilisation de la dotation en 2018 a confirmé en pratique ces préventions. Alors que la sécheresse subie par les exploitants aurait justifié un soutien rapide afin de prévenir des comportements déstabilisants pour les marchés et pour des exploitations individuelles confrontées à des tensions financières fortes (ainsi, par exemple, de la vente anticipée de composantes du cheptel), les engagements réalisés au titre des refus d'apurement ont limité la capacité de réaction du ministère de l'agriculture.

À cet égard, outre qu'il est contestable d'anticiper d'emblée l'intervention de collectifs budgétaires pour détendre les contraintes pouvant résulter d'une programmation au plus juste des crédits agricoles, l'argument consistant à établir un ordre de priorité dans l'emploi de la dotation pour dépenses imprévues passant par la couverture prioritaire des chocs environnementaux suivie de celle des refus d'apurement ne semble guère opérante. Pour que cette hiérarchie d'emploi puisse prévaloir, il faudrait que les refus d'apurement soient systématiquement comblés en toute fin d'année budgétaire, ce qui, à l'évidence, n'est pas satisfaisant.

Il convient donc d'insister sur la nécessité d'un réel progrès de transparence, au stade des projets de budget agricole annuels, afin que les enjeux financiers des refus d'apurement soient mieux exposés, dans le cadre d'une programmation budgétaire plus sincère et plus responsable.

b) Des répercussions très négatives pour les exploitants agricoles

On pourrait imaginer que les refus d'apurement, en tant que sanctions rétrospectives des dysfonctionnements de la chaîne de paiements agricoles n'ont guère d'effet sur le versement des aides aux agriculteurs.

Il n'en est rien.

D'une part, du moins en théorie, les paiements indus doivent être récupérés auprès des exploitants qui les ont perçus. D'autre part, les corrections financières ne sont pas le seul symptôme des défaillances de l'infrastructure des paiements. Ces dernières ont également eu pour effet de suspendre les paiements des aides, européennes ou nationales, ce qui a nécessité la mise en place d'un mécanisme d'apports de trésorerie remboursables, palliatif indispensable mais nullement satisfaisant pour les exploitants.

(1) Des retards de paiement des aides bientôt comblés ?

Les refus d'apurement se sont accompagnés de retards de paiement des aides agricoles dont la communication de la Cour des comptes fait une présentation détaillée pour les campagnes 2015 à 2017.

Le décalage des calendriers de versement des aides de la PAC ou liées à la PAC (les financements dotés par le budget national sont fréquemment prévus en cofinancement des interventions européennes), récurrent depuis 2015, a tout particulièrement touché les aides du second pilier.

Les motifs du décalage des paiements des aides ne semblent cependant pas tout à fait élucidés.

L'on peut observer que, malgré leur inscription en dotations budgétaires dans les lois de finances successives, certaines interventions n'ont pas été consommées.

Symptômes d'une imprévision sur les incidences des dysfonctionnements de la chaîne des paiements, ces sous-exécutions ont sans doute été également le résultat d'arbitrages rendus nécessaires par l'intensification de la contrainte budgétaire liée à la nécessité d'assumer les effets des refus d'apurement sur les dépenses de la mission AAFAR, dans un contexte où, au demeurant, certaines enveloppes programmées au titre des priorités du ministère se trouvent épuisées.

Quoi qu'il en soit, un retour progressif à un calendrier normal est intervenu et devrait se poursuivre.

Perspectives de retour au calendrier normal
de paiement des aides agricoles

Pour la campagne 2017, moyennant un retour espéré à un calendrier de paiement des aides plus proche du calendrier habituel, de nouveaux retards de paiement étaient attendus, l'objectif de retour à un calendrier normal de paiement pour les aides directes 1 er pilier devant attendre 2018.

Le calendrier de paiement des aides directes 2017 devait être le suivant :

- aides couplées ovins / caprins : acompte au cours de la deuxième quinzaine d'octobre ; solde début décembre 2017 ;

- aides couplées bovines : courant décembre 2017 ;

- aides découplées : février 2018 ;

- aides couplées végétales : février 2018.

Les conditions dans lesquelles le rattrapage des retards, qui est évidemment un objectif en soi tout à fait recommandable, a pu être entamé appellent néanmoins quelques fortes réserves.

L'incidence de la réglementation européenne a pu ici jouer un rôle fâcheux. Selon les règles européennes, les aides du premier pilier doivent être versées avant une échéance donnée faute de quoi l'État retardataire encourt le risque majeur de perdre tout droit à paiement. Cette perspective, qui s'est traduite par une sanction définitive au titre de l'apurement comptable relativement élevée, mais cependant limitée par rapport aux risques pendants (voir infra ), a incité à hâter le paiement des aides correspondantes. Ce résultat, qui pourrait être considéré comme heureux, appelle un jugement hélas beaucoup plus mitigé.

D'une part, pour avoir conjuré les risques de refus d'apurement comptable, il n'a en rien prévenu celui de refus d'apurement de conformité puisque les défaillances de l'infrastructure de paiements n'avaient pas été toutes corrigées au moment où les paiements sont intervenus. Il s'ensuit de nouvelles perspectives de refus d'apurement. La communication de la Cour des comptes fait ainsi état de l'attribution d'aides sur la base de critères provisoires au titre de la campagne 2015, mais aussi de l'absence de tout contrôle de la part de certaines DDT(M) sur les aides surfaciques du second pilier. En tout état de cause, la période récente s'est caractérisée par des expédients dont il faut craindre qu'ils aient pu contrevenir aux règles d'exécution des paiements, générant en soi de nouveaux refus d'apurement.

D'autre part, l'ordre de priorité suivi pour revenir à un calendrier plus normal de versement des aides a exercé un effet d'éviction sur les aides non soumises au risque de forclusion, si bien que les aides du second pilier ont servi de variables d'ajustement. Cette situation doit être considérée comme d'autant plus regrettable que ces aides visent à accompagner les orientations prioritaires de la politique agricole qui, du fait des coûts de transition supportés par les exploitants engagés dans ces orientations, appellent un soutien particulièrement attentif.

Pour conclure, à l'heure où les corrections apportées aux défauts de l'infrastructure de paiement des aides permettraient d'envisager avec plus de sérénité certaines dimensions du problème, le fait que les engagements du Gouvernement d'un retour à un calendrier normal de versement des aides pris depuis 2017 aient été reportés implique de garder une totale vigilance sur ce point.

Compte tenu des modifications chroniques des prévisions publiées par le ministère, mais aussi de l'éventualité d'arbitrages budgétaires défavorables, il conviendra de rester très vigilant sur le respect des engagements du ministère sur le retour à la normale de l'agenda des versements d'aides.

(2) Une succession d'apports de trésorerie remboursables symptômes d'un défaut de pilotage du retour à la normale et qui comportent d'évidentes limites pour les agriculteurs

Pour faire face au décalage du calendrier de paiement des aides de la PAC 2015, 2016 et 2017, des apports de trésorerie remboursables (ATR) ont été mis en place.

Ces avances non porteuses d'intérêt, cet avantage étant entièrement financé par l'État et l'ASP 3 ( * ) , avaient pour objectif d'éviter les difficultés de trésorerie des agriculteurs en attendant le versement des aides de la PAC.

Il convient de faire état des limites de ces mécanismes .

Ils ont eu leur utilité comme rustines collées sur la distribution des aides européennes, ce qui veut dire que, malgré les efforts demandés à l'ASP, ils ont été insusceptibles de se substituer pleinement aux procédures habituelles.

Le nouveau guichet d'apports de trésorerie remboursable mis en oeuvre pour faire face au décalage restant dans le calendrier de paiement de la campagne 2017 illustre les limites du dispositif.

En premier lieu, la couverture des aides assurée par les ATR n'a été que partielle.

Payés à partir du 16 octobre, les ATR mis en place au titre de la campagne 2017 ne couvraient pas l'ensemble des aides.

Ils ne devaient représenter que 90 % des aides couplées bovines et des aides découplées.

Le calendrier de paiement des aides surfaciques du second pilier de la PAC, constituées par l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), ainsi que les aides à l'agriculture biologique a également été bouleversé par les difficultés auxquelles la chaîne des paiements agricoles a été confrontée. L'ICHN, les MAEC et les aides à l'agriculture biologique ont été incluses dans le champ de l'ATR pour les campagnes 2015 à 2017. Les exploitations concernées par ces mesures ont donc pu bénéficier d'avances de trésorerie au titre de ces dispositifs comme pour les aides du premier pilier de la PAC.

Cependant, pour ces aides la limite exposée ci-dessus a été encore plus prononcée.

En ce qui concerne 2017, l'ATR devait représenter 90 % des aides pour l'ICHN et 80 % pour les MAEC, rien n'étant prévu pour les aides au développement de l'agriculture biologique.

On relèvera que, partiels, les droits de tirage des ATR ont encore été définis sur des données historiques pouvant être obsolètes ou inopérantes en particulier en cas de modifications significatives des conditions d'exploitation ou de conversion à des modèles agricoles nouveaux.

D'autres considérations doivent être ajoutées.

La succession des vagues d'ATR mises en place témoigne de leur récurrence mais aussi d'une certaine improvisation due à la persistance des difficultés rencontrées pour mettre en ordre de fonctionnement les systèmes de paiement.

Les coûts d'administration de ces enveloppes sont difficilement chiffrables mais ils auraient été évités dans le cadre d'un fonctionnement efficace de la chaîne de paiements agricoles, tant aux entreprises agricoles qu'à l'ASP.

Enfin, il convient de rappeler que ces dispositifs ont été soumis aux règles encadrant les aides d'État.

En effet, les apports de trésorerie remboursables ont été placés sous l'empire du règlement de minimis propre à l'agriculture. Celui-ci (règlement n° 1408/2013) présente la particularité d'être nettement plus rigoureux que le règlement applicable aux aides de minimis en général (règlement n° 1407/2013).

Le plafonnement des aides y est en effet réduit puisqu'il se situe à 15 000 euros sur une période glissante de trois exercices fiscaux contre 200 000 euros pour les entreprises non agricoles.

(3) Des reversements pour trop perçus ?

Lorsque des irrégularités sont constatées dans le versement des aides agricoles, les règlements européens prescrivent que les sommes indûment versées soient répétées.

Les réponses fournies aux questions de vos rapporteurs spéciaux pour apprécier l'ampleur des recouvrements réalisés dans ce cadre par l'ASP ne permettent pas d'isoler les créances constatées suite à des contrôles effectués en application des obligations imposées aux États membres dans la gestion des paiements des aides européennes.

Les données suivantes renvoient donc à des titres de recouvrement différenciés.

Créances à recouvrer sur les exploitations bénéficiaires
d'interventions du FEAGA

2015

2016

2017

Nombre

Montant

Nombre

Montant

Nombre

Montant

Créances restant à recouvrer au début de l'exercice

7 108

4 034 556,60

15 448

5 463 124,76

5 281

1 601 744,18

Créances nettes émises au cours de l'exercice :

Irrégularités

90 415

21 370 251,77

5 404

927 870,54

131 053

6 423 941,11

Erreurs administratives

+ de 500 000

2 915 856 272,99

1 074 189

7 765 374,34

1 279 651

16 182 192,79

Créances restant à recouvrer à la clôture de l'exercice :

Irrégularités

15 448

5 463 066,52

5 281

1 601 744,18

136 533

2 708 201,81

Erreurs administratives

1 162

457 022,07

55 026

2 418 597,85

80 395

2 806 333,76

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Créances à recouvrer sur les exploitations bénéficiaires
d'interventions du FEADER

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Dans ces conditions, à ce stade, on ne peut mentionner que les éléments d'explication ci-dessous, fournis par l'ASP en réponse aux interrogations de vos rapporteurs spéciaux.

« La catégorie « Erreurs administratives » correspond à des paiements indus qui ne résultent pas d'irrégularités commises par les bénéficiaires. Il peut s'agir d'erreurs commises par l'administration nationale ou de corrections liées à l'évolution des bases de calcul (variation de l'assiette, modification des taux, ...).

La catégorie « Irrégularités » concerne des paiements indus résultant d'irrégularités commises par les bénéficiaires d'aides.

Les valeurs élevées, tant en nombre qu'en montant, des Ordres de Recouvrer (OR) pris en charge en 2015 au titre des erreurs administratives proviennent du traitement de la discipline financière.

La discipline financière est un dispositif mis en place par la Commission Européenne visant à alimenter une réserve pour les crises dans le secteur agricole (article 25 du règlement UE n° 1306/2013). Il consiste à effectuer une réfaction sur l'ensemble des aides du 1 er pilier de la Politique Agricole Commune (pour information, le taux de réfaction appliqué au titre de la campagne 2018 est de 1,411917 %), déduction faite d'une franchise de 2 000 euros.

Lors du paiement des avances, les aides PAC du 1 er pilier sont imputées sur des lignes budgétaires « Hors discipline financière » quel que soit le montant versé.

Par contre, lors du paiement des soldes, une réaffectation des aides est effectuée, le cas échéant, sur les lignes budgétaires « Avec discipline financière ».

De plus, chaque nouvelle valorisation des aides (positive ou négative) entraîne une reventilation des aides entre lignes budgétaires « Hors discipline financière » et « Avec discipline financière ».

En 2015, les modalités de gestion appliquées à la discipline financière - émission d'un OR pour réduire la part « Hors discipline financière » et émission d'une dépense pour augmenter la part « Avec discipline financière » - ont eu pour effet de gonfler les masses tant en recette qu'en dépense. Toutefois, il faut noter qu'il n'y a eu aucun impact sur le montant net des dépenses, ces opérations se compensant automatiquement et immédiatement.

En 2016, afin d'éviter le gonflement des masses, de nouvelles modalités de gestion ont été mises en place. Elles ont consisté à générer, le cas échéant, un mouvement négatif sur la ligne budgétaire à réduire et un mouvement positif du même montant sur la ligne budgétaire à augmenter, sans émission d'OR et de dépense.

En 2018, afin de simplifier encore la gestion de la discipline financière sans remettre en cause le dispositif, il a été convenu de faire porter en priorité la franchise de 2 000 euros sur les aides surface et plus particulièrement sur les « droits à paiement de base » afin de limiter, autant que possible, les opérations d'ordre entre lignes budgétaires.

S'agissant de l'exercice 2017, le montant élevé des émissions d'OR, qu'ils relèvent des catégories « irrégularités » ou « Erreurs administratives », s'explique essentiellement par les mises en paiement massives d'aides PAC en rattrapage des retards de paiement.

Par ailleurs, chaque revalorisation d'une aide PAC entraine l'émission d'un OR (souvent de faible montant) lorsqu'il s'avère que le nouveau calcul présente une évolution à la baisse. Cela a pour effet de multiplier le nombre d'OR émis.

On peut toutefois noter que :

- le montant des émissions d'OR, même s'il est élevé, doit être relativisé au regard du montant total des aides payées ;

- le montant moyen des OR est peu élevé ;

- quel que soit le montant des prises en charge, il n'y a pas de dérive des restes à recouvrer en fin d'exercice ».

S'ils font ressortir l'influence des écritures d'ordre dans le recensement des restes à recouvrer, ils ne permettent pas de répondre complètement aux interrogations relatives au suivi des recouvrements consécutifs à des constats d'irrégularités, information qui devrait être rendue largement ouverte afin de progresser vers davantage de transparence.

C. DES REFUS D'APUREMENT MASSIFS, DES PERSPECTIVES INCERTAINES

La France a subi des sanctions financières très lourdes de la part de la Commission européenne au cours des années récentes.

Le pic des corrections financières a été atteint jusqu'à présent en 2015 dans le cadre de la décision ad hoc 47 ; il témoigne d'une amplification des sanctions financières infligées à la France plutôt que des effets d'une transition mal gérée vers la nouvelle PAC, trop souvent mise en avant comme facteur d'explication principal des difficultés rencontrées.

Il faut, en effet, relever que ces sanctions ont porté sur des paiements correspondants à la programmation de la PAC antérieure à ladite « nouvelle PAC », mais aussi, globalement au transfert de la qualité d'autorité de gestion aux régions.

Ces dernières évolutions n'en sont pas moins à considérer avec vigilance, l'état de préparation de notre infrastructure à ces changements de contexte pouvant inspirer de réelles craintes au vu de la réactivité démontrée dans le passé.

Quoi qu'il en soit, les perspectives de nouvelles corrections financières pèsent encore lourdement sur l'apurement des paiements des aides européennes.

1. Des refus d'apurement massifs avec une concentration sur l'année 2015, notamment du fait du rythme des vérifications européennes

Au total, entre 2010 et 2017 , la France a subi 2,1 milliards d'euros de refus d'apurement.

Une partie importante de ces corrections financières est imputable à l'année 2015 au cours de laquelle la France a connu un pic de corrections financières.

D'une moyenne de l'ordre de 300 millions d'euros entre 2010 et 2016, les corrections financières notifiées à la France sont alors brusquement passées à 1 146 millions d'euros.

Corrections financières (notifications annuelles) sur le périmètre de l'ASP
(2010-2017)

Source : rapport IGF-CGAAER La gestion des aides de la politique agricole par l'agence de paiement de services et de paiement

Dans l'appréciation de la temporalité des pénalités financières, il faut cependant distinguer l'exercice budgétaire de rattachement des irrégularités sanctionnées de celui de la notification des corrections financières consécutives à ces irrégularités, l'écart entre les deux pouvant être important en raison de la longueur des procédures d'apurement qui, une fois arrivées à terme, peuvent concerner plusieurs exercices passés, comme ce fut le cas en 2015.

Les irrégularités relevées n'acquièrent ainsi leur traduction budgétaire que de façon retardée.

Le graphique ci-dessous rend compte de ce phénomène en illustrant les corrections financières prononcées sur le périmètre de l'ASP en fonction de l'exercice d'origine.

Corrections financières notifiées sur le périmètre de l'ASP depuis 2010
en fonction de l'exercice financier d'origine

Source : Mission, à partir des données MCFA (hors remboursements par la Commission, hors décision ad hoc n° 54 et hors corrections quasi-définitives)

De fait, l'année 2015 a été marquée par l'arrivée à leurs conclusions de nombreuses enquêtes portant sur la période 2008-2013 qui y ont trouvé des issues concomitantes, avec des effets particulièrement lourds sur le budget de l'État.

Cela étant, l'ampleur des refus d'apurement comparée sur deux périodes quinquennales (séparées par une période paraissant suffisante pour apporter au système de paiement des aides agricoles les améliorations nécessaires) ressort en forte expansion.

Les refus d'apurement supportés par le budget national,
une comparaison sur deux périodes quinquennales

(en millions d'euros)

2004

2005

2006

2007

2008

Total

202,38

101,64

126,05

23,42

72,96

526,45

2013

2014

2015

2016

2017

Total

41,2

427

812,4

710,8

221,9

2 213,3

Source : commission des finances du Sénat d'après des données du ministère de l'agriculture

Les refus d'apurement supportés par le budget de l'État ont été multipliés par plus de quatre entre la période 2004-2008 et la période 2013-2017, ce qui, pour le moins, ne témoigne pas d'une amélioration des performances de gestion des paiements agricoles, que le haut niveau des corrections financières aurait pourtant largement justifiée.

2. Les refus d'apurement subis par la France en font l'un des pays les moins performants au regard du respect des règles européennes

On veut parfois expliquer le niveau élevé des refus d'apurement prononcés contre la France (en montant absolu, la France est le pays le plus pénalisé) par l'importance relative des dépenses agricoles réalisées dans notre pays.

Cette thèse ne parvient pas à convaincre totalement au vu des données indiquées ci-après.

De fait, la France se classe au quatrième rang des Etats membres de l'Union européenne les plus sanctionnés au cours de la période de 2007 à 2016 en proportion des dépenses réalisées dans les différents pays européens.

Corrections financières notifiées entre 2007 et 2016 par Etat membre

(en montant et en % des aides agricoles européennes)

Source : rapport IGF-CGAAER La gestion des aides de la politique agricole par l'agence de paiement de services et de paiement

Pendant cette période, le taux de corrections financières a atteint en France 2,5 %, soit plus que la moyenne européenne (1,9 %).

Il est cependant juste d'observer que trois pays connaissent des situations plus défavorables : la Grèce (6,5 %), le Royaume-Uni (3 %) et le Portugal (2,9 %).

Par ailleurs, le taux des corrections financières appliquées à la France est assez proche d'un groupe de pays à forte vocation agricole (Italie, Espagne, Pays-Bas...), mais tout en restant supérieur, alors même que ces pays sont parfois présentés comme supportant une forme de faiblesse administrative aux causes au demeurant diverses.

3. Des perspectives à clarifier

Malgré les améliorations apportées aux instruments de gestion des aides européennes (voir infra ), les différents audits réalisés sur la gestion des aides agricoles européennes convergent vers la perspective de corrections financières nouvelles, tout en laissant entière la question de leur quantum.

La communication de la Cour des comptes mentionne l'existence de risques de corrections financières supplémentaires du fait des décalages des contrôles sur place effectués dans le cadre de la campagne 2015.

De fait, le rapport de la Commission de certification des comptes des organismes payeurs (CCCOP) pour l'exercice 2016 soulignait « l'existence de risques, pour certains très significatifs, liés aux modalités définies et mises en oeuvre pour l'instruction et le contrôle des dossiers... et aux insuffisances constatées sur les dispositifs de contrôle interne mis en place au niveau des autorités de gestion comme au sein de l'organisme payeur » .

Le rapport de la CCCOP pour l'exercice 2017, transmis à vos rapporteurs spéciaux, confirme l'existence de risques élevés voire très élevés.

Pour les aides gérées dans le cadre du SIGC, le risque maximal est encouru relativement à l'ICHN (qui combine risque élevé d'anomalies et portée financière maximale des sanctions), les mesures intéressant le développement des entreprises et les investissements physiques faisant suite.

Mais, ce sont les aides gérées en dehors du SIGC qui suscitent les plus fortes préoccupations. Le rapport de la CCOP relève à leur sujet que le taux d'irrégularités constaté après revérification atteint 14,29 % contre un taux de seulement 4,87 % à l'issue des contrôles sur place de premier rang.

Les observations de la CCCOP conduisent à associer aux paiements réalisés au cours des plus récentes années des risques élevés de non-apurement, dont il importe qu'un chiffrage actualisé soit rapidement présenté au Parlement. Plus généralement, les audits de la CCCOP devraient donner lieu à une évaluation systématique des risques de non-apurement transmise au Parlement.

Si certaines corrections financières à venir sont d'ores et déjà certaines, tant en leur principe qu'en leur montant, le chiffrage des sanctions financières pouvant découler des dysfonctionnements relevés sur les campagnes PAC les plus récentes est encore entouré d'incertitudes, le principe de nouvelles corrections financières étant cependant, quant à lui, quasiment certain, compte tenu des constatations d'audit portant sur les opérations effectuées et sur les faiblesses des systèmes de gestion et de contrôle.

L'annexe n° 2 au présent rapport présente l'exposé par le ministère des risques concrétisés et à venir pour les exercices 2013 à 2018.

Selon le rapport de la mission commune IGF-CGAAER, les procédures d'apurement non closes au 15 mai 2017 faisaient peser des risques financiers importants mais dont les montants devaient in fine être réduits.

La mission pouvait indiquer que seize enquêtes de conformité concernant l'ASP demeuraient ouvertes au 15 mai 2017, comportant un montant potentiel de corrections financières de 4,2 milliards d'euros , soit quatre fois le montant de la décision ad hoc 47 déjà mentionnée comme record des sanctions financières prononcées dans le champ des paiements agricoles. Cependant, le rapport faisait état d'une perspective moins défavorable avec une fourchette basse pouvant atteindre 140 millions d'euros, tout en remarquant que cette fourchette n'incluait ni les aides surfaciques de la campagne 2016 (non dénuées de risques comme il a été indiqué) ni les aides FEADER de la programmation 2014- 2020.

II. LES PAIEMENTS DES AIDES AGRICOLES : DES ERREMENTS RÉSULTATS D'UNE INFRASTRUCTURE DE GESTION DÉFECTUEUSE ENGAGEANT PLEINEMENT LA RESPONSABILITÉ DES AUTORITÉS PUBLIQUES

Lors de l'examen des différentes lois de finances de ces dernières années, votre commission des finances s'est systématiquement penchée sur les graves défaillances de la chaîne des paiements agricoles, leurs effets et leurs causes.

L'élucidation des causes de la mauvaise exécution des paiements agricoles, qui offre pourtant des enjeux importants dans la perspective d'une amélioration des performances, devrait être aisément accessible puisqu'aussi bien la motivation des refus d'apurement européens devrait les faire ressortir avec netteté. De leur côté, les retours d'expérience des gestionnaires des paiements devraient fournir suffisamment d'informations pour les circonscrire avec finesse.

La situation se présente pourtant tout autrement.

L'analyse systématique des motifs des refus d'apurement n'est guère accessible autrement que par des données très générales en soi peu informatives.

En ressort toutefois le diagnostic d'une infrastructure présentant des failles très diversifiées qui engage pleinement la responsabilité des autorités publiques chargées d'assurer une bonne exécution de cette mission.

Dans ces conditions, les explications des dysfonctionnements de la chaîne des paiements fournies par les Gouvernements successifs peinent à convaincre.

Ils ont très fortement, quasi exclusivement même, mis l'accent sur les difficultés techniques rencontrées pour s'adapter à la nouvelle PAC, mettant en évidence les actions engagées pour les surmonter.

Dans cette rhétorique, l'équation corrections sur les aides surfaciques = incomplétude du registre parcellaire graphique a été constamment mise en avant comme candidate privilégiée pour expliquer les sanctions infligées à la France. La défense et illustration de notre réactivité par l'invocation du « plan FEAGA » dont l'élément central a consisté à actualiser ce registre parcellaire a été abondamment mobilisée.

De la même manière, la régionalisation de la gestion du second pilier de la PAC a pu être avancée comme une source de complexité supplémentaire.

La réalité paraît sensiblement plus nuancée.

La communication de la Cour des comptes est l'occasion de le rappeler puisqu'aussi bien elle relève que l'essentiel des refus d'apurement a concerné des gestions antérieures à la nouvelle PAC et également antérieures à la régionalisation du second pilier.

Si l'état déficient de notre registre parcellaire a certes été en cause, ce qui, au vu de la place du foncier dans notre histoire, et dans notre système fiscal, est difficilement acceptable, il n'est pas vrai qu'il s'agisse là du motif exclusif, ni même peut-être primordial, des corrections financières subies par la France.

Les insuffisances de notre appareil de gestion des paiements agricoles s'étendent bien au-delà, touchant les moyens d'instruction des aides et ceux dédiés aux contrôles, les systèmes informatiques, mais aussi, sans doute plus profondément, notre organisation et la configuration même de certaines dimensions de notre politique agricole.

La communication de la Cour des comptes le traduit à sa manière en recommandant à titre principal une réforme allant dans le sens d'une clarification des responsabilités et d'une simplification des dispositifs d'aide.

Vos rapporteurs spéciaux, qui souscrivent à ces recommandations, s'interrogent également sur les performances des systèmes de contrôle de la régularité des paiements, qu'il s'agisse de l'échelon national, où, comme le fait la Cour des comptes, l'on peut recommander une meilleure intégration de la supervision de la CCCOP au circuit des paiements, ou du niveau européen, où les ressorts des sanctions financières et les procédures semblent justifier des progrès de méthode.

A. REFUS D'APUREMENT ET RETARDS DE PAIEMENT, DES MOTIFS PLURIELS DONT L'ÉLUCIDATION DOIT PROGRESSER

En excluant, à ce stade, la responsabilité de la logique même de la supervision européenne, ce sont, au-delà des seuls problèmes posés par la cartographie des surfaces, les lacunes générales des systèmes de paiement mis en oeuvre qui sont en cause dans les punitions financières infligées à la France.

Il s'agit là de bien davantage que les difficultés (importantes) mais purement techniques résultant de dysfonctionnements des systèmes de données nécessaires à une bonne mise en oeuvre des paiements agricoles.

Ce qui est en jeu c'est la volonté politique d'assumer toutes les conséquences de nos obligations européennes.

1. Les refus d'apurement sont principalement motivés par des manquements au titre de la conformité

La plupart des corrections financières résultent des audits de conformité et non des procédures d'apurement comptable , mais celles-ci peuvent susciter des enquêtes de conformité coûteuses pour la France.

À l'exception de 2008 où un pic avait été atteint à 20 millions d'euros, l'apurement comptable ne donne généralement lieu qu'à de faibles corrections financières . Lorsqu'elles interviennent à ce titre, elles sont principalement dues à des dépassements des délais de recouvrement des sommes dues à la suite de procédures ayant établi l'irrégularité des paiements (voir supra pour quelques éléments d'appréciation de cette problématique).

Toutefois, l'année 2016 a occasionné un nouveau sommet de refus d'apurement résultant de l'apurement comptable avec un montant de corrections financières de 177,6 millions d'euros .

Ce nouveau record a été acquis dans un contexte de difficultés de paiement des aides de la campagne 2015 de la PAC.

Malgré un report de la date limite des paiements accordé par la Commission du 30 juin au 15 octobre 2016, à cette date, 174 millions d'euros d'aides n'avaient pu être versés.

Dans ces conditions, les paiements correspondants à ces sommes ont non seulement été suspendus mais encore ont fait l'objet d'une procédure de dégagement de la part de la Commission , aux effets particulièrement graves puisqu'à son issue elles peuvent être considérées comme définitivement perdues pour le budget national, sans nulle possibilité appréciable d'en contester la validité.

Corrections financières prononcées contre l'ensemble des organismes payeurs français au titre de l'apurement comptable (2003- 2015)

(en millions d'euros)

Source : rapport IGF-CGAAER La gestion des aides de la politique agricole par l'agence de paiement de services et de paiement

Même si les refus d'apurement comptable ne donnent généralement lieu qu'à de faibles corrections financières, les résultats de la procédure d'apurement comptable exercent une influence importante sur les enquêtes de conformité de la Commission européenne , qui, de leur côté, sont la source de la quasi-totalité des refus d'apurement essuyés par les pays européens, et par la France en particulier.

2. Les défaillances de l'infrastructure de gestion des paiements agricoles touchent toutes ses composantes, appelant à dépasser les seules explications techniques
a) L'identification des motifs des refus d'apurement doit être améliorée

L'identification des motifs des refus d'apurement européens ainsi que des responsabilités en jeu, qui devraient pouvoir être aisément accessibles au vu des graves défaillances observées, ne ressort pas avec toute la clarté nécessaire des analyses disponibles.

Les données publiées sur ce point se contentent d'identifier les grandes catégories d'aides concernées par les corrections financières et de présenter une étiologie très générale des corrections dans laquelle deux motifs principaux très abstraits sont mentionnés, les déficiences des contrôles et la mauvaise application des règles communautaires (voir le tableau ci-après).

Les infractions les plus lourdes d'enjeux financiers ont été concentrées sur les aides surfaciques, particulièrement au cours des années les plus récentes. C'est ce qui ressort du tableau ci-après présenté dans le rapport de la mission commune de l'IGF et du CGAAER.

Montant des corrections financières prononcées depuis 2010 sur le périmètre de l'ASP par type de mesure et d'infraction

(en millions d'euros)

Source : Mission, à partir des données MCFA (hors remboursements par la Commission et annulations de doubles comptes)

La mauvaise administration des aides surfaciques ressort comme responsable de 38,8 % des refus d'apurement.

Le deuxième motif par ordre d'importance réside dans les irrégularités de gestion des droits à paiement unique (DPU) et des droits à paiement de base (DPB) qui leur ont succédé dans la PAC en vigueur. Ce motif de corrections financières représente 27,6 % des corrections financières.

Ces deux difficultés sont responsables des deux tiers des pénalités financières , constat qui doit être pleinement pris en compte par les responsables de la chaîne de paiement appelés à entreprendre des efforts prioritaires sur ces deux grandes catégories de défaillances .

La gestion des aides animales (11,4 % des corrections financières) et celle des aides visant à compenser des handicaps naturels ou la mise en oeuvre de pratiques favorables à l'environnement (7,5 % des corrections financières) une fois ajoutées à ces deux premiers motifs de refus d'apurement ne laissent que 14,4 % des pénalités prononcées contre la France à d'autres motifs.

Ceux-ci sont quasi-exclusivement en lien avec le respect des principes de conditionnalité (10,1 % des sanctions), moitié-moitié pour défaut de contrôle et insuffisance de sanctions.

L'analyse proposée par le rapport de la mission commune demeure centrée sur les catégories d'intervention ayant fait l'objet de corrections plutôt que sur les motifs précis de celles-ci.

Ainsi, le regroupement sous la catégorie des déficiences du contrôle des infractions liées à la gestion des aides surfaciques mériterait d'être affiné afin de faire mieux ressortir les responsabilités respectives des déficiences du registre parcellaire graphique et des autres contrôles.

Le rapport relève que la mission de coordination des organismes payeurs des fonds agricoles (MCFA) qui a succédé à l'ACOFA tient un recensement de l'ensemble des corrections notifiées sur le périmètre de l'ASP depuis le 1 er janvier 2010 en dissociant les corrections liées à la mise en oeuvre des procédures ou au caractère lacunaire de ces procédures (dont la responsabilité relève plutôt de l'ASP), d'un côté, et, de l'autre, les corrections liées à la définition des règles nationales ou locales ou à des options structurantes (dont la responsabilité relève plutôt de l'État).

Cependant, il ressort de l'analyse des données ainsi traitées qu'elles ne permettent pas de circonscrire avec précision les ressorts des dysfonctionnements, même lorsqu'il ne s'agit que de leur dimension purement technique.

A fortiori, leurs causes profondes sont encore moins établies.

Une analyse et un suivi beaucoup plus systématiques des causes des corrections financières s'imposent. Ils doivent déboucher sur une publication non moins systématique des résultats acquis par ces travaux.

b) Les failles de l'infrastructure de gestion des paiements en touchent toutes les composantes

La communication gouvernementale sur les refus d'apurement a traditionnellement exposé les difficultés résultant de la mauvaise tenue du registre parcellaire graphique.

Ces difficultés, au demeurant mal prises en compte (voir infra ) ont certes été bien réelles. L'intervention de la directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises lors de l'audition pour suite à donner tenue par votre commission des finances en témoigne.

Par ailleurs, la présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes a pu estimer que les deux tiers des corrections financières un temps envisagées par la Commission européenne avaient pu être justifiées par ces problèmes.

Il reste que les irrégularités sanctionnées au titre de la conformité connaissent une diversité d'origines telle que d'autres motifs de correction financière doivent être évoqués.

Les fragilités de la chaîne de paiements semblent, en réalité, disséminées dans l'ensemble de l'infrastructure de gestion des aides.

La diversité des motifs des corrections financières supportées par la France ressort clairement des éléments de réponse apportés au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux relatif au projet de loi de finances pour 2018 reproduits en annexe au présent rapport. Par ailleurs, la consultation des rapports de la CCCOP confirme cet état de fait.

L'un des points de préoccupation majeurs réside dans la capacité des moyens mis en oeuvre à assurer les contrôles, et leurs suites, prescrits par la réglementation européenne, dont on a exposé plus haut la rigueur des exigences, mais aussi définis par les dispositions proprement nationales.

Cette interrogation porte tant sur les instruments informatiques (voir infra ) que sur les moyens dégagés pour assurer les contrôles et leurs suites.

Vos rapporteurs spéciaux ont eu l'occasion de s'interroger sur l'adéquation entre les moyens portés aux différents budgets agricoles ces dernières années et les obligations européennes pesant sur la France en matière de contrôle. L'ampleur des corrections financières prononcées contre notre pays pour défaut de contrôle, mais aussi les constats faits par vos rapporteurs spéciaux dans le champ particulier des contrôles de sécurité sanitaire avaient motivé leur scepticisme.

À la suite de ces observations, dernièrement, le rapport du comité « action publique 2022 » a pu évoquer dans le cas particuliers des contrôles sanitaires l'insuffisance des inspections mises en oeuvre par la France et les risques de toutes sortes en résultant, notamment au regard du respect de nos engagements européens.

La douteuse adéquation entre les moyens effectifs d'instruction et de contrôle des aides et les moyens dont il faudrait disposer est aggravée dans le domaine de la régularité des paiements des aides agricoles par la sophistication des dispositifs d'aides particulièrement mise en évidence par la communication de la Cour des comptes, mais également illustrée par le témoignage de Mme Lydie Bernard de Régions de France.

Cette sophistication, qui se traduit par des critères d'attribution aussi nombreux que difficiles à gérer, appelle une évaluation (voir infra ).

En l'état, en l'absence de simplification, la traduction budgétaire des obligations européennes appelle, au plus vite, un éclaircissement afin d'évaluer les coûts qu'impliquerait une mise à niveau des moyens de gestion des aides.

Il convient de ne pas négliger que ces coûts pourraient, s'ils permettaient de réduire les sanctions financières prononcées contre la France, se révéler globalement rentables.

3. Une mauvaise estimation chronique des conséquences opérationnelles des dysfonctionnements de la chaîne de paiement des aides agricoles

Les réponses apportées aux critiques des superviseurs européens ont été marquées par des tergiversations reflétant en partie des problèmes internes.

Le ministère de l'agriculture avait été saisi dès le mois de mai 2013 de griefs formulés par la Commission européenne relatifs au registre parcellaire graphique (RPG), soit la base de données regroupant les parcelles éligibles aux aides surfaciques de la PAC. L'ancienneté des ortho-photographies aériennes employées, l'absence de photo-interprétation des ortho-photographies mises à disposition des demandeurs pour établir leurs déclarations, l'absence d'utilisation des mises à jour du RPG dans ce dernier cadre étaient principalement en cause.

Si d'autres griefs avaient été formulés, l'élément qui présentait les plus forts enjeux financiers était la mise à niveau du RPG. En son absence, une correction financière de 3,5 milliards d'euros était encourue par la France, le mécanisme forfaitaire de calcul de la sanction financière devant alors reposer sur l'extrapolation d'un taux d'erreur constaté sur la base d'un échantillon à l'ensemble des aides surfaciques. À l'inverse, la présentation de garanties de qualité du RPG ouvrait la voie à l'établissement de sanctions financières fondées sur « l'erreur connue », susceptible d'entraîner de moindres corrections financières.

La communication de la Cour des comptes retrace le détail des réponses apportées par le ministère de l'agriculture aux demandes de la Commission. Il s'en dégage le constat d'une mise en oeuvre laborieuse des rectifications nécessaires, qui, malgré tout, ont supposé un très lourd travail de mise à jour. Les chiffres sont éloquents. 42 millions de surfaces ont été numérisés, les contours de six millions d'îlots ont été réexaminés et plus de 675 000 dossiers ont été révisés.

Cependant, selon la Cour des comptes, il a fallu plus de trois ans pour parvenir à ces résultats et ces délais ont été un facteur important dans le prononcé des corrections financières subies par la France, mais aussi dans les retards intervenus dans les paiements des campagnes de la PAC.

Le diagnostic de la Cour des comptes est, sur ce point, partagé par le rapport de la mission commune IGF-CGAAER, même si ce dernier évoque des contacts sur le RPG entre la France et la Commission européenne encore antérieurs à 2013 et remontant à 2011.

Le rapport de la mission apporte quelques précisions complémentaires qui tendent à mettre en jeu la responsabilité des lenteurs dans la prise de décision du ministère de l'agriculture, en particulier sur le point intéressant la désignation de l'organisme compétent pour conduire le chantier de la rénovation du RPG.

Manifestement, la désignation de ce qui était alors l'Institut géographique national (IGN) à ce titre a donné lieu à de vifs échanges entre le ministère et l'ASP. Le rapport de la mission commune va jusqu'à mentionner une « « rupture » des relations entre le MAAF et l'ASP sur la période de janvier 2016 à juin 2016 » indiquant que « les différends constatés sur cette période ont gravement nui au pilotage de l'instrumentation des outils informatiques ». Parmi ces différends, la question de la désignation de l'IGN comme opérateur de la rénovation du RPG est explicitement mentionnée.

Outre ces difficultés administratives, la qualité des prestations rendues par les titulaires des marchés passés par l'IGN est également mise en cause dans le rapport de la mission IGF-CGAAER.

Vos rapporteurs spéciaux avaient de leur côté exprimé leur scepticisme devant les insuffisances des provisions budgétaires inscrites dans différents projets de loi de finances initiale présentés au cours de la période de mise à niveau du RPG, s'interrogeant sur un éventuel excès d'optimisme sur les conditions de réalisation de celle-ci. De fait, les lois de finances rectificatives ont régulièrement dû constater l'insuffisance des moyens prévus, circonstance qui tend à donner tout leur poids aux observations des rapports de la Cour des comptes et de la mission commune.

4. Au-delà de la responsabilité des opérateurs, une responsabilité de gouvernance qu'il convient de mieux suivre

Du fait de l'imbrication des responsabilités de gestion, le partage des responsabilités dans les défaillances de la chaîne des paiements agricoles paraît difficile à établir.

La communication de la Cour des comptes mentionne une étude de la mission de coordination des organismes payeurs (MCFA) de l'ASP qui tend à attribuer au ministère de l'agriculture la responsabilité de 88,3 % des corrections définitives prononcées par la Commission européenne entre 2010 et 2016. Cette proportion correspond à 1,7 milliards d'euros de pénalités financières.

Le reliquat, soit 231,7 millions d'euros (11,7 %) des corrections serait dû à des erreurs de mise en oeuvre des procédures commises par l'ASP.

Cette étude rejoint les observations du rapport de la mission IGF-CGAAER, qui, elle-même, a pu rappeler les conclusions du rapport d'information de votre commission des finances sur les refus d'apurement des dépenses agricoles communautaires adopté en 2008 4 ( * ) .

Elles avaient fait ressortir la responsabilité primordiale de l'autorité définissant les modalités de gestion des aides (pour 86,2 % des corrections financières alors examinées), mais aussi la responsabilité de choix délibérés ne résultant pas seulement de négligences (dans 54,6 % des corrections) sur la base d'une analyse réalisée par l'Agence de coordination des fonds agricoles (ACOFA) pour les années 2004 à 2006.

Dans l'analyse proposée par la mission IGF-CGAAER, le tableau tenu par la MCFA fait apparaître une responsabilité du seul État pour 81,3 % du montant des corrections financières notifiées sur le périmètre de l'ASP depuis 2010. L'ASP serait, quant à elle, seule responsable de 7,1 % de ces corrections tandis que la responsabilité serait partagée pour 11,6 % du montant redressé .

Le rapport précise que le croisement du tableau avec le type de mesures et le type d'anomalies ayant donné lieu à corrections financières permet de constater que les responsabilités respectives de l'ASP et de l'État varient sensiblement selon le type d'aide.

Il ressort du rapport que :

- les corrections liées à la dotation aux jeunes agriculteurs et aux DPU/DPB résultent à plus de 65 % d'une mauvaise application des règles communautaires (application incorrecte de la réduction linéaire ou mauvaise application de la réserve nationale pour les DPU, etc.), et relèvent par conséquent de la responsabilité de l'État ;

- les corrections liées à une mauvaise détermination de la surface éligible, aux mesures ICHN et MAEC et à la conditionnalité résultent à plus de 80 % d'options structurantes dans la définition des contrôles ou des sanctions et relèvent par conséquent de la responsabilité de l'État ;

- les corrections relatives aux investissements et aides animales ne peuvent pas être aisément catégorisées et relèvent essentiellement d'une responsabilité partagée ;

- les corrections relatives aux prêts bonifiés résultent exclusivement de déficiences du contrôle de l'ASP.

Répartition des responsabilités des corrections financières
par type d'aide

Source : rapport IGF-CGAAER La gestion des aides de la politique agricole par l'agence de paiement de services et de paiement

Les analyses proposées par les auditeurs tendent à mettre en évidence les marges de progrès que pourrait mobiliser la MCFA dans le suivi des responsabilités des différents intervenants.

Le rapport de la mission IGF-CGAAER souligne quelques ambivalences du système de suivi des responsabilités.

Les ambivalences des analyses de la MCFA
selon le rapport de la mission IGF-CGAAER

La diversité des types de corrections et la complexité pour identifier des responsabilités sont illustrées par trois exemples :

- les déficiences techniques du RPG , notamment absence de photo-interprétation systématique, pour les campagnes 2008 à 2010 : la correction financière correspondante, d'un montant de 34,62 millions d'euros a été comptabilisée par la MCFA comme « liée à la mise en oeuvre des procédures ou au caractère lacunaire de ces procédures », c'est-à-dire relevant plutôt de la responsabilité de l'ASP . Pour autant, la qualité du RPG reposait non seulement sur l'ASP mais aussi sur l'IGN (pour l'actualisation régulière des ortho-photos) et sur les DDT (pour le travail de photointerprétation). La responsabilité des retards accumulés dans la mise à niveau du RPG ne reposait donc pas exclusivement sur l'ASP.

- les insuffisances des arrêtés préfectoraux pour définir les bosquets pour les campagnes 2008 à 2010 : la correction financière correspondante, d'un montant de 315,84 millions d'euros a été comptabilisée par la MCFA comme « liée à la définition des règles nationales ou locales ou à des options structurantes », c'est-à-dire relevant plutôt de la responsabilité de l'État . Le choix de recourir à des arrêtés préfectoraux, ainsi que le contrôle de la qualité de ces arrêtés, résulte exclusivement de l'État, ce qui justifie la classification opérée par la MCFA. Selon l'ASP, des alertes orales quant au risque de correction financière auraient été formulées auprès des services du MAAF. Toutefois, aucune alerte écrite n'aurait été émise par l'ASP ;

- l'enquête portant sur les mesures d'investissement entre les exercices financiers 2010 et 2013 : à la suite d'une mission d'audit en juin 2012, la Commission a identifié différentes faiblesses dans le contrôle des investissements financés par le FEADER (absence de mise en oeuvre d'un système d'évaluation des coûts ; application d'un mauvais taux d'aide publique ; absence de vérification de la fiabilité du demandeur ; absence de contrôle sur place avant paiement ; absence de calcul du montant des aides avant le contrôle, ce qui conduit à un taux d'erreur du contrôle administratif nul). Selon le tableau tenu par la MCFA, seul le dernier relève d'une option structurante et donc plutôt de la responsabilité de l'État, tandis que les quatre autres résultent plutôt d'un défaut de mise en oeuvre par l'ASP. L'imbrication de ces différents motifs dans le calcul du montant de la correction a poussé la MCFA à considérer que l'État et l'ASP étaient responsables chacun pour moitié de cette correction . Or, au regard des éléments justificatifs fournis par la Commission dans son courrier de notification finale, daté du 24 novembre 2015, il semblerait que la plus grande part de la correction, d'un montant total de 13,62 millions d'euros, relève plutôt de la responsabilité de l'ASP.

La communication de la Cour des comptes relève, de son côté, que la catégorisation des responsabilités n'a qu'une portée relative dès lors que les cas où les deux acteurs sont conjointement concernés ne sont pas pleinement pris en compte.

Vos rapporteurs spéciaux ne peuvent manquer de souscrire à cette observation, la situation décrite par la Cour des comptes d'une très grande confusion des rôles exercés par les différents intervenants y conduisant nécessairement d'un point de vue simplement factuel.

Il leur paraît nécessaire d'ajouter qu'en tout état de cause la responsabilité en cette matière échoit nécessairement au MAAFAR, qui est à la fois acteur de la chaîne de paiements et tuteur des organismes payeurs, mais aussi aux différents responsables politiques concourant au pilotage de la gestion des aides européennes.

L'ampleur considérable des corrections financières et de leurs effets sur les finances publiques ainsi que le retour chronique des dysfonctionnements constatés excluent tout à fait de n'y voir que les conséquences d'incidents inévitables de gestion.

B. LES CORRECTIONS FINANCIÈRES TÉMOIGNENT PAR PLUSIEURS ASPECTS D'UNE ORGANISATION PERFECTIBLE DE LA CHAÎNE DE PAIEMENTS AGRICOLES

1. Une distribution des rôles complexe marquée par des délégations en cascade qui aboutissent à une confusion des genres

La pluralité des acteurs composant l'infrastructure des paiements agricoles a suscité des problèmes de coordination qui restent à résoudre

La communication de la Cour des comptes, dans le droit fil des observations de la mission IGF-CGAAER, pointe l'existence d'une gouvernance « complexe » de la chaîne des paiements agricoles.

Sans même compter les intervenants de l'échelon européen, force est d'associer à la superposition d'à peu près tous les organes d'administration nationale imaginables la perspective de dysfonctionnements, plus ou moins sérieux selon la capacité dégagée pour assurer la coordination des intervenants.

Or, le pilotage d'ensemble paraît avoir été longtemps marqué par des défaillances, relevées tout particulièrement dans le rapport de la mission IGF-CGAAER.

La communication de la Cour des comptes met l'accent sur deux exigences de coordination insuffisamment prises en considération. La première porte sur la gestion des aides du premier pilier quand la seconde concerne les aides du deuxième pilier.

Pour les aides du premier pilier , la Cour des comptes identifie l'existence d'une relation triangulaire entre l'ASP, les services déconcentrés placés sous l'autorité hiérarchique du ministère de l'agriculture et le ministère de l'agriculture lui-même.

Pour les aides du second pilier, la situation se complexifie en raison de l'intervention d'un échelon supplémentaire, les Régions, de sorte que les modalités de gestion opérationnelle des aides sont encadrées par une convention tripartite entre l'État, l'ASP et les Régions qui précise les rôles respectifs de l'autorité de gestion (la région) de l'organisme payeur et du ministère de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (l'État), convention qui (voir infra ) appelle des compléments rapides.

L'essentiel est que prévaut une confusion des rôles au terme de laquelle les services instructeurs se trouvent in fine ceux qui réalisent les contrôles à l'issue de délégations en cascade.

La Cour des comptes en tire l'observation préoccupante que l'organisation des paiements conduit à « une dilution des responsabilités ne permettant pas à l'ASP d'assumer pleinement son rôle de supervision sur l'ensemble de la chaîne de paiement » . Cette conclusion repose en particulier sur le constat que l'agence n'a pas de véritable autorité hiérarchique sur les services (les DDT(M)) auxquels elle délègue l'instruction. La mission IGF-CGAAER ne concluait pas différemment et mettait en évidence une « gouvernance circulaire » de la gestion des dossiers relatifs aux aides de la PAC.

Or, cette situation, que la Cour des comptes suggère encore être de nature à conduire les services instructeurs à faire prévaloir la sensibilité propre du ministère de l'agriculture à des situations locales par rapport aux exigences de régularité stricte des paiements, présente un risque majeur au regard de la conformité du dispositif mis en oeuvre appréciée sous l'angle de la législation européenne.

Il entre en effet dans les conditions de l'agrément des organismes payeurs que ceux-ci puissent réaliser des contrôles sur pièces et sur place en toute indépendance.

Que la Cour des comptes puisse estimer que du fait de leur positionnement territorial, le niveau régional, et des délégations auxquelles elle est contrainte de recourir, l'ASP n'est pas en mesure d'apprécier la conformité des aides au plan réglementaire, n'est pas anodin.

Ces défaillances appellent des évolutions rapides (voir infra ).

Enfin, le contrôle de la conditionnalité est assuré par des « organismes spécialisés en matière de contrôle ».

Pour la France métropolitaine, ces organismes sont :

- pour les exigences réglementaires en matière de gestion (ERMG) relevant de l'environnement, les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ; pour les ERMG relevant du sous-domaine « santé - productions végétales », les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ; pour les ERMG relevant du bien-être des animaux et du sous-domaine « santé - productions animales », les directions départementales de la protection des populations (DDPP) ou les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) ;

- pour les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), l'ASP.

Ces organismes doivent procéder à des contrôles sur place portant sur au moins 1 % du nombre total de bénéficiaires. Cet échantillon est constitué, pour partie, sur la base d'une analyse des risques et, pour partie, de façon aléatoire.

Vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la distribution des responsabilités en matière de contrôle des conditions de conformité :

- la désignation de l'échelon régional des services déconcentrés paraît loin de s'imposer pour les ERMG qui en relèvent aujourd'hui.

- quant à la distribution des contrôles entre ASP et services territoriaux de l'État, il est difficile d'en suivre la logique.

De façon générale, l'action administrative appelle la définition la plus simple possible des responsabilités des organes d'administration afin de prévenir les doublons ou, au contraire, les failles, qui naissent de superpositions illisibles engendrant toutes les confusions.

Les confusions ainsi relevées trouvent un certain prolongement à un autre niveau de l'infrastructure des paiements agricoles, celui de l'autorité nationale de contrôle, la commission de certification des comptes des organismes payeurs (la CCCOP) - voir infra .

2. Plusieurs organismes payeurs

L'ASP est le principal organisme de paiement des aides de la politique agricole commune ce qui justifie l'attention portée à ses opérations par les travaux de contrôle exposés dans le présent rapport.

Cependant, l'agence n'est pas le seul organisme payeur des aides agricoles européennes.

FranceAgriMer intervient pour la gestion et le contrôle des mesures de marché (aides du FEAGA hors paiements directs). L'office de développement agricole et rural de la Corse (ODARC) règle les dépenses des programmes au titre du FEADER en Corse. Enfin, l'office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM) assure la plupart des paiements directs en outre-mer.

La superposition d'organismes payeurs, bien que régulée par l'attribution à l'ASP d'un rôle de coordination des organismes payeurs et pouvant être justifiée par un héritage administratif conférant aux organismes spécialisés une compétence particulière, suscite néanmoins une certaine perplexité.

Cette situation n'est toutefois pas propre à la France. Au niveau européen, selon le rapport de la Cour des comptes européenne consacré aux organismes de certification, il existerait, dans les 28 États membres, 80 organismes payeurs placés sous l'audit de 64 organismes de certification.

3. Des interventions difficiles à piloter
a) Une gamme étendue d'interventions résultant des choix de la France de mobiliser toute la palette des instruments offerts par la PAC et la multiplication des autorités de gestion.

Les aides ainsi payées se distribuent entre deux catégories principales, au sein desquelles il faut encore distinguer un assez grand nombre de types d'aides, dans un panorama d'ensemble marqué par l'existence d'une gamme étendue d'interventions spécialisées par objectif et administrées par des opérateurs différents .

La synthèse des aides versées par l'ASP (voir l'annexe n°1) fait ressortir le poids prépondérant des aides du premier pilier (7,1 milliards d'euros en 2015) mais également le volume très significatif des interventions réalisées au titre du second pilier consacré au développement régional (1,6 milliard d'euros).

En outre, une assez forte diversité des interventions ressort comme un fait marquant.

Pour le premier pilier , elle résulte du choix de la France de mobiliser les régimes d'aide facultatifs offerts par la nouvelle PAC applicable à partir de 2015, qu'il s'agisse du couplage des aides ou du paiement redistributif (selon des modalités susceptibles d'évoluer en fonction des contraintes financières du moment).

Le tableau ci-après illustre la complexification des interventions du premier pilier intervenue à l'occasion du passage à la nouvelle PAC, en lien avec les choix effectués par la France.

Évolution des aides du premier pilier de la PAC
à l'occasion de la réforme de 2015

Source : La gestion des aides de la politique agricole par l'agence de services et de paiement ; mission IGF- CGAAER ; Juillet 2017

En ce qui concerne le second pilier , la situation est analogue. Le règlement européen 1305/2013 a multiplié les mesures susceptibles de figurer dans les plans de développement rural, qui s'ordonnent principalement autour de 22 objectifs possibles allant du bien-être des animaux à la mise en place de groupements et d'organisation de producteurs.

Si la France s'est livrée à une rationalisation des choix envisageables, en privilégiant certains grands instruments, le cadre organisationnel retenu a ouvert la voie à une forte diversification des interventions.

Celle-ci résulte de la diversité des vecteurs d'aide mobilisés (malgré la rationalisation évoquée), mais aussi, et surtout, de la pluralité des acteurs concernés du fait de l'option levée par la France de confier aux régions la qualité d'autorité de gestion .

Même si, dans ce cadre plus nettement décentralisé, l'État demeure fortement prescripteur puisqu'il est responsable de la détermination des obligations d'aides imposées aux régions et qu'il continue de fixer les conditions, harmonisées avec le règlement européen, dans lesquelles ces aides sont versées, ce choix aboutit à une régionalisation des budgets consacrés au développement rural, qui s'est incarnée dans l'élaboration de 27 programmes de développement rural régionaux, exécutés par autant d'autorités de gestion.

La communication de la Cour des comptes relève que chacun des programmes de développement rural régional compte environ 1 000 pages et illustre la complexité résultant du dispositif pour les organismes gestionnaires et payeurs en indiquant que ceux-ci doivent prendre en compte 1 051 types d'opération.

b) Des volumes très importants d'opérations

Le montant des paiements à la charge des services payeurs fluctue selon le calendrier de la programmation financière de la PAC, mais se situe entre 8 et 9 milliards d'euros chaque année pour les seules interventions européennes.

La complexité de la mission de paiement des aides européennes résulte également de l'ampleur de la population des bénéficiaires, en lien avec la tradition agricole de la France.

Sur la base des extractions réalisées par l'Agence de Services et de Paiement (ASP) à partir de l'outil de gestion des aides surfaciques de la politique agricole commune (PAC), les données sur les dernières campagnes illustrent cette caractéristique.

Effectifs de bénéficiaires par dispositif d'aide

2011

2012

2013

2014

2015

Évolution

Aides découplées

348 677

344 625

340 366

334 787

334 851

baisse

Indemnité compensatoire de handicaps naturels

88 240

87 114

85 384

83 861

83 874

baisse

Prime herbagère agro-environnementale

52 584

51 372

47 696

-

-

sans objet

Mesures agri-environnementales

39 032

41 160

40 210

81 798

-

hausse

Mesures agriculture biologique

13 657

17 946

20 822

23 538

-

hausse

Aides vaches allaitantes

90 513

88 379

86 317

84 386

84 452

baisse

Aides ovines et caprines

27 136

26 672

25 955

25 353

25 656

baisse

Autres aides couplées

123 209

117 225

119 201

119 112

121 413

stable

Assurance récolte

63 742

65 493

65 450

63 469

64 810

stable

Source : réponse au questionnaire budgétaire 2018 des rapporteurs spéciaux

4. Des coûts de gestion peu maîtrisés qui appellent une clarification, nécessaire à leur réduction et qui doivent être pleinement pris en compte dans les choix publics

Le rapport de la Cour des comptes met en évidence les difficultés rencontrées pour identifier les coûts de gestion des paiements effectués dans le cadre de la PAC, mais aussi l'importance globale et la forte variabilité des coûts supportés au titre de chacun des dispositifs mobilisés.

À partir de ces constats, complétés par la prise en compte de la complexité du circuit de gestion des aides, la question de notre capacité à maîtriser les coûts administratifs de la PAC se trouve posée.

Le rapport de la Cour des comptes concède que celle-ci n'est pas parvenue à identifier avec une totale précision les coûts complets de la gestion de la PAC, les données disponibles sur ce point se trouvant difficiles à certifier au regard de leur complétude.

Néanmoins, quelques chiffres sont mentionnés, qui mettent en évidence les coûts de gestion supportés par le ministère et les organismes payeurs, la dynamique des dépenses informatiques de l'ASP et certains éléments concernant les charges de gestion des régions.

En ce qui concerne les coûts de gestion supportés par les organismes payeurs (État, ASP, FranceAgriMer et Odeadom), ils auraient totalisé 342,9 millions d'euros en 2016 , soit 3,5 % des transferts aux exploitants agricoles .

Ce chiffrage issu du ministère de l'Agriculture fait l'objet de quelques précisions, le ministère avançant des données différenciées selon la nature des interventions prises en charge.

Ainsi, le coût de gestion des aides de premier pilier est estimé à 226,3 millions d'euros rapportés à des aides totalisant 7,7 milliards d'euros (pour un coût de gestion de 2,72 % des aides) tandis que la charge administrative des aides du second pilier est relativement plus élevée à 5,80 %, mobilisant 116,6 millions d'euros pour un montant total d'aides nettement plus réduit, de 2,16 milliards d'euros.

La Cour des comptes relève toutefois, à juste titre, que les données accessibles ne sont pas exhaustives, certains coûts relevant de structures administratives non prises en compte n'étant pas inclus.

Vos rapporteurs spéciaux ajoutent que, même dans le périmètre du seul ministère de l'agriculture et de ses opérateurs, il est difficile de réconcilier les données avancées par le ministère pour évaluer les coûts de gestion de la PAC avec les données budgétaires annuelles.

À partir de celles-ci, en ne prenant en compte que les dépenses de fonctionnement courant (hors investissements) et en excluant les dépenses dédiées à la sécurité sanitaire des aliments (celles retracées par le programme 206 de la mission Agriculture), pour l'État, FAM et l'Odeadom, le total des dépenses budgétaires s'élève à un peu plus de 800 millions d'euros.

Ces dépenses représentent 2,3 fois les coûts identifiés par le ministère au titre de la gestion des aides de la PAC et suggèrent un poste implicite de dépenses courantes des organismes concernés hors gestion de la PAC de 458 millions d'euros, qui, compte tenu de l'ampleur relative des aides nationales, semble difficile à justifier, même si le ministère exerce d'autres missions que celle de pure gestion des aides agricoles.

Une première recommandation s'en déduit qui conduit à appeler l'attention du ministère de l'agriculture sur la nécessité de publier une information plus complète sur ses coûts de gestion en développant la publicité des éléments de sa comptabilité analytique.

Cette recommandation s'impose d'autant plus que plusieurs circonstances doivent être prises en compte.

En premier lieu, selon toute apparence, la gestion des différents dispositifs d'aide implique des coûts très variables, situation qui ne devrait pas être indifférente aux choix publics.

Les développements précédents basés sur les chiffres du ministère ont établi que le coût relatif des aides du premier pilier et des aides surfaciques du second pilier, pour être relativement élevé (et d'ailleurs varier fortement d'une année sur l'autre- voir infra ) est nettement inférieur au coût des aides non surfaciques du second pilier. La fourchette de coût pour 2018 (en prévision) est de plus du simple au double (le coût des aides du second pilier - hors aide à la surface - est 2,5 fois supérieur à celui des aides du premier pilier et des aides surfaciques du second pilier).

Que le coût de gestion des aides à la surface soit inférieur à celui d'autres dispositifs impliquant des traitements moins sériels (ce qui signifie moins de possibilités d'automatisation et de plus faibles économies d'échelle) n'a rien que de très intuitif. Néanmoins, une plus complète information sur les coûts associés aux dispositifs plus « qualitatifs » mis en oeuvre ne serait pas superflue. La complexité de la gestion ne devrait pas être ignorée au moment de la définition des politiques publiques pas plus que ne peut l'être le fait que l'importance relative des coûts d'administration d'une mesure est souvent le signe annonciateur d'une mauvaise administration de celle-ci (quand elle n'est pas la manifestation d'un choix contestable de politique publique). Étant donné l'ampleur de la liste des dispositifs mis en oeuvre dans le cadre du second pilier par la France, il convient de de disposer d'informations précises, nécessairement détaillées, sur les coûts de gestion associés à chacun de ceux-ci.

En second lieu, l'on ne saurait rester indifférent à la tendance de l'État à externaliser les coûts de gestion de ses interventions.

Ce processus concerne, en premier lieu, les exploitants agricoles eux-mêmes qui supportent une partie sans doute croissante des coûts de gestion des dispositifs d'aide. L'alourdissement de ces charges, qui s'inscrit dans un contexte de durcissement des réglementations et de renforcement des exigences de contrôle imposées aux bénéficiaires de certains dispositifs financés par des contributions financières directes payées par eux, semble résulter d'un affaiblissement des capacité des services de l'État à assurer le conseil aux agriculteurs.

Si ce phénomène appelle des nuances, la mobilisation des services extérieurs de l'État pour résoudre les difficultés liées aux insuffisances des documents surfaciques ayant pu être saluée par la profession, il est peu douteux qu'en dehors des épisodes de crise aigüe avec la mise en place de moyens exceptionnels, une certaine attrition de la fonction de conseil exercée au plus près du terrain inscrive une tendance regrettable.

La seconde grande forme d'externalisation s'est incarnée dans le transfert aux régions de la qualité d'autorité de gestion .

La communication de la Cour des comptes indique que l'estimation des surcoûts pour les régions de ce transfert, qui avait répondu à leur demande, n'a pu être obtenue.

Cependant, elle mentionne que les régions ont pu souligner l'accroissement des dépenses de personnel et d'informatique auquel elles ont eu à faire face depuis ce transfert. En ce qui concerne les effectifs, le nombre des emplois mobilisés pour assurer la gestion des aides européennes aurait doublé entre 2015 et 2017, passant de 172 ETP à 331 ETP. Or, les emplois transférés ou compensés n'auraient pas dépassé la trentaine. En ce qui concerne l'informatique, l'exemple de la région Auvergne-Rhône-Alpes paraît démontrer que les régions ont dû mettre en place des solutions palliatives afin de surmonter les dysfonctionnements de l'architecture informatique développée par l'ASP.

Autrement dit, les surcoûts supportés par les régions semblent avoir été le résultat d'une double défaillance de l'État, dans son accompagnement par les moyens humains délégués aux nouvelles autorités de gestion et dans les capacités de ses systèmes d'information.

Un affinement du bilan des transferts de charges ainsi subis par les régions mériterait d'être pleinement réalisé.

Il est souhaitable qu'il soit suffisamment détaillé et prospectif. La diversité des coûts de gestion des différents dispositifs d'intervention évoquée plus haut conduit à estimer souhaitable que les autorités de gestion disposent d'informations précises en ce domaine, leur permettant d'apprécier les implications financières des orientations qu'elles souhaitent privilégier. Par ailleurs, les besoins de mise à niveau de l'infrastructure de gestion des interventions agricoles conduisent à considérer les coûts historiques de gestion de celles-ci comme non représentatifs des enjeux financiers à venir.

Enfin, un problème doit être réglé, celui de la répartition des responsabilités opérationnelles, mais aussi financières en cas de sanctions, entre le niveau central et le niveau régional.

Ces deux problématiques sont à l'évidence totalement imbriquées de sorte que leurs issues respectives ne sauraient être indépendantes l'une de l'autre. En l'état des équilibres, il apparaît peu judicieux de faire peser sur les régions, qui demeurent sans autonomie opérationnelle, une responsabilité financière de premier niveau.

5. Des systèmes informatiques défaillants

La communication de la Cour des comptes met en évidence les défaillances des outils informatiques mobilisés dans le cadre des paiements agricoles. Elle rejoint en cela l'analyse très détaillée publiée par la mission IGF-CGAAER.

Les deux systèmes d'information mobilisés dans le cadre de la gestion des paiements, ISIS pour les soutiens accordés dans le cadre du SIGC, et OSIRIS pour les autres mesures (la plupart des aides versées par le FEADER) ont connu des défaillances, particulièrement aigües pour le programme OSIRIS.

Les tableaux ci-après en témoignent.

Analyse des performances du programme ISIS

Source : rapport de la mission commune IGF-CGAAER

Analyse des performances du programme OSIRIS

Source : rapport de la mission commune IGF-CGAAER

Sur 54 critères examinés pour chaque système et notés de 0 à 1 en fonction de la capacité des systèmes à les respecter (soit une note maximale de 54 et une moyenne à 27), plusieurs apparaissent si peu satisfaits qu'en 2016 ni l'un ni l'autre des programmes n'atteignait la moyenne.

Les insuffisances d'OSIRIS étaient particulièrement accusées, mais dans les deux cas, on pouvait relever des déficiences inquiétantes tant dans la conduite de projet qu'au regard de sa conception même. Si la situation paraît s'être améliorée en 2017 pour ISIS elle n'a que peu gagné en efficacité pour OSIRIS et demeure dans les deux cas trop éloignée du niveau d'excellence auquel il faut de conformer.

Il importe évidemment de remédier à ces déficiences.

Par ailleurs, une recherche effective des responsabilités s'impose. Celles-ci relèvent apparemment d'un dysfonctionnement interne à l'ASP, dont la direction des interventions rurales, agricoles et pêche (la DIRAP) a connu des moments difficiles et ne réunissait pas les compétences-clés lui permettant de conduire les projets informatiques. Si la DIRAP a été l'objet d'une réorganisation (une scission en deux entités spécialisées selon le type d'aides) et a conduit une action de recrutement destinée à élever le niveau des compétences nécessaires, il reste que les conditions d'accès à l'outil ISIS semblent encore trop restreintes pour permettre aux délégations régionales de l'ASP de disposer des informations indispensables à ses missions.

Au-delà, la responsabilité des prestataires de services informatiques dans les errements rencontrés, avec des livraisons plus tardives que prévu, mériterait certainement d'être suivie.

Le montant des dépenses informatiques de l'ASP, avec 48 millions d'euros en 2015 (dont 35,2 millions d'euros pour ISIS et 12,7 millions d'euros pour OSIRIS) représente une part élevée des charges totales de l'ASP. Ces dépenses ont beaucoup augmenté ces dernières années, connaissant une croissance de 46,3 % entre 2013 et 2015, en particulier du fait du programme OSIRIS (+ 75 %). L'exécution très heurtée des dotations provisionnées, qui font l'objet de rectifications systématiques, traduit pour la Cour des comptes « l'incapacité de l'ASP à avoir une visibilité précise sur ses coûts informatiques » . La croissance des coûts informatiques est également la résultante de la nécessité où l'ASP s'est trouvée de renforcer son expertise, en recourant à des prestataires extérieurs.

Dans la mesure où les investissements prévisionnels prévus à ce titre demeureront très importants (96,4 millions d'euros en cumulé entre 2019 et 2022), en raison du retard estimé à deux années pris dans le déploiement d'OSIRIS, il est nécessaire de prévenir les risques identifiés par la mission IGF-CGAAER et par la direction du budget d'un nouveau dérapage des dépenses d'informatique pouvant résulter d'une mauvaise anticipation des besoins.

Vos rapporteurs spéciaux y voient l'occasion de répéter leur recommandation visant à ce qu'un réalisme élémentaire ouvre la voie à la prise en compte en amont des effets financiers des changements organisationnels fréquents qui marquent les conditions de détermination et de versement des aides agricoles.

Mettre à niveau les programmes informatiques utilisés pour instrumenter les paiements, en tenant les coûts et, à cet effet développer la capacité d'expertise du donneur d'ordre face à des prestataires de service dont les responsabilités dans les difficultés rencontrées doivent être recherchées.

C. AMÉLIORER LE THERMOMÈTRE ?

Ainsi qu'on l'a indiqué en ouverture du présent rapport, le contrôle des paiements réalisés par les États membres est justiciable d'un système d'audits à deux lames, nationale et européenne.

1. L'audit interne et le rôle de la commission de certification des comptes des organismes payeurs des dépenses financées par les fonds européens agricoles (CCCOP) suscitent des interrogations diverses

Les organismes de certification, en France la CCCOP 5 ( * ) , exercent un rôle d'auditeur indépendant des organismes payeurs.

Ils délivrent un certificat par lequel ils déclarent les comptes de l'OP fidèles, complets et exacts après avoir mis en oeuvre des normes d'audit internationalement reconnues.

Cette mission initiale a été élargie .

Depuis 2015, ils doivent, en outre, exprimer une opinion sur la légalité et la régularité des dépenses dont le remboursement est demandé à la Commission par l'État membre. Cette opinion doit s'inscrire dans le cadre de normes d'audit internationalement reconnues. Elle doit faire mention des doutes pouvant accompagner les affirmations figurant dans la déclaration de gestion.

L'organisme de certification (OC) peut être public ou privé, mais il doit être indépendant de l'organisme de paiement (OP) et de l'autorité qui a agréé ce dernier. Il doit également disposer des moyens nécessaires à l'exercice complet de ses compétences .

L'organisme de certification s'appuie pour sa mission sur des travaux d'audit qu'il réalise pour chaque exercice budgétaire en vertu des principes et des méthodes définis par le du règlement d'exécution (UE) n° 908/2014 et des lignes directrices suivante élaborées par la Commission : ligne n°1 sur l'agrément des OP ; ligne n°2 sur la certification annuelle ; ligne n°3 sur le rapport et l'avis sur la certification.

D'un point de vue administratif, l'organisme de certification français semble pouvoir justifier de quelques améliorations .

La CCCOP suit l'organisation suivante avec :

- une commission délibérante de cinq membres qui assure la fonction de comité d'audit (examen et approbation de la stratégie d'audit pour les travaux de l'exercice), examine les constats des rapports provisoires, procède à l'audition des organismes payeurs, des représentants des ministères du Budget et de l'Agriculture, pour examiner leurs observations sur ces rapports provisoires avant la production des rapports finaux et des avis associés ;

- un service d'audit qui assure la production des rapports et des avis, sous l'autorité de la Présidente de la CCCOP qui est donc à la fois le chef de service et le président de la Commission délibérante.

La CCCOP manque de moyens humains.

Ses effectifs, chargés de vérifier des opérations caractérisées par un volume et une diversité considérables (voir infra ) se partagent entre des rapporteurs et des auditeurs en cinq équipes de contrôle spécialisées par OP de la manière suivante :

- 4 rapporteurs spéciaux : 1 pour l'ASP FEAGA, 1 pour l'ASP FEADER, 1 pour l'ODEADOM, 1 qui cumule la supervision de FranceAgrimer (FAM) et de l'ODARC ;

- 14 auditeurs : 3 pour l'ASP FEAGA, 3,5 pour l'ASP FEADER, 2 pour l'ODARC, 2 pour l'ODEADOM et 3 pour FAM.

Ce déficit de moyens pose problème au regard des règles européennes et va jusqu'à exercer des effets particulièrement regrettables puisque la CCCOP est conduite, par convention, à déléguer à l'ASP, sur laquelle elle est censée exercer un contrôle indépendant, la réalisation des revérifications sur place dans le domaine SIGC.

Dans le domaine hors SIGC, la CCCOP réalise elle-même ces revérifications ou bien les fait réaliser par la mission de contrôle des opérations dans le secteur agricole (COSA ) du contrôle général économique et financier (CGEFi).

Cette délégation, qui fut un temps acceptée par la Commission européenne sous des réserves tenant en particulier au financement des opérations de contrôle déléguées (mis à la charge du ministère du budget) et à la personnalité du contrôleur délégué (qui ne pouvait avoir exercé le contrôle de premier niveau), n'est semble-t-il plus admise par elle.

Cette position n'est qu'une des illustrations de la pression d'audit qu'exercent les institutions européennes sur la CCCOP, dans un contexte marqué par l'extension des attributions des organismes nationaux de contrôle dans l'infrastructure de protection des intérêts financiers de l'Union européenne.

La CCCOP a ainsi fait l'objet ces dernières années de plusieurs observations de la part de la Commission européenne, que ce soit dans les lettres d'apurement annuelles que celle-ci adresse aux États membres ou à l'occasion d'audits de conformité particuliers qu'elle met en oeuvre.

Comme l'encadré ci-dessous le montre à partir des informations transmises par la présidente de la commission à vos rapporteurs spéciaux, un certain nombre d'adaptations sont intervenues, ou le devraient, à la suite des observations de la Commission.

Les observations de la Commission européenne intéressant
les activités de la CCCOP et les adaptations consécutives

I. Les observations des lettres d'apurement 2016

FAM :

- Rappel de la recommandation sur l'extension des compétences lors des revérifications vers des possibilités de contrôle identiques à celles de l'organisme payeur et, notamment, de contrôles chez le fournisseur. Cette extension nécessiterait a minima une modification du décret de 2007 n °2007-805 du 11 mai 2007 qui régit actuellement la commission.

- Remarques de méthode : examiner à part les opérations dont le montant excède le seuil de signification (2%) ou le pas de tirage.

ODARC :

- Observation sur l'échantillonnage. Compte-tenu du petit nombre de paiements, le passage aux règles applicables aux petites populations et le fait que la quasi-totalité des paiements devraient être soumis au régime hors-SIGC, il aurait fallu retenir un taux d'erreur de 25% et non de 20%.

- Soutien de la demande faite de communication d'un rapport d'audit interne DGFiP sur la Paierie de Corse.

ODEADOM :

- Absence de justification de la décision de retenir un risque inhérent faible alors que les paiements comportaient des mesures SIGC. Demande de retenir un risque inhérent élevé à l'avenir. Demande satisfaite en 2017.

- Remarques de méthode : examiner à part les opérations dont le montant excède le seuil de signification (2%) ou le pas de tirage.

ASP

- Réalisation trop tardive des revérifications mais prise en compte du fait que les contrôles sur place de l'OP avaient été eux-mêmes réalisés avec un retard important (été 2016 pour campagne 2015) ;

- Complétude du suivi de l'enquête AA/2016/011 : précision demandée sur la prise en compte de toutes les recommandations par l'OP ;

Traitement des erreurs financières détectées lors de contrôles sur place réalisés au titre de l'exercice précédent mais correspondant à des opérations payées l'exercice suivant. Dans ce cas, l'erreur n'est pas extrapolée mais il faut vérifier les suites données par l'OP.

II. Les enquêtes de conformité récentes

Quelques thématiques transversales se dégagent concernant la stratégie d'audit et les revérifications en particulier dans le cadre des délégations aux organismes payeurs. Sur ces dernières, cinq recommandations :

- Tous fonds : assurer une supervision régulière des travaux de l'OP ; participer comme observateur aux missions d'apurement de la DG Agri.

- ASP- FEAGA : vérifier si les règles et procédures de l'OP sont conformes avec la règlementation applicable avant de les utiliser comme standards pour les revérifications sur place. Cette recommandation semble déjà prise en compte dans les travaux de conformité et les tests de validation menés par l'organisme de certification en 2015. Concernant les revérifications, la CCCOP applique d'ores et déjà une grille de revérification conforme à la réglementation européenne et qui diffère des procédures d'inspection de l'OP.

- ASP- FEAGA et FEADER SIGC : disposer d'un accès direct au RPG pour assurer les revérifications par télédétection

- ASP- FEADER hors SIGC : inclure la vérification de l'instruction administrative dans le test de revérification ; indiquer l'absence de dossier ou de fiche d'instruction. Pour la revérification des marchés, prévoir le respect des délais, les critères de classement des offres, la justification de la décision d'attribution. Baser les revérifications sur les documents (PDR) approuvés par la Commission. Établir une liste des critères d'éligibilité.

Enquête FAM (LAR/2016/002/FR) :

- Recommandation relative à la maîtrise de l'échantillon : : « L'organisme de certification doit veiller à ce que la délégation des opérations techniques de vérification sur place n'influe pas sur les opérations d'échantillonnage et de sélection des contrôles devant faire l'objet d'une revérification ».

- Suite donnée : la sélection des dossiers faisant l'objet de revérifications est assurée par les auditeurs de la CCCOP. Ce faisant, la CCCOP répond à la préconisation exprimée par la Commission en conclusion de cette enquête à propos de l'échantillonnage des revérifications.

- Recommandation sur le suivi des constats : « Les documents de travail utilisés intégrant les conclusions de l'organisme en charge des revérifications sur le terrain devraient faire apparaître les éléments pris en compte par l'organisme de certification, en cas de divergence entre ces conclusions et celles de l'organisme de certification ».

Suite donnée : la CCCOP a également pris en compte la recommandation relative au suivi des constats de revérifications dans le dossier d'audit.

- Rendre compte de manière exhaustive du suivi des enquêtes communautaires en cours et, le cas échéant, des recommandations associées. Une enquête avait été omise.

- Disposer des mêmes pouvoirs que les revérificateurs, notamment auprès des fournisseurs.

Enquête ODEADOM (LAR/2017/011)

- Stratégie d'audit conforme ;

- En cas de paiement partagé avec CIOM, ne pas inclure dans l'échantillon de contrôle ;

- Remplacer quatre dossiers sélectionnés pour revérification et finalement non payés par quatre autres ;

- En cas d'accompagnement de contrôle de second niveau (au lieu et place d'une revérification pour ne pas accroître la pression de contrôle), le contrôle doit être sélectionné par l'OC et non par l'OP ;

- Pour les organisations de producteurs, étendre les travaux de revérification aux critères d'agrément de l'organisation de producteurs ;

- Amélioration de la documentation du dossier d'audit : établir un procès-verbal des séances de la CCCOP délibérante lorsqu'elle approuve le MSA, expliquer les modifications du MSA soit dans un document annexé, soit dans le rapport d'audit, formaliser une évaluation des travaux réalisés par le délégataire des revérifications.

Au-delà des adaptations demeurant à mettre en oeuvre pour assurer la conformité des travaux de la CCCOP avec les obligations européennes de la France, il convient de mieux prendre en considération les travaux de contrôle qu'elle réalise afin de corriger le plus en amont possible les dysfonctionnements de la chaîne des paiements agricoles.

C'est à une meilleure articulation entre les analyses de la CCCOP et les orientations des opérateurs de paiement qu'il faut aboutir.

2. Le processus européen d'apurement pose problème

Le processus d'apurement européen suscite une réelle perplexité du fait des délais qu'il suppose et des méthodes sur lesquelles il est fondé.

Lors de son audition devant votre commission des finances, le 21 juin dernier, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a pu indiquer que « concernant l'évolution du montant de la correction sur les soutiens couplés, d'un refus d'apurement initialement annoncé de 1 milliard d'euros par campagne, soit l'intégralité des aides versées au titre des campagnes 2015 et 2016, la Commission européenne a réduit sa proposition de correction à 34,7 millions d'euros pour ces deux campagnes » .

Chargée de protéger les intérêts financiers de la Communauté, la Commission vérifie la sincérité des comptes des organismes payeurs et la conformité à la réglementation européenne des aides versées aux bénéficiaires finaux.

En cas d'irrégularités, la Commission procède à une réfaction sur les remboursements qu'elle octroie aux États membres, le « refus d'apurement ».

Ces refus d'apurement s'analysent donc comme la sanction de contrôles insuffisants ou de paiements irréguliers.

Ils résultent, soit d'un refus de certification des comptes (apurement comptable), soit de la constatation d'irrégularités dans le paiement des dépenses agricoles communautaires (apurement de conformité) .

La procédure de l'apurement comptable consiste à vérifier que les comptes annuels des organismes payeurs sont bien tenus et que les procédures internes de contrôle ont été mises en oeuvre de façon satisfaisante. Elle se déroule dans les conditions résumées dans l'encadré ci-après.

La procédure de l'apurement comptable comporte des vérifications variées au premier rang desquelles le respect des délais de paiement des aides

L'exercice financier agricole couvre les dépenses encourues et les recettes perçues et inscrites dans la comptabilité budgétaire des fonds par les organismes payeurs pour l'exercice financier « N » commençant le 16 octobre de l'année « N-1 » et se terminant le 15 octobre de l'année « N ».

Avant le 30 avril qui suit la fin de l'exercice financier, la Commission communique à l'État membre les résultats de ses vérifications. Avant le 31 mai, la Commission prend une décision sur l'apurement comptable des organismes payeurs agréés. Le cas échéant, en cas d'erreur significative, la Commission notifie un refus d'apurement et ouvre une procédure d'audit de conformité .

La décision d'apurement des comptes couvre l'exhaustivité, l'exactitude et la véracité des comptes annuels soumis.

Elle s'appuie sur les éléments suivants : les déclarations de dépenses , qui valent également demande de paiement, signées par l'organisme payeur agréé ou par l'organisme de coordination agréé, accompagnées des renseignements requis ; les états prévisionnels de leurs besoins financiers , pour ce qui concerne le FEAGA et, pour ce qui concerne le FEADER, l'actualisation des prévisions des déclarations de dépenses qui seront présentées au cours de l'année et les prévisions des déclarations de dépenses pour l'exercice budgétaire suivant ; la déclaration de gestion et les comptes annuels des organismes payeurs agréés, accompagnés de l'avis de l'organisme de certification ; une synthèse annuelle des résultats de tous les audits et contrôles disponibles effectués conformément au calendrier établi et aux modalités fixées dans les règles sectorielles spécifiques.

La Commission peut décider de réductions et suspensions qui peuvent être motivées par :

- des dépenses effectuées par des organismes payeurs non agréés ;

- des délais de paiement non respectés ;

- des plafonds financiers non respectés ;

- des dépenses qui, d'une manière ou d'une autre, n'ont pas été effectuées conformément aux règles de l'Union.

En particulier, le non-respect des délais de paiement fixés par le droit de l'Union constitue donc un motif de refus d'apurement comptable . Les dates de paiement aux bénéficiaires sont en effet encadrées :

- les aides directes du premier pilier , qui sont toutes incluses dans le SIGC, doivent être payées entre le 1er décembre et le 30 juin de l'année civile suivante. Des avances peuvent néanmoins être versées entre le 16 octobre et le 1er décembre ;

- à compter de l'année de demande 2018 , les aides versées au titre du second pilier et incluses dans le SIGC devront respecter les mêmes dates de paiement que les aides directes du premier pilier (le mécanisme des avances peut néanmoins d'ores et déjà être mis en oeuvre) ;

- les dates de paiement des autres aides du second pilier ne sont pas encadrées.

Toutefois, un dégagement d'office est effectué lorsqu'un engagement budgétaire, pour une aide au développement rural, ne donne pas lieu à un paiement avant le 31 décembre de la troisième année suivant celle de l'engagement.

Lorsque les dépenses effectuées avec retard représentent jusqu'à concurrence de 5 % des dépenses effectuées en respectant les délais, aucune réduction des paiements mensuels n'est à appliquer.

Lorsque des dépenses effectuées avec retard dépassent la marge de 5 %, toute dépense supplémentaire effectuée avec retard est réduite selon les modalités suivantes :

- les dépenses effectuées au cours du premier mois suivant celui où l'échéance de paiement a expiré sont réduites de 10 % ;

- les dépenses effectuées au cours du deuxième mois suivant celui où l'échéance de paiement a expiré sont réduites de 25 % ;

- les dépenses effectuées au cours du troisième mois suivant celui où l'échéance de paiement a expiré sont réduites de 45 % ;

- les dépenses effectuées au cours du quatrième mois suivant celui où l'échéance de paiement a expiré sont réduites de 70 % ;

- les dépenses effectuées au-delà du quatrième mois suivant celui où l'échéance de paiement a expiré sont réduites de 100 %.

La Commission peut toutefois appliquer un échelonnement différent et/ou des taux de réductions inférieurs ou nuls « si des conditions particulières de gestion se présentent pour certaines mesures, ou si des justifications fondées sont apportées par les États membres ».

De son côté, la méthodologie employée pour déterminer le montant des corrections financières hors apurement comptable, présentée dans l'encadré ci-dessous, tend à aboutir à des sanctions forfaitaires calculée à partir de taux élevés par extrapolation de constats sur des échantillons limités, ce qui n'est guère satisfaisant.

On doit souligner la variété des méthodes employées selon la capacité de la Commission à identifier ponctuellement des non-conformités.

Des refus de financement qui s'appuient sur des observations,
mais aussi sur des données calculées

Trois principaux cas de figure peuvent se présenter.

1°) La Commission fonde l'exclusion sur la mise en évidence des montants indûment dépensés uniquement si ceux-ci peuvent être déterminés en déployant des efforts proportionnés .

Lorsque la Commission ne peut déterminer les montants indûment dépensés dans ces conditions, les États membres peuvent soumettre des données relatives à la vérification de ces montants sur la base d'un examen des différents cas potentiellement concernés par la non-conformité. La vérification couvre l'ensemble des dépenses effectuées en violation de la législation applicable et imputées au budget de l'Union ;

2°) Lorsque les montants indûment dépensés ne peuvent être mis en évidence directement, la Commission peut déterminer les montants à exclure en appliquant des « corrections extrapolées » . Pour permettre à la Commission de déterminer les montants correspondants, les États membres peuvent soumettre un calcul du montant à exclure du financement de l'Union en extrapolant par des moyens statistiques les résultats des contrôles effectués sur un échantillon représentatif de ces cas. L'échantillon est prélevé dans le groupe dans lequel la non-conformité constatée peut raisonnablement se produire. En pratique, les États membres peuvent s'appuyer sur les statistiques de contrôle de l'organisme payeur, confirmées par l'organisme de certification ou bien sur l'évaluation du niveau d'erreur effectuée par l'organisme de certification dans le cadre de son audit ;

3°) Lorsque les montants ne peuvent pas être chiffrés d'une manière suffisamment fiable sur la base d'un échantillon statistique représentatif, la Commission applique des « corrections forfaitaires appropriées » , en tenant compte de la nature et de la gravité de l'infraction et de sa propre estimation du risque de préjudice financier pour l'Union. Le niveau de correction forfaitaire est établi en tenant compte notamment du type de non-conformité constaté .

En application de l'article 35 du règlement délégué 908/2014, la Commission peut décider de ne pas ouvrir ou de ne pas poursuivre une enquête d'apurement de conformité lorsque l'une des deux conditions suivantes est remplie :

- l'éventuelle correction financière n'excède pas 50 000 € et n'excède pas 2 % des dépenses concernées ou des montants à recouvrer ;

- les dépenses considérées font déjà l'objet d'une procédure de refus d'apurement comptable.

Les estimations des taux d'erreur et le barème des sanctions combinent des approximations du fait du cumul de calculs de probabilités et d'extrapolation peu rigoureux.

Lorsqu'elle considère, à la suite de ses propres audits, que des dépenses relevant du FEAGA et du FEADER n'ont pas été effectuées conformément au droit de l'Union, la Commission adopte des actes d'exécution déterminant les montants à exclure du financement de l'Union.

Ces refus de financement, qui ne peuvent porter, sauf exceptions, sur des dépenses effectuées plus de 24 mois auparavant, sont évalués au vu, notamment, de l'importante de la non-conformité constatée, la Commission, en application du principe de proportionnalité, tenant compte de la nature de l'infraction , ainsi que du préjudice financier causé à l'Union européenne.

Néanmoins, la durée effective de la procédure, une fois prises en compte l'ensemble des voies de recours, peut conduire à des corrections financières portant sur des exercices éloignés dans le temps et à une concentration des corrections financières sur un exercice donné. Tel fut le cas en 2015, ainsi qu'on l'a exposé.

Il n'est dans ces conditions que juste que le règlement des apurements communautaires puisse être étalé dans le temps.

TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 10 octobre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'Agence de services et de paiement.

M. Vincent Éblé , président . - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'Agence de services et de paiement (ASP).

Le sujet qui nous réunit peut paraître technique, mais il est essentiel pour notre agriculture. L'an passé, de nombreux agriculteurs ont souffert de retards de versements très importants, qui mettaient des exploitations en grande difficulté. Le ministre de l'agriculture s'est depuis engagé à résorber ces retards, et à revenir à un calendrier normal. Toutefois, il est important de pouvoir tirer des enseignements de ce qui s'est passé et de mieux comprendre pourquoi le calendrier de paiement des aides agricoles a pu subir de tels dysfonctionnements.

C'est pourquoi notre commission des finances a souhaité demander à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur ce sujet. Nous recevons ainsi Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions des travaux menés. Pour nous éclairer sur le sujet, sont également présents aujourd'hui M. Stéphane Le Moing, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement, Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, et Mme Lydie Bernard, membre de la commission agriculture, alimentation et forêt de Régions de France.

Après avoir entendu la présidente Catherine de Kersauson, Alain Houpert, rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'il tire de cette enquête. Il posera également ses premières questions aux différentes personnes entendues ce matin.

Mme Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes . - Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui le résultat d'une enquête de la deuxième chambre de la Cour des comptes sur la chaîne des paiements agricoles effectuée à la demande de votre commission. Je suis accompagnée du rapporteur, Sébastien Lepers, de Didier Guédon, conseiller-maître, président de section à la Cour des comptes, qui a assuré le contre-rapport dans ce dossier, Stéphanie Bigas et Claire Aldigé qui ont apporté leur contribution et ont quitté la Cour à la fin de l'année 2017.

Il est important de souligner tout d'abord que le périmètre de l'enquête avait été défini avec MM les rapporteurs spéciaux, Alain Houpert et Yannick Botrel, et portait sur l'organisation de la chaîne de paiement des aides agricoles versées par l'ASP et les refus d'apurement. Le plan de ce rapport ne traite pas successivement de ces trois sujets. Il nous a en effet semblé plus éclairant de montrer comment les difficultés observées dans le paiement de ces aides au cours de la période examinée, marquée par des refus d'apurement et par d'importants retards de paiement, trouvaient notamment leur origine dans l'organisation et le fonctionnement de la chaîne de paiement des aides agricoles relevant non seulement de la responsabilité de l'Agence de services et de paiement, mais aussi du ministère de l'agriculture.

L'instruction a eu lieu au cours de l'année 2017 auprès de l'Agence et du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Outre les services centraux, des entretiens territoriaux ont été conduits avec les services des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie, avec les délégations régionales de l'ASP et les services déconcentrés du ministère de l'agriculture à Lyon et à Nîmes. Elle s'est également appuyée sur les travaux de l'inspection générale des finances et du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur les dépenses informatiques de l'ASP.

La contradiction écrite menée avec l'ASP, le ministère de l'agriculture et la direction du budget a été complétée par l'audition en mars 2018 de leurs représentants, ainsi que celle du président de Régions de France. Après avoir été délibéré par la deuxième chambre puis examiné par le comité du rapport public et des programmes, le rapport vous a été adressé, monsieur le président, par le Premier président de la Cour des comptes le 18 juin 2018. Ce rapport intervient à un moment utile dans la perspective de la future politique agricole commune (PAC) dont on a vu les prémices en mai dernier.

Enfin, j'insiste sur l'importance des aides agricoles européennes, qui représentent un enjeu majeur pour l'agriculture, mais aussi financier, car la France est le premier bénéficiaire des aides de la PAC. Pour la programmation 2014-2020, les aides agricoles destinées à la France s'élèvent, d'une part, à 52,3 milliards d'euros, soit environ 7,5 milliards d'euros par an au titre du Fonds européen agricole de garantie (Feaga) - premier pilier - qui finance, entre autres, les paiements directs aux agriculteurs et les mesures de soutien aux marchés agricoles, et, d'autre part, à 11,4 milliards d'euros, soit environ 1,6 milliard d'euros par an au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) - second pilier - qui contribue au programme de développement rural.

Il s'agit également d'un enjeu de bonne gestion compte tenu des risques financiers encourus et des coûts de gestion à supporter.

À ce titre, les premières années de cette programmation ont été marquées par deux difficultés majeures : d'importantes corrections financières ont été notifiées en 2015 à la France par la Commission européenne ; des retards ont affecté certains des paiements des aides directes surfaciques du premier pilier, mais plus encore du second pilier, dont ont pâti les agriculteurs.

On comprend dès lors que votre assemblée se penche sur les raisons qui ont conduit à cette situation en s'intéressant à la chaîne de paiement des aides agricoles.

J'en viens aux trois principaux messages du rapport.

Tout d'abord, des refus d'apurement coûteux pour le budget de l'État, résultent principalement de problèmes de conformité. Avec 2,35 milliards d'euros entre 2007 et 2016, la France est l'État membre qui a enregistré le montant le plus élevé de corrections financières à la suite d'apurement. Ces corrections sont compensées par l'État aux organismes payeurs et pèsent donc sur le budget général. Ainsi, l'exécution du budget de l'agriculture pour les exercices 2015, 2016 et 2017 a été fortement affectée, faute d'inscription des crédits nécessaires en loi de finances initiale, contrairement aux recommandations de la Cour. Cette sous-budgétisation faisait partie des éléments d'« insincérité » soulignés par la Cour dans son audit des finances publiques de juin 2017.

Ces refus d'apurement sont la conséquence de l'inadaptation de la réglementation française et de l'insuffisance des contrôles. Si les responsabilités fonctionnelles liées aux apurements de conformité sont difficiles à établir, il n'en demeure pas moins qu'elles reposent sur le ministère de l'agriculture et de l'alimentation du fait de son rôle dans l'établissement des règles et l'organisation de la chaîne de paiement.

Pour ce qui est des responsabilités juridiques respectives des régions et de l'État, elles n'ont pas encore été formalisées. Les régions, autorités de gestion, sont, selon la loi, responsables des corrections financières, mais demandent à aménager cette règle compte tenu des compétences étendues que conserve l'État.

Les défaillances du registre parcellaire graphique, sur la base duquel repose le calcul des aides surfaciques, sont à l'origine des refus d'apurement massifs. En effet, l'obsolescence de ce registre explique les deux tiers des 3,5 milliards d'euros de refus d'apurement que la Commission envisageait initialement de notifier à la France fin 2014. Finalement, ce montant a été ramené à 1,08 milliards d'euros, selon la décision ad hoc 47, du 7 janvier 2015, et ce après la mise en oeuvre par l'État d'un plan coûteux.

La nécessité de refonte totale du registre parcellaire graphique a ensuite contribué aux retards de paiement des aides surfaciques du Feaga et d'une grande partie des aides du Feader, et ce pendant plus d'un an. Ces retards de paiement ont beaucoup pesé sur les agriculteurs en 2015 et 2016, et leurs conséquences se sont poursuivies en 2017. Ce sont en particulier les aides relatives à campagne de la PAC 2015, payables sur 2016, qui ont dû être reportées en partie en 2017. Les paiements agricoles ont ainsi baissé de 13 % entre 2015 et 2016, l'écart de 1,2 milliard d'euros touchant moins le Feaga - 449 millions d'euros - que le Feader - 757 millions d'euros -, car la priorité avait été donnée aux paiements des aides du Feaga, soumises à une date limite de paiement dont le non-respect est sanctionné par des corrections financières.

Les retards de paiement observés sur le Feader ont été d'autant plus sensibles qu'ils concernaient des aides dont la gestion a été transférée aux régions, mais aussi des aides symbolisant les nouvelles orientations de la PAC comme les mesures agroenvironnementales et climatiques, les Maec, et l'agriculture biologique. Ces retards ont pesé sur des exploitations fragilisées, nécessitant la mise en place de dispositifs transitoires avec l'apport de trésorerie remboursable.

Ils ont également conduit à adapter les outils informatiques, dont les fonctionnalités dégradées sont susceptibles d'avoir un impact sur de futurs refus d'apurement. Ils ont aussi eu pour effet de désorganiser les contrôles sur place, augmentant les risques de corrections financières. Ainsi, si l'Agence de services et de paiement devrait avoir résorbé à la fin de l'année 2018 tous ses retards de paiement, des risques de refus d'apurement subsistent sur les campagnes 2015 et 2016. Afin de maîtriser ces risques, la Cour préconise un suivi plus fin des refus d'apurement et un plan d'action pour réduire les facteurs aggravants. Au-delà de ces mesures immédiates, il faut agir sur les dysfonctionnements à l'origine des retards de paiement et des refus d'apurement.

L'organisation et les dispositifs d'aide multiples sont complexes ; il conviendrait de les simplifier. Ses dysfonctionnements tiennent d'abord à la complexité de la chaîne de paiement des aides du Feaga et du Feader, du fait de l'imbrication des responsabilités entre les différents acteurs : l'ASP, le ministère de l'agriculture et, depuis 2014, les régions. Actuellement, l'instruction des demandes n'est pas réalisée directement par l'ASP, celle-ci délégant cette tâche aux directions départementales des territoires et de la mer qui relèvent du ministère de l'agriculture. La reprise par l'ASP des tâches d'instruction et de contrôle lui permettrait de mieux exercer ses missions, ce qui impliquerait le transfert des personnels correspondants. Cette recommandation de la Cour est ancienne et figure dans le rapport sur l'organisation territoriale de l'État.

De plus, la régionalisation du Feader présente un caractère inabouti. Les régions sont autorités de gestion, mais l'État a conservé des prérogatives quant à la définition du cadre national pour une grande partie des aides des régions. Il lui revient aussi d'assurer une large part des cofinancements des programmes de développement rural régionaux.

De façon générale, le pilotage de cette politique est délicat, car les moyens ne sont pas retracés dans un document d'ensemble. Et les rapports annuels de performance de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ne sont pas exhaustifs. Le coût de gestion des aides agricoles est estimé à 343 millions d'euros pour les deux piliers en 2017, mais il n'intègre ni le coût des refus d'apurement pour le budget de l'État ni le coût supporté par les régions qui ont recruté des personnels supplémentaires. À l'avenir, ces coûts gagneraient à être mieux documentés et à englober l'ensemble des dépenses.

Au-delà, les dispositifs d'aide dans le cadre de la PAC 2014-2020 sont très complexes : concernant le Feaga, je vous renvoie au tableau n°4 de la page 40 du rapport qui montre clairement les modalités d'adaptation des dispositifs à de multiples situations ; s'agissant du Feader, le paysage des aides s'est complexifié, puisqu'on est passé de six programmes de développement rural régionaux à 29. Les outils informatiques Isis et Osiris ont dû être adaptés à cette complexité croissante.

Dans le cadre de la préparation de la prochaine PAC, la Cour recommande que l'adaptation des mesures d'aides à la diversité des réalités agricoles prenne plus en compte les exigences des contrôles liés à la réglementation européenne et le coût de leur mise en oeuvre. Nous suggérons que l'ASP soit associée à l'élaboration des mesures réglementaires, pour une meilleure prise en compte des questions opérationnelles.

Pour conclure, l'insuffisante préparation de la France à la mise en place d'un dispositif approprié de paiement des aides de la programmation 2014-2020, doit inciter les autorités françaises à tirer les leçons de cette expérience pour préparer la prochaine programmation 2021-2027. Les sept recommandations formulées par la Cour, qui figurent à la page 11 du rapport, sont inspirées par deux objectifs : la clarification des responsabilités et la simplification des dispositifs.

M. Vincent Éblé , président . - Madame la présidente, merci de votre exposé, qui vient compléter le rapport lui-même dont nous avons pris connaissance de façon confidentielle et qui se révèle très précieux.

M. Alain Houpert , rapporteur spécial . - Je voudrais tout d'abord remercier la Cour des comptes et particulièrement sa présidente, Mme de Kersauson, ainsi que son équipe de la deuxième chambre, pour la qualité de leur travail sur un sujet qui préoccupe de longue date, et à bien des titres, les rapporteurs spéciaux chargés de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et, compte tenu de ses enjeux pour nos finances publiques, l'ensemble de notre commission des finances. Permettez-moi d'associer à ces remerciements notre collègue Yannick Botrel, avec lequel je partage étroitement le suivi du budget agricole et les interrogations que suscite la gestion des concours publics versés à la Ferme France.

Je ne reviendrai que brièvement sur les constats exposés par la Cour des comptes sur le passé. Mais il convient de souligner que les dysfonctionnements relevés ne constituent pas une nouveauté, mais plutôt l'amplification de problèmes existant de longue date. En bref, je crois qu'on ne peut souscrire à la présentation selon laquelle tous nos problèmes seraient attribuables à la mise en oeuvre de la nouvelle PAC et au transfert aux régions des responsabilités liées à la qualité d'autorité de gestion. Certes, ces transitions appellent une capacité d'adaptation et d'accompagnement plus forte que celle qui a été mise en oeuvre, mais on ne saurait conclure d'erreurs antérieures à la régionalisation du Feader, à la préconisation d'une recentralisation de la gestion des aides européennes, comme l'a fait le comité action publique 2022 que nous avons récemment auditionné.

Par ailleurs, en décalage avec une présentation politique habituelle quelque peu lénifiante, faisant ressortir le poids de problèmes techniques, en particulier celui de la tenue de notre registre parcellaire graphique, j'insisterai sur les contradictions directement liées à des choix politiques. La Cour des comptes évoque la sophistication des interventions mises en oeuvre par le ministère de l'agriculture ; de mon côté, je relève que, parmi les motifs des corrections financières appliquées à la France, figurent très largement les carences reprochées à la France par la Commission européenne en matière de contrôles. Il en ressort l'impression que nous avons adopté une politique agricole caractérisée par un perfectionnisme dicté par une sorte d' « hubris » administratif confronté à des moyens de mendiants.

À ce stade, outre la gravité extrême des conséquences des punitions financières infligées à la France, je souligne que les errements rencontrés dans la gestion des paiements agricoles n'engagent pas seulement des responsabilités administratives, souvent recherchées dans les travaux de contrôle, mais bien une responsabilité politique. Hélas, les conditions dans lesquelles fonctionne la procédure d'apurement européen présentent quelques défauts parmi lesquels des délais si longs que, fréquemment, le ministre de l'agriculture responsable n'est plus en poste depuis longtemps quand la sanction européenne tombe !

Je voudrais désormais aborder les perspectives en commençant par l'apurement du passé. Pouvez-vous nous apporter toute garantie sur le comblement du retard des paiements des aides et nous confirmer que celui-ci ne sera pas réalisé au détriment de la consommation des enveloppes budgétaires normalement programmées ? On peut en effet être pris du soupçon que la contrainte budgétaire a joué son rôle dans le décalage des paiements et qu'elle continuera à s'exercer. À ce sujet, nous avons régulièrement exprimé notre sentiment d'une budgétisation des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » peu conforme à nos principes budgétaires. La réserve de précaution de 300 millions d'euros que la Cour des comptes estime de nature à apporter une solution à ce problème n'est déjà plus que de 200 millions d'euros dans le budget pour 2019.

Compte tenu des risques d'apurement pendants, telle une épée de Damoclès, sur lesquels je souhaiterais que vous nous fournissiez des informations, peut-on estimer que cette réserve qui, je le rappelle, est censée couvrir toutes les dépenses imprévisibles, en particulier celles liées aux crises climatiques, sera suffisante ? Par ailleurs, je voudrais connaître votre sentiment sur les moyens dont vous souhaiteriez disposer pour mettre à niveau notre infrastructure de paiement. Il faudra mettre à niveau notre infrastructure de gestion des paiements agricoles, à commencer par l'informatique, sachant que le fonds de roulement de l'ASP est à l'étiage, puis les contrôles dont les lacunes nous ont valu dans le passé de lourdes sanctions financières. Sur ce point, des divergences sont apparues entre les discours ministériels selon lesquels nous sommes en mesure de respecter nos obligations européennes et ceux qui sont plus inquiets sur ce point. Manifestement, la Commission européenne, avec ses sanctions, donne plutôt raison aux seconds qu'aux premiers. S'agissant de l'informatique, permettez-moi, incidemment, de vous interroger sur la responsabilité respective des donneurs d'ordre et des prestataires de services dans les difficultés rencontrées.

Au-delà de cet héritage du passé, il convient de se pencher sur les adaptations plus structurelles nécessaires pour éviter que ne se reproduisent à l'avenir les catastrophes que nous avons connues.

Premier point : la distribution des rôles. Si nous étions spectateurs d'une pièce de théâtre, nous assisterions à une représentation un peu étrange dans laquelle le jeune premier serait aussi le vieux barbon et la jeune amoureuse, la marâtre. De l'avant-garde, cela présenterait certains charmes, mais on sortirait de là avec le sentiment d'une certaine confusion. Comment qualifier autrement un circuit où le payeur n'a pas tous les moyens d'instruire les paiements et où le contrôlé se voit déléguer le contrôle par le contrôleur ? La Cour des comptes suggère que les emplois nécessaires à l'instruction des dossiers soient transférés du ministère à l'ASP. Quelle réaction cette proposition vous inspire-t-elle ? Quelles décisions ont été prises à la suite des critiques de la Commission européenne sur la délégation aux services de l'ASP des contrôles sur l'ASP dont est chargée la commission de certification des comptes des organismes payeurs, la fameuse CCCOP ?

Deuxième point : la coordination des intervenants et la clarification des responsabilités. À l'inverse de la perspective envisagée par « CAP 2022 », je vous déclare tout de go être favorable à la régionalisation du Feader. Être proche des agriculteurs me semble plus que jamais indispensable, et je remarque que cette proximité peut être une source de simplification. Mme Bernard ne me démentira sans doute pas. Cependant, tout cela doit se faire de façon ordonnée et mérite d'être accompagné. Je souhaiterais connaître les besoins encore non satisfaits pour que le transfert aux régions de la qualité d'autorité de gestion ne reste pas au milieu du gué. Par ailleurs, qui dit transfert de compétences dit aussi transfert de responsabilités. La Cour des comptes ne dit rien d'autre et le ministre de l'agriculture que nous avons auditionné le 21 juin dernier nous avait informés de l'existence de négociations avec les régions afin de clarifier le régime de responsabilité applicable en cas de mauvaise exécution des aides. Où en sommes-nous ? Enfin, comment mieux intégrer les observations de la CCCOP au fil du temps afin d'éviter des sanctions financières aussi massives que tardives ?

Troisième point, pour conclure : la question de la dynamique endogène au système des paiements agricoles des pathologies observées. Les méthodes employées pour déterminer les sanctions financières, qui sont contestées dans le rapport de la mission IGF-CGAAER, et qui d'ailleurs font l'objet d'un débat entre la Commission européenne et la Cour des comptes européenne, ne tendent-elles pas à grossir les factures que nous inflige la Commission européenne ? Comment expliquer que, au cours du contradictoire, on puisse passer d'un montant de redressement de plus d'un milliard d'euros aux 34,7 millions d'euros évoqués par le ministre lors de son audition ? En lien avec ce sujet, ne serait-il pas souhaitable d'accélérer les procédures d'apurement de sorte que, si corrections il doit y avoir, elles nous évitent des rattrapages massifs portant sur plusieurs exercices déjà anciens ? Deuxième élément, la Cour des comptes juge que la simplification est « la mère de toutes les batailles ». Cela apparaît assez crédible, et il est effrayant de savoir que l'éligibilité à telle ou telle aide se trouve conditionnée à des dizaines de points de contrôle, de sorte qu'une application stricte des règlements conduirait normalement à rejeter toutes les demandes. Pouvez-vous nous indiquer si, au niveau national, vous avez entrepris une revue de la « sophistication » évoquée par la Cour des comptes ? Et dans le cadre de la redéfinition de la PAC, qu'êtes-vous en train de défendre pour que les deniers publics puissent être effectivement distribués aux agriculteurs sans que l'on encoure les foudres des instances européennes ? Nous sommes mis en difficulté face à la complexification administrative et l'aporie politique. Il est temps d'entrer dans un nouveau monde.

Mme Catherine de Kersauson . - S'agissant des carences liées au contrôle expliquant les corrections financières, le rapport mentionne notamment que les refus d'apurement sont dus essentiellement à des problèmes de conformité, y compris l'interprétation de la réglementation européenne, et à l'insuffisance des contrôles de notre dispositif qui n'est pas sans lien avec à l'inadaptation du cadre réglementaire.

S'agissant de l'apurement du passé, les questions s'adressent plutôt au ministère de l'agriculture. Pour ce qui est des responsabilités face aux difficultés informatiques, nous apportons la réponse en nous appuyant sur les travaux de l'Inspection générale des finances et du CGAAER, lesquels sont intervenus durant l'enquête de la Cour. Leur rapport indique clairement que l'organisation informatique adoptée segmente le rôle de chacun des acteurs - ASP et prestataires. L'absence de direction des opérations ne permet pas de disposer d'un pilote unique pour l'ensemble des équipes internes et des prestataires de manière intégrée et transverse. Au surplus, le pilotage du projet est complexifié par le recours à des prestataires à différents niveaux, de telle sorte que l'externalisation porte sur 80 % des équipes dédiées. Votre question est tout à fait pertinente, car elle rejoint le diagnostic posé par ces inspections.

Sur l'avenir et les méthodes employées par la Commission européenne pour gonfler les corrections financières et accueillir ensuite les réponses des États membres, le rapport apporte des précisions dans l'encadré de la page 24.

M. Alain Houpert , rapporteur spécial . - C'est une discussion de marchands de tapis !

Mme Catherine de Kersauson . - Nous présentons la manière dont la Commission européenne travaille pour calculer les corrections forfaitaires à partir d'un échantillon réduit non représentatif et fondé sur une analyse des risques.

Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère de l'agriculture et de l'alimentation . - Pour faire écho aux propos de Mme de Kersauson, le retard de paiement des aides de la PAC a principalement concerné les aides surfaciques des premier et deuxième piliers. Le décalage constaté en 2015 était dû à la révision complète du référentiel des surfaces agricoles pour se conformer aux exigences de la Commission européenne et limiter les apurements. Le plan d'action établi a conduit les autorités françaises à engager la rénovation complète du registre parcellaire graphique, avec une photo-interprétation systématique de l'ensemble des photos aériennes et la constitution d'une base de données graphiques répertoriant l'ensemble des surfaces agricoles et non agricoles. Nous avons photo-interprété 26 millions d'hectares et avons constitué une couche graphique de 45 millions d'objets, dont 10 ont été traités un par un par le système d'instruction et les services instructeurs entre 2015 et 2016. À la demande de la Commission européenne, aucun seuil n'avait été mis en place pour que le travail soit exhaustif. De ce fait, le décalage des paiements a porté principalement sur la campagne 2015. C'est uniquement quand l'achèvement de tous les travaux a été effectué qu'il a été possible de payer les aides dans des conditions plus sécurisées. C'est pourquoi le paiement des aides découplées de la PAC 2015 est intervenu en septembre et en octobre 2016. Le paiement des aides directes pour 2016 est, lui, intervenu aux mois de mai et juin 2017. Par ailleurs, les pouvoirs publics, qui étaient conscients des difficultés induites pour le monde agricole en raison de ce décalage, ont décidé de mettre en place des apports de trésorerie remboursable (ATR), qui sont des aides exceptionnelles financées sur le budget de l'État. Nous avons veillé à ce que ces ATR soient conformes aux règles communautaires du de minimis .

Puisque l'important c'est l'avenir, je redirai les chiffres pour la campagne 2017. Les aides couplées animales et ovines ont été payées en acompte au cours de la deuxième quinzaine d'octobre de l'année N-1 et le solde a été réglé au début de 2017. Les aides couplées bovines ont été payées en janvier 2018 et les aides découplées en février 2018. Vous pouvez déjà constater la résorption du retard. S'agissant de la campagne 2018, pour la première fois les paiements seront effectués dans le calendrier normal. L'avance au 16 octobre sera payée aux producteurs, à la fois pour les aides découplées, les aides animales et pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), selon les calendriers ordinaires, le solde de ces aides intervenant en décembre.

Pour autant, comme vous l'avez souligné madame la présidente, pour certaines aides, principalement les mesures agroenvironnementales pour l'agriculture biologique et les mesures climatiques (MAE), il est vrai que la résorption du retard ne sera pas observée avant la fin de cette année ou le début d'année prochaine. Les MAE 2015 sont maintenant totalement payées ; celles de 2016 le sont à 50 % avec un objectif de paiement de la quasi-totalité en fin d'année et les MAE 2017 sont en cours de versement, 10 % des MAE 2017 étant déjà payés.

Les difficultés sont bien réelles pour les agriculteurs. Nous avons mis l'accent sur les aides du premier pilier pour résorber le retard, car sur un montant total d'aides de près de 10 milliards d'euros annuels, les mesures agroenvironnementales représentent environ 300 millions d'euros. Donc, 3 % du volume des aides ne font pas encore l'objet d'un rattrapage total du calendrier, même si nous y travaillons avec le PDG de l'ASP pour la fin de l'année. Les difficultés pour les agriculteurs engagés dans les MAE sont réelles même si nous avons mis en place des ATR à leur intention.

M. Stéphane Le Moing, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement . - Je souhaiterais compléter les propos de Mme la directrice générale et abonder dans le sens de ceux de Mme la présidente et de M. le rapporteur spécial. La simplification est effectivement « la mère des batailles » comme vous l'avez indiqué M. le rapporteur spécial. La complexité explique que le rattrapage soit total sur les aides couplées et découplées et c'est pourquoi le seul morceau du dispositif de la PAC encore inachevé est celui des mesures environnementales et de l'agriculture biologique. Cette situation pose un problème par rapport au signal politique que constituaient ces aides dans la nouvelle PAC. Le poids de la complexité est particulièrement lourd pour ces aides. Pour les équipes techniques et pour les prestataires, pourtant des références dans ce domaine, ces aides sont particulièrement complexes. Le retour à la normale a pris trois fois plus de temps : il a fallu plus de dix-huit mois pour rattraper les 300 millions d'euros d'aides annuelles correspondants que pour les 7 milliards d'euros du premier pilier de la PAC. Le décalage du premier pilier est essentiellement dû à la refonte totale du registre parcellaire graphique.

À quoi tient cette complexité ? D'abord au nombre d'outils nécessaires, 160 pour les mesures agroenvironnementales, eux-mêmes combinables de façon illimitée et donnant déjà lieu à plusieurs milliers de mesures. Seuls quelques-uns de ces outils servent à gérer la plupart des dossiers, puisque les deux tiers des outils produits par l'ASP ne concernent en réalité que 5 % des agriculteurs. Cela signifie qu'un tiers de ces outils concerne 95 % des agriculteurs, situation qui, évidemment doit être pesée. Les raisons intrinsèques de la complexité recouvrent, entre autres, la complexité du contrôle du caractère réellement biologique des surfaces par les organismes certificateurs qui n'est ni harmonisé, ni dématérialisé, ni absorbable directement par les services instructeurs. Un énorme travail est réalisé par les directions départementales des territoires pour recaler le registre parcellaire graphique avec les surfaces en agriculture biologique telles qu'elles sont définies par ces organismes de certification. Nous avons un travail en cours avec l'Agence Bio et les certificateurs pour améliorer cette situation.

Autre facteur de complexité : les règles de calcul. Le montant de l'aide allouée à un agriculteur est défini pour chaque parcelle. Or il y en a des millions, qui doivent être traitées les unes après les autres. Pour chaque parcelle, il y a sept niveaux possibles d'engagement qui, en plus, peuvent changer d'une année sur l'autre. Cette interannualité crée une complexité exponentielle. Bref, nous ne gérons souvent que des cas particuliers. À cela s'ajoute le fait que la gestion financière des contrats relatifs à l'agriculture biologique est elle-même très complexe, car leur durée varie : l'engagement court en principe sur cinq ans, mais cela peut être moins. Nous devons donc jongler avec les différentes durées d'engagement. Enfin, les points de contrôle eux-mêmes sont complexes à calculer : rotation des cultures, surfaces en prairie sur lesquelles il faut calculer deux taux de chargement des animaux, car certains seulement sont en bio...

Un mot conclusif sur la nature de ces difficultés techniques. Il n'y a pas eu de bug informatique comme on le prétend parfois. Un bug informatique implique qu'un système, déployé, ne fonctionne pas. Il n'y a donc pas eu de bug informatique. Ce qui s'est produit, c'est le déploiement, nécessairement long, de systèmes d'informations dont le fonctionnement, depuis leur livraison, n'a pas posé de problème. Au-delà de l'aspect informatique, c'est le temps d'instruction des dossiers qui, compte tenu de leur complexité, est long ; quand bien même les solutions informatiques existent, il y a un gros travail à mener avec les directions départementales des territoires pour que les dossiers des agriculteurs soient effectivement payables.

Mme Lydie Bernard, membre de la commission agriculture, alimentation et forêt de Régions de France . - Merci de nous avoir conviés dans le cadre de cette mission de contrôle. C'est un dossier qui nous préoccupe tous en cet instant, et qui doit nous préoccuper pour l'avenir, à l'approche de la PAC 2020 : nous espérons, à Régions de France, que les leçons des dysfonctionnements actuels seront tirées d'ici là.

Quelques éléments de contexte d'abord. Les régions sont actrices sur le deuxième pilier de la PAC, c'est-à-dire le Feader. Pour gérer les ressources de ce fonds, chaque région est liée par contrat à l'Europe au moyen d'un programme de développement rural (PDR) pour la période 2014-2020. Cette enveloppe est scellée : son montant ne peut être modifié.

Le manque d'anticipation de la régionalisation de cette politique et de ses aspects techniques de la part du ministère a été total. En outre, la confiance et le dialogue entre l'État, l'ASP et les régions, ont grandement fait défaut. Songez qu'entre la fin 2014 et la fin 2016, aucun comité État-régions ne s'est tenu. Résultat : nous avons hérité d'un système complexe ne correspondant pas aux besoins d'un système régionalisé. L'État nous a imposé une architecture de programmation et un organisme de paiement, l'ASP - qui, au demeurant, a fait un travail honnête. Reste que le manque d'anticipation et de communication a été réel. Il nous a donc fallu nous approprier, nous les élus, la logique des échanges avec l'Europe. Souvenons-nous du manque de communication sur tous ces aspects.

En dépit de ce qu'écrit la Cour des comptes, nous considérons que les régions, elles, ont été au rendez-vous. Début 2018, pour les régions, le taux de programmation moyen était de 43 %, et le taux de paiement de 30 %, ce qui place la France parmi les pays régionalisés les plus avancés. Les régions ont su déployer les moyens humains nécessaires pour instruire les dossiers. En Pays de la Loire par exemple, depuis 2016, dix personnes ont grossi les rangs des petites mains des DDT traitant les dossiers, et quatre personnes supplémentaires encore tout récemment pour les dossiers Leader.

Nous nous focalisons beaucoup sur les retards de paiement, car cela met les agriculteurs en difficulté. Certains attendent encore 60 000 euros au titre des mesures agroenvironnementales et climatiques pour 2016, et autant au titre de 2017. Ce n'est pas une paille !

Il faut cependant dire que la régionalisation a eu des impacts positifs sur des mesures du deuxième pilier peu ou pas encadrées par un règlement national - je pense aux mesures du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles. L'absence de cadre national très ferme nous permet d'être beaucoup plus réactifs sur le terrain. À l'inverse, les enveloppes bio du Feader sont dans le deuxième pilier de la PAC, autrement dit gérées par les régions, mais obéissent à des règles fixées nationalement ; donc nous sommes au milieu du gué. Il faut revoir cet équilibre ; ça ne peut pas fonctionner.

Les régions ont aussi, pour la plupart, adapté leur gouvernance en mettant en place, pour la plupart, de nouveaux dispositifs, notamment un comité technique entre la région et la direction régionale de l'agriculture et de la forêt, qui fonctionne plutôt bien. À cela s'ajoutent des réunions régulières avec la profession agricole et les différents syndicats, ce qui permet d'être près du terrain, au plus près de notre agriculture et, j'ose le dire, au plus près de notre ruralité. Le deuxième pilier de la PAC est là pour servir le monde rural. C'est d'ailleurs explicite au niveau européen, puisque l'on parle de politique agricole commune et de développement durable. Cette dimension alimentaire et rurale est à mettre davantage en avant dans la PAC 2020 si nous voulons garder notre enveloppe pour notre agriculture.

Au niveau national en revanche, nous n'arrivons pas à discuter. J'ai de bonnes relations avec M. Le Moing, car je siège au conseil d'administration de l'ASP au nom de Régions de France, et j'ai fait connaissance avec Mme Metrich-Hecquet il y a quinze jours, mais les problèmes de communication que nous avons rencontrés à l'origine ne sont pas complètement réglés. Sur la question du transfert entre les deux piliers de la PAC, Régions de France a demandé à l'unanimité un comité État-régions, qui s'est tenu, et puis la décision a été prise sans concertation. De même sur les zones ICHN. Nous devons reprendre le dialogue. Au reste, son absence ne pénalise pas le Gouvernement, ni même les parlementaires ou les élus régionaux, mais les acteurs de terrain, les agriculteurs et le monde rural. Il est donc de notre responsabilité de recommencer à échanger pour construire et avancer ensemble.

La grande nouveauté instaurée par les programmes de développement rural (PDR), ce sont les relations bilatérales entre les régions et l'Europe. Tous les six mois, la Commission européenne vient dans nos régions - c'est ce que l'on appelle le comité régional de suivi - et, contente de voir le terrain, met les pieds dans les bottes. L'Europe est demandeuse de ces rencontres, de même que nos agriculteurs, nos entreprises et nos élus, qui peuvent ainsi discuter avec l'Europe. Tout cela permet de vivre l'Europe de façon plus concrète.

Je conclurai en tâchant d'être force de proposition pour la prochaine PAC. Le rattrapage du retard des aides est une priorité, surtout pour celles du deuxième pilier. Nous estimons que le mot d'ordre doit être une PAC 2020 réactive, agile, efficiente et répondant aux enjeux de nos territoires ruraux. Nous préférons un tel intitulé à une PAC exclusivement agricole. Il faut pour cela aller au bout de la décentralisation du deuxième pilier après 2020, car ce sont bien les lourdeurs liées à l'histoire et aux directives nationales imposées par l'État qui ont retardé les paiements. Il faudrait en conséquence remplacer le cadre national par un répertoire de mesures cohérentes entre elles, répertoire défini en fonction des besoins des régions, de manière ascendante, et non imposé d'en haut. Une concertation entre les régions et l'État, et que l'ascendant enrichisse le descendant, voilà ce que demandait l'atelier 14 des États généraux de l'alimentation.

Nous proposons encore de simplifier l'architecture des programmes et des mesures, en en diminuant le nombre - il faudra en discuter avec la profession agricole qui, soucieuse de justice, plaide plutôt pour multiplier les mesures. Il faudrait également donner aux régions la main sur la gestion du fonds après 2020. Posons enfin la question de l'organisme de paiement, en réfléchissant à sa régionalisation - pour l'heure, les régions sont trop loin de l'ASP - et celle de savoir qui pilote les petites mains dans les DDT.

Du côté de Bruxelles, il faut continuer à simplifier. Osons demander à Bruxelles la simplification des contrôles. Le taux d'erreurs admises, de 1 %, est passé à 2 % : nous pouvons oser demander davantage.

M. Alain Houpert , rapporteur spécial . - La complexification a un coût. Ce coût de gestion s'élevait pour l'État français à 342 millions d'euros en 2016, soit 3,5 % des aides reçues, et cela sans parler du coût pour les régions ou pour Bruxelles. Nous parlons de simplifier et de supprimer les doublons, mais il s'agit là de triplons...

M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - La France est le pays avec l'administration la plus importante d'Europe... Nous évoquons deux sujets distincts : d'une part, les déclarations sur le registre parcellaire graphique, c'est-à-dire les déclarations graphiques de surfaces des agriculteurs, et, d'autre part, le paiement des aides. Le constat que nous faisons tous, c'est que nous avons monté une usine à gaz où il n'y avait pas de pilote dans l'avion, ce qui a conduit à des erreurs colossales. Il ne faut pas oublier que les déclarations PAC et parcellaires sont faites depuis 1992 ; ce n'est qu'en 2018 que les déclarations PAC se stabilisent ! Or la surface qu'exploitent les agriculteurs ne change pas - ou à la marge seulement -, non plus que celle de la planète...

Si nous en sommes arrivés là, c'est parce que pendant bien longtemps, personne n'a été capable de savoir exactement ce qu'il devait faire. Les agriculteurs ont ainsi déclaré leur surface pendant des années sur le registre parcellaire graphique en sachant que la déclaration du voisin pouvait engendrer des doublons. L'administration renvoyait tous les ans une feuille demandant de préciser qui débordait dans la parcelle de l'autre. Nous aurions pu traiter le problème plus tôt ! Ce sont les refus d'apurement qui ont commencé à faire bouger les choses : en 2014, 601 ETP supplémentaires ont été embauchés, et 350 en 2015, auxquels s'ajoutent 1 200 vacataires, pour traiter notamment les problèmes des surfaces non admissibles (SNA). Les SNA ont donné lieu à des aberrations sans nom : ainsi du râtelier situé, comme il se doit, au milieu de la parcelle, que l'on demandait à l'exploitant de retirer de sa déclaration !

Je m'étonne que le rapport de la Cour des comptes insiste, 80 pages durant, sur les dysfonctionnements de l'ASP - erreurs de calcul, de paiement, retards - et n'aboutisse qu'à la recommandation principale de lui affecter les techniciens des DDT... Je pense pour ma part que l'erreur principale qui a été commise a été une centralisation trop importante. Une plus grande proximité aurait permis d'apporter des réponses à tous ces problèmes. Il fallait certes un cadre étatique, mais aussi plus de latitude donnée aux acteurs de terrain. Nous le voyons pour le programme Leader ou pour les aides du Feader : les régions sont obligées de réembaucher du monde pour faire le travail de l'ASP, de monter des systèmes d'information différents de ceux de l'ASP pour procéder aux paiements des aides européennes... Dans quel monde vit-on ? Comment accepter qu'autant de personnes soient chargées de ce travail dans les différentes structures de gestion et de contrôle, et que les collectivités territoriales soient obligées d'embaucher pour se substituer à elles ? Et ce avec l'argent public... Tout cela témoigne d'un réel fiasco, et d'un mal bien français, qui consiste à traiter n'importe quel problème non pas au niveau local - parce là, naturellement, ils n'y comprennent rien - mais au niveau central. C'est exactement l'inverse de ce qu'il faudrait faire !

M. Jean-François Rapin . - Je connais bien les problèmes relatifs à la pêche - qui ne sont certes pas abordés dans le rapport de la Cour des comptes. Ce secteur a connu les mêmes difficultés, les mêmes souffrances, avec le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), l'ASP et le logiciel Osiris.

La Cour des comptes a-t-elle pu évaluer le nombre d'entreprises qui ont été mises en grande difficulté, en cessation de paiement voire en liquidation judiciaire, en raison des difficultés de la chaîne de paiement des aides agricoles ?

Mme Bernard a regretté l'absence d'échanges suffisants entre l'État et les régions. Dans le domaine de la pêche, nous avions mis en place, sous l'égide du secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, Alain Vidalies, un comité d'urgence réunissant les régions et l'ASP, qui n'a hélas pas été maintenu par l'actuel gouvernement. C'est dommage, car les petites mains, comme vous dites, débloquaient des dossiers...

M. Antoine Lefèvre . - Hier soir, le journal télévisé de France 2 a évoqué la présente réunion : il est heureux que l'on parle des travaux de notre commission et du Sénat ! Le reportage qui illustrait l'information montrait un éleveur de chèvres endetté et privé de salaire car n'ayant pas encore perçu ses aides : voilà les conséquences dramatiques de ces dysfonctionnements. Et en même temps - l'expression est à la mode -, les grandes maisons de champagne les reçoivent, elles, leurs aides ! Le logiciel français est manifestement défaillant, et c'est récurrent. La Cour des comptes préconise un effort de simplification et l'abandon par le ministère de l'agriculture de l'extrême sophistication des règles nationales de mise en oeuvre de la PAC. Complexifier à l'envi, spécificité française... La France est l'un des principaux contributeurs au budget de l'Union européenne et ne consomme pas ses aides, contrairement à ses voisins, à cause de règles nationales trop strictes. Ce système contribue à donner une image très dégradée de l'Europe, alors que c'est l'État français qui est tatillon ! Il y a là, à l'approche des élections européennes, un enjeu politique majeur.

M. Michel Canevet . - Je voudrais d'abord remercier la Cour des comptes de son travail pertinent. Dans un contexte où notre agriculture se porte assez mal, que les dispositifs de soutien n'aient pu être mis en place au moment opportun a été très préjudiciable à l'équilibre du secteur.

La suradministration du dispositif a conduit à un échec total. Il n'est pas normal que les premiers programmes des opérations de développement rural, qui devaient courir de 2014 à 2020, n'aient été mis en place qu'en 2017 ! Il faut simplifier tout cela. De même pour les aides aux agriculteurs : alors que la plupart des cadastres sont digitalisés, il a fallu beaucoup de temps pour mettre en place un dispositif, qui, du reste, n'est pas toujours compris des agriculteurs - surtout lorsqu'il leur est demandé, pour la bonne visibilité du système, de tailler des haies... Ces aberrations ont dégoûté tout le monde. Je soutiens donc la proposition que vous faites : il faut absolument simplifier le dispositif, et mettant de l'ordre dans la multitude d'instructeurs. Je le vois bien en Bretagne, en particulier pour les programmes Leader : il y a des instructeurs au plan local, des instructeurs au plan régional, des instructeurs à la DDT, à l'ASP... tout cela est un non-sens. Voilà un bel exemple de gabegie d'argent public. J'espère que ce travail donnera lieu à des efforts de simplification et à des économies.

M. Thierry Carcenac . - Nous avons bien fait de demander ce rapport, qui correspond bien aux sollicitations que nous avons reçues d'agriculteurs se trouvant dans des situations complètement ubuesques.

La gestion des fonds européens pose manifestement problème, qu'il s'agisse de leurs relations avec les régions ou les départements - je songe aussi au Fonds social européen.

Par ailleurs, les systèmes d'information posent problème. Naguère Louvois ou l'Opérateur national de paie, à présent Osiris ou Isis... Quelle est la place de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic) dans tout cela, et comment faire évoluer son rôle ? Il y a un vrai travail d'harmonisation des bases de données à conduire. Le registre parcellaire est alimenté par le cadastre, l'IGN, l'ASP... Comment simplifier les choses ? La centralisation est toujours la solution à tous les problèmes. Or la décentralisation - régionalisation ou départementalisation - est parfois une réponse intéressante, sous réserve d'arriver à rendre compatibles les systèmes d'information des différentes entités pour faire remonter l'information au niveau ministériel, qui doit pouvoir disposer d'une vision globale. Bref, nous devrions nous intéresser davantage aux systèmes d'information dans une perspective plus globale.

M. Marc Laménie . - Je remercie le rapporteur spécial et la Cour des comptes pour ce travail concret, ainsi que nos invités pour leurs propos francs et passionnés. Le constat confirme ce que l'on vit sur le terrain : la situation est caricaturale et pénalise le monde agricole. La cartographie doit être simplifiée. Demander de supprimer des haies, alors qu'on reproche en cas d'orage aux agriculteurs de ne pas les avoir entretenues, c'est aberrant. Le rapport parle de gâchis financier et évoque les premier et deuxième piliers de la PAC. Avez-vous également regardé les financements européens en direction des collectivités territoriales, qui sont aussi source de complexité ? Les agriculteurs passent des heures et des heures à remplir des formulaires, à cocher des cases, pour voir leur dossier finalement rejeté, le plus souvent pour des raisons technocratiques ! Ce rapport a le mérite de mettre un coup de pied dans la fourmilière pour faire avancer les choses.

M. Jean-François Husson . - Je m'associe au concert de remerciements à l'égard de la Cour des comptes. Je partage le sentiment de mes collègues. En Meurthe-et-Moselle, il y a deux ans, la situation était devenue intenable. Un groupe de jeunes agriculteurs s'était rendu devant le bâtiment abritant l'ASP, en avait muré l'entrée, et des débordements avaient eu lieu. La situation est explosive, et elle ne s'arrange pas. Je souscris à l'exigence de simplification. Il faut des circuits de mise en oeuvre des décisions courts et efficaces. Il faut que les bonnes personnes, au bon endroit, prennent les bonnes décisions !

La PAC est un pilier historique de l'Europe. Or le monde agricole, lassé des mesures contreproductives, tourne le dos à l'Europe, au moment même où nous devons assurer la souveraineté alimentaire du continent en mettant en place les bons outils une bonne fois pour toutes. Si nous ne redressons pas la situation, le réveil sera douloureux.

Mme Christine Lavarde . - M. Le Moing a présenté un système très complexe, dont la base agriculture biologique manque d'harmonisation. Comment se préparent les acteurs pour répondre aux enjeux du développement du biologique, tels qu'ils ont été définis dans la loi Egalim ?

M. Bernard Lalande . - Il n'y a qu'à regarder le nombre de sigles expliqués en fin de rapport pour se convaincre de la complexité du dispositif...

« Cette simplification des règles nationales est absolument nécessaire pour éviter que la délicate période de transition entre la fin de gestion de la programmation précédente et la mise en oeuvre de la nouvelle programmation ne devienne ingérable », écrit la Cour des comptes. Où en est-on ?

M. Alain Joyandet . - Un certain nombre d'agriculteurs, dans nos régions, sont au bout du rouleau. Les prairies sont marron, la situation est gravissime. Nous sommes nombreux, nous parlementaires, à avoir sollicité le ministre de l'agriculture, et nous n'avons reçu aucune réponse. J'ai l'impression qu'il ne se passe rien.

Mme Catherine de Kersauson . - Merci de l'intérêt que vous portez au rapport de la Cour des comptes. Je me réjouis qu'il éclaire la réflexion et les propositions de la commission des finances du Sénat.

Sur le rôle de la Dinsic, permettez-moi de vous renvoyer au chapitre du rapport public 2018 de la Cour des comptes qui y est consacré.

La Cour des comptes n'a pas évalué le nombre d'entreprises mises en difficulté par les dysfonctionnements de la chaîne de paiement des aides européennes. Peut-être le ministère de l'agriculture l'a-t-il fait. Mme Metrich-Hecquet l'a dit, des dispositifs ont été mis en place pour éviter ces drames, tels des apports de trésorerie remboursables.

M. Duplomb semble se demander pourquoi nous n'incriminons pas l'ASP. Notre analyse nous conduit à penser que l'aspect technique du sujet ne l'épuise pas. Il y a surtout un problème d'organisation relevant du ministère de l'agriculture. Nous avons évoqué le rattachement des services instructeurs à l'ASP. Pour celle-ci, la déclinaison des aides européennes est une donnée à prendre en compte.

M. Laurent Duplomb . - C'est la centralisation à l'ASP qui pose question !

Mme Valérie Metrich-Hecquet . - Permettez-moi de répondre à présent à M. le rapporteur spécial sur le suivi des corrections financières : nous connaissons à présent leur imputation définitive sur le budget 2018, qui s'élève à 178 millions d'euros, chiffre en diminution. C'est une somme qui pourra être totalement financée par la provision pour aléas prévue par la loi de finances pour 2018 pour faire face au refus d'apurement. Cette provision s'élevait pour 2018 à 300 millions d'euros. Pour 2019, ce montant est calibré en fonction des informations dont nous disposons. Il est difficile d'évaluer très précisément les crédits nécessaires, notamment les sanctions qui seront imputées sur le budget. D'une part, en raison du décalage entre ce que la Commission européenne considère comme une anomalie et la sanction définitive, qui peut atteindre plusieurs années ; d'autre part, en raison du mode d'estimation de la sanction : l'approche forfaitaire de la Commission européenne se fonde d'abord sur un taux de redressement de 100 %, qui a pu être ramené à 3 % à l'issue de la négociation.

Je confirme ce que disait Mme Bernard : du début de la programmation à juin 2018, la France a consommé 40 % de ses enveloppes, ce qui nous place en position médiane en Europe. L'Allemagne et l'Espagne affichent des taux de consommation inférieurs. L'ICHN, mécanisme de solidarité au profit des zones plus fragiles, représente 55 % du montant du second pilier : c'est donc un peu grâce à l'ICHN que le taux de consommation du Feader atteint ce niveau en France.

L'ASP comme le ministère de l'agriculture s'attachent à payer le plus rapidement possible et dans les conditions les plus sécurisées possible les bénéficiaires des aides. Nous sommes à présent en train de faire un retour d'expérience pour répondre à la demande formulée par la Cour des comptes et par vous-mêmes, monsieur le président et monsieur le rapporteur spécial, visant à disposer d'une catégorisation des mesures pour voir celles qui sont utilisées et celles qui le sont moins. Ce travail fait, le ministre aura à coeur de le porter à la connaissance du Parlement.

Je confirme que le président de l'ASP et l'administration centrale du ministère de l'agriculture portent, en perspective de la prochaine programmation, le chantier de simplification, qui est une condition de l'adhésion des agriculteurs et des citoyens à cette belle politique agricole commune.

M. Stéphane Le Moing . - Il faut en effet préparer l'après 2020, et nous avons commencé à le faire. Les discussions ont été engagées sur la base du retour d'expérience que nous avons déjà, au niveau local, région par région, pour coller au plus près du terrain.

Mme Lydie Bernard . - Il faudra ouvrir rapidement le dossier du Feamp pour l'après 2020. Son articulation n'est pas la même que celle du Feader. Le monde de la pêche, dans notre région, s'est déjà positionné ; Régions de France devra se positionner également.

Une vraie question se pose pour les fonds Leader pour l'après 2020. Est-il pertinent d'aller chercher 2 000 euros en fonds Leader pour un traitement de dossier qui coûte 5 000 euros ? C'est la réalité ! Il faudra trouver une articulation entre les fonds régionaux et les fonds européens pour un montage efficient de ces dossiers.

Sur l'agriculture biologique, c'est plutôt au ministre de répondre. Il a évoqué un montant d'1,1 milliard d'euros, mais cette somme inclut la contribution des crédits du Feader à hauteur d'environ 700 millions d'euros... Or les régions n'ont plus guère de crédits du Feader à mobiliser ! Il faudra éclaircir ce dossier, ce qui nécessitera une vraie transparence.

M. Alain Houpert , rapporteur spécial . - Notre commission des finances prépare un rapport sur l'agriculture biologique.

M. Vincent Éblé , président . - Je remercie l'ensemble des intervenants pour leur participation à nos travaux de contrôle.

Au terme de ce débat, la commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de MM. Alain Houpert et Yannick Botrel.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Commission de certification des comptes des organismes payeurs (CCCOP)

- Mme Béatrice CAUSSE, présidente.

Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

- M. Étienne GANGNERON, membre du conseil d'administration.

ANNEXES

ANNEXE N° 1

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA COUR DES COMPTES

Les recommandations de la Cour des comptes s'articulent autour de deux objectifs principaux :

- la clarification des responsabilités ;

- la simplification des dispositifs d'aide.

Au titre du premier objectif, la Cour des comptes recommande :

- d'intégrer davantage la chaîne de paiement en transférant à l'ASP, le cas échéant, les personnels chargés de l'instruction des aides agricoles, ce qui impliquerait le transfert de 1 600 agents des directions départementales des territoires (et de la mer) (DDT (M))

- d'améliorer la coopération entre l'organisme payeur et l'organisme national de certification (la CCCOP) ;

- de définir une règle claire de répartition des responsabilités entre État et autorités de gestion du FEADER en cas de correction financière ;

- un suivi plus fin des refus d'apurement par le ministère de l'agriculture et par l'ASP ;

- l'amélioration des outils informatiques.

Au titre du second objectif, dans lequel la Cour des comptes voit la principale source d'amélioration, elle estime que le nécessaire effort de simplification suppose l'abandon par le ministère de l'agriculture de l'extrême « sophistication » des règles nationales de mise en oeuvre de la PAC. Celle-ci doit être un critère des choix publics, pris en compte très en amont afin de prévenir les difficultés de mise en oeuvre (gestion administrative, exigences de contrôle sous-jacentes, adéquation entre les moyens et les objectifs).

La Cour des comptes invite le Gouvernement à appuyer les propositions de la Commission européenne visant à élargir les marges de manoeuvre des États européens dans la mise en oeuvre des dispositifs de soutien.

ANNEXE N° 2

RISQUES DE REFUS D'APUREMENT SELON LA RÉPONSE AU QUESTIONNAIRE BUDGÉTAIRE DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX DANS LE CADRE DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2018

Exercice 2013

Le refus d'apurement supporté par le budget national a été de 41,2 millions d'euros .

Le montant le plus important porte sur les aides dites « prime herbagère agro-environnementale (PHAE) » et « indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) » pour un montant de 28 millions d'euros . La Commission reproche aux autorités françaises l'absence de comptage des bovins et des ovins lors des contrôles sur place. Les autorités françaises ont saisi la Cour de justice de l'Union européenne dès notification de la décision pour contester l'obligation de vérification du taux de chargement lors d'un contrôle sur place.

Un montant de 6,45 millions d'euros au titre des prêts bonifiés a été payé, dû à des défaillances dans le système de contrôle des prêts et des bonifications d'intérêts , conséquences de difficultés de rapprochement des bases de données de l'ex-CNASEA (ASP) et des banques, notamment pour les prêts du stock 2000-2006.

Un montant de 5,79 millions d'euros au titre des primes ovines a également été payé. La Commission a relevé que la notion française de registre d'élevage ne répondait pas à l'obligation réglementaire de détention et de mise à jour d'un registre d'élevage. Elle a également constaté que le contrôle réalisé à partir de cette compilation ne permet pas de déterminer le nombre d'animaux éligibles. Enfin, elle a noté un nombre important de non-respect des règles en matière d'identification .

Exercice 2014

Le refus d'apurement supporté par le budget national a été de 427 millions d'euros .

La forte augmentation du montant d'apurement constatée pour l'année 2014 s'explique par le fait que la Commission européenne a accéléré les procédures de clôture des audits en cours. Certains de ces audits, qui comptent parmi les plus importants en termes de risque de refus d'apurement, ont été soldés au cours de l'année. Les montants élevés s'expliquent notamment par des audits dont les corrections potentielles s'appuient sur des assiettes financières très importantes et par des divergences d'interprétation réglementaire entre les services de la DG AGRI et du ministère de l'agriculture.

Les deux apurements les plus importants sont dus principalement à deux audits :

- 141 millions d'euros au titre de la conditionnalité pour les années 2007 à 2009.

Les éléments d'explication rassemblés par les autorités françaises ont permis de minorer le montant initial proposé par la Commission qui était de 214 millions. La Commission a toutefois maintenu son constat d'une application trop souple des règles de conditionnalité en France, jugeant les contrôles de certaines obligations inefficaces et d'une mise en oeuvre de réductions ou de sanctions insuffisante.

- 238 millions d'euros au titre de l'octroi des droits à paiement uniques (DPU) de 2006 à 2008. La Commission a constaté que des programmes de revalorisation des droits à paiement unique ont été appliqués sans respecter complètement la réglementation communautaire.

Les autres montants sont les suivants :

- 20 millions d'euros liés au dépassement du plafond pour allocation pour l'arrachage des vignes, allocation irrégulière de la réserve nationale, consolidation de la superficie fourragère- exercices 2010 à 2012.

- 16,5 millions d'euros au titre des aides dans le secteur des fruits et légumes. La Commission a constaté des insuffisances des moyens techniques mis à disposition des membres des organisations de producteurs et des dépenses inéligibles des frais financiers des prêts relais mis à la charge des Fonds opérationnels.

- 10 millions d'euros au titre de la dotation aux jeunes agriculteurs, notamment pour contrôle insuffisant du « Plan de développement économique (PDE) ».

Exercice 2015

Le refus d'apurement supporté par le budget national a été de 812,4 millions d'euros .

Le niveau élevé de refus d'apurement est lié à la concentration des décisions de la Commission, cette dernière ayant accéléré à partir de 2014 le bouclage d'enquêtes ouvertes parfois de longue date.

C'est ainsi que cinq campagnes de mise en oeuvre des aides aux surfaces (2008 à 2012) ont été corrigées simultanément et constituent le montant le plus important de correction ( 695 millions d'euros ). Les principaux motifs de cette correction concernent des imperfections du registre parcellaire graphique , la Commission européenne considérant notamment que les orthophotos devraient être systématiquement interprétées avant d'être chargées dans le système, et l'absence de cette photo interprétation préalable a conduit à ce que certaines surfaces non agricoles (routes, bâtis de moins de 100m², etc.) n'aient pas été exclues.

Par ailleurs, la Commission sanctionne la divergence d'interprétation réglementaire relative à l'admissibilité de certaines surfaces déclarées admissibles en France (bosquets pâturables, landes et parcours).

La Commission européenne a également appliqué une correction de 140 millions d'euros au titre du régime de paiement unique sur la période 2009-2011 pour dépassement de la moyenne régionale des droits à paiement pour les droits alloués pour l'arrachage de vignes, non-conformité des modalités de revalorisation des DPU de faible valeur, et octroi de droits à des agriculteurs en pré installation.

123 millions d'euros viennent sanctionner les primes bovines de la période 2007-2009 pour cause de non application des réductions et exclusions en cas de notifications de mouvements d'animaux réalisées hors des délais réglementaires .

Une correction de 79 millions d'euros est appliquée aux dépenses relatives à la restructuration sucrière , certaines usines ayant bénéficié de l'aide au démantèlement total n'ayant pas démantelé leurs silos de stockage.

L'ICHN 2009-2010 a donné lieu à une correction de d'euros au motif de l'absence de comptage des bovins et des ovins lors des contrôles sur place, sujet qui faisait l'objet d'un recours devant le tribunal de l'Union européenne.

L'ensemble de ces corrections a été regroupé dans la même décision d'exécution de la Commission, ad hoc 47, pour un total de 1 078 millions d'euros .

Son application donne lieu à un échelonnement sur les budgets 2015 et 2016. Une tranche (359,4 millions d'euros) et une avance de la deuxième tranche (300 millions d'euros) ont été imputées sur le budget 2015

Les autorités françaises ont déposé une requête en annulation partielle de cette décision d'apurement en raison de divergences d'interprétation réglementaire s'agissant de l'exigence de maintien individualisé des éléments de paysage (interprétation de l'article 34-3 du règlement 1122/2009) dans le cadre des aides aux surfaces, des exigences de contrôle du taux de chargement dans le cadre de l'ICHN, de l'obligation de démantèlement des silos dans le cadre de l'aide au démantèlement total de l'activité sucrière.

Une seconde décision d'apurement a été prononcée par la Commission européenne, ad hoc 48 pour 151,1 millions d'euros . Elle porte essentiellement, à nouveau sur la question de l'absence de vérification du taux de chargement lors des contrôles sur place de l'ICHN (98 millions d'euros), sujet porté devant le juge, et sur les primes ovines (43 millions d'euros) en raison d'absence de contrôle sur place du ratio de productivité et de défaut d'identification de certains animaux. Les autres sujets corrigés par cette décision sont les primes bovines (2,5 millions d'euros) les aides aux plus démunis et le lait scolaire (3 millions d'euros).

4,3 millions d'euros sont liés à la certification des comptes pour des exercices antérieurs à 2014.

Exercice 2016

Le refus d'apurement supporté par le budget national a été de 710,8 millions d'euros .

Le solde de la décision ad hoc 47 est réglé en 2016, soit 418,8 millions d'euros.

La Commission européenne a également publié en 2016 trois décisions ad hoc .

La première décision, ad hoc 49 , représente un montant d'apurement de 11,63 millions d'euros. L'essentiel de ce montant est lié à l'enquête relative à l'arrachage et la restructuration du vignoble pour 10,69 millions d'euros au motif du versement de l'aide avant la fin des opérations de restructuration.

La décision ad hoc 50 représente un montant d'apurement de 101,1 millions d'euros . La principale correction financière concerne la conditionnalité des aides pour les campagnes 2011 à 2013 avec un montant de 75,3 millions d'euros. Les auditeurs communautaires ont remis en cause le contrôle de certaines normes des « bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) » ainsi que des « exigences réglementaires en matière de gestion (ERMG) », l'inapplication des sanctions réglementaires, l'indulgence trop grande du système d'évaluation des non-conformités . Par ailleurs, la décision ad hoc 50 sanctionne les mesures d'investissements 121 « Modernisation des exploitations agricoles » et 123 « Accroissement de la valeur ajoutée des produits agricoles et sylvicoles » du « Programme de développement rural de l'Hexagone (PDRH) pour 13,62 millions d'euros , d'une part, car les analyses de risque n'ont pas tenu compte des facteurs de risques mis en évidence par les contrôles nationaux et communautaire et, d'autre part, car les autorités françaises n'ont pas mis en place le système d'évaluation des coûts requis par la réglementation communautaire. Enfin, la clôture de vieilles enquêtes Irrégularités et Certification, effectuées entre 2009 et 2011, a généré un montant d'apurement de 12,2 millions d'euros.

La décision ad hoc 51 a clôturé l'enquête relative aux droits uniques à paiement initiée en 2014, en concluant au reversement de 190,59 millions d'euros. Les auditeurs de la Commission ont notamment relevé les anomalies suivantes : les allocations pour l'arrachage des vignes n'ont pas été limitées à la moyenne régionale des droits, des allocations aux nouveaux exploitants ont été versées à des bénéficiaires qui ne respectaient pas les critères d'octroi de l'aide, des allocations pour DPU de faible valeur ont été attribuées à des agriculteurs dont l'exploitation ne se situait pas en zone éligible et la réduction linéaire des droits n'a pas été correctement appliquée.

En revanche, les autorités françaises ont également obtenu gain de cause pour trois recours contentieux (extension tardive des constats liés aux contrôles du taux de chargement des bovins aux ovins dans deux cas et le statut des groupes d'action locale dans le cadre du programme Leader +), ce qui a permis le remboursement par la Commission européenne à la France de 11,31 millions d'euros sur l'exercice 2016.

Exercice 2017

Le refus d'apurement supporté par le budget national devrait être de 221,9 millions d'euros.

La Commission européenne a publié en 2017 trois décisions ad hoc .

La première décision, ad hoc 52 , représente un montant d'apurement de 47,1 millions d'euros . L'essentiel de ce montant est lié à d'anciennes créances de FranceAgriMer, pour les exercices de 2008 à 2010 (46,3 millions d'euros). La DG AGRI a en effet constaté des irrégularités dans les délais de procédures et d'émission de titres exécutoires concernant la gestion d'anciens dossiers . Ces dossiers concernaient des opérateurs d'envergure nationale : les montants étaient importants et des procédures contentieuses ont été engagées par les bénéficiaires (Lactalis, Sodiaal, Fléchard, Optyma...), retardant ou annulant des ordres de recouvrement.

La décision ad hoc 53 , s'élevant à 8,1 millions d'euros , clôture deux enquêtes. Pour la mesure « Jeunes agriculteurs » , les auditeurs ont notamment reproché une insuffisance des contrôles administratifs et le contrôle tardif de la conformité des réalisations avec le plan de développement, aboutissant au reversement de 4 millions d'euros.

Pour les mesures d'aides ovines et caprines , les auditeurs communautaires ont principalement relevé l'absence de contrôle administratif du ratio de productivité ainsi que l'absence d'exclusion de l'aide pour des dossiers qui présenteraient des anomalies affectant plus de 50 % du montant de l'aide, aboutissant à un reversement de 4,1 millions d'euros .

La décision ad hoc 54 représente 166,7 millions d'euros . L'essentiel du reversement portait sur les restitutions octroyées pour les exportations de volailles , au cours des années 2011 à 2014 . Suite à un constat de négligence grave des autorités françaises dans la mise en oeuvre des contrôles de la teneur en eau des volailles , la Commission a notifié une correction financière de 120,9 millions d'euros .

Dans le cadre de l'audit sur les axes 1 et 3 du FEADER (respectivement « améliorer la compétitivité des secteurs agricoles et forestiers » et « améliorer la qualité de vie en milieu rurale et diversification de l'économie rurale »), la Commission Européenne a reproché des défaillances dans la vérification du caractère raisonnable des coûts (à la fois sur son effectivité et sur sa traçabilité) et dans la vérification de l'éligibilité du demandeur et de la demande d'aide. La correction financière finale est de 15,3 millions d'euros.

La clôture des enquêtes relatives à la certification des comptes des organismes payeurs pour les exercices 2012 et 2013 a conduit à un reversement global de 28,1 millions d'euros. L'augmentation des corrections financières relatives à l'apurement des comptes des organismes payeurs ( qui relève du contrôle comptable et non du contrôle de conformité) est liée à un renforcement des lignes directrices qui cadrent les travaux de certification des comptes.

Enfin, pour la mesure d'aide au lait scolaire, les auditeurs ont constaté des faiblesses dans le système de contrôle et sanction, notamment pour le traitement des demandes tardives et les contrôles administratifs, aboutissant à une sanction financière de 2,4 millions d'euros.

Risques d'apurement encourus par la France pour les exercices 2018 et suivants .

Les apurements les plus élevés qui impacteront très certainement le budget national 2018 sont les suivants :

1. Aides surfaces (campagnes 2013 et 2014)

Suite à l'enquête surface pour les campagnes 2013 et 2014, et grâce au chiffrage fourni par les autorités françaises, les auditeurs communautaires ont conclu à une demande de reversement de 117 millions d'euros soit 0,91 % des aides versées. Les constats portent à nouveau sur la divergence réglementaire relative à l'admissibilité de certaines surfaces (surfaces boisées, mares, rochers...), qui a conduit la France à saisir le Tribunal de l'Union européenne.

2. Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité- POSEI (années 2012 à 2014)

Dans le cadre d'un audit sur les aides du POSEI, les auditeurs ont exprimé des doutes sur la cohérence entre des données issues des abattoirs visités sur place et les données de la BDNI . Ils ont également mentionné des non- conformités concernant les contrôles sur place et administratif des aides à la filière bananière , des soutiens au transport de canne à sucre et les aides à la structuration de l'élevage et à la diversification végétale . Le risque financier est estimé à ce jour à 11,9 millions d'euros par la Commission.

3. Liaison entre actions de développement rural- LEADER

Dans le cadre de l'enquête relative au programme LEADER, les auditeurs ont conclu à une insuffisance des contrôles notamment en matière de marchés publics, du caractère raisonnable des coûts et de maîtrise des risques de conflits d'intérêts. Compte tenu du nombre de contrôles défaillants, une sanction de 10 % de l'aide versée pour les années 2014 et 2015 est envisagée, soit 14,7 millions d'euros.

4. Mesures de promotion

Les auditeurs ont constaté des lacunes dans le fonctionnement des contrôles administratifs applicables à la sélection des organismes d'exécution avec notamment l'absence de respect du principe de transparence et d'égalité de traitement des soumissionnaires ainsi qu'un manque de transparence et d'égalité de traitement dans les décisions d'attribution. Ces manquements conduisent à une demande de reversement provisoire de 4,5 millions d'euros. Les échanges contradictoires sont achevés et la décision finale de la Commission est attendue.

Les apurements qui sont susceptibles d'affecter le budget national 2018 ou les suivants, selon la vitesse d'avancement des procédures.

- Aides surface (campagne 2015)

L'enquête surface débutée en 2016 a conduit la Commission à demander le reversement de 10 % des aides pour les campagnes 2015 et 2016 , soit 630 millions d'euros par campagne.

Ces conclusions s'appuient sur les retards observés dans la gestion de la campagne PAC 2015 ainsi que sur une divergence d'appréciation de l'éligibilité de certaines zones peu productives .

Les travaux de chiffrage menés par les autorités françaises devraient permettre de faire diminuer très significativement la sanction appliquée suite à cette enquête.

- Conditionnalité des aides (campagne 2013)

La Commission européenne a notifié un montant de correction financière de 82 millions d'euros ( 10 % des aides versées au titre de la conditionnalité) en l'absence de contrôle de certaines obligations (défaut de définition des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), contrôles sur place considérés inappropriés pour les exigences réglementaires en matière de gestion (ERMG) 1, 2, 5).

- Conditionnalité des aides (campagnes 2014 et 2015)

Bien que la Commission ait relevé une amélioration dans la gestion de la conditionnalité des aides, les conclusions de l'audit sur les campagnes 2014 et 2015 ont mis en évidence une insuffisance de définition du risque d'érosion des sols ainsi qu'un contrôle lacunaire de l'hygiène du lait , dans le cadre des contrôles conditionnalité. Une correction forfaitaire de 5 % des aides versées, soit 75 millions d'euros est envisagée pour ce dossier.

- ICHN , Campagne 2014 (PDRH) et Campagnes 2013 et 2014 (PDR Corse).

La Commission Européenne a renouvelé son constat concernant l'absence de contrôle du taux de chargement lors des contrôles sur place de l'ICHN et des MAE, que les autorités françaises considèrent non fondée dans la mesure où l'ICHN est basée sur le taux de chargement moyen de l'année précédente qui est contrôlé lors du contrôle administratif.

Cette divergence d'interprétation fait l'objet de plusieurs recours contentieux en cours. Suite aux différents échanges avec les autorités françaises et en particulier la fourniture d'une nouvelle évaluation du risque financier, la Commission européenne a réduit sa proposition de correction financière au titre des montants payés au cours de la campagne 2014 de 27,8 millions d'euros à 14,3 millions d'euros.

- Programmes opérationnels des organisations de producteurs de fruits et légumes (années 2012-2015)

Les auditeurs ont relevé des non-conformités relatives aux critères de reconnaissance des organisations de producteurs - OP (défaut de contrôle de la livraison des apports, levée des suspensions d'agrément avant validation effective des évolutions statutaires requises par les assemblées générales des OP) ainsi que des déficiences relatives aux programmes opérationnels (défaut de contrôle de la valeur de la production commercialisée, défaut de contrôle du caractère raisonnable des coûts des opérations financées...).

Ces constats ont conduit les auditeurs à demander un reversement forfaitaire initial de 10 % des aides . Suite aux éléments complémentaires fournis en 2017, le montant du reversement a été limité à 14,9 millions d'euros au lieu des 21,1 millions d'euros initialement prévus. Les autorités françaises ont également mis en place un plan d'actions pour éviter le renouvellement de ces anomalies pour les campagnes à venir.

- Certification des comptes des organismes payeurs (exercices financiers 2014 et 2015)

Dans le cadre des exercices de certification des comptes, la CCCOP a constaté des taux d'erreur élevés dans la gestion des fonds agricoles, en particulier concernant le FEADER. Dans ce cadre, la Commission européenne a ouvert plusieurs enquêtes de conformité et propose des corrections financières significatives par extrapolation du taux d'erreur observé. Les échanges contradictoires sont en cours pour les dossiers pour lesquels le risque de correction financière est évalué à 83 millions d'euros.

- Investissements . Axes 1 et 3

L'enquête sur les mesures d'investissements a également relevé une insuffisance des contrôles de conformité des procédures de passation des marchés publics et du contrôle du caractère raisonnable des coûts des investissements présentés à l'aide, conduisant à une sanction financière prévisionnelle de 25,5 millions d'euros. Les échanges contradictoires se poursuivent pour ce dossier.

- Investissements dans le secteur viti-vinicole

Les auditeurs proposent pour cette enquête une correction forfaitaire de 5 %, soit 8,5 millions d'euros pour les motifs suivants : dans certains cas, l'aide a été versée avant la fin des contrôles et le caractère raisonnable des coûts est insuffisamment vérifié. Les échanges contradictoires se poursuivent pour ce dossier.

Les montants des sanctions financières sont indiqués sous réserve des échanges contradictoires encore en cours ainsi que des procédures de chiffrage qui pourraient permettre de réduire les montants de refus d'apurement. Par ailleurs, certaines procédures d'audit ne sont pas suffisamment avancées pour permettre une évaluation à ce stade d'un montant de risque financier.

ANNEXE N° 3

CONCLUSIONS DU RAPPORT IGF-CGAAER SUR LA CHAÎNE DES PAIEMENTS AGRICOLES

Le rapport conjoint IGF- CGAAER conclut sur les onze propositions suivantes.

Proposition n° 1 : Mettre en place un plan complet du projet des opérations restant à réaliser pour programme ISIS.

Proposition n° 2 : Évaluer l'organisation mise en place pour la conduite du projet OSIRIS au cours du 3ème trimestre 2017.

Proposition n° 3 : S'appuyer sur les plans complets et fiabilisés des deux principaux projets informatiques du domaine agricole pour mutualiser la conduite des projets et améliorer la prévision budgétaire des dépenses de systèmes informatiques de l'agence.

Proposition n° 4 : En cas d'observations formulées à l'encontre des autorités françaises, préparer les mesures correctives immédiatement lorsque le risque identifié est considéré comme probable.

Proposition n° 5 : Procéder à la mise en place concertée d'une typologie des erreurs donnant lieu à corrections afin d'améliorer le retour d'expérience, de mieux responsabiliser les acteurs et de limiter les risques futurs.

Proposition n° 6 : Associer systématiquement et le plus en amont possible l'ASP aux décisions prises en matière de déclinaison de la PAC au niveau national afin de bénéficier au maximum de son expertise.

Proposition n° 7 : Associer systématiquement et le plus en amont possible les services instructeurs aux décisions prises en matière d'instrumentation des outils de la PAC afin de leur permettre d'anticiper les impacts opérationnels.

Proposition n° 8 : Définir la responsabilité financière des acteurs intervenant sur le FEADER en cas de correction financière.

Proposition n° 9 : Encourager le recours auprès de la Commission à des prises de position en cas de doute sur l'interprétation de la règlementation.

Proposition n° 10 : Une réflexion pourrait être engagée quant à une éventuelle adaptation de la méthode statistique utilisée par l'organisme certificateur français pour estimer le niveau d'erreur des fonds agricoles.

Proposition n° 11 : L'augmentation du seuil de signification pour les dépenses relevant du FEADER, qui a déjà été proposée dans le passé par la Commission, pourrait être défendue par les autorités françaises.

ANNEXE N° 4 :




COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES


* 1 En France, il relève principalement de la responsabilité opérationnelle de l'ASP.

* 2 Y compris les crédits d'enseignement agricole qui s'élèvent à 1,8 milliard d'euros en 2019.

* 3 À titre d'illustration, la loi de règlement pour 2016 a arrêté à 2,9 millions d'euros les charges supportées par l'ASP au titre du préfinancement des aides européennes par cet opérateur.

* 4 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances (n°93, 2008-2009) de M. Joël Bourdin.

* 5 La fonction d'organisme de certification existe depuis 1996. Elle a été initialement assurée par la Cour des Comptes. La CCCOP a repris ces missions lorsque la Cour des Comptes n'a plus souhaité les assumer.

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